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vendredi 23 août 2019

La précieuse mort de Saint Philippe Benizi





Extrait de "La vie de Saint Philippe Benizi" par François Malaval :


Saint Philippe qui ménageait les heures, avait passé toute la nuit en Oraison la veille de l'Assomption Notre-Dame : et le lendemain s'étant assemblé un grand Peuple dans l'Église des Services, il célébra Messe avec des mouvements d'un amour extatique, et ainsi embrasé de ces belles flammes qui le consumaient tout entier aux yeux de Dieu, il prêcha pour la dernière fois ; et comme il était rempli des pensées de la Béatitude céleste qu'il attendait, il fit un beau discours de la gloire du Paradis ; de cette félicité immense que Dieu a préparée à ceux qui l'aiment ; de la possession éternelle de Dieu ; de la science incompréhensible, et de l'amour presque infini des Bienheureux qui semblent être changés en Dieu même par la vision Béatifique ; des délices très-pures, où toute la nature est plongée ; de la société de l'Homme-Dieu, et des Saints parmi lesquels la félicité de l'un est celle de l'autre ; de l'assouvissement qui procède de l'assemblage de tant de biens, en comparaison desquels tous les plaisirs de l'Univers mis ensemble dans un cœur, ne sont qu'une goûte d'eau selon le langage du Saint-Esprit, et ne passent pas la portée de l'imagination. Il représenta la haute folie des Sages du Monde, et des plus grands esprits qui courent toute leur vie après des atomes parmi tant de soins et de travaux, et laissent un Océan de grandeur et de félicité qui ne tarit point. Il fit voir sensiblement quelle était la facilité de gagner le Ciel, quand on le voulait bien ; et combien la vertu de la grâce de Jésus-Christ aplanissait toutes les voies qui paraissaient les plus rudes à la nature. Il expliqua les Béatitudes auxquelles par la propre parole de Jésus-Christ, on parvient encore dès cette vie au milieu de la persécution et des souffrances. En un mot, ce fut un discours qui remplit les Auditeurs de consolation et d'amour de Dieu, et qu'inspira à plusieurs de préférer le désir des délices célestes à la misérable sollicitude des choses qui passent.
À l'issue du Sermon, il se trouva atteint d'une fièvre qui n'était pas encore trop forte, mais qui l'obligea néanmoins à se mettre au lit. Les assauts de joie qu'il ressentit alors, furent plus grands que ceux de son mal : et il reçut cette fièvre, comme la Messagère du Ciel, s'étant couché sans façon sur une nue paillasse pour ne point caresser son mal. Cela ne l'empêchait pas de prêter audience à ceux qui avaient affaire à lui, de donner des conseils, d'exhorter les uns, de corriger les autres, de faire des admonitions, de consoler ceux qui en avaient besoin, et de rendre utile à tout le Monde son infirmité. Toutefois le mal s'aigrissait de jour à autre, il se laissa persuader par l'Évêque de la Ville et par le Médecin, de souffrir un matelas de laine : et un habitant de Tody le lui prêta, comme si Dieu lui eut voulu donner la consolation de porter jusqu'au comble le mépris qu'il avait fait des biens de la terre, en lui laissant finir ses jours sur un lit emprunté. Il ne voulut jamais quitter son cilice pour mourir avec les marques de la pénitence, ni le saint Habit de sa Religion pour l'amour de la Vierge, en l'honneur de laquelle il l'avait porté. Son abnégation était extrême parmi les plus violents efforts de son mal : car encore que de tout son coeur il n'eut voulu vaquer qu'à Dieu seul en un temps si court et si précieux, il ne refusa jamais les visites qui lui furent faites ; et les dernières heures de sa vie furent couronnées du double exercice de l'amour de Dieu, et de celui du prochain. Abnégation incomparable ! Il sentait des saillies des divines consolation qui le retiraient au-dedans de lui-même, et il lui fallait étouffer toutes ces douceurs pour écouter, ou pour entretenir ceux qui venaient. Il avait d'autre-part de grandes craintes