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dimanche 19 mars 2017

Les Catholiques et le vote : L'exemple édifiant du Cardinal Sarto, futur Pape Pie X (Saint)



Image tirée de la Biographie "Pie X" du R.P. DAL GAL



UNE VICTOIRE RETENTISSANTE



On se rappelle que le 24 novembre 1894, où il avait pris possession de son siège, les démocrates-radicaux, inféodés à la Franc-Maçonnerie, avaient déserté le Palais municipal et tenu les fenêtres closes, au passage de la chaloupe cardinalice.
Mgr Sarto garda le silence, mais, dès ce moment, il médita de liquider la Maçonnerie dominante pour faire place au Christ.
Aux gens qui s'étaient indignés du procédé de la secte, il s'était borné à dire : « Ne craignez rien. Si le Palais municipal a tenu ses fenêtres closes, nous les ferons ouvrir »
Il attendait l'heure des élections administratives. 1895 fut Tannée des grandes victoires électorales des catholiques.
L'exemple le plus éclatant et décisif vint de Bergame, la ville de l'Action catholique italienne.
Quelques-uns pensaient que les catholiques devaient appliquer le principe de l'abstention, non pas seulement dans les élections politiques, mais encore dans les élections municipales. Opinion contraire à celle du Saint-Siège qui avait toujours poussé les catholiques à se préoccuper de l'administration de leur cité et à ne pas permettre la prédominance des courants ennemis de l'Église.
La participation aux élections municipales devait être considérée comme une préparation aux élections politiques, lorsque le Saint-Siège jugerait opportun de l'autoriser.
Il était évident que l'abstention ne pouvait être éternelle. Pas de meilleure préparation aux futures luttes politiques que la conquête des communes et des provinces.
De graves problèmes exigeaient que les catholiques fussent présents, et non en simple minorité, dans les Conseils communaux et provinciaux, entre autres l'enseignement religieux dans les écoles et la tutelle des « Œuvres Pies ».
Un certain nombre estimaient que les catholiques devaient combattre isolément, avec leurs listes propres, et ne pas s'affilier à des éléments honnêtes et modérés qui ne militaient pas dans le camp religieux. Leur organe était L'Osservatore Cattolico, de Don Albertario, à Milan. Mais quelques échecs avaient montré qu'on ne pouvait ériger ce principe en règle générale.

À Venise, jusqu'à l'arrivée du cardinal Sarto, manquait l'homme qui eût le coup d’œil juste, l'autorité et l'énergie nécessaire.

Avec lui, tout change.

Venise, cité catholique, où chaque pierre est un monument de foi et de piété chrétienne, ne devait pas tolérer la domination d'anticléricaux bilieux et menteurs qui cherchaient toutes les occasions d'offenser leurs sentiments et d'abolir toute trace du passé.

Soucieux du bien moral et civil de son peuple, le Patriarche avait entrepris de libérer la municipalité et de procurer aux Vénitiens une administration digne de leur histoire.

Les élections pour le renouvellement du Conseil communal étaient fixées au mois de juillet 1895. Il importait, avant tout, d'exciter le zèle des catholiques. Sans longs discours, avec la force d'un chef sûr de lui, le cardinal encourage les fidèles à combattre et à vaincre. Trois mots lui suffisent, précis comme un plan de guerre : « Travaillez, priez, votez ! »

Soutenu par sa foi indomptable et sa prodigieuse énergie, il convoque dans son Palais curés et prêtres, hommes et jeunes gens ; il organise des conférences dans tous les quartiers, il institue des comités et sous-comités. Ayant compris que les catholiques ne pouvaient vaincre seuls, précurseur habile et hardi des temps nouveaux, il jette les bases d'une alliance honorable entre les membres les plus représentatifs du parti catholique et ceux du parti modéré, alliance contractée sous le signe de la plus ample confiance. En trois jours et trois nuits, il rédige de sa main plus de deux cents lettres aux prêtres, aux laïcs, aux associations catholiques, aux communautés religieuses, pour qu'à l'action se joigne la prière et, complétant sa tâche d'évêque et de citoyen, il lance à la Franc-Maçonnerie ce défi : « A la porte, les ennemis du peuple de St-Marc ! »

L'heure de la revanche avait sonné.

Les Vénitiens, devant la gravité de la lutte, se dressèrent comme un seul homme, pour la religion et pour la patrie, selon la consigne de leur Patriarche.

Le jour des élections municipales, 28 juillet 1895, les catholiques, alliés aux « modérés », remplirent leur devoir civique et remportèrent une brillante victoire. La vieille municipalité fut chassée, remplacée par une nouvelle, avec un Syndic dévoué à l'Église et au Pape, le comte Philippe Grimani, illustre descendant d'une famille de Doges. Celui-ci devait administrer Venise pendant un quart de siècle. Mémorable exemple de la stabilité d'un régime sur lequel le cœur et la volonté d'un homme providentiel avaient imprimé leur trace.

