mercredi 9 janvier 2019

De la sècheresse dans l'oraison


Extrait de "Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne" par le R.P. Alphonse Rodriguez :




De la conformité que nous devons avoir à la volonté de Dieu, lorsque nous éprouvons des sécheresses dans l'oraison.

Ce n'est pas seulement dans les choses extérieures et temporelles, que nous devons nous conformer entièrement à la volonté divine ; il faut également nous y soumettre dans celles qui peuvent le plus contribuer à notre avancement ou à notre perfection, et qu'il nous est, ce semble, le plus permis de désirer ; je veux dire dans les biens spirituels et surnaturels, comme, par exemple, dans les consolations divines, dans les vertus mêmes, dans le don de l'oraison, dans la paix intérieure de l'âme, en un mot, dans tous les avantages de la grâce, « Mais, dira peut-être quelqu'un, se peut-il faire que dans ces sortes de choses il y ait aucun dérèglement de la volonté et de l'amour-propre, et qu'il soit besoin de se modérer même sur ces sortes de désirs ? » Je réponds qu'elles ne sont point exemptes de ces défauts ; et par là même il est aisé de juger combien l'amour-propre est dangereux et subtil, puisqu'il se glisse dans les choses même les plus saintes.
Les consolations spirituelles sont très-avantageuses, si nous en savons bien user ; et lorsqu'il plaît à Dieu de les envoyer, il faut les recevoir avec actions de grâces : mais si en s'arrêtant à ce qu'elles ont de sensible, on ne les désirait que pour sa seule satisfaction, et à cause de la douceur que l'âme y trouve, ce serait alors un désir condamnable et un dérèglement d'amour-propre. Et comme on ne serait pas exempt de péché, si dans les choses nécessaires à la vie, comme dans le boire, le manger et le sommeil, on se proposait pour fin le plaisir qui y est attaché, de même on serait répréhensible, si dans ces consolations et ces douceurs spirituelles, on se bornait au plaisir qu'on y trouve.
Ce que je dis des douceurs et des consolations divines, je le dis également du don de l'oraison, de la facilité que nous désirons d'y avoir de la paix et de la tranquillité intérieure de l'âme, et de tous les autres avantages spirituels. Car il peut y avoir du dérèglement dans le désir que nous avons de ces choses, si on s'y porte avec tant d'ardeur et d'inquiétude, que, lorsqu'on s'en voit privé, on se laisse aller à la peine, au chagrin et au trouble, et qu'on manque de conformité à la volonté de Dieu. Or, par ces douceurs et ces consolations spirituelles dont nous parlons, il faut entendre non-seulement les plaisirs sensibles de la dévotion, mais la substance même de l'oraison, et la grâce de persévérer dans ce saint exercice avec toute l'attention et le recueillement dont nous sommes capables.


On satisfait à la plainte de ceux qui éprouvent des sécheresses dans l'oraison.

