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lundi 5 novembre 2018

Le Cimetière au XIXe siècle : Nos devoirs à l'égard du Cimetière



Extrait de "Le Cimetière au XIXe siècle" de Mgr Gaume :





XIe Lettre, tirée de "Le Cimetière au XIXe Siècle"


Nos devoirs à l'égard du Cimetière




Mon cher ami,

Que devons-nous emporter de la cérémonie si imposante, à laquelle nous devons assister ? D’abord, un vif sentiment de compassion, pour ne pas dire une profonde indignation, pour les malheureux qui, de nos jours, cherchent par tous les moyens à profaner le cimetière, à lui ôter son caractère sacré, à en faire une voirie. Ô Père, éclairez-les, touchez-les et pardonnez-leur ; car ils ne savent pas ce qu’ils font.
Ensuite, un sentiment non moins vif des devoirs à remplir à l’égard du cimetière. Tous ces devoirs se résument en un seul : le respect. Ce respect doit avoir quatre manifestations différentes : le soin du cimetière et surtout de la croix centrale ; la clôture du cimetière ; la visite du cimetière ; le voisinage du cimetière.

Le soin du cimetière
, consacré par l’Église et destiné à recevoir les corps des enfants de Dieu, les frères du Verbe incarné, le cimetière est, après nos églises, le lieu le plus saint qu’il y ait sur la terre. Que dis-je, mon cher Frédéric ? le cimetière fait corps avec l'église et en suit les conditions. S’il est attenant à l’église et que l’église vienne à être profanée, le cimetière l’est aussi par ce seul fait. Et de même qu’on ne peut plus célébrer les saints mystères dans une église profanée, avant la réconciliation ; de même, on ne peut plus enterrer chrétiennement dans un cimetière profané et non réconcilié.
Empêcher les animaux de paître dans le cimetière ; pour cela, veiller à ce qu’il soit exactement fermé. N’y souffrir aucun corps étranger : pierres, bois, matériaux, immondices, balayures de l’église ; n’y laisser croître ni ronces, ni épines, ni orties, ni chardons ; tenir les allées dans un état convenable de propreté ; redresser les croix qui penchent, relever celles qui sont tombées, remplacer celles qui sont cassées ; interdire tout passage habituel, à plus forte raison toute réunion profane dans ce lieu bénit ; maintenir la baie, le fossé ou le mur d’appui qui isole la partie non bénite : voilà les soins généraux que réclame le cimetière.
Des soins spéciaux sont dus à la croix principale. Image de Celui qui est la résurrection et la vie, cette croix donne au cimetière sa haute signification. Dans les paroisses vraiment chrétiennes, cette croix, fixée sur un solide piédestal, avec une ou plusieurs marches, est toujours en fer ou en fonte habilement travaillés et porte entre ses bras un grand crucifix. Son aspect réjouit le cœur, parce qu’elle témoigne de la foi des habitants.
Au contraire, une grande tristesse vous saisit, lorsqu’au milieu d’un cimetière plus ou moins négligé, vous apercevez, en guise de croix centrale, une pièce de bois teinte en noir, grossièrement travaillée, supportant une mesquine croix en fer, sans ornement et sans crucifix. La peine augmente lorsqu’on vient à savoir que les chrétiens, si peu soigneux de leur cimetière, ne refusent rien au luxe personnel, ni à la construction des chemins ou à l’embellissement des édifices communaux. Plaignons-les, mon cher ami ; plaignons surtout le prêtre, vraiment prêtre, dont le zèle échoue contre cette honteuse indifférence.

La clôture du cimetière.
Ici encore, dans les paroisses sérieusement catholiques, des murs solides et élégants entourent le cimetière. Une large grille en fer, surmontée d’une croix, en ferme l’entrée. Il doit en être ainsi et pourquoi : je vais te le dire. L’homme endormi est sans défense : on peut lui nuire impunément. L’Église qui a veillé avec tant de sollicitude sur le berceau de ses enfants, veille avec le même soin sur leur tombe.
Afin que rien ne vienne troubler leurs cendres, profaner leurs ossements, nuire au respect dû à leur sommeil, elle environne leur dortoir d’une défense matérielle, permanente. La nuit comme le jour, cette défense les met à couvert de toute profanation volontaire ou involontaire, soit de la part des hommes, soit de la part des animaux.
À la clôture en pierre, elle ajoute une barrière encore plus solide. Armée de ses anathèmes contre les profanateurs des cimetières, l’Église, semblable au chérubin dont le glaive de feu défendait l’entrée du paradis terrestre, se tient en sentinelle à la porte du lieu bénit, où reposent ses élus, jusqu’au jour du réveil éternel.