La démagogie anticléricale avait violé la conscience de Venise catholique, aboli le catéchisme dans les écoles, enlevé le crucifix dans les asiles, prohibé les « ponts votifs » qu'on avait coutume de jeter sur le canal de la Giudecca et sur le grand Canal pour les fêtes de la Madone du Salut et du Rédempteur décrétées par l'ancien Sénat de la Sérénissime République. Enfin la secte était tombée (Parmi les plus graves offenses infligées au sentiment religieux par la municipalité sectaire, figurait la suppression des « Ponts de barque », qu'on jetait, comme il est dit plus haut, pour favoriser l'affluence du peuple aux deux sanctuaires du Saint Rédempteur à la Giudecca et de la Madone du Salut sur le Grand Canal, à l'occasion des deux solennités, le troisième dimanche de juillet et le 21 novembre. Pour se rendre compte de l'indignation publique, il faut savoir que le temple du Saint Rédempteur avait été construit en 1577 et celui de la Madone en 1631, l'un et l'autre exprimant la gratitude de Venise libérée de la peste) !

Le peuple de la noble cité scella de nouveau sur les autels l'alliance indissoluble de la religion et de la patrie ; dans les écoles retentit de nouveau le nom auguste de Dieu ; aux murs des hôpitaux, l'image du divin Moribond reprit sa place ; aux jours de fête furent rétablis les « ponts votifs » et les Vénitiens se serrèrent plus étroitement autour de leur Patriarche, comme d'un Doge ressuscité, avec une vénération et une tendresse qui dépassaient tout ce qu'on avait vu.

Cette magnifique victoire, acquise par l'accord des catholiques et des « libéraux modérés », et par la volonté tenace du cardinal Sarto, eut, dans toute la nation, une profonde résonance (les témoignages au Procès ordinaire et apostolique de Venise sont pleins du souvenir de cet événement. Tous les journaux, catholiques et non catholiques d'Italie, en ont parlé, les uns avec allégresse, les autres avec une grande mélancolie et en cachant mal leur fureur, parce qu'ils sentaient qu'après cette victoire des forces saines leur revanche ne serait plus possible. [cf. La Difesa de Venise, 29-30 juillet 1895]
L'Adriatico, journal libéral de Venise, écrivait, le lendemain du vote : « Les cléricaux ont vaincu ; ils ont vaincu, plus qu'en aucune autre ville d'Italie et avec une majorité écrasante. »).



LE PATRIARCHE SARTO ET LÉON XIII



Dans cette occurrence, quelques-uns murmurèrent à Rome que le Patriarche de Venise s'entendait un peu trop avec les « libéraux », que l'alliance des catholiques et des « libéraux-modérés », voulue et soutenue par lui, était une entorse aux principes.

Un jour que celui-ci était de passage à Rome, Léon XIII lui demanda des éclaircissements. Le cardinal expliqua comment les élections s'étaient faites et ce qu'étaient ces libéraux :

« Ce sont des hommes qui communient publiquement à Pâques, et non pas seulement à Pâques ; qui assistent à la messe le dimanche ; qui ne manquent aucune fête votive de la ville, et qui, à la procession de la Fête-Dieu, n'hésitent pas à porter le dais. »

« Mais alors, s'écria Léon XIII, ce sont des catholiques, et même des cléricaux. »

Léon XIII imposa silence aux critiques, d'une façon plus solennelle, en adressant un Bref aux jeunes catholiques de Venise. Il les félicitait d'avoir obéi à la voix de leur Patriarche et de combattre pour assurer à leur cité une administration digne de sa foi : Rectum civitati regimen ornai ope secundoque exitu contendistis (Docteur VIAN, Ord. Ven., 960. — Quatre ans plus tard, aux élections administratives du 31 juillet 1899, les dernières de son Patriarcat, la victoire fut encore plus éclatante, par le nombre des catholiques élus. Les adversaires subirent un rude échec dans la personne de leur principal champion, le professeur maçon Bordiga).

Observons d'ailleurs que, dans cette alliance entre les catholiques et les libéraux-modérés, ce n'étaient point ceux-ci, mais ceux-là qui avaient élaboré le programme d'action commune à mener dans la période des élections et après les élections. Ce n'étaient pas les catholiques qui avaient atténué leurs principes pour adhérer aux modérés, mais les modérés qui avaient adhéré au programme des catholiques.

