jeudi 24 janvier 2019

En quoi consiste la perfection chrétienne : pour l'acquérir il faut combattre, et pour sortir victorieux de ce combat, quatre choses sont nécessaires



Extrait de "Le combat spirituel", par le R.P. Laurent Scupoli :


Tentation au désert
Nul ne sera couronné, s'il n'a bien combattu. (II. Tim. 5)

Si vous désirez, ô âme chrétienne, parvenir au comble de la perfection évangélique, et vous unir tellement à Dieu que vous deveniez un même esprit avec lui, il faut, pour réussir dans un tel dessein qui est le plus grand et le plus noble qu'on puisse entreprendre et même imaginer, que vous sachiez d'abord ce que c'est que la véritable et parfaite spiritualité.
Plusieurs n'estiment la vie spirituelle que par certaines apparences, la faisant consister dans les pénitences extérieures, dans les haires, les disciplines, les jeûnes, les veilles, et dans d'autres semblables mortifications de la chair.
D'autres personnes, et surtout les femmes, s'imaginent être consommées en vertu, lorsqu'elles se sont fait une habitude de réciter de longues prières vocales, d'entendre beaucoup de Messes, d'assister à tout l'Office divin, de demeurer longtemps dans l'Église, et de communier souvent.
Quelques-uns, même parmi ceux qui servent Dieu dans la vie religieuse, croient que, pour être parfait, il suffit d'être assidu au chœur, d'aimer la retraite et le silence, de bien observer la discipline monastique. Ainsi chacun fait consister la perfection dans les exercices de dévotion qu'il affectionne davantage ; mais il est certain que tous sont également dans l'erreur ; car, comme les œuvres extérieures ne sont, ou que des dispositions pour devenir parfaitement saint, ou des fruits de la parfaite sainteté, on ne peut dire que ces sortes d'œuvres suffisent pour élever une âme à la perfection chrétienne et à la véritable spiritualité.
Ce sont toutefois de puissants moyens pour devenir vraiment spirituel et vraiment parfait ; et quand ou sait en user avec discrétion, ils servent merveilleusement à fortifier la nature toujours lâche pour le bien, et toujours ardente pour le mal ; à repousser les attaques, à éviter les pièges de l'ennemi commun, et à obtenir enfin du Père des miséricordes les secours qui sont nécessaires à tous les Justes, principalement à ceux qui commencent à entrer dans la voie du salut.
On peut aussi les considérer comme des fruits excellents d'une vertu consommée dans les personnes tout-à-fait saintes et spirituelles ; car ces personnes maltraitent leur corps, ou pour le punir de ses révoltes passées, ou pour l'humilier et le soumettre à son Créateur. Elles se tiennent loin du commerce du monde, dans la solitude et dans le silence, afin de se garantir des moindres fautes ; et n'ayant plus de conversation que dans le Ciel avec les Anges, uniquement occupées de la prière, de bonnes œuvres, du service divin, toutes leurs pensées ne sont qu'une continuelle méditation de la vie et de la Passion du Sauveur ; ce qu'elles font, non par un esprit de vaine curiosité, ni parce qu'elles y trouvent quelque goût sensible, mais parle pieux désir de mieux connaître à la fois les miséricordes divines, et leurs ingratitudes ; de s'exciter de plus en plus à aimer Dieu, à se haïr elles-mêmes, à suivre Notre Seigneur en portant sa croix, en renonçant à leur propre volonté ; et cherchant ainsi à rendre plus d'honneur à ce grand Dieu, à s'unir plus étroitement à lui, à se fortifier davantage contre les puissances de l'enfer.
Il arrive tout le contraire à ces esprits grossiers et imparfaits, qui mettent toute leur dévotion dans les œuvres extérieures : car souvent elles sont cause de leur perte, et plus nuisibles pour eux que de véritables péchés ; non que le principe en lui-même n'en soit bon ; mais parce qu'ils en font un mauvais usage, s'y attachant de telle sorte, qu'ils négligent de veiller sur les mouvements de leur cœur, et qu'ils l'abandonnent ainsi à tous les désordres de ses penchants et aux séductions perfides du démon. Cet esprit trompeur voyant alors qu'ils s'écartent de la véritable voie, se plaît à les égarer de plus en plus, leur remplissant l'imagination de chimériques idées des délices du paradis, où ils se croient en quelque sorte transportés, et jouissant avec les Anges de la vue de Dieu. Sa malice va même jusqu'à leur inspirer des pensées curieuses, agréables, sublimes, et un tel oubli des choses d'ici-bas, que les régions les plus élevées des Cieux leur semblent déjà leur demeure habituelle.