sur les approches de la justice de Dieu, devant laquelle il devait comparaître, et il aurait voulu les renouveler, afin de se mieux préparer : mais il abandonnait, quand il était besoin ses craintes et ses douceurs, Dieu et soi-même pour le service du prochain ; imitant son bon Maître le Sauveur du Monde, qui dans l'abîme de son absorbante agonie, laissa plusieurs fois l'Oraison pour aller éveiller ses Disciples, et qui encore pendant le sacrifice de la Croix, qui fut la plus haute action de sa vie, et accompagnée du plus grand abandonnement de Dieu où se trouvait son humanité, ne laissa pas de se tourner vers le bon Larron, et de lui promettre le Paradis. Philippe pendant sept jours que dura son mal, agonisa autant pour le prochain, que pour lui. Mais quoique sa fièvre fut très ardente ; quoique toutes les faiblesses de son corps, et toutes les incommodités de ses pénitences et de ses travaux passés, se réveillassent dans cette occasion, et vinssent enflammer son mal ; quoique les visites fussent importunes, c'était un malade riant et paisible : on eut dit qu'il n'avait point de mal, ou qu'il n'en sentait aucun. Il disait seulement à ses Religieux, quand il n'était qu'avec eux : Rien ne me fait de la peine dans ma maladie, que toutes ces paroles d'honneur qu'on me dit. Hélas ! j'ai choisi le Convent le plus pauvre de la Province pour fuir le Monde, et je ne le saurais éviter, mais Dieu le veut. Il faut que je souffre les consolations que me veut donner le Monde, du même esprit que je souffre mon mal.
Il sentit enfin que ses forces défaillaient, et il s'évanouissait de temps en temps : c'est pourquoi ayant fait appeler tous les Religieux du Convent : Mes très chers Frères, leur dit-il, je ne vous ai fait appeler ici que pour vous demander l'assistance de vos prières, et pour vous avertir que le jour de l'octave de l'Assomption doit être infailliblement celui de ma mort. La sainte Vierge m'a appelé à la Religion, et maintenant elle m'appelle au Tribunal de son Fils, où elle me promet de m'assister. L'Assomption est la Fête de son triomphe et de sa gloire ; et Dieu fait tant de miséricordes pour l'amour d'elle, que j'espère d'en obtenir quelque part. Je vous dis ma coulpe en la présence de Dieu de toute ma vie passée, dans laquelle je ne reconnais rien de bon, si non les grâces que Dieu m'a faites. Tout le reste ne mériterait que le châtiment et l'indignation de Dieu : mais je me confie entièrement aux mérites infinis du sang de Notre-Seigneur Jésus-Christ, ce sera ce sang qui lavera mes fautes particulières et mes fautes publiques. Je confesse que j'ai une grande obligation à la Religion de m'avoir élevé dans sa saintes discipline et dans la criante de Dieu, et puis de m'avoir supporté tel que j'étais avec tant de bénignité. Cependant je n'ai fait pour elle que bien peu de choses au prix de l'amour que je lui portais, et je n'ai était si longtemps Supérieur Général, qu'afin de lui obéir, m'étant voulu démettre de ma charge dix-huit fois depuis dix-huit ans que je l'exerçais, sans l'avoir pu obtenir. Mais, mes très chers Frères, je m'estimerais heureux si par mes soins, et par mes fatigues j'ai pu ajouter quelque chose à l'amour que vous avez pour la Règle. Au moins je vous proteste que je n'ai visé dans toutes l'autorité que vous m'avez donnée, si non à la faire garder exactement, et à vous en montrer l'exemple en la gardant moi-même. Votre charité suppléera à tout ce que j'ai laissé à faire : et Dieu vous destine un Supérieur qui doit réparer amplement toutes les fautes de ma conduite. C'est un saint Hommes, vous connaîtrez bientôt sa sainteté par ses fruits. Je vous recommande instamment d'aimer votre Règle, et vos Supérieurs, et de faire les choses par amour. Obéissez toujours plus volontiers, que vous ne commanderez : le Religieux qui obéit aveuglement, ne répond de rien que de sa bonne volonté, parce qu'en tout le reste Dieu, et les Supérieurs répondent pour lui.