Les chapitres essentiels étaient : le respect de la religion, l'enseignement religieux dans les écoles, l'intervention aux fêtes votives, la tutelle du patrimoine des pauvres dans les œuvres dites « Œuvres Pies » : quelles difficultés pouvaient donc encore subsister contre la formation d'un bloc d'honnêtes gens, décidés à rendre à Venise son lustre de cité chrétienne, contre un bloc d'anticléricaux enragés qui prétendaient asseoir leur fortune sur la division de leurs adversaires ?
C'était une tactique très sage de pousser les catholiques à se servir des bons citoyens qui militaient dans le parti modéré, et dont, au surplus, l'expérience leur était utile dans les questions économiques et administratives. C'est ce que sut toujours faire le cardinal Sarto pour le bien de son diocèse, objet suprême de ses pensées et de son activité.



VERS LA RÉCONCILIATION DE L'ÉTAT ITALIEN AVEC L'ÉGLISE



Après la chute du Pouvoir temporel et la violation de la souveraineté du Pape dans l'État Pontifical, accomplie le 20 septembre 1870, Pie IX ne pouvait permettre aux catholiques d'avoir des représentants au Parlement italien, où il leur aurait fallu sanctionner l'usurpation du Principat civil de l'Église. En conséquence, il leur interdit de participer aux élections politiques du nouveau royaume d'Italie (Le 13 octobre 1874, Pie IX, interrogé de plusieurs côtés s'il serait licite aux catholiques de siéger au Parlement italien, répondit que « ce n'était absolument pas possible, parce que le choix des députes n'était pas libre ; parce qu'il n'était pas possible de prêter le serment sans condition qui sanctionnerait le dépouillement de l'Église, les sacrilèges commis, l'enseignement anticatholique et tout ce qui pourrait se faire dans l'avenir ». (Cf. E. CLERICI, Pie IX, Vita e Pontificato, p. 286, Milan, 1928.)
Trois ans plus tard, blâmant ceux qui soutenaient que le seul moyen efficace et indispensable de défendre les intérêts sacrés de l'Église était de participer aux élections politiques et d'occuper des sièges au Parlement, Pie IX adresse au président de la Jeunesse catholique italienne le Bref du 27 janvier 1877 où il déclare que ce serait là « un avantage incertain et d'autant plus douteux qu'on avait à lutter, non plus avec une erreur des esprits, mais avec la volonté hostile du plus grand nombre des votants, remplis de haine contre la religion. » (PIE XI, Acta v. VII, p. 280-283, Rome, 1879) — Cf. aussi Lettre du 21 janvier 1878 au même Président de la Société de la Jeunesse catholique d'Italie, dans laquelle Pie IX blâmait ceux qu'on appelait les conciliatoristi (ib., pp. 471-472).).
Ce qui était en jeu, c'était moins une revendication territoriale — garantie de la mission divine de la Papauté — que la question de la souveraine liberté et indépendance du Pontificat suprême : question très grave, appelée alors « Question Romaine ».
Léon XIII confirma pleinement les dispositions de son Prédécesseur et reprit les mêmes arguments. Il écrivait le 14 mai 1895 :
« On connaît la circulaire qui, par ordre de notre Prédécesseur Pie IX, de sainte mémoire, la Sacrée Pénitencerie avait envoyée aux évêques, leur notifiant que, sur la question de prendre part aux élections politiques, attentis omnibus circumstantiis, NON EXPEDIT. Cette décision ayant été souvent traduite dans un autre sens, un Décret du Saint-Office, du 30 juin 1886, approuvé par nous, a ajouté que le non expedit prohibitionem importât (Cf. Acta Sanctae Sedis, v. XIX, pp. 94-95), rendant ainsi manifeste le devoir, pour les catholiques, de s'abstenir. Nous répétons à voix haute que, si le concours des catholiques aux élections administratives des communes est louable et plus que jamais à recommander, on doit l'éviter dans les élections politiques, comme non expédient pour des raisons très hautes, dont la situation faite au Pontife et qui ne peut certainement correspondre à la pleine liberté et indépendance de son ministère apostolique (Lettre au cardinal PAROCCHI, 14 mai 1895. (Cf. Leonis XIII, Acta, pp. 200-201. Rome, 1896.)). »
Les catholiques italiens, obéissant aux directions pontificales, ne pouvaient participer à la vie politique de la Nation ; ils ne pouvaient être m élus ni électeurs.
Cette abstention disciplinée et consciente, ne devait pas empêcher les catholiques de se tenir prêts, en attendant que l'heure sonnât des grandes batailles politiques (Circulaire du comte Medolago Albani, 3 décembre 1904. (Cf. La Civiltà Cattolica de Rome (1904), v. IV, pp. 762-763.)).