Mais pour peu que l'on veuille réfléchir sur leur conduite, on voit leur égarement, et combien ils sont éloignés de cette haute perfection qui est l'objet de leurs recherches ; car en toutes choses, grandes ou petites, ces prétendus modèles de spiritualité souhaitent d'être préférés aux autres ; ils ne suivent que leur propre jugement ; ils ne font que leur propre volonté ; et, aveugles en tout ce qui les regarde, ils ont toujours les yeux ouverts pour observer et pour censurer les actions de leur prochain. Que si l'on semble donner la moindre atteinte à cette vaine réputation dont ils croient jouir dans le monde, et dont ils sont très jaloux ; si on leur commande de quitter certaines pratiques de dévotion, qui sont devenues pour eux des habitudes, le trouble et l'inquiétude s'emparent d'eux aussitôt. Si Dieu même, dans sa miséricorde, voulant leur apprendre à se connaître, et leur montrer le vrai chemin de la perfection, leur envoie des adversités, des maladies, des persécutions, qui sont les épreuves les plus certaines de la fidélité de ses serviteurs, et qui n'arrivent jamais sans son ordre ou sans sa permission, on voit alors leur intérieur gâté par cet orgueil dont il est rempli.
En tous les évènements, soit heureux, soit malheureux, de cette vie, ils ne savent ce que c'est que de conformer leur volonté à celle de Dieu ; de s'humilier sous sa main toute-puissante ; de se soumettre à ses jugements, non moins justes que secrets et impénétrables ; de s'abaisser au-dessous de toutes les créatures, à l'imitation de Jésus souffrant et humilié ; d'aimer leurs persécuteurs, comme des instruments dont la divine bonté se sert pour les former à la patience, à l'humilité, et pour coopérer avec elle, non seulement à leur salut, mais encore à leur plus grande perfection. De là vient leur danger continuel de périr. Aveugles qu'ils sont par cet orgueil que leur inspirent ces actions extérieures, bonnes en elles-mêmes, mais dont ils font un si coupable abus, ils se repaissent de mille illusions, se croient fort avancés dans la voie de Dieu, condamnent le prochain sans ménagement ; et souvent cet aveuglement superbe va si loin, qu'il faut une grâce tout extraordinaire du Ciel pour les convertir.
Aussi l'expérience nous fait-elle voir qu'il est beaucoup moins difficile de ramener un pécheur déclaré qu'un pécheur qui se déguise ainsi ses fautes, et semble se cacher volontairement à lui-même sous le voile de la vertu. Vous comprenez bien maintenant que la vie spirituelle est autre chose : elle consiste proprement à connaître la bonté et la grandeur infinie de Dieu ; à sentir en même temps notre bassesse et le malheureux penchant qui nous entraîne au mal ; à aimer un Dieu si bon et à nous haïr nous-mêmes ; à nous soumettre non seulement à lui, mais à toute créature pour l'amour de lui ; à renoncer entièrement à notre propre volonté, afin de suivre la sienne, et surtout à faire toutes ces choses pour la seule gloire de son nom, sans autre dessein que de lui plaire, par la raison seule qu'il veut et qu'il mérite l'amour de ses créatures et leur entière soumission.
Ainsi l'ordonne cette loi de l'amour que l'Esprit-Saint a gravée dans le cœur des Justes ; ainsi l'on arrive à cette entière abnégation de soi-même, si recommandée par le Sauveur dans son Évangile. C'est là ce qui rend son joug si doux et son fardeau si léger ; c'est en ces sentiments que consiste la parfaite obéissance que ce divin maître nous a lui-même enseignée et par ses paroles et par ses exemples. Aspirez-vous en effet au plus haut degré de la perfection ? Faites-vous une guerre continuelle ; employez toutes vos forces à détruire ce qu'il y a en vous d'affections vicieuses, quelque légères qu'elles puissent être ; préparez-vous enfin au combat avec toute la résolution et toute l'ardeur dont vous êtes capable, parce que nul ne remportera la couronne qu'après avoir généreusement combattu.
Mais songez que, comme il n'est point de plus rude guerre que celle-ci, puisqu'en combattant contre soi-même on est en même temps combattu par soi-même, il n'est point aussi de victoire, ni plus agréable à Dieu, ni plus glorieuse au vainqueur ; car quiconque a le courage de mortifier ses passions, de vaincre ses appétits, de réprimer jusqu'aux moindres mouvements de sa propre volonté, fait une œuvre d'un plus grand mérite devant Dieu, que si, livré à l'orgueil de ses pensées, il pratiquait des austérités plus grandes que celles des plus saints anachorètes, et que même il opérât, par ses paroles, la conversion d'un très grand nombre de pécheurs.
Et en effet, quoique à considérer les choses en elles-mêmes, la conversion d'une âme soit plus agréable à Dieu, que la mortification de quelque désir déréglé, chacun néanmoins doit mettre son soin principal à faire ce que Dieu demande particulièrement de lui. Or ce que Dieu nous demande, avant toutes choses, est le sacrifice de nos passions ; et ce sacrifice lui plaît davantage, que si, avec un cœur rebelle, nous lui montrions en apparence un plus grand dévouement.
Maintenant donc que vous savez ce que c'est que la perfection chrétienne, et qu'une guerre continuelle contre vous-même est le seul moyen d'y parvenir, commencez par vous munir des armes sans lesquelles vous ne pourriez sortir victorieux de ce combat. Elles consistent en quatre choses qui sont : la défiance de vous-même, la confiance en Dieu, le bon usage des puissances de votre corps et de votre âme, et l'exercice de la prière. Nous en parlerons, avec la grâce de Dieu, d'une manière claire et succincte dans les chapitres suivants.




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