lundi 21 octobre 2019

Instruction pour les personnes qui entrent dans la voie d'Oraison, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome I, par le R.P. Jean-Joseph Surin :


Sainte Thérèse d'Avila


N'avez-vous point d'autres avis à donner à ceux qui s'appliquent à l'Oraison ?

Il y en a encore un très-important. C'est que l'Oraison devant être l'exercice le plus ordinaire, et comme la nourriture de l'âme, il faut qu'on se la rende facile, et même douce et agréable ; qu'on s'y porte non seulement sans peine et sans répugnance, mais encore par attrait et avec plaisir ; il faudrait même, s'il se pouvait, que ce saint exercice devînt aussi familier et aussi aisé qu'aucune autre occupation de la vie. Sans cela il est bien difficile qu'on le goûte constamment, et qu'on y persévère aussi longtemps qu'il est nécessaire pour arriver au pur et parfait amour de Dieu. Cette facilité à s'entretenir avec Dieu, dépend fort de la manière dont on s'y prend au commencement. Il y en a qui font de ce saint exercice une  étude pénible, et un travail fatiguant. De là il arrive que la peine allant toujours en augmentant, ils tombent dans une grande tristesse, et abandonnent enfin l'Oraison, qui est devenue pour eux un martyre insupportable. L'instruction que nous donnons ici tend à prémunir les âmes contre cet inconvénient, en leur apprenant que dans leurs entretiens avec Dieu, elles peuvent user de cette sainte liberté qui convient à de véritables enfants, et qui n'a rien de contraire au respect qu'on doit à la Majesté divine.
On voit des personnes qui n'avancent point, pour vouloir trop bien faire, et qui faute d'être bien conduites, se gênent cruellement ; de sorte que rien n'est si pénible ni si fatiguant que leur Oraison ; ce qui met un grand obstacle aux opérations de la grâce, et les expose à des tentations très-dangereuses. Le mal vient de ce qu'ayant d'abord été instruites de la méthode ordinaire, qui consiste à préparer le sujet sur lequel on doit méditer, et à le diviser en certains points, elles se bornent scrupuleusement au sujet qu'elles ont choisi, et se renferment dans les points préparés, sans oser jamais en sortir. Elles ressemblent en cela à ces animaux qu'on attache à un pieu, autour duquel ils tournent en se tourmentant, sans pouvoir aller plus loin que leur lien ne peut s'étendre.
Cette gêne qu'elles se donnent leur porte un grand préjudice. Premièrement, elle est une source de distractions. Comme elles se font un devoir de s'occuper uniquement du sujet qu'elles ont préparé, elles n'osent passer du premier point au second, craignant que ce ne soit trop tôt, et qu'il ne reste pas assez de matière pour remplir tout le temps destiné à l'Oraison. Elles comptent tous les quarts-d'heure, elles font mille attentions sur leur état, et se donnent mille soins inutiles qui ne peuvent pas manquer de les distraire.
Secondement, cette attention servile à ne point sortir de leur sujet, leur cause une inquiétude continuelle. Et comme il arrive souvent qu'elles ne trouvent point de goût à ce qu'elles ont préparé, elles tombent dans une aridité qui afflige l'esprit, le dégoûte et le rebute. Ce qui augmente de plus en plus le dégoût et l'inquiétude, c'est que l'Oraison revient tous les jours, qu'on la volt revenir avec une peine toujours nouvelle, et qu'on en redoute les approches ; parce qu'on la regarde comme un temps de souffrance. Il s'agit d'entreprendre un travail pénible et ingrat, pour s'acquitter d'un exercice où l'on ne trouve point de goût. On se propose un point qu'on a préparé ; on l'envisage par différents endroits, et on le promène, pour ainsi dire, dans son esprit, sans y trouver aucune onction. Cependant on n'ose passer outre, de peur que le sujet prévu ne fournisse pas assez de matière pour remplir tout le temps prescrit. C'est pour cette même raison qu'on s'arrête longtemps aux préludes, craignant d'entamer un sujet dont on n'attend qu'aridité.