Pour le moment, il leur fallait appliquer leur vieux programme : « Préparation dans l'abstention » (Tel était le mot d'ordre donné aux catholiques d'Italie, dans l'Osservatore Romano, le 11 juin 1880).
Nous savons que le cardinal Sarto, contractant sur le terrain administratif une honnête alliance entre catholiques et modérés, avait réussi à donner à la Cité des Lagunes un visage de sérénité religieuse (Chapitre VI). Nous savons aussi qu'à diverses reprises il n'avait pas hésité à recourir au Saint- Siège et à demander qu'en certains cas fût levée l'interdiction faite aux catholiques de participer aux élections politiques, pour mettre obstacle aux lois iniques dont la secte alors nichée au Parlement menaçait l'Église (Mgr MARCHESAN, Ord. Trev., p. 1214. — Les points capitaux de la lutte anticléricale des gouvernements de ce temps étaient : l'école laïque, pour déchristianiser la jeunesse ; la préséance du mariage civil sur le mariage religieux, pour enlever au mariage sa valeur de sacrement ; le divorce, pour dissoudre l'ensemble de la famille).
Le cardinal Sarto avait compris, dès cette époque, que l'Italie pourrait avoir un jour besoin d'un solide appui des catholiques. Pourquoi le Saint-Siège n'offrirait-il pas, pour le salut de la Religion et de la Patrie, les hommes droits qui s'étaient formés dans le vaste mouvement de l'Action catholique, y avaient acquis une expérience économique et sociale, et se présenteraient comme l'unique force susceptible de briser le flot du désordre ?
Appelé à gouverner l'Église universelle, à un moment où la Maçonnerie, sur les bancs de la Chambre et dans ses sombres repaires, se déchaînait contre l'Église, entreprenait une violente persécution religieuse et poursuivait de sataniques outrages le Vicaire du Christ, il ne tarda point à faire connaître, sur le grave problème du Non expedit, les directives de sa politique innovatrice.
Inspiré, non par des intérêts terrestres, mais par les intérêts suprêmes de l'Église, de la société et du salut des âmes, Pie X, dans son Encyclique du n juin 1905 aux évêques d'Italie, appelle d'urgence sur le terrain politique tous les catholiques italiens. Il les convie, en tant que citoyens, à défendre leurs plus pures traditions chrétiennes, menacées par l'avance des forces destructrices du Socialisme révolutionnaire déjà prêt à saisir le pouvoir pour déraciner des consciences populaires la foi et la morale du Christ (rappelons encore les mouvements insurrectionnels qui troublèrent l'Italie en 1904. Naples, Turin, Gênes, Milan furent abandonnés, comme cités conquises, aux violences de l'extrémisme révolutionnaire qui crut avoir remporté une victoire définitive sur la bourgeoisie italienne. (Cf. La Civiltà Cattolica de Rome, 1904, v. iv, pp. 99-101.) Rappelons aussi les exploits de la démagogie parlementaire qui, plagiant la France de Waldeck-Rousseau et de Combes, demandait la suppression des Congrégations religieuses, « foyers de sacristains et de béguines », « troupes funestes de corbeaux et de corneilles campés sur le sol de la Patrie avec les lamentations et les psalmodies qui accompagnaient jadis les victimes de la Sacrée Inquisition ». (Cf. id., v. I, pp. 483-485) En même temps se développait la menace du divorce et les plus affreux blasphèmes s'épanchaient dans les ghettos judéo-maçonniques et dans les conciliabules séditieux ; l'incrédulité et le laïcisme radical représentaient Dieu, l'Église et le Pape comme des imaginations fabuleuses désormais ensevelies. (Cf. ib., v. IV, p. 220-223.)).
« L'organisation actuelle de l'État, disait-il, offre à tous indistinctement la faculté d'influer sur la chose publique. Sauf les obligations imposées par la loi de Dieu et les prescriptions de l'Église, les catholiques peuvent, en toute sûreté de conscience, s'unir pour se montrer aptes, autant et mieux que les autres, à coopérer au bien matériel et civil du peuple, et à acquérir ainsi l'autorité et le respect qui leur rendront possible de défendre et de promouvoir les biens plus élevés, ceux de l'âme (Lettre Encyclique Il fermo proposito aux évêques d'Italie, 11 juin 1905. (PIE X, Acta, v. II, pp. 124-125.)). »
Puis, précisant sa pensée d'une façon très nette et sans équivoque, il ajoutait :