La visite du cimetière.
De tous les livres, 3e cimetière est le plus saintement éloquent. Il parle aux yeux, il parle à l’esprit, il parle au cœur.
Aux yeux. Il dit au riche comme au pauvre, au jeune homme, à la jeune personne, comme au vieillard : « C'est ici que vous viendrez un jour, je vous attends ; je suis le rendez-vous inévitable de toutes les générations. Ceux qui sont ici furent ce que vous ôtes ; vous serez bientôt ce qu’ils sont. Voulez-vous savoir ce qu’ils sont, et ce que vous serez ? Soulevez la pierre, creusez la terre qui recouvre leur cercueil, si même leur cercueil existe encore ; et regardez. »
Il parle à l’esprit, à un linceul, à quatre planches et à six pieds de terre : « Voilà donc où doivent aboutir tous vos travaux, toutes vos sollicitudes, tous vos empressements pour acquérir des richesses ! Insensé, et mille fois insensé, si vous bornez votre ambition à posséder les biens de la terre, à vous procurer les plaisirs du temps. »
Le cimetière éveille bien d’autres pensées. « C’est dans mon sein, nous dit-il, que s’accompliront pour vous les deux plus mystérieux événements. C’est ici que s’opérera la transformation de votre corps, comme s’opère dans le sein de la terre, la transformation du grain, tombé de la main du laboureur. Je suis le champ de Dieu : un jour je dois me couvrir d’une double moisson : moisson de froment, destinée aux greniers du père de l’éternelle famille ; moisson d’ivraie, destinée à brûler avec les démons aux siècles des siècles.
« C’est ici, à la place où vous êtes, que se manifestera la séparation des brebis et des boucs. C’est d’ici que vous partirez pour la vallée de Josaphat où sera rendue, en présence de toutes les nations assemblées, la sentence qui fixera votre sort pour toute l’éternité ; car c’est ici que vous entendrez la trompette du jugement dernier. Plus puissante que celles qui firent crouler les murailles de Jéricho, cette trompette brisera les tombeaux et dira : Surgite, mortui, venite ad judicium : Levez-vous, morts ; venez au jugement. »
Il parle au cœur. « Parcourez-moi dans tous les sens, dit-il encore, et cent voix différentes, sorties de terre, vous parleront. Ici, c’est une voix qui vous dit : Je suis votre père, qui ai tant travaillé pour vous ; là une autre voix, qui vous dit : Je suis votre mère, qui vous ai tant aimé. Ailleurs d’autres voix qui vous disent : Je suis votre frère, votre sœur, votre époux, votre épouse, votre enfant, votre ami, votre pasteur.
« Et toutes ces voix réunies vous crieront : Ayez pitié de nous, ayez pitié de nous, vous du moins qui fûtes nos amis et nos proches : ne nous oubliez pas. En nous soulageant par vos prières, par vos aumônes, par l’effusion du sang rédempteur, c’est pour vous autant que pour nous que vous travaillez. »
Mon cher Frédéric, quel bon livre que le cimetière! chaque semaine un quart d’heure de lecture dans ce livre suffirait à convertir tous les hommes. Je n’exagère pas ; car il est écrit : « Mon fils, dans toutes vos œuvres souvenez-vous de vos fins dernières et jamais vous ne pécherez (Eccli., VII, 40). » Or, le cimetière résume toutes les fins dernières.

