dimanche 26 janvier 2020

De la vie parfaite, par le R.-P. Jean-Joseph Surin


Extrait du CATÉCHISME SPIRITUEL DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE, TOME I, Composé par le R. P. J. J. SURIN, de la Compagnie de Jésus :




De la vie parfaite



Qu'est-ce que la vie parfaite ?

C'est celle où l'homme, après avoir beaucoup travaillé à sa perfection, avec les secours ordinaires de la grâce, n'agit plus de son propre mouvement ; mais suit en tout la conduite et le mouvement du Saint-Esprit. On appelle cette vie l'état passif ; parce que l'âme y reçoit des opérations de Dieu, dont elle n'est que le sujet, et qu'elle ne contribue à bien des choses, qui se passent en elle, que par le consentement qu'elle y donne.


Comment est-ce que Dieu opère dans les âmes qui sont dans cet état ?

Il y opère en trois manières ; en les purifiant, en les illuminant, et en les embrasant de son amour.


Comment est-ce qu'il les purifie ?

Par trois sortes de souffrances, dont la première vient d'une terrible impression que la Majesté de Dieu fait sur elles. La seconde, d'une crainte excessive de la Justice divine. La troisième, d'une forte impulsion au mal, Dieu permettant pour un temps que les vices les attaquent, et fassent sur elles de vives impressions.


Comment est-ce que l'impression de la majesté de Dieu tourmente une âme ?

C'est par une représentation de la grandeur de Dieu, si vive, et si terrible, qu'on a peine à le soutenir. C'est ce qui faisait dire à Job : Je ne voudrais point que Dieu combattît contre moi de toute sa force, ni qu'il m'accablât par le poids de sa grandeur. Et dans un autre endroit : J'ai toujours craint Dieu, comme des flots suspendus au-dessus de moi. Cette peine est comme un poids immense sous lequel on se voit continuellement sur le point de succomber.


Comment est-ce que la Justice divine exerce à son tour une âme que Dieu veut purifier ?

En lui imprimant un sentiment de crainte qui ne la quitte jamais. Dans cette disposition, elle s'imagine voir en Dieu un Censeur sévère, qui ne veut point faire de grâce, et qui la reprend durement en toute rencontre, sans lui donner le loisir de respirer. Il semble que le saint homme Job faisait cette terrible expérience, lorsqu'il disait : Jusqu'à quand différerez-vous de m'épargner et de me donner quelque relâche, afin que je puisse un peu respirer. L'âme ainsi pressée par la crainte, tremble sur toutes ses actions ; et comme si Dieu était devenu son ennemi, elle lui dit quelquefois : Pourquoi m'avez-vous mis dans un état contraire à vous ? Il lui semble même en certains temps, que Dieu s'applique à la trouver coupable ; et alors elle lui dit : regardez-vous les choses comme un homme les regarde ; pour vous informer de mes iniquités, et faire une exacte recherche de mon péché ?
Le Démon de son côté travaille à augmenter le trouble où il voit cette âme plongée ; il la remplit de fausses idées, qui tendent à lui persuader que Dieu l'a abandonnée. Dans ce triste état, elle se sent poussée à dire comme Job : Que le jour auquel je suis né, périsse. On vient jusqu'à s'imaginer qu'on est coupable des péchés d'autrui, auxquels on n'a point de part, et on dit à Dieu : Est-ce que vous vous plairiez à m'opprimer par la calomnie ? On ne prend pas garde que le malin esprit mêle ses illusions avec l'opération divine. Et comme si Dieu était l'auteur de l'étrange perplexité où l'on se trouve, on est tenté de lui dire : Vous voulez me consumer par les péchés de ma jeunesse. C'est-à-dire, qu'en certains moments où la tentation est plus violente, le démon profitant de l'accablement où il trouve l'âme, fait tout ce qu'il peut pour lui faire regarder Dieu, non-seulement comme un Juge inexorable, mais encore comme un persécuteur. Témoin ce que dit Job à ses amis : Pourquoi me persécutez-vous comme Dieu ?
Cependant au milieu de ce trouble, Dieu aime l'âme, et il en est aimé ; l'épreuve où il l'a mise, et la tentation qu'il permet, sont un effet de l'amour qu'il a pour elle ; il veut la purifier en l'affligeant ; et (comme s'exprime le bienheureux Jean de la Croix en cette matière) il la purge afflictivement. Il est à croire que Job était dans cette épreuve, et qu'il souffrait de terribles impressions de la part du démon, lorsqu'il disait ce que nous venons de rapporter ; et cela suffirait pour justifier les expressions fortes dont il se sert en parlant à Dieu, quand Dieu lui-même n'aurait pas pris soin de le justifier.