« Les droits civils, nombreux et divers, comportent celui de participer directement à la vie politique du pays et de représenter le peuple dans les assemblées législatives. Des raisons très graves nous dissuadent de nous écarter des mesures déjà prises par nos deux Prédécesseurs Pie IX et Léon XIII, selon lesquelles demeure en général interdite en Italie la participation des catholiques au pouvoir législatif. Mais d'autres raisons également graves, ayant trait au bien suprême de la société qu'il faut sauver à tout prix, peuvent exiger que, dans des cas particuliers, l'on soit dispensé de cette loi, spécialement quand les évêques en reconnaîtront la stricte nécessité pour le bien des âmes, pour les intérêts suprêmes de leurs diocèses, et en feront la demande (Ib., p. 125). »
Comme nous l'avons dit, les temps étaient troublés et le péril considérable.
L'Italie oscillait entre l'ordre et la révolution. La révolution semblait devoir engloutir toute organisation sociale, entraîner la destruction et la ruine des âmes chrétiennes. Du côté de l'ordre, c'était le salut moral, religieux et civil du peuple, ce bien suprême de la société qu'il s'agissait de sauver à tout prix.
C'est pourquoi, après avoir évoqué le préjudice causé au Saint-Siège par la violation de ses droits, Pie X continuait :
« Ce que rend possible notre bénigne concession fait un devoir à tous les catholiques de se préparer prudemment et sérieusement à la vie politique pour le moment où ils y seront appelés. D'où il résulte que la même activité, déjà heureusement déployée par eux pour se préparer, avec une bonne organisation électorale à la vie administrative des Communes et des Conseils provinciaux, doit maintenant s'étendre jusqu'à la préparation à la vie politique. Ils devront en même temps s'inspirer des principes qui règlent la conscience de tout vrai catholique, lequel doit être avant tout et se montrer en toutes circonstances vraiment catholique, accéder aux charges publiques et les exercer avec le ferme et constant dessein de promouvoir le bien social et économique de la patrie, spécialement du peuple, selon les maximes de la civilisation chrétienne, et de défendre les intérêts suprêmes de l'Église, qui sont ceux de la Religion et de la justice (Ib., pp. 125-126) »
Cette dérogation au NON EXPEDIT — dans des cas particuliers et de stricte nécessité — et le fait nouveau que les catholiques pourraient participer en sûreté de conscience à la vie politique de la Nation, éclaircissaient la situation des catholiques, en tant que citoyens, devant le bien suprême de la Patrie.
Mais, jugeant nécessaires des programmes franchement catholiques, Pie X n'acceptait pas de compromis avec le libéralisme. Dans tout problème politique, il voyait un problème moral. Aussi, dans son habituelle prudence, signifia-t-il, par l'intermédiaire de son Cardinal Secrétaire d'État, que les candidats des catholiques ne devraient pas se présenter comme « candidat des catholiques formant une sorte de parti politique » et beaucoup moins encore « tendre à la constitution d'un centre parlementaire catholique ». Cela était « positivement exclu (Instructions données aux évêques pour les élections politiques en Italie, par le Cardinal MERRY DEL VAL, Secrétaire d'État de Pie X ; Archives de la Postulation. — Cf. aussi Cardinal MERRY DEL VAL, Ord. Rom., 924. — Cardinal CANALI, ib., 2040-2041) ».
Il convenait d'éviter que, chez les ennemis de l'Église, on agitât le spectre du cléricalisme et d'empêcher que les députés élus par les catholiques se livrassent à des initiatives qui risqueraient de compromettre le Saint-Siège. En conséquence, les députés des catholiques devront être catholiques députés, non députés catholiques (Cardinal MERRY DEL VAL, Ord. Rom., 924) et se préoccuper seulement de représenter leurs électeurs. Le Saint-Siège défendrait lui-même ses propres droits.
L'atmosphère était changée, la conscience des catholiques éclairée. On s'en aperçoit dans les élections politiques de 1909 et plus encore dans celles de 1913, pratiquées avec le suffrage universel. Animés d'un souffle plus ample et de directions précises, les catholiques purent imposer l'accomplissement de leur programme, fondé sur la représentation de leurs organisations au Conseil Supérieur du Travail, jusqu'alors monopole du Socialisme ; sur la liberté de renseignement dans les écoles et la lutte contre les forces qui s'acharnaient à dissoudre la famille chrétienne.


