Pages

dimanche 18 août 2019

Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Comment M. Vianney parlait des saints



Extrait de "Esprit du Curé d'Ars, M. Vianney dans ses catéchismes, ses homélies et sa conversation" (1864) :

 
M. Vianney parlait souvent des saints ; il n'en parlait qu'avec des larmes. À entendre ses récits pleins de drame, de menus détails et de poésie touchante, on était tenté de croire qu'il avait connu ces bons saints, qu'il avait vécu avec eux dans la plus étroite intimité. Il savait d'eux des choses complètement inédites et qu'on croyait entendre pour la première fois. Dans la vie des serviteurs de Dieu, le côté légendaire était celui qui séduisait le plus son cœur. Il avait ce courage de la foi qui ne recule devant rien de ce qui peut renverser l'orgueil de la raison humaine et scandaliser les impies. « Le soleil, disait-il, ne se cache pas, de peur d'incommoder les oiseaux de nuit. » Il se séparait entièrement de cette école hagiographique des Baillet, des Tillemont et autres, qu'on a appelés des dénicheurs de saints, et qui mettaient une gloire étrange à limiter la puissance de Dieu, en écartant le surnaturel de presque toutes les vies où il leur arrivait de le rencontrer ; comme si la sainteté elle-même n'était pas la résultante de toutes les forces surnaturelles mises en action ! Pour lui, cette puissance adorable, qui se joue dans l'univers et qui est si souvent en Dieu au service de la bonté, ne brillait jamais d'un assez vif éclat. Ce qu'il y avait de plus prodigieux et de plus contraire au cours ordinaire des choses, était ce qui le ravissait le plus.
« Je crois que si nous avions la foi, disait-il, nous serions maître des volontés de Dieu ; nous les tiendrions enchaînées, et il ne nous refuserait rien. » Puis il ne tarissait plus sur le chapitre des condescendances divines à l'égard des saints ; il avait mille histoires à raconter, toutes plus belles et plus merveilleuses les unes que les autres. Il parlait d'un bienheureux qui brûlait du désir d'adorer, pendant la nuit, Notre-Seigneur dans le sacrement de son amour : il n'avait qu'à se diriger vers une église, les portes s'ouvraient d'elles-mêmes pour l'y laisser entrer.
— Un autre saint, étant dans une église prosterné devant une statue voilée de la très-sainte Vierge, avait tant envie de considérer les traits de la Mère de Dieu, que le voile qui couvrait l'image s'étant écarté de lui-même, Notre-Dame lui apparut belle et souriante.
— Un saint rencontra un jour un petit berger qui pleurait à chaudes larmes, parce qu'un de ses moutons venait de périr. Touché de compassion, il rappela cette pauvre bête à la vie.
— Il y avait une fois un saint qui avait acheté un champ, et celui qui l'avait vendu mourut bientôt après ; mais voilà qu'ensuite on lui chercha querelle sous prétexte que le champ ne lui appartenait pas, attendu qu'il ne l'avait pas payé. Il ne se troubla pas, mit toute sa confiance en Dieu et répondit à ceux qui voulaient l'inquiéter : « Donnez-moi trois jours, et je vous ferai voir un témoin. » Il passa ce temps en prières et en jeûnes, et le troisième jour, il se rendit à l'endroit où était enterré cet homme, rassembla ses ossements et lui dit : « Lève-toi, sors de la tombe et viens rendre témoignage à la vérité... » Alors on vit les ossements prendre la forme humaine, le mort se redresser et déclarer devant tous les assistants, que ce champ lui avait été bien et dûment payé.
— Il y avait un saint qui voulait bâtir un monastère, mais une montagne le gênait. Il lui commanda de se reculer, et la montagne se recula de cinquante pieds.
— On persuadait à un autre de commander à un gros rocher de changer de place : « Vous convertirez-vous si je le fais ? dit-il. — Oui. » Il commanda au rocher, et aussitôt on le vit disparaître en l'air.
« Voyez, ajoutait en pleurant le bon Curé, voyez jusqu'où Dieu est bon à ceux qui l'aiment ! Il fait des miracles pour rien, quand c'est un de ses amis qui les lui demande. L'homme commande en maître au bon Dieu quand il a un cœur pur. Saint François de Paule apprit un jour qu'on voulait faire mourir ses parents, parce qu'on avait trouvé un homme assassiné dans leur jardin et qu'on les accusait de l'avoir tué. Alors il dit : “Seigneur, faites donc que je me trouve près d'eux demain !” La nuit, un ange le transporta à quatre cents lieues, dans le pays où ils étaient. Le lendemain il dit devant tout le monde : “Faites apporter cet homme qui a été tué.” On l'apporte. Il dit alors : “Je te commande, au nom de Dieu, de déclarer si ce sont mes parents qui t'ont donné la mort ?” Voilà mon homme qui se lève et qui s'écrie devant tout le monde : “Non, ce ne sont pas tes parents.” Alors le saint dit encore au Seigneur : “Faites-moi emporter dans mon monastère ?” Pendant la nuit, l'ange le reprit et l'emporta ; il fit ainsi huit cents lieues. Le bon Dieu ne peut rien refuser à un cœur pur.
Saint Vincent Ferrier faisait tant de miracles, que son supérieur, craignant qu'il n'y rencontrât un piège pour son humilité, lui défendit d'exercer sans permission le pouvoir qu'il avait reçu de Dieu. Un jour qu'il était en adoration devant Notre-Seigneur, un ouvrier qui travaillait à la réparation de l'église, tomba du haut d'un échafaud. Le bon saint lui cria : “Arrêtez ! arrêtez ! Je n'ai pas le pouvoir de vous ressusciter.” Puis il alla en toute hâte demander la permission dont il avait besoin à son supérieur, qui ouvrit de grands yeux et ne comprit rien à la chose, étant persuadé que, dans tous les cas, la permission arriverait trop tard. Quelle ne fut pas sa surprise, lorsque, ayant suivi saint Vincent sur le lieu de l'accident, il vit suspendu en l'air le malheureux maçon qu'il s'attendait à trouver gisant sur le pavé ! “Allez, dit-il au saint ; faites donc tout ce que vous voudrez. Aussi bien, il n'y a pas moyen de vous en empêcher.” »