En quoi consiste l'épreuve qui vient de l'impulsion au mal ?

En ce que Dieu permet à Satan de remuer les passions d'une manière aussi vive, que si on était actuellement sujet aux vices auxquels on se sent porté. De sorte que ceux qui sont ainsi éprouvés, ne se reconnaissent pas eux-mêmes, et que se voyant à tout moment sur le point de tomber, ils regardent leur perte comme prochaine.
On ne peut pas comprendre combien grande est cette peine. On sait qu'on a beaucoup aimé Dieu, qu'on a travaillé pour lui plaire, qu'on s'est adonné à la pratique des vertus ; et l'on se voit comme en proie aux vices, et avec aussi peu de goût pour la vertu, que si on ne l'avait jamais pratiquée. Ce n'est pas que Dieu ne donne de puissants secours en cet état ; mais l'entier affranchissement ne vient qu'après le temps que Dieu a marqué. Tandis que l'épreuve dure, on se regarde comme perdu. Et cela par un effet de l'opération du démon, qui empêche une âme de jeter la vue sur ce qui pourrait la consoler, et ne lui permet de penser qu'aux péchés prétendus qu'elle commet.


Comment se peut-il faire qu'une âme soit purifiée par de telles impressions ?

Une comparaison familière le fera comprendre. Quand on veut nettoyer la vaisselle, on commence par la salir davantage ; et cette nouvelle souillure dont on la couvre, sert à la rendre plus belle quelle n'était auparavant. Ainsi en est-il d'une âme que Dieu éprouve, et qu'il veut purifier. Pour la rendre humble, il permet qu'elle soit attaquée par des tentations d'orgueil ; il se sert des impressions d'impureté, que le démon fait sur elle, pour la rendre pure et chaste, et il la laisse en proie aux aversions involontaires, et aux mouvements de la colère, afin qu'elle devienne douce et débonnaire. Ces tentations qui l'humilient, qui la font gémir devant Dieu, et soupirer après le véritable bien, produisent tous ces bons effets.


Ne pouvez-vous pas expliquer en détail comment une âme est purifiée par des impressions qui combattent ce que la grâce a déjà produit de bien en elle ?

Dans cet état pénible, elle fait de plus grands efforts pour recourir à Dieu, pour détester et pour repousser le mal qui la presse ; et c'est ainsi qu'elle se purifie, comme l'or dans la fournaise. Nous lisons dans l'Ecclésiastique : Que sait celui qui n'a point été tenté ? Et saint Pierre exhorte les Fidèles à se réjouir, lorsqu'ils se voient affligés de plusieurs maux ; afin, ajoute-t-il, que votre foi ainsi éprouvée, étant beaucoup plus précieuse que l'or qui est éprouvé par le feu, se trouve digne de louange. C'est ce qui s'accomplit dans les épreuves dont nous parlons. Une âme qui les soutient avec courage, peut dire qu'elle porte la plus pesante de toutes les croix, et qu'elle donne à Dieu de grandes preuves de sa fidélité. Et il arrive enfin que par les efforts qu'elle fait, elle remporte une pleine victoire sur tous ses ennemis, jusqu'à déraciner l'amour-propre, jusqu'à se dépouiller de tout ce qui tient du vieil homme, jusqu'à détruire les restes de la tache originelle, autant que tout cela se peut dans ce lieu de tentation, où la concupiscence n'est jamais entièrement éteinte.
Aussi voyons-nous que les âmes qui ont passé par ces épreuves, sont extrêmement généreuses et pleines d'ardeur pour Dieu ; parce qu'il n'y a presque plus rien d'impur, de charnel, ni de grossier en elles ; le feu de la tribulation y ayant consumé tout ce qui s'opposait à la grâce et à l'amour de Dieu. On n'en vient pas là sans de grandes violences. Dieu qui purifie l'âme dans ces épreuves, n'épargne en rien la nature ; il en fait si bien sentir les misères, que cette seule vue est une peine presqu'insupportable. Quoiqu'on ait aimé Dieu, et qu'on l'aime encore, on ne voit en soi-même qu'opposition à cet amour. Cependant on y tend de toutes ses forces, parce qu'on en comprend toujours mieux la nécessité ; et quoique par tous ses efforts on ne puisse pas en acquérir la perfection, on ne laisse pas de s'y disposer.
On peut comparer cet état à celui des âmes qui souffrent les peines du Purgatoire. Ces âmes soupirent après le souverain bien avec les désirs ineffables ; elles trouvent de grands obstacles, soit du côté de leurs péchés, qui les retiennent, soit du côté de Dieu, dont l'infinie pureté les rejette ; mais ces obstacles augmentent les désirs en s'y opposant, et préparent ces âmes à la possession du bien après lequel elles soupirent. Ainsi en est-il d'une personne que la Justice divine retient dans la fournaise de la tribulation spirituelle : tourmentée de tous côtés, tant par les suggestions et les illusions du démon, que par la vue de sa propre misère, elle livre de rudes combats, elle souffre de cruelles peines ; mais par ces combats et par ces peines, elle se dispose à quitter la vie surnaturelle et terrestre, pour commencer une vie surnaturelle et divine que son époux céleste lui prépare.