De plus, mes très chers Frères, dans ce temps de vicissitude et de troubles dont le saint Siège Apostolique est continuellement agité, souvenez-vous, je vous le recommande de toute mon affection, de conserver une perpétuelle obéissance envers le Souverain Pasteur de l'Église : celui qui n'aura point le Pape pour Père, n'aura point l'Église pour Mère : et l'on connaîtra que vous êtes bons Chrétiens, et bons Religieux, si vous faites volontiers profession de cette légitime obéissance, n'y ayant point plus visible marque sur la terre d'une sincère union avec Jésus-Christ, que de demeurer uni avec son Vicaire en sa doctrine, et en ses maximes. Ne vous laissez point persuader par les factieux secrets qui restent encore : tout Royaume divisé contre lui-même sera ruiné ou tôt ou tard.
Je vous exhorte à vous aimer entre vous, comme Dieu vous a aimés. Considérez tous les biens qu'il vous a faits, et faites les selon votre pouvoir, ou procurez les à vos Frères, afin que vous soyez les dignes Enfants d'un si bon Père. Celui-là est ingrat envers Dieu, et il ne sait pas encore ce que c'est que de l'aimer, qui n'a pas une véritable charité pour ses Frères. Ma conscience m'est témoin que la chose dont je me puis glorifier devant Dieu, est d'avoir aimé intimement sans nulle exception, les Religieux parfaits et les imparfaits ; les premiers et les derniers ; et de n'avoir jamais ressenti aigreur, aversion, ni dédain pour aucun de ceux que j'ai pratiqués. Ô charité Fraternelle si peu connue aux gens du siècle, et aux Religieux relachés, et qui maintenant que je ne la puis plus exercer, m'est plus connue que jamais. Continuez à la pratiquer, mes Frères, cette belle charité, et vous obtiendrez de Dieu tout ce que vous lui pourrez demander, soit pout vous, soit pour les autres.
Souvenez-vous d'aimer la très sainte Vierge, la Mère de la belle dilection : ce sera elle qui vous aidera très spécialement à aimer Dieu, et vos Frères, puisqu'elle a surpassé en amour toutes les pures créatures. Je confesse devant cette assemblée, qu'après Dieu, c'est à elle que je dois rendre grâces de tout le zèle, de toute la force que j'ai jamais eue dans la Religion, et de toutes les miséricordes que j'ay ai reçues, ou pour moi, ou pour mon prochain. En vérité il est impossible d'aimer Marie, et de ne faire pas son salut.
Maintenant je n'ai plus qu'une grâce à vous demander, c'est que n'ayant été reçu qu'en qualité de Frère Lay dans la Religion, vous me donniez la consolation d'être enseveli avec l'habit de Frère Lay, afin que le commencement et la fin de ma vie religieuse, puissent avoir du rapport ensemble, et que si je dois trouver grâce devant Dieu, je reçoive avec plus d'humilité la sentence de ma dernière absolution. Faites le ainsi, mes Frères, si vous m'aimez véritablement, et si vous conservez encore quelque respect pour moi : Hélas ! cet Habit que je demande, ne sera point si vil ni si simple, que fut le suaire de Jésus-Christ : et puisque je n'ai reçu les Ordres sacrés, que par les seuls mouvements de l'obéissance, et que c'est l'obéissance seule qui ma tenu sous le joug pesant du Généralat l'espace de dix-huit ans, la Religion ne peut me refuser ce pauvre Habit, ou comme une récompense de mes travaux, ou comme une consolation de mes misères. Aussi, mes très chers Frères, Dieu a toujours conservé en moi l'esprit humble d'un Frère Convers au milieu de tous les honneurs que j'ai possédés, et jamais rien n'a si fort attiré les bénédictions de Dieu sur moi, que de m'être toujours tenu dans mon néant. Laissez moi porter, mes très chers Frères, ce précieux néant devant Dieu jusque dans mes cendres, et ne vous arrêtez point à une vaine opinion que le Monde a conçue de moi, ce sera Dieu qui jugera un jour dans la vérité, de moi et de l'opinion du Monde. Je sens bien que je ne suis que misère, mais enfin j'aime un Dieu qui n'est que miséricorde : demandez la pour moi, et je vous promets que je la demanderai pour vous, et pour tous mes Frères.
