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jeudi 25 juillet 2019

L'Esprit du Saint Curé d'Ars



Esprit du Curé d'Ars,

M. Vianney dans ses catéchismes,

ses homélies et sa conversation

(1864)


 



EXTRAITS


Pour se préparer saintement à sa Fête




« (...) Je me souviendrai toujours, mon Père, de mon premier voyage à Ars. En y arrivant, j'avais été me cacher au fond de la dernière chapelle de l'église, et j'y étais resté anéanti dans la ferveur d'une prière de pèlerinage. Je ne connaissais pas le Curé d'Ars et je ne faisais nulle attention à ce qui se passait autour de moi. Ce ne fut qu'en entendant cette voix si humainement impossible, qu'électrisé subitement je me levai et me mis à marcher pour voir d'où pouvait venir une parole qu'on eût dit sortir de l'abîme ou descendre des cieux. M. Vianney était en chaire. Il parlait du malheur de ceux qui haïront Dieu toute l'éternité. Rien au monde ne pourra donner l'idée ni rendre l'effet de cette plainte du cœur, de ces larmes, de cette douleur à contre-coup, ressentie doublement et pour Dieu et pour le pécheur. Le Saint couvrait son visage, puis, dans son désespoir, il semblait s'en aller et quitter ses auditeurs ; son geste le faisait descendre de la chaire et on croyait le voir marcher sur les chemins du monde pour chercher les pécheurs. Ému, troublé, malheureux, on eût dit qu'il fermait et ouvrait les portes de l'enfer. Il se mettait à genoux, joignait les mains et conjurait les âmes de ne pas se damner. Il trouvait que c'était impossible de perdre ainsi l'éternel amour. Sa voix creuse, éteinte, ensevelie, prenait par moments un éclat extraordinaire pour appeler les pécheurs et prier Dieu de leur pardonner.
J'étais hors de moi, je n'avais jamais rien éprouvé de pareil.
J'ai compris, depuis ce jour, la vertu de l'apostolat, la solidarité qui existe entre les âmes, la communion des saints, la transformation de l'homme par le sacrifice. Depuis ce jour, mon désir, ma foi, mon amour soulèvent les couches du monde ; j'en appelle à Dieu, par mon cœur, de tant de misères ; j'espère, je voudrais surtout espérer et me reposer dans cette espérance. Je voudrais être grand, fort, puissant, pour renouveler, régénérer le monde et disposer, ainsi que le dit le livre de la Sagesse, le globe terrestre dans la justice et l'équité. Mais celui qui fera cette œuvre, ce sera le saint. Sa force est la plus grande du monde, son plus puissant levier, sa seule lumière. Un saint ! ô mon Père, quelle douce image, quelle radieuse physionomie ! C'est l'amour, le sacrifice, la paix.
« Bienheureux ceux qui sont doux, a dit le Maître, car ils possèderont la terre ! » Et c'est justice de donner la puissance à celui qui l'exerce contre lui-même. Un saint ! mais c'est la bénédiction de la terre. Laissons-le, laissons-le passer ! lumière dont les rayons viennent du cœur ; phare allumé aux rives des mers orageuses pour en éclairer les abîmes ; sentinelle, vigie, se tenant sur les hauteurs pour indiquer les écueils ; croix plantée sur les chemins de la vie, aux lieux où le crime a été commis, afin d'en être l'expiation. Ô nos saints, placez-vous dans cette balance de la justice infinie, suspendue entre le ciel et la terre pour la faire pencher du côté de la miséricorde. « Des saints, mon Dieu ! donnez-nous des saints ! » s'écriait le Père Lacordaire, jeune encore, dans une de ses premières conférences de Notre-Dame, « il y a si longtemps que nous n'en avons vu ! »
Cette soif de la justice et de la sainteté dont la terre avait besoin, a été satisfaite par la présence ici-bas du Curé d'Ars. Il a été la réponse à l'ardente et généreuse aspiration du grand orateur. Des générations d'âmes ont été enfantées par ses vertus, et, prêtre, vierge, apôtre, il a laissé au monde une nombreuse postérité et un héritage impérissable.
Depuis la mort du Saint, je suis retourné à Ars, triste et le cœur ému, en songeant que je ne retrouverais plus cette incomparable figure. J'allais dans ce cher pays, une couronne funéraire à la main, comme lorsqu'on va visiter un cimetière où repose un mort pieusement aimé. Je m'étais trompé ; j'avais oublié les promesses de la foi : les saints n'attendent pas le dernier jour pour ressusciter ; ils survivent dans les cœurs, dans les âmes, dans la vénération, dans l'amour, dans les prodiges dont Dieu permet que leurs tombeaux soient environnés. Le petit village d'Ars est lumière et vie ; c'est un port après la tempête, c'est une oasis dans le désert. On y bâtit une église d'un style gracieux et inspiré, dans laquelle seront placés les autels des saints aimés du bon Curé. Cette église est un miracle. »