Comment est-ce que Dieu illumine l'âme dans la vie parfaite ?

Par l'infusion de la lumière qu'elle reçoit sans y rien contribuer, et en s'y disposant d'une manière qu'on peut appeler passive. Cette illumination se fait quelquefois à la première conversion, et elle vient en un instant avec le premier attrait que Dieu donne. L'âme voit en un moment tout ce qu'elle doit connaître durant toute sa vie ; la grandeur de Dieu, le néant des créatures, la sagesse des conseils évangéliques, toutes les vérités morales ; si bien que tout ce qu'elle connaît dans la suite, soit par la voie de la prédication, soit par la lecture des bons Livres, soit par les instructions du Père spirituel et du Directeur, n'est que comme une réminiscence de ce qu'elle a découvert à la faveur du premier rayon de la lumière divine.
Quelquefois aussi le S. Esprit n'éclaire l'âme que successivement et comme par degrés ; et alors il prend occasion de tout ce qui se présente à elle, des animaux, des arbres, des fleurs, et des autres créatures, pour lui apprendre de grandes vérités, et pour l'instruire secrètement de ce qu'elle doit faire pour son service.


Dieu n'a-t-il point d'autres manières d'illuminer les âmes dans cette voie parfaite et surnaturelle ?

La vue de ce qui se passe en elles-mêmes, contribue aussi beaucoup à les éclairer ; Dieu leur faisant voir les choses dans leur intérieur comme dans un miroir. Ces connaissances sont d'autant plus sûres, qu'elles sont expérimentales, et fondées sur le sentiment de leur misère, qui les instruit efficacement, et d'une manière pratique, des secrets et des opérations de la grâce, non-seulement pour leur propre conduite, mais encore pour la conduite des autres. Ceux qu'elles instruisent, ou qui s'adressent à elles pour prendre conseil, sont surpris de les voir pénétrer dans leur intérieur, discerner avec facilité les mouvements de la nature d'avec ceux de la grâce, et découvrir tout ce qui se passe dans leur cœur.
Cette grande lumière est un effet de l'épreuve qui a précédé, et qui a purifié jusqu'au fond de l'âme ; car il faut que cette parole s'accomplisse : les ténèbres se changent en lumière (Ps. 138). Et cette autre encore : l'affliction donne l'intelligence pour comprendre, et la sagesse pour conduire et pour conseiller. Une âme qui a puisé dans cette source, est véritablement éclairée et savante dans les voies de Dieu. Si elle s'applique à la lecture des Prophètes, des Psaumes ou de l'Évangile, elle comprendra sans peine les vérités les plus cachées, soit spéculatives, soit pratiques : elle y découvrira de grands sens, que la plupart des hommes n'aperçoivent pas. C'est ce qu'a remarqué l'Auteur du Livre de l'Imitation de Jésus : qu'une âme humble, instruite par la tribulation, découvre en un moment plus de vérités qu'elle n'en eût appris pendant plusieurs années, qu'elle aurait passé dans les Écoles. Et il n'est pas nécessaire qu'une âme conduite par cette voie, fasse des efforts pour chercher la lumière dont elle a besoin ; il faut qu'elle se tienne en repos ; elle sera toujours plus capable de voir ce qui lui convient, lorsqu'elle se conservera dans la paix ; et son Époux céleste sera toujours plus disposé à l'éclairer, et à lui suggérer les expédients dans les rencontres difficiles, lorsqu'il la trouvera dans une assiette tranquille, que si elle se donnait de grands mouvements.