Les Religieux ne répondirent que par leurs soupirs, qu'ils lui obéiraient, et ils se retirèrent après avoir reçu sa bénédiction. Cependant les Médecins voyant que le mal empirait d'une heure à l'autre, le supplièrent de s'abstenir de parler : et quoique sa charité l'appliquait plus volontiers aux besoins des autres, qu'aux siens propres, il voulut néanmoins pratiquer l'obéissance en cette occasion, et renoncer encore plus absolument à soi-même, en renonçant à tout le bien qu'il était capable de faire encore par la parole. Il commença dès lors à ne réciter plus les heures Canoniales, et à réduire toutes ses dévotions à l'oraison intérieure. Il méditait volontiers sur le Psaumes, Miserere : et l'on le voyait de temps en temps mouillé de ses larmes pour les grands sentiments de pénitence que Dieu excitait au fond de son cœur. Aussi plus ses forces naturelles diminuaient, plus l'amour divin s'augmentait sensiblement en lui. On voyait un visage enflammé, des yeux extraordinairement brillants, et un Homme qui paraissait tout pénétré de Dieu. Il conservait au fort de son mal un esprit vif, un entendement ferme, et il avait pour ainsi dire, toute son âme entre ses mains. On ne connaissait plus sa langueur, ni l'abattement de son corps, et il ne lui en demeurait que la faiblesse, comme si sa fièvre n'eut été qu'une refusion des divines ardeurs qui le consumaient.
Il avait pris quelquefois le saint Sacrement pendant son mal, depuis qu'il ne pouvait plus célébrer la Messe : mais enfin la maladie s'étant rendue mortelle, il le voulut recevoir en forme de Viatique. Comme on le lui apporta, il se leva de son lit, et il se mit à terre pour le recevoir avec plus de révérence, et de dignité, voulant aller au-devant de son Seigneur qui lui venait faire les dernières faveurs. C'est ici que l'amour Divin embrasa lui-même le cœur de Philippe, et qu'il s'exprima vivement par sa bouche : Que de larmes ! Que de soupirs ! Que de componction ! Que de paroles toutes de feu ! Et quelle face de pénitence au milieu d'une innocence si parfaite ! Tous ceux qui se trouvaient autour de lui, Religieux et gens du Monde sentaient un saisissement d'amour, et de crainte, de le voir tout ensemble si saint, et si pénitent aux approches de la mort. Il se remit après dans le lit, et il fit un discours à l'assistance du bonheur de l'autre vie, dans lequel il paraissait visiblement qu'il venait d'être repu au sacré banquet de l'Agneau, et que ce Viatique n'était pas seulement une semence de l'Éternité pour lui, et un gage de la gloire future, ainsi qu'on l'a appelé, mais qu'il lui avait encore apporté les lumières et les ardeurs du Paradis, et que c'était le Sauveur plein de grâce et de gloire qui venait au-devant de cette Âme sainte. Il le mit à réciter les Psaumes pénitentiaux ; et comme il fut arrivé à ces paroles des Litanies, Te rogamus audi nos, il perdit l'usage de ses sens, et il tomba en une si profonde défaillance qu'on le croyait mort. Cet accident tenait tous les assistants suspendus, les uns de pitié, et les autres d'admiration, ne cachant ce qui en arriverait. Il y avait un Religieux qui autrefois avait été converti par ses Sermons, nommé Vbalde des Adimars dont nous avons déjà parlé : ce saint Homme aimant notre Philippe d'un amour plein de reconnaissance, Dieu lui révéla que celui qui l'avait converti devait mourir bientôt. C'est pourquoi étant parti sur le champ d'une Ville d'Ombrie où il était