Ces histoires rencontreront peut-être des esprits dédaigneux. Pour nous, nous avouons de bon cœur qu'elles nous édifiaient et nous charmaient, qu'elles nous faisaient rire et pleurer. Elles empruntaient une séduction de plus de la tendre simplicité avec laquelle cet homme, resté enfant par le cœur, nous les racontait, s'animant par degrés, s'exaltant et s'attendrissant aux bons endroits. Rien ne nous paraissait plus délicieux et plus attrayant que ces larmes si fréquentes, ces sourires d'ange, ce naïf abandon à toutes les impressions, ces jeux innocents de l'âme, qui s'épanouit dans le sein du Père célestes, mêlés à des pensées si hautes, à des habitudes de vie si austères, à des sacrifices si pénibles, à un apostolat si laborieux. Dans un temps où là simplicité est morte dans les cœurs et tend à disparaître des rapports qui lient les hommes, quiconque a conservé le sens chrétien ne saurait étudier, sans émotion et sans envie, comment s'est révélée à l'âme de ce saint prêtre l'adorable parole du Seigneur : Qu'il faut devenir semblable à des enfants.
Jamais les travaux et les souffrances ne diminuaient l'entrain de la conversation du Curé d'Ars et ne le portaient à l'abréger. Sa gaité et sa bienveillance semblaient, au contraire, s'accroître au milieu des infirmités de la vieillesse. Cette sombre période a été supprimée chez lui, et remplacée par une fraîcheur d'imagination et de sentiment qui persistait sous les glaces de l'âge, comme l'éternelle jeunesse de la vie bienheureuse. M. Vianney n'a pas connu cette tristesse, qui fait qu'en déclinant la vie devient silencieuse, tout se décolore et l'âme elle-même reçoit de cette ombre, qui s'étend sur toute chose, une teinte mélancolique.
Les entretiens que nous eûmes avec lui, deux mois avant sa mort, nous ont rappelé souvent ce mot d'une femme, dont la mémoire est justement célèbre et vénérée : « Que les dernières pensées d'un cœur rempli de l'amour de Dieu ressemblent aux derniers rayons de soleil, plus intenses et plus colorés avant de disparaître. »



Reportez-vous à Le style du Saint Curé d'ArsLe Saint Curé d'Ars et l'apostolat de la conversation, Un signe des temps : Le siècle de Saint Vincent Ferrier et Notre-Dame de Lourdes, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les souffrances, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Aimables reparties de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Foi de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Espérance de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur les joies de la vie intérieure, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Amour de M. Vianney pour les pauvres, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Humilité de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, L'Esprit du Saint Curé d'Ars, Le Saint Curé d'Ars dans ses homélies, Comment M. Vianney abolit les danses à Ars, Réflexions spirituelles du serviteur de Dieu, J. M. B. Vianney, le Saint Curé d'Ars, Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (1/2), Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (2/2), Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Salut, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'amour de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les prérogatives de l'âme pure, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint-Esprit, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la Sainte Vierge, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la sanctification du dimanche, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la parole de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la prière, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint Sacrifice de la Messe, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la présence réelle, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la communion, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le péché, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'orgueil, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'espérance, Les saints et le combat spirituel : Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, le Curé d'Ars, Litanies du Saint Curé d'Ars, Litanies de Sainte Philomène, Sermon sur l'Enfer, par M. J.-M.-B. Vianney, Sermon du Saint Curé d'Ars sur l'Enfer des Chrétiens, Méditation sur le discernement des bons et des mauvais exemples, Méditation sur l'affaire du salut, Méditation sur l'exemple de la multitude, Méditation sur la voie étroite, Méditation sur la Pénitence différée à l'heure de la mort, Méditation sur la fausse idée que les Pécheurs se forment de la miséricorde de Dieu, Méditation sur le délai de la conversion, Méditation sur l'incertitude de l'avenir, Méditation sur le bon usage du temps présent, Méditation sur l'inquiétude de l'avenir, Méditation sur l'emploi du temps, Méditation sur l'expiation du péché, et Méditation sur la réparation du péché.