C'est le propre de l'Esprit de Dieu, de donner aux âmes humbles, des lumières sûres pour se déterminer promptement dans les occasions épineuses, et de leur communiquer la sagesse pour triompher des vaines subtilités, et des artifices des prudents du siècle ; comme il a paru en Jésus-Christ, le chef de tous les Saints. Les Pharisiens lui faisaient souvent des questions captieuses pour l'embarrasser, et ils étaient toujours embarrassés eux-mêmes par les réponses qu'il leur faisait. C'est pour cela qu'il est dit dans la Sagesse, que l'Esprit de Dieu est subtil, pour percer le vide de la sagesse mondaine, et pour la forcer dans les détours qu'elle a coutume de prendre. Quand J. C. n'aurait pas dit : Je vous donnerai des paroles et une sagesse, à quoi tous vos ennemis ne pourront résister ni rien opposer ; l'expérience nous apprend que la prudence du siècle est toujours déconcertée en présence des serviteurs de Dieu. L'Esprit saint communique aussi par le don de science, de grandes lumières sur les choses naturelles, et encore plus, sur celles qui sont au-dessus de la nature. D'où il arrive quelquefois, que des personnes sans talents et sans étude pénètrent les choses divines, et raisonnent juste sur des matières, qui sont du ressort de la Théologie, et qui passent la capacité du commun des hommes. Ces personnes sont aussi fort éclairées sur tout ce qui appartient à la Foi : elles ont des notions très-nettes et très vraies de la nature de Dieu, de la sainte Trinité, de l'Incarnation, des Sacrements, de l'économie de la grâce : elles sont en état de rendre raison des principaux Mystères de la Religion Chrétienne.


Combien y a-t-il de sortes de lumières dans cette voie surnaturelle et parfaite dont nous parlons ?

Il y en a deux : l'une distincte, découvre des vérités particulières, et instruit sur des sujets distincts, tant de spéculation, que de pratique : l'autre indistincte, générale et confuse ne découvre d'abord rien de particulier à l'âme ; mais la remplit d'une idée générale de Dieu, accompagnée d'un goût amoureux de sa bonté ; ce qui produit la paix et le calme dans les puissances. Il est vrai pourtant que cette idée générale renferme en soi les connaissances particulières et les vérités distinctes qui ne manquent point de se développer et de se produire lorsqu'on en a besoin : voici comment cela se passe.
Il arrive souvent que l'âme dans son oraison, est remplie d'une lumière céleste, qui ne lui donne aucune idée particulière de quoi que ce soit : elle ne sait ce qu'elle connaît ; tout ce qu'elle peut assurer, c'est qu'elle adore Dieu, pour ainsi dire, au plus haut de son esprit ; qu'elle se sent pleine de force, de recueillement et de lumière. Mais ensuite dans la pratique elle est merveilleusement aidée par la vertu de cette lumière tranquille, qu'elle a reçue dans son oraison : les connaissances distinctes viennent à propos à son secours ; par exemple lorsqu'il s'agit de parler de Dieu, elle tire ses pensées comme d'un Trésor. Ce Trésor n'est autre que cette lumière confuse, qui semblait n'être rien dans le temps qu'elle était communiquée, et qui se trouve ensuite être tout ; parce qu'elle tient au principe universel, c'est-à-dire à la source où l'on puise toute sorte de bien.


N'est-il pas à craindre que cette sorte d'oraison ne soit une pure oisiveté ?