Après cela, comment douter que l'innovation hardie de Pie X, inspirée par la pensée « du bien des âmes et des suprêmes intérêts de l'Église (PIE X, Acta, ib., p. 125) », ne fût pas destinée, dans les plans de la Providence, à faire mûrir le problème et à avoir son épilogue dans le pacte de paix entre l'État et l'Église ? Solution de la Question romaine vers laquelle tendait l'histoire politique et religieuse de l'Italie.
Il est évident que Pie X souhaitait cette réconciliation, en harmonie avec les droits imprescriptibles du Saint-Siège.
Lisons la lettre qu'il a adressée, le 9 novembre 1910, au comte Apponyi, ministre des cultes de Hongrie.
« Ce qu'auraient fait Pie IX et Léon XIII, écrivait-il, le Pape actuel le ferait également s'il pouvait voir assurer par un autre moyen sa liberté et l'indépendance du gouvernement de l'Église universelle. Il ne s'agit pas d'intransigeance mais de l'absolue nécessité de réclamer un droit qui n'admet pas de limites et de diminutions. Le Pape ne s'inclinera jamais devant un acte qui constitue un outrage à l'Église, car il se ferait le complice d'une faute impardonnable (Archives de la Secrétairerie d'État. — Cf. aussi Cardinal MERRY DEL VAL, Ord. Rom., 878). »
Dès son Patriarcat de Venise (« Il nourrissait une certaine sympathie pour l'idée d'une entente entre le Saint-Siège et le Gouvernement italien. » Mgr PETICH, Ord. Ven., p. 395), il désirait la réconciliation. S'il s'était trouvé en face d'hommes d'État ayant un minimum de loyauté, de dignité et de bonne volonté, il aurait volontiers entrepris des démarches pour mettre fin à ce malheureux désaccord entre l'État italien et le Siège Apostolique, véritable épine au coeur de la Nation (Témoignage de son plus intime Secrétaire particulier au Procès Apostolique Romain : « Je me rappelle qu'un jour je dis au Pape que, si le Gouvernement italien lui avait demandé de discuter la Question Romaine, je supposais qu'il n'y aurait pas consenti. Le Pape répondit ; Oh ! au contraire, laissant entendre qu'il aurait causé très volontiers. » (Mgr G. BRESSAN, Ap. Rom., p. 87.)).
Aussi distinguait-il, avec sa largeur habituelle de vues, entre la liberté de l'Église et le Pouvoir Temporel : « Je n'ai jamais voulu faire de revendications ou affirmations du Pouvoir Temporel. Je ne pense qu'à maintenir sans préjudices la situation du Pape dans ce qu'on appelle la Question romaine (Cardinal CANALI, Ord. Rom., 2046). »
« Il est navrant de constater — écrivait-il le 21 mai 1909 — à quel point l'argument de la liberté de l'Église est aujourd'hui oublié par tout le monde. II conviendra cependant d'éviter l'allusion même lointaine au Pouvoir Temporel, car c'est un sujet qui pour beaucoup, même non mauvais, est condamné à l'ostracisme (Lettre au comte Stanislas Medolago-Albani, président de l'Union Economique Sociale, en date du 21 mai 1909. (Archives de la Postulation.)). »
À l'évêque de Crémone, Mgr Bonomelli, connu pour ses idées « conciliatrices », il déclarait expressément, le 15 octobre 1911 :
« Dans tout mon Pontificat, je n'ai pas voulu, dans aucune lettre ou allocution, prononcer le mot de Pouvoir Temporel, afin de ne pas fournir aux adversaires l'occasion de s'emporter contre l'Église. Oh ! si ceux qui siègent au pouvoir avaient voulu vraiment la liberté de l'Église, depuis quarante années ils auraient traité de façon bien différente le Siège Apostolique et la personne du Pape, contraint de peser tous ses actes, toutes ses phrases, pour ne pas donner prétexte à de nouvelles persécutions. À tel point qu'est enlevée au Pape non seulement la liberté de se plaindre, mais aussi celle de parler (Archives de la Secrétairerie d'État). »
Pie X n'admettait pas que les catholiques parlassent du Pouvoir Temporel. Non pas que la Question romaine fût une question périmée, morte et enterrée, comme l'insinuait mensongèrement le Libéralisme de toute couleur ; mais parce que l'esprit de la politique italienne n'y était pas encore préparé et que le moment n'était pas opportun (Un distingué chanoine de la Vénétie a raconté que, reçu en audience le 22 février 1912, il demanda à Pie X quelle attitude devait prendre, sur le sujet du Pouvoir Temporel, la Direction de l'Action Catholique de Padoue, depuis le fait nouveau de la participation des catholiques aux élections politiques, nettement autorisée par lui. Pie X conseilla de laisser de côté cette question pour des motifs d'opportunité : « Ne parlez pas du Temporel, ajouta-t-il ; dès que le Temporel entre dans la danse, les anticléricaux deviennent des lions. » (Mgr G. BELLINCINI, Mémoire manuscrit en date du 23 décembre 1951 : Archives de la Postulation.)).
Il ne voulait pas que la question de la liberté et de l'indépendance du Pape fût envenimée par les colères anticléricales et troublées par les courants opposés qui se manifestaient chez les catholiques eux-mêmes, du fait que l'artifice des sectaires transplantait la Question romaine sur le terrain des intérêts humains et des fins politiques, par crainte d'un retour du Principal civil des Papes (Cf. Allocution de Léon XIII au Sacré Collège des Cardinaux, le 23 décembre 1890 : LÉON XIII, Actes de Léon XIII, v. X, p. 377, Rome, 1891). Il voulait qu'on sût clairement que le Saint-Siège attendait une solution pour assurer la liberté et l'indépendance de son magistère, et jamais pour des préoccupations terrestres. Ainsi, jugeait-il, se concilieraient les âmes des italiens, dans un sincère désir de paix avec l'Église, sans qu'on eût à craindre de compromettre les intérêts de la Patrie (Cf. COMTE DALLA TORRE, Ap. Rom., p. 430). Il n'attendait rien des aspirations terrestres ni des interventions étrangères ; pour lui, c'est de la conscience chrétienne et civile du peuple italien que devait surgir la réconciliation entre l'Italie et le Siège de Pierre.
C'est avec son consentement et son approbation préalables que, dans la huitième Semaine Sociale des catholiques italiens, tenue à Milan du 30 novembre au 5 décembre 1913, le président de l'Union Populaire fit cette déclaration que « la paix entre l'État et l'Église pouvait toujours se réaliser par la volonté constitutionnelle du pays, sans que la souveraineté civile de l'État fût compromise (Cf. In Civiltà Cattolica de Rome, année 1913, tome IX, p. 739-745) ».


