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mercredi 25 octobre 2017

Saint François et le Chapitre de la Saint-Michel



Tiré de Saint François d'Assise, par l'Abbé Jean Pihan, Collection Belles histoires



Extrait de


Le Séraphique Saint François


(Dans le Tome XI des Œuvres Complètes de Mgr de Segur)





Les infirmités croissantes du bienheureux François l'obligèrent de monter sur un âne pour pouvoir atteindre le couvent de Notre-Dame des Anges. Son compagnon, le Frère Léonard d'Assise, lui aussi très fatigué, suivait à pied derrière l'une.

Il faisait chaud, et le pauvre Frère était tout morfondu. Se laissant aller à des sentiments humains, il se disait en lui-même, en regardant François : « Ses parents n'allaient pas de pair avec les miens ; cependant le voilà sur une monture, et c'est moi qui le conduis à pied. » Comme il ruminait cette pensée, François, à qui DIEU la fit connaître, met aussitôt pied à terre : « Non, mon Frère, dit-il, il ne convient pas que j'aie une monture et que toi, tu ailles à pied. Tu es de meilleure famille que moi, et dans le monde tu avais le pas sur moi. » Tout attrapé, le bon Léonard se jeta aux pieds de son Père, avoua sa faute et en demanda pardon les larmes aux yeux.

Dans la vallée de Spolète, quantité de Frères-Mineurs accoururent au-devant de leur vénéré et bien aimé Père, qui les accueillait, les consolait, les instruisait avec sa bonté et sa douceur ordinaires. Le Frère Élie vint au-devant de lui comme les autres. Il portait une tunique d'étoffe plus fine, un capuce plus ample, des manches plus larges, et sa démarche avait quelque chose de fier et de prétentieux. François lui dit : « Frère Élie, prêtez-moi cet habit, je vous prie. » N'osant s'y refuser, Élie se retire dans un coin, ôte sa belle tunique et l'apporte au Père.

François la met par-dessus la sienne, en ajuste avec soin les plis, relève le capuce d'un air fier, et marchant la tête haute, la poitrine élevée, les bras arrondis, il fait trois ou quatre tours devant les assistants, qui riaient sous cape : « DIEU VOUS garde, bonnes gens ! » criait-il. Puis, ôtant cette tunique avec indignation, il la jette loin de lui et se retournant vers Élie : « Voilà, dit-il, comment marcheront les Frères bâtards de l'Ordre des Mineurs. »

Puis, s'assoyant au milieu de ses Frères, il leur parla de la pauvreté et de l'humilité avec une telle douceur et d'une manière si véritablement céleste, que personne n'avait jamais rien entendu de semblable. En même temps, il révoqua tout ce que son Vicaire général avait fait d'irrégulier en son absence, sauf l'abstinence continuelle, qu'il abolit également peu de temps après, à l'occasion du beau miracle que voici :

Un jour que François était en grande contemplation dans un bois voisin du couvent de Notre-Dame des Anges, un jeune voyageur d'une beauté extraordinaire, vint frapper à la porte du couvent et demander le frère Élie. Celui-ci refusa brusquement de venir. Le bienheureux Frère Massé, qui était alors portier du couvent, ne savait trop comment porter au jeune inconnu cette désagréable réponse. « Je sais tout, lui dit en souriant le voyageur. Allez, je vous prie, trouver le Père François, afin qu'il lui ordonne de venir me parler. » Massé alla aussitôt dans le bois, et trouva François plongé dans une sorte d'extase, les yeux fixement attachés au ciel, immobile, les bras étendus en forme de croix, « Dites au Frère Élie, répondit-il sans changer de posture, que je lui commande de parler à ce jeune homme. »,

Élie dut obéir ; mais il vint à la porte, tout en colère, demandant ce qu'on lui voulait. « Je viens vous demander, dit doucement l'inconnu, si des hommes qui font profession de n'avoir d'autre règle que le saint Évangile, doivent ou non pratiquer ce que dit l'Évangile : « Mangez ce qu'on vous présente. » Pour toute réponse, Élie lui dit de passer son chemin, en fermant la porte avec dépit. Mais bientôt, reconnaissant son tort, il revint pour s'excuser : il n'y avait plus personne.

François apprit de Notre-Seigneur que ce jeune inconnu était un Ange ; et il réprimanda sévèrement Élie. « Je crains fort, ajouta-t-il, que votre orgueil ne vous rende indigne de l'humble Institut des Frères-Mineurs, et que vous ne mouriez hors de chez nous » Et immédiatement il leva la défense de manger de la viande.

Tout cela se passait vers la fin de l'été de l'année 1220. Saint François avait trente-huit ans.

Le 29 septembre, en la fête de saint Michel Archange, il ouvrit, au couvent de Notre-Dame des Anges, également appelé couvent de la Portioncule, son troisième Chapitre général. Il commença par déposer l'indigne Frère Élie, et lui substitua le bienheureux Pierre de Catane, le plus ancien de ses disciples après le bienheureux Bernard de Quintavalle. Il remit entre les mains du nouveau Vicaire général le poids et l'honneur de la direction de tout l'Ordre, tant à cause de ses infirmités chaque jour croissantes que de son extrême amour pour l'humilité, la vie cachée et intérieure. Il en était arrivé à un tel degré de faiblesse, que parfois on l'entendait à peine.