Nullement ; car quoique l'âme dans le saint repos dont elle jouit, semble ne point agir, les effets qui s'ensuivent, font assez voir qu'elle est dignement occupée. Et sans recourir aux effets, on ne peut pas appeler oisiveté, une douce attention de l'esprit, qui contemple un objet excellent dont il est plein, et qui écoute en silence les paroles intérieures qu'on lui dit. Ce serait porter un grand préjudice à une âme, que de l'obligera quitter ce repos, pour faire des opérations distinctes, beaucoup inférieures à cette simple vue, qui cause le repos dont l'âme jouit, et qui la tient attachée au bien immuable dont elle se repaît.


L'âme qui est dans cette oraison, connait-elle le bien qu'elle possède ?

Il arrive souvent qu'elle ne le connaît pas ; la lumière dont elle est remplie étant si subtile et si déliée, qu'elle ne se laisse point apercevoir. C'est pour cela qu'elle croit les personnes qui ont des connaissances distinctes, mieux partagées qu'elle, parce qu'elles peuvent dire ce qu'elles connaissent. Les effets qu'elle éprouve hors de l'oraison, pourraient bien lui faire comprendre l'élévation de son état, mais elle ne sait que penser de ces effets, et ne s'avise point de les rapporter à son Oraison de repos. C'est au Directeur à connaître le Trésor que cette âme possède ; et quand il le connaît, à ne point traverser les desseins de la grâce, par une conduite contraire à celle de l'Esprit de Dieu.


Comment est-ce que Dieu embrase les âmes de son amour, dans cette vie parfaite ?

En leur découvrant au fond de leur cœur, sa bonté, ses divins attributs, et son essence même ; non par la vision, qui est réservée pour la vie future ; mais par des notions si claires et si distinctes, qu'elles allument dans ces âmes un brasier ardent, par lequel elles ont du plaisir à être consumées. Leur Époux céleste de son côté prend plaisir à leur étaler ses beautés et ses richesses, c'est-à-dire, ses perfections infinies ; leur découvrant successivement, et comme par degrés, sa puissance, son immensité, sa douceur, sa majesté , et les autres grandeurs de son être incompréhensible : ce qui les charme, les ravit, et les embrase de telle sorte, qu'elles en sont presque réduites à une défaillance continuelle. C'est par ces impressions fortes et pénétrantes, que Dieu instruit à fond les âmes, et qu'il grave ses enseignements, pour ainsi dire, dans leur substance : et alors elles savent les choses, non pour les avoir ouï dire, mais comme les ayant expérimentées, et comme ayant goûté et vu par elles-mêmes, combien le Seigneur est doux.
Ces opérations de la grâce conduisent quelquefois à une continuelle expérience de la bonté de Dieu, et à une jouissance perpétuelle de ses faveurs et de ses richesses. Et c'est cet état que les Saints ont communément appelé les Noces spirituelles, parce que l'âme y jouit sans cesse dans son intérieur, de la possession de son Époux. Mais elle n'en jouit pas toujours de la même manière. Quelquefois elle le possède en paix, et dans un doux repos ; sentant au-dedans d'elle-même comme un feu lent, qui la consume, et qui est merveilleusement entretenu par l'onction d'une douceur céleste. Quelquefois aussi Dieu se communique à elle par des ardeurs soudaines : la vue de quelqu'une de ses perfections, qu'il lui découvre, l'embrase plus promptement, qu'une étincelle n'enflamme la poudre, lorsqu'elle tombe dessus. Elle reçoit aussi des visites auxquelles elle ne s'attendait pas ; son Époux céleste se plaisant quelquefois à la prendre, pour ainsi dire, au dépourvu. C'est dans ce sacré commerce et dans ces intimes communications, qu'elle passe heureusement sa vie.
Nous lisons en plusieurs endroits de l'Écriture, des paroles qui désignent ce commerce sacré. Il est dit dans l'Apocalypse : si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la porte, j'entrerai chez lui, et je souperai avec lui, et lui avec moi. J. C. nous marque encore mieux cette étonnante familiarité dont il use envers celui qui l'aime, lorsqu'il dit : je me ferai connaître à lui. Et dans le même endroit, parlant au nom de son Père Céleste , il ajoute : Nous le visiterons, et nous établirons notre demeure en lui. Telles sont les faveurs que Dieu accorde à une âme qu'il embrase de son amour, lorsqu'il veut l'élever à la qualité de son Épouse. Il est visible que l'âme dans cette admirable commerce reçoit plus qu'elle ne met, et qu'on a raison de l'appeler passive.