Le règne du saint Pontife fut trop bref pour qu'il ait pu assister à la renaissance du printemps et voir, après un long dissentiment, s'épanouir la fleur mystique de la paix. Mais la vérité, mais la justice enjoignant de dire que c'est lui qui en avait jeté la semence, dans un moment où sévissait la tempête des vieux préjugés et des rancunes, non encore éteintes, de l'anticléricalisme et de la laïcité.
En atténuant le Non expedit — et cela lui tenait à cœur — pour le bien des âmes et des intérêts suprêmes de l'Église (PIE X, Acta, ib., p. 125), il réussit à enlever à la Question romaine cet aspect antinational que la secte lui avait calomnieusement et odieusement prêtée pour faire de la Question romaine une sorte de « revendication politique ». La ramenant à ses justes proportions, il lui donna une couleur plus franche, plus spirituelle, plus apostolique. Il démontra qu'était possible un retour de la paix de Dieu dans la Patrie, par la voix des âmes conscientes de leur foi et de leurs traditions chrétiennes.
Ainsi s'achève son Pontificat : il eut la gloire de contempler et de mesurer la grandeur de l'œuvre accomplie, avant de clore sa rude journée et d'aller dormir dans les Grottes Vaticanes. Il eut la consolation de voir la Hiérarchie plus étroitement soudée à la Chaire infaillible de Pierre ; le clergé, plus pénétré de sa responsabilité et de sa mission divine ; les forces laïques, qu'il avait trouvées minées par la discorde et la rébellion, devenues disciplinées et soumises aux commandements du Vicaire du Christ ; la société chrétienne rétablie sur les principes immuables qu'avaient dénaturés ou fait perdre de vue des théories utopiques et dissolvantes et le réveil d'anciennes erreurs habilement dissimulées, mais inexorablement démasquées et condamnées.
C'était le plein et complet triomphe de son idée : la restauration de toutes choses dans le Christ. Idée qui, à travers les temps et les vicissitudes, l'avait toujours dominé, de sa paroisse de Salzano à la fastueuse cité des Doges, des splendeurs du trône papal jusqu'au seuil du sépulcre. Idée nettement surnaturelle, conduite à la victoire, avec la fidèle et indissoluble collaboration d'un incomparable Cardinal Secrétaire d'État — incomparable par la hauteur de son intelligence non moins que par la sainteté de sa vie sacerdotale — digne de l'incontestable grandeur d'un Pontificat que l'histoire a déjà inscrit dans les fastes de l'Église parce qu'il a connu les grandes lumières de Dieu et surmonté les grandes tempêtes des hommes.