Je ne prétends pas, au reste, qu'il ne faille pas nous réjouir quand Dieu daigne s'approcher de nous, et nous affliger quand il se retire ; car il est impossible que l'âme ne ressente une joie très-sensible de la présence de son bien-aimé, et qu'elle n'en supporte aussi l'absence avec douleur, puisque cet éloignement la laisse dans les sécheresses et dans les tentations. Jésus-Christ lui-même fut sensiblement touché de se voir abandonné de son Père, lorsqu'étant sur la croix, il s'écria : Mon Dieu (Matth. 27. 46), mon Dieu, pourquoi m'avez-vous abandonné ? Mais ce que je demande, c'est que nous tâchions de tirer avantage de cette épreuve, où Dieu met quelquefois ses élus ; et que nous essayions de supporter cette privation en nous conformant à la volonté divine, et en disant : Toutefois, Seigneur (Matth. 26. 39), que votre volonté se fasse, et non pas la mienne. Si vous voulez, Seigneur (De Imit J.-C. I. 3 c. 13), que je demeure dans les ténèbres, soyez béni ; et si vous voulez que je jouisse de la lumière, soyez également béni : si vous voulez me consoler, soyez béni ; et si vous voulez m'affliger, soyez aussi béni. C'est ainsi que l'Apôtre veut que nous en usions, puisque écrivant aux Thessaloniciens, il leur dit (I Thessal. 5. 18) : Rendez grâces à Dieu en toutes choses ; car c'est là ce que Dieu veut que vous fassiez tous en Jésus-Christ. Que si c'est la volonté de Dieu que nous passions par telle ou telle épreuve, que pouvons-nous désirer de plus ?
Je n'ai point d'affaire plus intéressante que de plaire à Dieu ; la vie ne m'a été donnée que pour cela ; quelque obscure et quelque épineuse que soit la voie par où il lui plaira de me faire passer, à quoi bon désirer une route plus belle et plus aisée ? Dieu veut conduire les autres par des campagnes agréables et semées de fleurs ; il veut que j'aille par un désert affreux, où je sois privé de toute consolation : je ne changerais pas ce qu'il y a de plus pénible dans ma route, avec tout ce qu'il y a de plus délicieux dans les cours des princes.
Voilà le langage que tiennent ceux qui ont les yeux bien dessillés ; et c'est ainsi qu'ils se consolent de tout ce qui leur arrive. Ah ! s'il plaisait à Dieu de nous les ouvrir, dit le père Avila (J. d'Avila, audi filia. c. 26), nous verrions plus clair que le jour, qu'il n'y a rien sur la terre, ni dans le Ciel, qui mérite d'être recherché, désiré, possédé, si la volonté de Dieu n'en est le principe ou la fin ; et qu'au contraire il n'y a rien de si méprisable et de si fâcheux, qui ne devienne d'un prix inestimable, lorsque cette divine volonté en est le mobile ou la règle : il est incomparablement plus avantageux d'être dans les afflictions, dans les peines, dans les sécheresses et dans les tentations, si Dieu le veut ainsi, que d'éprouver les plus grandes consolations, et d'être élevé à la plus haute contemplation en s'écartant de sa sainte volonté.
Mais, si je croyais, dira quelqu'un, que telle fût la volonté de Dieu que j'éprouvasse ces dispositions, et que ce fût là effectivement ce qui lui plaît davantage, je m'y conformerais aisément ; et quand je devrais passer toute ma vie dans un état si pénible, je m'y soumettrais avec joie, parce que je sais qu'il n'y a rien au monde à désirer que de plaire à Dieu, et qu'il n'y a de véritable bonheur que dans l'accomplissement de sa volonté. Mais il me semble au contraire que Dieu voudrait que j'eusse plus d'attention et de recueillement dans l'oraison, et que j'y apportasse de ma part une meilleure disposition : ce qui m'afflige donc, c'est la crainte que les distractions et les sécheresses qui m'empêchent d'y vaquer, ne viennent que de ma tiédeur, et de ce que je ne fais pas assez d'efforts pour les combattre.
Je commence par vous accorder que les distractions et les sécheresses que vous éprouvez dans l'oraison, et toute la difficulté que vous avez à y vaquer, ne viennent que de votre faute ; il est bon même que vous en soyez très-persuadé et que vous reconnaissiez même effectivement que c'est en punition de vos infidélités passées et de votre lâcheté présente, que Dieu permet que vous n'ayez nulle facilité pour l'oraison, nulle attention quand vous y êtes, nul recueillement d'esprit, et mille tranquillité. Mais au moins, conformez-vous à la volonté de Dieu dans le châtiment qu'il vous envoie, et recevez-le avec actions de grâces, puisqu'il vous châtie avec tant de miséricorde et de douceur. N'avouez-vous pas que vous ne mériteriez que des châtiments, que des supplices, si Dieu vous traitait à la rigueur ? De quel front osez-vous donc maintenant prétendre de recevoir des consolations et des faveurs dans l'oraison, d'y avoir un libre accès auprès de Dieu, de vous y entretenir familièrement avec lui, et d'y jouir d'une paix et d'une tranquillité qu'il n'accorde ordinairement qu'à ses enfants bien-aimés ? Comment osez-vous vous plaindre de n'avoir pas ce dont vous vous êtes rendu tant de fois indigne ? Ne serait-ce pas une témérité et une présomption intolérables de prétendre à ces faveurs ? Contentez-vous que Dieu vous souffre auprès de lui, et qu'il consente que vous demeuriez en sa présence : c'est une grâce si précieuse et un bienfait si estimable, que vous ne sauriez assez en connaître le prix, ni trop lui en marquer votre reconnaissance. Si nous étions véritablement humbles, de quelque manière que Dieu nous traitât, nous n'aurions point de bouche pour nous plaindre ; et toutes les tentations que nous éprouvons, se dissiperaient bientôt.
D'ailleurs pourquoi vous mettez-vous à l'oraison, si ce n'est pour y acquérir une profonde humilité, et une entière connaissance de vous-même ? Combien de fois avez-vous demandé à Dieu qu'il vous fît connaître ce que vous êtes ! Et c'est justement ce qu'il fait, en permettant que vous éprouviez, ces dégoûts et ces sécheresses. Est-il en effet un meilleur moyen pour vous rappeler à la connaissance de vous-même ? Quelques-uns croient que la connaissance de soi-même consiste à concevoir un grand regret de ses péchés, et à les pleurer amèrement ; mais ils se trompent. Cette componction est de Dieu, et non pas de vous ; et par conséquent c'est Dieu, et non pas vous, que vous connaissez par là : ce qui est purement de vous, c'est la dureté, c'est l'insensibilité, c'est l'état d'un rocher, dont il ne peut sortir une seule goutte d'eau, si Dieu ne frappe lui-même la pierre. C'est en cela précisément que consiste cette connaissance de vous-même, et par conséquent le principe de toute sorte de biens. Vous pouvez très facilement acquérir cette connaissance dans les sécheresses dont vous vous plaignez ; et si votre oraison produit en vous un pareil fruit, elle vous sera alors très-utile.



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