On ne saurait croire quelle étrange peine c'est pour les âmes de trouver une faim qui les dévore, une soif qui les presse, et un tourment qui les afflige, dans ce qui devrait être leur soulagement et leur nourriture.
Ce sont les Directeurs qui doivent remédier à ce mal, en affranchissant les âmes de cette espèce de servitude, pour les mettre dans la sainte liberté de l'esprit de Dieu. Lorsqu'on s'aperçoit qu'elles commencent à goûter Dieu, et que Notre Seigneur les attire à lui par des attraits de douceur ; il faut les avertir qu'il n'est pas nécessaire qu'elles se bornent au sujet prévu, et qu'elles peuvent suivre sans scrupule l'attrait qui les porte ailleurs. C'est l'avis que donne saint Ignace dans son Livre des Exercices ; et le Père du Pont dans le Chapitre dixième de son Introduction, enseigne la même chose. Il veut que chacun choisisse dans la vie de Notre Seigneur, ou dans quelqu'autre sujet, ce qui est le plus de son goût, et que ce soit là une matière toujours prête, dont il puisse s'occuper à l'Oraison, lorsqu'il ne trouve pas dans les points qu'il a préparés de quoi fournir à l'entretien.
Il est certain en effet que la communication avec Dieu, n'est jamais plus parfaite, que lorsqu'elle va jusqu'à la Familiarité ; et il n'est pas moins vrai que la familiarité bannit la gêne et la contrainte, et qu'elle donne la liberté de se communiquer ses sentiments, sans art et sans méthode. Il suffit à deux amis qui conversent, d'augmenter l'union et la familiarité qui est entr'eux ; et pourvu qu'ils se quittent contents l'un de l'autre, et avec un nouvel empressement à se rejoindre, ils ont tiré de leur conversation le fruit principal qu'ils en attendaient. Il en est de même de l'Oraison, qui est un entretien avec Dieu ; le succès n'en est pas attaché à certaines considérations qu'on se propose d'y faire : il suffit en général qu'on en sorte plus éclairé, plein d'une joie spirituelle, avec un nouveau goût de Dieu, et avec plus d'ardeur pour son service. Si on ne voulait entretenir un ami que sur des sujets prémédités et préparés avec soin, ne serait-ce pas une gêne insupportable, plutôt qu'un entretien familier ? L'amitié permet bien qu'on parle de ses affaires, lorsqu'on en a quelqu'une à traiter : mais elle veut qu'ensuite on se répande en discours aisés et affectueux, selon qu'on en trouve l'occasion, dans la bonté de celui à qui l'on parle.
Nous ne prétendons point par-là blâmer les préceptes et les méthodes ordinaires, qui sont très-utiles pour former les âmes à l'Oraison : nous voulons seulement empêcher cette grande gêne où elles se mettent, en s'attachant trop à ces méthodes ; surtout lorsque le Saint-Esprit les invite par sa grâce à se mettre en liberté, et leur ouvre une voie plus aisée. Quand on se sent attiré à ce doux repos, dans lequel l'action de l'homme semble cesser tout-à-fait, pour faire place à celle de Dieu ; il faut suivre cet attrait sans résistance, et se laisser aller à ce repos, qui est le véritable fruit de l'Oraison, et la porte par où l'on entre dans la familiarité divine. C'est le sentiment commun de tous les Saints, et en particulier de saint Ignace , qui dans ses Constitutions recommande souvent aux Religieux de sa Compagnie la familiarité avec Dieu dans leurs exercices spirituels. Le moyen d'entrer dans cette sainte familiarité, si l'on va à l'Oraison avec un esprit de gêne et de contrainte, résolu de n'écouter Dieu que sur le sujet qu'on a préparé ?