(P.D.S. à Monsieur l'Abbé Alfred Monnin, 4 août 1863, 4e anniversaire de la mort du saint Curé)




Ce qui ne fortifiait pas moins les discours de M. Vianney, c'est la haute opinion que les pèlerins avaient de sa sainteté. « La première qualité de l'homme appelé au périlleux honneur d'instruire les peuples, dit saint Isidore, est d'être saint et irréprochable. Il faut qu'il soit étranger au péché, celui dont la mission est d'éloigner les autres du péché ; il faut qu'il paraisse en tout comme un modèle de perfection, celui dont la tâche est de conduire les autres à la perfection (Hom., liv. II, de Offic.) » Dans le saint catéchiste d'Ars, c'était la vertu qui prêchait la vérité. Lorsqu'il parlait amour de Dieu, humilité, douceur, patience, mortification, sacrifice, pauvreté, désir de la souffrance, ses exemples donnaient un poids immense à ses paroles. Un homme est bien fort pour convaincre et pour persuader, quand on voit qu'il pratique tout ce qu'il enseigne.
La forme qu'employait le Curé d'Ars n'était pas autre chose que l'enveloppe la plus transparente que prenne l'idée afin de paraître le plus possible telle qu'elle est, créant elle-même l'expression qui lui convient. Il savait mettre les vérités de l'ordre le plus élevé à la portée de toutes les intelligences ; il les revêtait d'un langage familier ; il attendrissait par la simplicité ; il ravissait par la doctrine. La science qui n'est pas cherchée est celle qui abonde : elle coule comme l'eau de la source vive que la Samaritaine ne connaissait pas et dont le Sauveur lui enseigna la vertu. Ainsi, les considérations sur le péché, sur l'injure qu'il fait à Dieu et le mal qu'il fait à l'homme n'étaient pas un jeu de son esprit, mais le travail douloureux de sa pensée. Elles le pénétraient, le consternaient : c'était le trait de feu enfoncé dans sa poitrine. Il soulageait son âme en l'épanchant.

« Il y a des gens qui n'aiment pas le bon Dieu, qui ne le prient pas et qui prospèrent ; c'est mauvais signe ! Ils ont fait un peu de bien à travers beaucoup de mal. Le bon Dieu les récompense en cette vie. »

« La terre est un pont pour passer l'eau ; elle ne sert qu'à soutenir nos pieds... Nous sommes en ce monde, mais nous ne sommes pas de ce monde, puisque nous disons tous les jours : NOTRE PÈRE QUI ÊTES AUX CIEUX... Il faut donc attendre notre récompense quand nous serons CHEZ NOUS, dans la maison paternelle. C'est pour cela que les bons chrétiens sont dans les croix, les contradictions, les adversités, les mépris, les calomnies : tant mieux !... Mais on s'étonne de cela. Il semble que parce qu'on aime un peu le bon Dieu, on doit n'avoir rien qui contrarie, rien qui fasse souffrir... Nous disons : En voilà un qui n'est pas sage, et cependant tout lui réussit ; moi, j'ai beau faire ce que je peux, tout va de travers. C'est que nous ne comprenons pas le prix et le bonheur des croix. On dit quelquefois : Dieu châtie ceux qu'il aime. Ce n'est pas vrai. Les épreuves pour ceux que Dieu aime, ne sont pas des châtiments, ce sont des grâces... Il ne faut pas considérer le travail, mais la récompense. Un négociant n'envisage pas la peine qu'il a dans son commerce, mais le gain qu'il en retire... Qu'est-ce que vingt ans, trente ans, comparés à l'éternité ?... Qu'avons-nous donc tant à souffrir ? quelques humiliations, quelques froissements, des paroles piquantes : CELA NE TUE PAS. »