Le voisinage du cimetière.
Dans sa maternelle sollicitude, l’Église avait voulu que ses enfants eussent la facilité de faire une fois, chaque semaine, la sanctifiante lecture dont je viens de te parler : ce jour c’est le dimanche. En venant aux offices, les fidèles devaient avoir sous les yeux, grand ouvert, le livre du cimetière ; car le cimetière devait entourer la maison de Dieu.
Ainsi ne l’entend pas la Révolution. À aucun prix elle ne veut que le cimetière soit près de l'Église : de nos jours, plus que jamais, elle travaille à l’éloigner. Elle est logique ; car en cela elle foule aux pieds tout ce qu’il y a de plus sacré, de plus touchant et de plus moral, non-seulement parmi les chrétiens, mais parmi les païens eux-mêmes.
Que devient le culte des ancêtres, la piété filiale envers les morts, lorsque, pour aller prier sur leurs tombes, il faut faire exprès un voyage plus ou moins long, au risque même de trouver, ce qui arrive presque toujours, la porte du cimetière solidement fermée ? Or, tout peuple qui oublie ses morts est un peuple ingrat ; et tout peuple ingrat est un mauvais peuple.
Malgré les efforts de l’impiété moderne, l’antique usage qui veut que le cimetière soit inséparable de l’église se conserve dans la plupart des .paroisses rurales du monde catholique ; mais nulle part, peut- être, avec autant de fidélité que dans la Suisse allemande. Ni toi, ni moi, mon cher Frédéric, n’oublierons jamais le touchant spectacle qui, d’heure en heure, s’offrait à notre vue, en traversant les cantons de Soleure, de Lucerne, de Schwitz.
À l’entrée du village, quelquefois si élégant et toujours si propre, vous trouvez l’église dont vous admirez la beauté extérieure et le svelte clocher, avant d’avoir pu reposer votre vue sur les riches décorations de l’intérieur. Le cimetière enceint l’église, comme un fer à cheval. L’entrée principale répond à la grande porte de l’église.
Après avoir passé la grille en fer, qui s’ouvre avec la main, car elle ferme sans serrure, vous montez quelques marches en pierres. À votre droite et à votre gauche, sont fixés sur d’élégants piédestaux, deux larges bénitiers, en marbre ou en granit. L'un et Vautre sont garnis d’un goupillon pour jeter en entrant, de l’eau bénite sur les morts.
Toutes les tombes, couvertes de gazon, forment différentes lignes, parfaitement régulières. Un petit chemin sablé les sépare, afin de rendre plus accessible à chacun, la tombe qui renferme ce qu’il a de plus cher. Pas une de ces modestes fosses qui ne soit surmontée d’une croix en fer, haute d’environ deux pieds. Toutes sont de la même élévation. Les trois extrémités visibles de la croix sont en cuivre jaune. Au centre est fixée une plaque de même métal, sur laquelle sont inscrits en lettres dorées les noms du défunt, la date de sa naissance, celle de sa mort, avec une prière ou une sentence de l’écriture.
Lorsqu’aux derniers feux du jour, vous apercevez de loin ce champ de Dieu, brillant d’une si élégante simplicité, toutes ces croix d’égale hauteur, symétriquement rangées, et dont la couleur noire et jaune se détache si bien sur le vert gazon de la tombe, je ne sais quelle douce mélancolie vous saisit le cœur. Des larmes d’attendrissement vous viennent aux yeux, et des prières sur les lèvres.
Les souvenirs de notre vénérable antiquité se pressent en foule dans votre mémoire, on se croit transporté à dix-huit siècles dans les catacombes de Rome : devant vous en est l’image complète. Ici, comme dans la Rome souterraine, vous voyez au milieu l’autel du martyr principal, c’est l’église ; devant l’autel, des chrétiens à genoux, se préparant au combat par la réception du pain des forts. Autour des vivants, une ceinture de morts, qui de leurs tombeaux les encouragent en leur parlant de détachement, de couronne, de repos et d’immortalité. On est heureux et fier de trouver notre sainte Mère, l’Église catholique, toujours la même.
La joie serait sans mélange si, en se retirant, on ne pensait qu’il existe aujourd’hui une secte, inconnue même des sauvages, et dont tous les efforts tendent non-seulement à éloigner les morts des regards des vivants ; mais encore par des enfouissements sacrilèges, à déshonorer nos cimetières et à donner à l’homme la sépulture de l’âne et du chien : ce qui est le plus grand châtiment qu’on puisse lui infliger : À sini sepultura sepelietur, putrefactus et projectus.

Par la longueur de cette lettre, tu vois mon cher ami, que tu avais raison de compter médiocrement sur mon ferme propos. Il est si difficile de convertir les hommes !

Tout à toi.




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