alors, il arriva au Convent de Tody pendant le temps que Philippe était plongé dans son agonie. Il vit un Homme couvert d'une mortelle pâleur, le visage défiguré, et un corps de glace qui ne donnait plus aucun signe de vie. Mais chacun le croyant mort, lui seul s'écria d'une voix assurée, qu'il vivait encore : il le réveilla donc, non sans quelque secours du Ciel qui l'envoyait là, de cette léthargie qui avait duré trois heures entières, et il le fit revenir à soi. Philippe ayant repris ses esprits, se leva à l'improviste, et s'asseyant sur son lit tout épouvanté, il déclara aux assistants qu'il venait d'être présenté au Tribunal de Dieu, et qu'il avait eu de grandes prises avec le Diable, lequel ayant recherché sa vie en toute rigueur, avait aggravé les fautes les plus légères devant la justice Divine, et lui avait suscité des scrupules dont il avait été tourmenté autrefois, s'efforçant de lui faire perdre la confiance en Dieu, et de le jeter dans quelque désespoir de son salut : mais que Notre-Seigneur l'avait fortifié intérieurement contre toutes les attaques de l'ennemi, et que la sainte Vierge avait daigné le consoler en cette tribulation. Bon Dieu ! Quelle sera donc la terreur des méchants pour des énormes péchés, puisque les saints son si furieusement attaqués pour de petites fautes : et qui se pourra promettre que son juge devienne son défenseur ?
Quelques moments après qu'il fut sorti de son agonie, il se releva sur son lit avec une force extraordinaire, et il se prit de véhémence, donnez-moi mon Livre, donnez-moi mon Livre : que celui qui me l'a pris, me le rende au plus tôt. Ô Livre admirable ! Livre qui renferme tous mes biens ! cherchez le moi, mes Frères, je ne saurais vivre ni mourir sans ce Livre-là. En disant cela, il jetait les yeux de tous côtés, comme pour chercher le Livre, et il faisait voir contre son ordinaire un si grand empressement pour l'avoir, quoique ce fut sans inquiétude, que tous les Religieux en étaient surpris. Ils lui présentèrent donc plusieurs Livres, l'un le Bréviaire, l'autre le Livre des Psaumes, un autre l'Office de Notre-Dame, et chacun le Livre qu'il pensait lui être le plus cher. Quelqu'un s'avisa encore de lui offrir les Constitutions qu'il avait composées ; mais refusant tous ceux qu'on lui présentait, il persistait à demander son Livre avec la même contention qu'auparavant. Les Religieux se trouvant assez en peine de le contenter, s'aperçurent enfin par ses gestes et par ses regards, qu'il tenait les yeux arrêtés sur un petit crucifix d'y voir qu'il avait de coutume de porter à la main, et qui était alors au coin de la Chambre. Les Religieux le lui donnèrent : et aussitôt, le prenant avec beaucoup de révérence, et le serrant fortement contre son cœur. Le voici, dit-il, le cher Livre que je demandais, où toute ma vie j'ai lu et relu la très sainte volonté de Dieu, et les plus parfaits enseignements de son amour : Livre des bontés infinies de Dieu : Livre des grandeurs humiliés de Dieu : Livre de la mort d'un Dieu crucifié, où je dois apprendre à mourir. Ô Jésus instruisez-moi par ce Livre jusqu'au dernier soupir de ma vie, et faites que comme j'ai toujours vécu en votre présence, je meure aussi devant vous. Vous avez été obéissant jusqu'à la mort, et puis vous êtes mort par obéissance. Je veux mourir aussi pour vous obéir, et je sacrifie volontairement ma vie pour votre gloire, comme vous avez donné la vôtre pour mon salut.