« Notre langue ne devrait être employée qu'à prier, notre cœur qu'à aimer, nos yeux qu'à pleurer. »

« Nous sommes beaucoup, et nous ne sommes rien... Il n'y a rien de plus grand que l'homme, et rien de plus petit. Il n'y a rien de plus grand, quand on regarde son âme ; rien de plus petit, quand on regarde son corps... On s'occupe de son corps, comme si on n'avait que cela à soigner : on n'a, au contraire, que cela à mépriser... »

« Nous sommes l'ouvrage d'un Dieu... On aime toujours son ouvrage... Comprendre que nous sommes l'ouvrage d'un Dieu, c'est facile ; mais que le crucifiement d'un Dieu soit notre ouvrage ! voilà qui est incompréhensible... »

« Il y en a qui donnent au Père Éternel un cœur dur. Oh ! comme ils se trompent ! Le Père Éternel, pour désarmer sa propre justice, a donné à son Fils un cœur excessivement bon : on ne donne pas ce qu'on n'a pas. Notre-Seigneur a dit à son Père : "Mon Père, ne les punissez pas !..."
Notre-Seigneur a souffert plus qu'il ne fallait pour nous racheter. Mais ce qui aurait satisfait la justice de son Père n'aurait pas satisfait son amour. »

« Sans la mort de Notre-Seigneur, tous les hommes ensemble ne pourraient expier un petit mensonge. »

« Dans le monde, on cache le Ciel et l'Enfer : le ciel, parce que si on en connaissait la beauté, on voudrait y aller à tout prix ; on laisserait bien le monde tranquille ! l'Enfer, parce que si on connaissait les tourments qu'on y endure, on ferait tout pour ne pas y aller. »

« Le signe de la croix est redoutable au démon, puisque c'est par la croix que nous lui échappons... il faut faire le signe de la croix avec un grand respect. On commence par la tête : c'est le chef, la création, le Père ; ensuite le cœur : l'amour, la vie, la rédemption, le Fils ; les épaules : la force, le Saint-Esprit... Tout nous rappelle la croix. Nous-mêmes nous sommes faits en forme de croix. »

« Dans le ciel, on sera nourri du souffle de Dieu... Le bon Dieu nous placera comme un architecte place les pierres dans un bâtiment, chacun à l'endroit qui lui convient. »

« Il y en a qui perdent la foi et ne voient l'enfer qu'en y entrant. »

« Les damnés seront enveloppés de la colère de Dieu, comme le poisson dans l'eau. »

Ce n'est pas Dieu qui nous damne, c'est nous par nos péchés. Les damnés n'accusent pas Dieu ; ils s'accusent eux-mêmes ; ils disent : J'ai perdu Dieu, mon âme et le ciel par ma faute. »

« Jamais personne n'a été damné pour avoir fait trop de mal ; mais beaucoup sont en enfer pour un seul péché mortel dont ils n'ont pas voulu se repentir. »

« Si un damné pouvait dire une seule fois : Mon Dieu, je vous aime ! il n'y aurait plus d'enfer pour lui... Mais, hélas ! cette pauvre âme ! elle a perdu le pouvoir d'aimer qu'elle avait reçu, et dont elle n'a pas sur se servir. Son cœur est desséché comme la grappe quand elle a passé sous le pressoir. Plus de bonheur dans cette âme, plus de paix, parce qu'il n'y a plus d'amour... »

« L'enfer prend sa source dans la bonté de Dieu. Les damnés diront : Oh ! si du moins Dieu ne nous avait pas tant aimés, nous souffririons moins ! l'enfer serait supportable !... Mais avoir tant été aimés ! quelle douleur !!! »


À côté des pensées profondes, M. Vianney en avait de fortes et de saisissantes. Il appelait le cimetière, LA MAISON COMMUNE ; le purgatoire, L'INFIRMERIE DU BON DIEU ; la terre, UN ENTREPÔT.