Extrait de "Pie X", Biographie du R.P. DAL GAL.






Les Catholiques fidèles à la Loi de Dieu pourraient voter uniquement pour un candidat véritablement catholique, proposant un programme catholique, c'est-à-dire respectant entièrement les lois de Dieu, remettant le Règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ au centre de la politique. Y a-t-il, dans toute cette agitation maçonnique, un candidat qui porte l'étendard de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Vous avez la réponse... Écoutez ce sermon. Quelqu'un ici veut-il donner sa voix au Démon ? Quelqu'un ici veut-il entrer dans ce système anti-catholique ? Peut-on véritablement être candidat aux élections ou voter sans enfreindre les Lois de Dieu ? Peut-on être catholique et acteur d'une république fondée sur des principes hérétiques ?



Quand le christianisme d’un pays se réduit aux proportions de la vie domestique, quand le christianisme n’est plus l’âme de la vie publique, de la puissance publique, des institutions publiques, alors N.S.J.C. traite ce pays comme Il est traité Lui-même. Il continue Sa grâce et Ses bienfaits aux individus qui Le servent, mais Il abandonne les institutions, les pouvoirs qui ne Le servent pas ; et les institutions, les pouvoirs, les rois, les races deviennent mobiles comme les sables du désert, comme les feuilles d’automne que chaque souffle de vent emporte. (Cardinal Pie)

Je bénis tous ceux qui coopèrent à la résurrection de la France. Je les bénis dans le but (laissez-moi vous le dire) de les voir s’occuper d’une œuvre bien difficile mais bien nécessaire, celle qui consiste à faire disparaître ou à diminuer une plaie horrible qui afflige la société contemporaine, et qu’on appelle le suffrage universel. Remettre la décision des questions les plus graves aux foules, nécessairement inintelligentes et passionnées, n’est-ce pas se livrer au hasard et courir volontairement à l’abîme ? Oui, le suffrage universel mériterait plutôt le nom de folie universelle ; et quand les sociétés secrètes s’en emparent, comme il arrive trop souvent, celui de mensonge universel. (Pie IX, discours du 5 mai 1874)

La république actuelle, avec ses hommes et ses lois, est le châtiment de la France. La France, nation préférée, fille aînée de l’Église, comblée des dons naturels et surnaturels de Dieu, la France a péché. Dans une même heure de révolte et de folie, elle a renié le Christ, son Dieu, elle a tué son père le Roi très chrétien. La France est punie. Depuis ce jour de crime la nation n’est pas seulement divisée, elle est mutilée, décapitée.
C’est en punition du péché que les impies arrivent au pouvoir avec la permission de Dieu.
Ainsi conclut saint Thomas quand il examine les moyens de remédier à la tyrannie (De regemine Principum, lib. 1, cap. IV) : Il faut cesser de pécher pour que cesse la plaie des tyrans. Voilà le principe d’où il faut partir pour trouver un remède à nos maux.
Le péché de la France moderne est double. Il y a en elle un péché d’origine : l’apostasie et le régicide en un mot, la Révolution. Il y a en elle un péché actuel : la prétention du peuple à la souveraineté, la méconnaissance de toute autorité qui n’émane point de lui ; c’est-à-dire, l’impénitence dans le péché de révolution
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Dieu qui aime la France, lui fait sentir le poids de sa colère.
L’obstacle au salut, ce sont les catholiques qui songent uniquement aux moyens humains, en un péril où Dieu seul peut nous sauver. Or, les moyens humains, ne sont pas seulement impuissants à nous sauver, ils hâteront notre ruine. Quels moyens avons-nous, humainement, de sauver la religion et la France ?
Ceux que nous donne la Constitution.
Et quel moyen la Constitution nous donne-t-elle ?
Le suffrage universel, seulement. C’est-à-dire, précisément ce qui perpétue et enracine au cœur de la France le péché mortel de révolution. C’est-à-dire, la grâce du peuple souverain, grâce promise au prix de quelles humiliations et de quelles bassesses ! grâce toujours révocable et sans cesse rachetée. Comment jetterez-vous l’anathème sur le dogme de la souveraineté populaire, si vous attendez d’elle le salut ? Comment proclamerez-vous les droits imprescriptibles et divins de l’Église, si le programme du parti que vous fondez pour la défendre est un programme électoral, destiné à rallier la majorité des hommes de ce temps ?
Ô infernale ruse de l’esprit de mensonge qui nous accule dans ce défilé !

(Abbé Charles Maignen, docteur en théologie, en 1892, dans "La Souveraineté du peuple est une hérésie")




Reportez-vous à Quas primas, Lettre encyclique de Sa Sainteté le Pape Pie XI, Diuturnum Illud du Pape Léon XIII, sur l'origine du pouvoir civil, Saint Pie X, côté mystique d'une élection papale, Triple serment à l'attention de la jeunesse, du Pape Pie XII, Divini Redemptoris du Pape Pie XI sur le communisme athée, Mit brennender sorge, du Pape Pie XI, sur la condamnation du nazisme, E Supremi, 1re Lettre encyclique du Pape Pie X, Il fermo proposito, du Pape Pie X, sur l'Action catholique ou Action des catholiques, Sapientiae christianae du Pape Léon XIII, sur les principaux devoirs des chrétiens, et Rerum novarum du Pape Léon XIII sur la doctrine sociale de l’Église.