Au reste, cette familiarité que Dieu nous permet d'avoir avec lui, produit deux grands avantages. Le premier est qu'en faisant de l'Oraison un commerce doux et agréable, elle nous rend aisé un exercice qui nous est très-nécessaire. Comme nous sommes obligés de nous approcher souvent de Dieu, rien n'est plus important que de nous mettre en état de pouvoir nous en approcher sans crainte et sans répugnance. Ce n'est pas même assez que l'Oraison soit aisée ; eu égard au pressant besoin que nous en avons, il serait à souhaiter que nous en pussions faire nos délices. L'homme est trop faible, pour faire constamment ce qu'il ne fait pas avec plaisir, et à plus forte raison, ce qu'il ne fait qu'avec beaucoup de peine. On a beau être convaincu de la nécessité de l'Oraison ; lorsqu'elle revient tous les jours, et qu'il faut prendre beaucoup sur soi pour l'entreprendre, on se détermine bientôt à l'abandonner. Que ceux donc qui sont chargés de la conduite des âmes retiennent bien ces avis. Lorsqu'ils voient qu'avec le secours de la méditation ordinaire, elles se sont remplies des vérités divines, et qu'elles sont attirées à cette voie d'Oraison dont nous venons de parler ; il est temps de les mettre en liberté, en leur permettant de suivre les mouvements de leur cœur, et de passer d'un sujet à l'autre dans leurs entretiens avec Dieu : ce qu'on ne peut pas traiter de légèreté et d'inconstance ; parce que c'est par un attrait de la grâce, et par un élancement d'amour qu'on le fait.
Le second avantage qu'on retire de la familiarité avec Dieu, c'est qu'on avance beaucoup en peu de temps, et qu'on acquiert bientôt le don d'Oraison. Cette manière d'agir avec liberté, rend l'âme plus souple et plus docile aux mouvements du Saint-Esprit, qui souffle à la vérité où il veut ; mais qui se plaît surtout à faire servir ses divines impressions à des sujets bien disposés, et à instruire par lui-même ceux en qui une sainte indifférence se trouve jointe avec une bonne volonté.
Tout le soin qu'on doit prendre, c'est de n'admettre aucune pensée qui ne soit propre à entretenir le goût de Dieu et l'union à sa volonté divine : car pourvu que les différentes pensées qui viennent produisent cet effet, il n'importe quelles qu'elles soient. Un joueur de luth, quand son instrument est bien d'accord, peut toucher différentes cordes, qui donnent des sons différents ; et cette diversité contribue à la beauté de l'harmonie, bien loin d'y nuire ; et pourvu que le cœur demeure uni à Dieu, les divers sujets dont on s'occupe, augmentent le fruit de l'Oraison, plutôt que de le diminuer. Il est vrai cependant que cette liberté de passer d'un sujet à l'autre, ne doit pas venir du choix de l'homme, il faut que ce soit Dieu qui l'inspire ; de nous-mêmes, nous devons être portés à nous contenter du sujet que nous nous sommes proposé.
Quant aux distractions auxquelles on est exposé dans cette manière d'Oraison, il ne faut nullement s'en mettre en peine, mais seulement observer ces trois règles. 1. Nulle pensée qui contribue à entretenir la ferveur dans le cœur, et à le porter à Dieu, ne doit être regardée comme une distraction. 2. La fidélité qu'on doit à Dieu, demande qu'on ne donne volontairement aucune entrée aux pensées vaines et profanes, pour ne pas manquer au respect dû à la Majesté divine, et pour ne pas perdre en vain un temps aussi précieux que celui de l'Oraison. 3. Quand on est surpris par la distraction, et qu'on vient à se reconnaître, il ne faut pas s'amuser à faire des réflexions sur son état, ni à former des regrets ; mais il faut se tourner incessamment vers Dieu, comme si l'on n'avait jamais été distrait. Surtout il ne faut pas oublier qu'il n'est point en notre pouvoir de suspendre l'activité de notre esprit, ni d'arrêter les fougues de notre imagination, ni de réprimer tous les vains désirs de notre cœur ; et qu'ainsi rien n'est plus inutile que de se raidir avec effort contre les distractions pour les combattre.



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