« Nous ne sommes sur la terre, disait-il, que par entrepôt, pour un tout petit moment... Il semble que nous ne bougeons pas, et nous marchons à grands pas vers l'éternité, comme la vapeur. »

« On disait à un mourant : "Que faudra-t-il mettre sur votre tombe ?" — "Vous mettrez : CI-GIT UN INSENSÉ, QUI EST SORTI DE CE MONDE SANS SAVOIR COMMENT IL Y EST ENTRÉ." Il y en a beaucoup qui sortent de ce monde sans savoir ce qu'ils y sont venus faire, et sans s'en inquiéter davantage. Ne faisons pas de même. »

« Si les pauvres damnés avaient le temps que nous perdons, quel bon usage ils en feraient ! S'ils avaient seulement une demi-heure, cette demi-heure dépeuplerait l'enfer. »

« En mourant, nous faisons une restitution : nous rendons à la terre ce qu'elle nous a donné... Une petite pincée de poussière grosse comme une noix : voilà ce que nous deviendrons. Il y a bien de quoi être fier ! »

« Pour notre corps, la mort n'est qu'une lessive. »

« Il faut travailler en ce monde, il faut combattre. On aura bien le temps de se reposer toute l'éternité. »

« Si nous comprenions bien notre bonheur, nous pourrions presque dire que nous sommes plus heureux que les saints dans le ciel. ILS VIVENT DE LEURS RENTES ; ils ne peuvent plus rien gagner ; tandis que nous, nous pouvons à chaque instant augmenter notre trésor. »

« Les commandements de Dieu sont les enseignements que Dieu nous donne pour suivre la route du ciel, comme les écriteaux qu'on pose à l'entrée des rues et au commencement des chemins pour en indiquer les noms. »

« La grâce de Dieu nous aide à marcher et nous soutient. Elle nous est nécessaire comme les béquilles à ceux qui ont mal aux jambes. »

« Quand on va se confesser, il faut comprendre ce qu'on va faire. On peut dire qu'on va DÉCLOUER Notre-Seigneur. »

« Quand vous avez fait une bonne confession, vous avez enchaîné le démon. »

« Les péchés que nous cachons reparaîtront tous. Pour bien cacher ses péchés, il faut bien les confesser. »

« Nos fautes sont un grain de sable à côté de la grande montagne des miséricordes du bon Dieu. »


M. Vianney donnait beaucoup de place dans son enseignement aux comparaisons et aux images ; il les empruntait à la nature aimée et connue de la foule à laquelle il s'adressait, aux peintures de la campagne, aux émotions de la vie rurale. Les souvenirs de son enfance avaient conservé toute leur fraîcheur, et il ne pouvait résister à l'innocente joie de revivre un moment encore, dans ses entretiens de vieillard, au milieu des plus vives sympathies de son jeune âge. Il y a dans ce retour de la pensée vers les jours les plus gracieux de la vie quelque chose qui ressemble à une possession anticipée de la résurrection. A la manière de Notre-Seigneur, il prenait les événements les plus connus, les faits les plus vulgaires, les incidents qui se produisaient sous ses yeux pour images de la vie spirituelle, et en faisait le thème de ses instructions. L'Évangile est plein de symboles et de figures propres à conduire l'âme à l'intelligence des vérités éternelles, par la comparaison de ce qui est plus sensible en ce monde. De même les allusions, les tropes, les métaphores, les paraboles, les images coloraient tous les discours du Curé d'Ars. Son esprit s'était fait une habitude de s'élever à Dieu et aux choses invisibles à l'occasion des choses visibles. Il n'y avait pas un seul des ses catéchismes dans lequel il ne fût plusieurs fois question de ruisseaux, de forêts, d'arbres, d'oiseaux, de fleurs, de rosée, de lis, de baume, de parfum et de miel. Tous les contemplatifs ont aimé ce langage, et l'innocence de leurs pensées s'est attachée avec prédilection à toutes les choses charmantes et pures dont l'Auteur de la création a embelli son œuvre. « L'homme bon, dit Notre-Seigneur, tire de bonnes choses du bon trésor de son cœur (Matth., XII, 35). » Les suaves écrits de saint François de Sales sont un modèle de ce genre, cher à tous les mystiques. On ne s'étonne pas de trouver ces grâces du langage et ce goût exquis chez l'évêque de Genève. Mais ce pauvre curé de campagne, où avait-il appris à former ses splendides gerbes ? qui lui avait fait pénétrer ces finesses ? qui lui avait donné de s'en servir avec un tact si délicat et un si ingénieux à-propos ? Écoutons :