Il remercia ensuite Notre-Seigneur de tous ses bienfaits, et entrant dans une extrême jubilation, il récita le Cantique, Benedictus Dominus Deus Israel : qui est une action de grâces du bienfait de la Rédemption; se considérant en un passage où il devait recevoir les derniers effets du sang du Sauveur ; et la mort du juste n'étant qu'une extension de la victoire du Rédempteur. Aussi cet heureux moment de la mort étant arrivé, Dieu lui ôta toutes les craintes de sa justice qu'il avait déjà éprouvées dans l'agonie ; et ce saint Homme sentant redoubler son espérance jusqu'à la certitude, il prononça d'une voix basse et pressée : Seigneur j'ai mis mon espérance en vous, que je ne sois jamais confondu : et il poursuit ce Psaume où le Prophète Royal exprime les plus grands attraits de sa confiance ; tenant sans cesse les yeux collés sur son Crucifix, comme sur l'unique objet de sa confiance, et de son amour. Enfin il prononça avec un transport de Paradis, In manus tuas commendo spiritum meum. Ce fut alors que la Sainte Vierge dont il avait été tant de fois visité pendant sa vie, se présenta à lui en cette dernière heure, avec des paroles qui le conviaient au Ciel. Philippe se redressant sur son lit dans une assiette la plus honnête, et la plus respectueuse qu'il pouvait tenir selon sa faiblesse, et prenant un visage gai et riant, lui recommanda son esprit ainsi qu'il avait fait à Dieu : et puis levant ses mains en haut, comme pour remettre son âme entre les mains de la Vierge, afin qu'elle même la présentât à son Fils ; après avoir poussé un doux soupir à la manière d'un Homme qui tombe en sommeil, il passa de cette vie à l'autre, le vingt-deuxième d'août, jour de l'octave de l'Assomption sur le soir, comme l'on sonnait la salutation Angélique, ainsi que le Saint l'avait prédit, et l'an mille deux ces quatre-vingt et cinq, le cinquante-deuxième de son âge, et le dix-huitième de son Généralat. Mort vraiment précieuse devant Dieu, et digne d'une si haute sainteté, qui ayant commencé à l'âge de cinq mois, et s'avançant toujours de perfection en perfection, consomma plusieurs Saints en un seul Homme, dans un âge peu avancé, et le rendit à tous les siècles un exemplaire accompli de l'humilité religieuse, et un miroir très éclatant de la prédication Apostolique.
Ceux qui se trouvaient présents à cette mort, commençaient déjà à la pleurer, quand soudainement les Anges interrompirent leurs plaintes avec ces paroles de joie : Euge serbe bone et fidelis qui à Virgine super familam suam fuisti constitutus, intra in gaudium Domini tui. Venez bon et fidèle Serviteur qui avez été établi par la sainte Vierge sur sa Famille, entrez dans la joie de votre Seigneur.
En suite de ces voix, on sentit une odeur céleste qui parfuma la chambre du Saint, et se répandit dans tout le reste de la Maison ; et pour un troisième miracle, il sortit une grande splendeur du visage du Saint qui illuminait tout ce qui était autour de lui ; et d'autant que les faveurs du Ciel selon le dessein de Dieu ne se terminent jamais à la simple admiration, quand on les reçoit avec les dispositions qu'elles méritent ; toute l'assistance sentait en ce même temps un grand désir d'imiter le Saint, et d'aspirer sérieusement aux choses de Dieu. Ces trois miracles ravirent si fort tout le Monde, que l'on convertit les chants funèbres en des chants de joie, et l'on célébra une espèce de solennité au milieu du deuil, les Anges et les Hommes canonisant par avant d'une commune voix celui qui venait de mourir. La solennité passa si avant par un secret instinct du Ciel qui poussait les Hommes à honorer ce nouveau Saint, que le lendemain de sa mort on chanta en présence de l'Évêque et des Magistrats de la Ville la Messe d'un Confesseur mineur, avec Gloria in excelsis, et Credo : l'Introït de la Messe fut, Gaudeamus omnes in Domino diem festum celebrantes sub honore Beati Philippi Confessoris, etc. La même Messe fut chantée tous les jours pendant le temps que le Corps demeura d'être enseveli.



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