Il assembla donc tous ses Frères, et leur dit : « Désormais je suis mort pour vous. Voici votre Supérieur, Pierre de Catane, à qui il faut maintenant que nous obéissions tous, vous et moi. » Et se prosternant aux pieds de Pierre, il lui promit obéissance et respect en toutes choses, comme au Ministre-Général de l'Ordre.

Et, toujours à genoux, les mains jointes, les yeux élevés au ciel et baignés de larmes, il dit avec l'accent de l'amour : « Mon Seigneur JÉSUS-CHRIST, je vous recommande cette famille qui vous appartient, et que vous m'avez confiée jusqu'à ce jour. Vous savez que mes infirmités me mettent hors d'état de lui donner des soins. S'il arrive que la négligence, le scandale, ou une trop grande rigueur de ceux qui vont me succéder, fasse périr quelqu'un des Frères, Seigneur, ils vous en rendront compte au jour du jugement. »

Depuis lors, François demeura, tant qu'il put, dans l'humble rôle de simple Frère, et si, de temps à autre il dut faire acte d'autorité supérieure, ce ne fut jamais que par l'ordre de DIEU, rarement, et toujours malgré lui.

Avant de résigner ses pouvoirs entre les mains de Pierre de Catane, saint François avait fait, par l'ordre de Notre-Seigneur, une autre déposition dont la Providence se chargea de démontrer bientôt la justice. Un des Provinciaux qui avaient le plus ardemment poussé le Frère Élie à altérer la Règle et l'esprit de l'Ordre pendant que saint François était en Syrie, Jean de Strachia, avait persévéré dans son mauvais esprit ; et, en passant à Bologne, saint François s'était vu obligé de le réprimander sévèrement.

Le Frère Jean, qui était un savant selon le monde, ne rêvait que science, et il avait pris sur lui de fonder, sans autorisation, une grande école pour les études des Frères-Mineurs. Saint François vit là une tendance très périlleuse, d'autant plus que, dans le cas présent, la vanité jouait un grand rôle dans l'affaire. Il avait donc fermé cette école, afin d'apprendre aux autres Provinciaux à toujours subordonner la science à la piété, et à ne jamais sortir des voies de l'obéissance.

À peine saint François fut-il parti, que Jean de Strachia eut l'audace de rétablir son école. Le Saint eu fut informe ; et, au Chapitre de la Saint-Michel, connaissant par une lumière surnaturelle l'endurcissement de ce malheureux, il lui donna publiquement sa malédiction et le déposa de sa charge. En vain, les Frères effrayés le prièrent de retirer cette malédiction, en alléguant que ce Frère était un homme noble et docte. « Non, répondit le serviteur de DIEU ; je ne puis bénir celui que le Seigneur a maudit. »

Cette terrible parole ne devait que trop tôt se vérifier. Le malheureux mourut peu de temps après, en disant avec un cri épouvantable : « Je suis damné et maudit pour l'éternité. »
Ce fut à cette époque que saint François apprit, à Notre-Dame des Anges, le glorieux martyre des cinq religieux qu'il avait envoyés deux ans auparavant au Maroc. Sa joie fut grande, et il dit à ceux qui se trouvaient auprès de lui :

« C'est maintenant que je suis sur d'avoir eu cinq véritables Frères-Mineurs ? »

C'était l'écho de la célèbre parole de saint Ignace d'Antioche allant au martyre, et écrivant aux premiers fidèles : « Maintenant je commence à être un véritable disciple de JÉSUS-CHRIST ! »

Dans les premiers mois de l'année 1221, le bon Père saint François, dominant toutes ses infirmités, alla visiter plusieurs couvents du centre de l'Italie, répandant autour de lui la bonne odeur de l'humilité et de la douceur de JÉSUS-CHRIST, plus pauvre que les plus pauvres, plus parfait que les plus parfaits. Ayant dû accepter la démission du bienheureux Pierre de Catane, qui ne pouvait plus porter le poids du gouvernement de l'Ordre, il convoqua un nouveau Chapitre pour la fête delà Pentecôte, et, par un commandement inexplicable mais très certain de Notre-Seigneur, il réintégra le Frère Élie dans la charge de Ministre-Général.

Pendant tout le Chapitre, il voulut, dans son humilité, se tenir assis aux pieds d'Élie ; et ses infirmités l'empêchant de se faire entendre suffisamment, c'était par lui qu'il communiquait à ses Frères ses pensées et ses vœux.

Pour l'avertir, il le tirait par sa tunique, et s'approchant de son oreille, il lui parlait. Depuis qu'il n'était plus officiellement Supérieur, on ne l'appelait plus « Père » mais le « Frère » le Frère par excellence.

Quant à Élie, il fut, suivant la prédiction de François, chassé de l'Ordre ; et, comme le Saint l'avait également prédit, il rentra en lui-même avant de mourir, fit publiquement pénitence et reçut dignement les derniers sacrements de l'Église.




Lire "La vie de Saint François d'Assise" par Saint Bonaventure.


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