« Comme une belle colombe blanche, qui sort du milieu des eaux et vient secouer ses ailes sur la terre, l'Esprit-Saint sort de l'Océan infini des perfections divines et vient battre ses ailes sur les âmes pures, pour distiller en elles le baume de l'amour. »

« Le Saint-Esprit repose dans une âme pure comme sur un lit de roses. »

« Il sort d'une âme où réside le Saint-Esprit une bonne odeur comme celle de la vigne, quand elle est en fleur. »

« Ceux qui ont l'âme pure sont comme des aigles et des hirondelles qui volent dans les airs... Un chrétien qui a la pureté est sur la terre comme un oiseau qu'on tient attaché par un fil. Pauvre petit oiseau ! il n'attend que le moment où on coupera le fil pour s'envoler. »

« Les bons chrétiens sont comme ces oiseaux qui ont de grandes ailes et de petites pattes, et qui ne se posent jamais par terre, parce qu'ils ne pourraient plus s'élever et qu'ils seraient pris. Aussi, ils font leurs nids sur la pointe des rochers, sur le toit des maisons, dans les lieux élevés. De même le chrétien doit toujours être sur les hauteurs. Dès que nous rabaissons nos pensées vers la terre, nous sommes pris (Animas ad volandum, les âmes sont faites pour voler, avait dit le prophète Ezéchiel, Ez., XIII, 20). »

« Une âme pure est comme une belle perle. Tant qu'elle est cachée dans un coquillage, au fond de la mer, personne ne songe à l'admirer. Mais si vous la montrez au soleil, cette perle brille et attire les regards. C'est ainsi que l'âme pure, qui est cachée aux yeux du monde, brillera un jour devant les anges, au soleil de l'éternité. »

« L'âme pure est une belle rose, et les trois personnes divines descendent du ciel pour en respirer le parfum. »

« Le bon Dieu aura plus tôt pardonné à un pécheur repentant qu'une mère n'aura retiré son enfant du feu. »

« Figurez-vous une pauvre mère obligée de lâcher le couteau de la guillotine sur la tête de son enfant : voilà le bon Dieu quand il damne un pécheur. »

« Quel cri de joie quand l'âme viendra s'unir à son corps glorifié, à ce corps qui ne sera plus pour elle un instrument de péché ni une cause de souffrance. Elle se roulera dans le baume de l'amour, comme l'abeille se roule dans les fleurs... Voilà l'âme embaumée pour l'éternité !... "

On voit que le Curé d'Ars était poète sans s'en douter, poète dans la plus haute et la plus sincère acception du mot : c'est-à-dire que, doué excellemment de la faculté de sentir, son cœur s'ouvrait pour laisser échapper la note juste et l'accent vrai. C'est bien la plus simple et la meilleure manière d'être poète.

« Une fois, disait-il, j'allais voir un malade ; c'était au printemps ; les buissons étaient remplis de petits oiseaux qui se tourmentaient la tête à chanter. Je prenais plaisir à les écouter et je me disais : Pauvres petits oiseaux, vous ne savez pas ce que vous dites ! Que c'est dommage ! Vous chantez les louanges de Dieu... »

Ne croirait-on pas entendre saint François d'Assise ?

« Hier, notre vieux saint François d'Assise était plus poétique que jamais au milieu de ses larmes et de ses élans d'amour ; en parlant de l'âme de l'homme qui ne doit avoir d'aspiration que pour Dieu, il s'écriait : “Le poisson cherche-t-il les arbres et la prairie ? Non, il s'élance dans les eaux. L'oiseau s'arrête-t-il sur la terre ? Non, il s'envole dans les airs... Et l'homme qui est créé pour aimer Dieu, posséder Dieu, renfermer Dieu, que fera-t-il de toutes les forces qui lui ont été données pour cela ?" »


