jeudi 11 juillet 2019

De la Charité à l'égard du prochain : Du mérite et de l'excellence de cette vertu



Extrait de "Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne" par le R.P. Alphonse Rodriguez :


Sermon sur la montagne
Nous avons deux commandements qui ont la charité pour objet : l'un est d'aimer Dieu de tout notre cœur (Matth. 22. 37. 38 et 39), de toute notre âme et de toutes nos forces, voilà le plus grand et le premier commandement de la loi : l'autre qui est semblable au premier, est d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. C'est de ce second commandement que nous voulons traiter maintenant.
L'Apôtre le nomme le lien de la perfection (Ad Coloss. 3. 14) ; celui qui assemble et qui unit les choses les plus séparées ; qui de plusieurs volontés n'en fait qu'une ; qui fait que ce que je désire pour moi, je le désire aussi pour les autres, et que je les aime autant que moi-même ; qui fait que mon ami est un autre moi-même, que je suis un autre lui-même, et qu'enfin nous ne sommes tous deux qu'une même chose. C'est à cette occasion que S. Augustin (August. lib. 4. Confess. cap. 6) adopte et loue extrêmement le mot de cet ancien poète qui appelait son ami la moitié de son âme, comme si en effet son ami et lui n'eussent eu qu'une seule âme partagée entre leurs deux corps.
Mais afin que nous connaissions mieux le prix et l'excellence de la charité, et jusqu'à quel point Notre-Seigneur estime cette vertu, examinons les dernières paroles qu'il nous adresse dans le passage que nous venons de citer. Saint Jean Chrisostôme faisant réflexion sur ces mêmes paroles, et considérant qu'après que le Sauveur a parlé du premier commandement, qui est d'aimer Dieu, il ajoute aussitôt que le second qui est d'aimer le prochain est semblable au premier, fait cette judicieuse remarque : « Considérez, dit-il (Joan. Chrys. hom. 23. sup. Ep. ad Rom.), l'extrême bonté du Seigneur, que malgré la distance infinie qu'il y a entre Dieu et l'homme, il veuille que nous aimions l'homme d'un amour si semblable à celui dont nous devons aimer Dieu. C'est avoir presque donné à l'amour du prochain la même mesure et la même étendue qu'à l'amour de Dieu, puisque s'il nous ordonne d'aimer Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme, il nous prescrit aussi d'aimer notre prochain comme nous-mêmes. Quand nous avons un ami intime que nous voulons recommander instamment à un autre, nous lui disons ordinairement : Si vous l'aimez, ce sera moi-même que vous aimerez. De même, ajoute saint Chrysostôme, lorsque le Sauveur a dit que le second commandement était semblable au premier, il a voulu nous donner à entendre que si nous aimons notre prochain, ce sera Dieu lui-même que nous aimerons. » C'est dans ce même sens qu'il a dit à saint Pierre : Si vous m'aimez (Joan. 21. 17), paissez mes brebis ; comme s'il eût voulu dire : Si vous m'aimez, ayez soin des miens, et par là je connaîtrai s'il est vrai que vous m'aimez effectivement.
Il y a encore une autre mesure de notre charité pour le prochain ; et c'est Jésus-Christ qui nous a ordonné d'en prendre la règle sur lui, lorsqu'il a dit à ses disciples (Joan. 13. 34) : Je vous donne un nouveau commandement, que vous vous aimiez les uns les autres, comme je vous ai aimés. Comme le Sauveur nous a aimés purement pour Dieu, il veut aussi que nous aimions le prochain purement pour Dieu : et voilà, dit saint Augustin (Aug. Tract. 65. sup. Joan), ce qu'il appelle un commandement nouveau ; non seulement parce qu'il en faisait alors une nouvelle obligation, et qu'il venait de l'enseigner tout nouvellement et par ses paroles et par son exemple ; mais parce que c'est effectivement une nouvelle manière d'aimer qu'il nous prescrit. L'amour naturel qui est fondé sur la chair, sur le sang et sur des considérations humaines, est un amour très-ancien, et aussi ancien que le monde ; un amour qui est commun aux méchants comme aux bons ; aux étrangers comme aux concitoyens ; aux hommes comme aux bêtes, suivant ces paroles du Sage (Eccli. 13. 19) : Que tout animal chérit son semblable. Mais l'amour que Jésus-Christ nous recommande à l'égard de notre prochain, est un amour nouveau ; parce qu'il veut que ce soit un amour spirituel et surnaturel qui nous fasse aimer notre prochain pour Dieu, et avec le même amour de charité que nous avons pour ce divin objet. Aussi les théologiens remarquent avec les saints Pères, que la vertu de charité, qui nous fait aimer Dieu, est la même chose que celle qui nous fait aimer le prochain en Dieu et pour Dieu : ils ajoutent que de même que l'amour de Dieu est une vertu théologale, c'est-à-dire, une vertu divine qui a Dieu pour objet, aussi la charité envers le prochain est pareillement une vertu théologale et divine ; parce que c'est pour Dieu que nous aimons le prochain ; et que cette bonté infinie qui mérite que nous l'aimions pour elle-même, mérite aussi que pour elle-même nous aimions notre prochain.
Enfin nous ne trouverons rien dans tous les Livres saints qui nous soit plus étroitement recommandé, ni plus souvent répété que cet amour du prochain. Le Fils de Dieu nous le prescrit lui-même, et nous l'enjoint deux fois dans le sermon de la Cène : Le précepte que je vous donne, dit-il (Joan. 15. 12), est que vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés. Et peu après il ajoute (Joan. 15. 17) : Ce que je vous commande, est que vous vous aimiez les uns les autres. Par là nous voyons combien il désire que cette charité soit profondément enracinée dans nos cœurs ; et sans doute elle ne saurait jamais l'être assez, puisque c'est de là que dépend toute la loi, et l'accomplissement de tous les autres préceptes, suivant ces paroles de l'Apôtre (Ad. Rom. 13. 8) : Que celui qui aime son prochain a accompli la loi. Le disciple bien-aimé, qui avait puisé cette doctrine dans le sein même de son divin maître, semble réduire à ce devoir toutes les leçons qu'il donne dans ses Épîtres canoniques ; et saint Jérôme rapporte que cet apôtre étant déjà cassé de vieillesse, et ne pouvant plus aller à l'Église, où il se faisait porter par ses disciples, leur répétait sans cesse ces paroles : « Mes enfants, aimez-vous les uns les autres. » Il ajoute que ses disciples, aussi surpris qu'ennuyés de lui entendre toujours répéter ces mêmes paroles, lui en demandèrent un jour la raison. Il leur fit, dit saint Jérôme (Hiéron in comment. ad Gal. 6), cette réponse véritablement digne de saint Jean : parce que c'est le précepte du Seigneur, leur dit-il, et que celui-là seul suffit, pourvu qu'on l'observe : Car toute la loi est renfermée dans ce commandement (Gal. 5. 14) : Vous aimerez votre prochain comme vous-même. Accomplissez parfaitement ce précepte, et vous aurez satisfait pleinement à tous les autres. Saint Augustin expliquant ces paroles du Fils de Dieu : En cela on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres, fait cette judicieuse remarque. « Le Seigneur, dit-il (Aug. lib. 83. quaest. q. 17), a voulu rendre ce précepte d'un si grand poids, qu'il va jusqu'à le proposer comme la marque infaillible par laquelle on connaît ceux qui lui appartiennent, et qui lui sont véritablement attachés. »



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