M. Vianney aimait à raconter la fraîche et poétique légende de saint Maur, qui, allant un jour porter le dîner à saint Benoît, trouva un gros serpent ; il le prit, le mit dans le pan de sa robe et dit en le montrant à saint Benoît : « Voyez, mon père, ce que j'ai trouvé. » Quand le saint patriarche et tous les religieux furent réunis, le serpent se mit à siffler et à vouloir les mordre. Saint Benoît dit alors : « Petit, retourne le porter où tu l'as pris. » Et quand saint Maur fut parti, il ajouta : « Mes frères, savez-vous pourquoi cette bête est si douce avec cet enfant ?... C'est parce qu'il a conservé l'innocence de son baptême. »


M. Vianney mêlait à ses discours d'heureuses réminiscences de sa vie de berger :

« Quand vous n'avez pas l'amour de Dieu, vous êtes bien pauvres. Vous êtes comme un arbre sans fleurs et sans fruits. »

« Dans l'âme unie à Dieu, c'est toujours le printemps. »


Lorsqu'il parlait de la prière, les comparaisons les plus aimables et les plus ingénieuses arrivaient en foule sur ses lèvres :

« La prière est une rosée embaumée ; mais il faut prier avec un cœur pur pour sentir cette rosée. »

« Il sort de la prière une douceur savoureuse, comme le jus qui découle d'un raisin bien mûr. »

« Plus on prie, plus on veut prier. C'est comme un poisson qui nage d'abord à la surface de l'eau, qui plonge ensuite et qui va toujours plus avant. L'âme se plonge, s'abîme, se perd dans les douceurs de la conversation avec Dieu. »

« Le temps ne dure pas dans la prière. Je ne sais pas si on peut désirer le ciel ? Oh ! oui... Le poisson qui nage dans un petit ruisseau se trouve bien, parce qu'il est dans son élément ; mais il est encore mieux dans la mer. »

« Il faut, quand on prie, ouvrir son cœur à Dieu comme le poisson quand il voit venir la vague. »

« Le bon Dieu n'a pas besoin de nous ; s'il nous commande de prier, c'est qu'il veut notre bonheur, et que notre bonheur ne peut se trouver que là. Lorsqu'il nous voit venir, il penche son cœur bien bas vers sa petite créature, comme un père qui s'incline pour écouter son petit enfant qui lui parle. »

« Le matin, il faut faire comme l'enfant qui est dans son berceau : dès qu'il ouvre les yeux, il regarde vite par la maison s'il voit sa mère. Quand il la voit, il se met à sourire ; quand il ne la voir pas, il pleure.. »


Avait-il à faire le parallèle des chrétiens avec les gens du monde, il disait :

« Je ne trouve rien de si à plaindre que ces pauvres gens du monde. Ils ont sur les épaules un manteau doublé d'épines : ils ne peuvent pas faire un mouvement sans se piquer, tandis que les bons chrétiens ont un manteau doublé de peau de lapin. »

« Le bon chrétien ne fait pas de cas des biens de la terre : il s'en sauve comme un rat qui sort de l'eau. »

« Malheureusement nous n'avons pas le cœur assez libre ni assez pur de toute affection terrestre. Prenez une éponge bien sèche et bien propre ; trempez-la dans la liqueur, elle se remplira jusqu'à ce qu'elle dégorge. Mais si elle n'est pas sèche et pas propre, elle n'emportera rien. de même, quand le cœur n'est pas libre et dégagé des choses de la terre, on a beau le tremper dans la prière, il n'en emporte rien. »

« Le cœur des méchants est une fourmilière de péchés. Il ressemble à un morceau de viande gâtée que les vers se disputent. »

« Quand nous nous abandonnons à nos passions, nous entrelaçons des épines autour de notre cœur. »

« Nous sommes comme des taupes de huit jours. Nous ne voyons pas plus tôt la lumière que nous nous enfonçons dans la terre. »

« Quand on meurt, on est souvent comme une lame de fer toute rouillée qu'il faut mettre au feu. »

« Les pauvres pécheurs sont engourdis comme des serpents pendant l'hiver. »

« Le calomniateur est semblable à la chenille qui, en se promenant sur les fleurs, y laisse sa bave et les salit. »

« Nous avons toujours deux secrétaires, le démon qui écrit nos mauvaises actions pour nous accuser, et notre bon ange qui écrit les bonnes pour nous justifier au jour du jugement. Quand toutes nos actions nous seront présentées, qu'il y en aura peu d'agréables à Dieu, même parmi les meilleures ! Tant d'imperfections, tant de pensées d'amour-propre, de satisfactions humaines, de plaisirs sensuels, de retours égoïstes qui s'y trouvent mêlés ! Elles ont bonne apparence ; mais elles n'ont que l'apparence : comme ces fruits qui semblent plus jaunes et plus mûrs, parce qu'un ver les a piqués. »


M. Vianney était de l'école de tous ces aimables contemplatifs qui ne dédaignaient pas de parer des grâces naïves de l'expression l'austérité de leurs idées, soit par une miséricordieuse condescendance pour leurs disciples, soit par un attrait naturel qu'éprouvent ceux qui sont bons pour ce qui est beau. Il n'est pas si commun ni si facile qu'on le pense d'aimer la nature ; il faut pour cela sortir de soi, considérer le monde extérieur avec désintéressement et avec respect, et y chercher non des plaisirs, mais des leçons. Étrange erreur de croire que ceux-là seulement qui abusent de la nature l'aiment et la connaissent : ces prétendus amants de la nature n'en sont que les profanateurs. Le christianisme, si souvent accusé de fouler aux pieds la nature, a seul appris à l'homme à la respecter et à l'aimer véritablement, en faisant paraître le plant divin qui la soutient, l'éclaire et la sanctifie. C'est à cette lumière que M. Vianney considérait la création : il en parcourait tous les degrés pour y adorer les traces de son Dieu. Il retrouvait CELUI qui est souverainement beau dans les créatures belles ; il ne dédaignait pas les plus petites. En paix avec toutes choses, et revenu en quelque sorte à l'innocence primitive et à la condition de l'Éden, lorsque Adam voyait les créatures dans la clarté divine et les aimait d'une fraternelle charité, son cœur débordait d'amour non-seulement pour les hommes, mais pour tous les être visibles et invisibles. On sentait respirer dans ses paroles une affectueuse sympathie pour la création entière, qui lui apparaissait sans doute dans sa noblesse et sa pureté originelle. Il voyait en elle une sœur qui, d'une autre manière, exprimait es mêmes pensées que lui et chantait le même amour. On se rappelle son apostrophe aux petits oiseaux. Là où d'autres yeux n'apercevaient que des beautés périssables, il découvrait comme d'une seconde vue les saintes harmonies et les rapports éternels qui lient l'ordre physique avec l'ordre moral, les mystères de la nature avec ceux de la foi. Il en usait de même dans le domaine de l'histoire. Les siècles, les événements et les hommes n'étaient pour lui que symboles et allégories, prophéties et accomplissements, voix qui interrogent et se répondent, figures qui mutuellement se répètent.

Quelquefois le Curé d'Ars tirait d'événements récents et de circonstances qui l'avaient personnellement impressionné, des inductions morales et des considérations édifiantes ; bien qu'il y mît une certaine réserve, on recueillait ainsi de temps en temps de précieuses données sur des faits qui, sans cela, fussent toujours restés dans l'ombre.

« Parce que Notre-Seigneur ne se fait pas voir au très-saint Sacrement dans toute sa majesté, disait-il un jour, vous vous tenez ici sans respect ; mais cependant c'est LUI ! Il est au milieu de vous !... Comme ce bon évêque qui était là, ces jours derniers ; tout le monde le poussait... Ah ! si l'on avait su que c'était un évêque !...»

« Nous donnons notre jeunesse au démon, et nos restes au bon Dieu, qui est si bon qu'il veut bien encore s'en contenter... heureusement que tous ne font pas comme cela. Il y avait ici une grande demoiselle, des premières familles de France, qui est partie ce matin. Elle a à peine vingt-trois ans. Elle est bien riche, bien riche !... Elle s'est offerte en sacrifice au bon Dieu pour l'expiation des péchés et pour la conversion des pécheurs. Elle porte une ceinture toute garnie de pointes de fer ; elle se mortifie de mille manières ; ses parents n'en savent rien. Elle est pâle comme une feuille de papier. C'est une belle âme, bien agréable au bon Dieu, comme il y en a encore par le monde : c'est ce qui empêche le monde de finir. »



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