N'y a-t-il point d'autre manière par laquelle Dieu allume son amour dans les âmes ?

Il le fait encore par la vue des créatures, qui, leur prêchant les grandeurs divines, sont comme autant de charbons ardents ajoutés au brasier qu'elles portent au dedans d'elles-mêmes. Il leur fait voir dans une fleur, dans un petit insecte, les trésors de sa sagesse et de sa bonté ; et il n'en faut pas davantage pour causer un nouvel incendie. Dieu se sert aussi quelquefois de paroles saintes, pour exciter la flamme qui est dans leur intérieur.


Quelles sont les qualités de cet amour, dont rame est remplie en cet heureux état ?

Il y en a trois principales. 1. Il est universel ; en ce qu'il remplit toutes les facultés spirituelles avec une telle abondance, qu'il rejaillit sur le corps, et y fait un changement si grand, qu'à peine se connaît-on soi-même. 2. Il est délicieux ; parce que c'est la récompense des épreuves et des pénitences passées. Ces délices consistent dans un goût délicat et permanent de la sagesse et de la suavité de Dieu. 3. Il est continuel ; en ce que l'âme ne perd point de vue le bien qu'elle possède ; qu'elle l'aime presque sans interruption, trouvant toujours dans l'Onction céleste dont elle est remplie, de quoi entretenir sa flamme : jusque-là, que le sommeil ne suspend pas toujours les communications que certaines âmes ont avec Dieu.


Ces insignes faveurs ne s'accordent-elles qu'aux âmes qui sont dans la vie parfaite ?

Dieu qui est le maître de ces faveurs, les distribue comme il lui plait, et il les donne quelquefois aux commençants en assez grande abondance, avec cette différence pourtant, que ce ne sont alors que des grâces qui n'empêchent pas ceux qui les reçoivent de revenir à leur première faiblesse. Mais lorsqu'une fois on a passé par les épreuves dont nous venons de parler, ces grâces deviennent presque continuelles ; elles forment un état permanent, et sont un avant-goût du Paradis pour les personnes qui en sont favorisées.


Comment doit se comporter une âme qui est parvenue à cet état ?

Comme c'est là un état où Dieu agit plus en l'âme, qu'elle n'agit elle-même, il faut que dans le temps des faveurs, aussi bien que dans celui de l'épreuve, elle prenne un soin particulier, 1. de s'éloigner non-seulement de tout péché, mais encore des moindres défauts, des imperfections les plus légères, et de toute sorte de satisfaction naturelle : 2. de ne détourner jamais son attention de Dieu, pour être toujours en état de recevoir de lui le secours dont elle a besoin. Pourvu qu'elle use de cette précaution, elle peut se décharger de tous ses autres soins, et ne point se gêner à suivre les pratiques ordinaires et méthodiques de vertu, parce qu'elle a ensoi un secours toujours présent qui vaut mieux que toutes ses industries ; sans préjudice pourtant de l'exactitude nécessaire à tout chrétien pour remplir ses obligations et les devoirs de son état ; exactitude qui ne coûte guère aux personnes dont nous parlons, en qui Dieu opère beaucoup.


Quelles sont les vertus qui conviennent à cette vie parfaite ?

Particulièrement trois : Une humilité profonde, une grande simplicité, et une charité bienfaisante à l'égard de tout le monde. Les âmes de cette élévation ont ordinairement en partage une douceur charmante, qui est l'effet de l'onction que Dieu répand en elles avec sa grâce, et du désir qu'elles ont d'imiter celui qui a dit : Apprenez de moi, que je suis doux et humble de cœur.


Par quels moyens peut-on arriver à cet état de perfection ?

Par trois excellentes pratiques, sans lesquelles on ne saurait être consommé en vertu. La première est de s'occuper de ce qu'il y a de plus excellent et de plus parfait, d'entreprendre de grandes choses, de ne point les faire paraître sans nécessité, et de conduire en secret et en silence le bien que l'on fait. La seconde est de se destiner à la souffrance, la regardant comme un trésor, et de s'attacher à la croix, jusqu'à l'épouser, pour ainsi dire. La troisième est de donner toute son attention au souverain bien, et de réunir toutes ses forces pour l'envisager. Avoir toujours Dieu présent, s'affectionner à son service, et ne laisser jamais ralentir le désir de lui plaire ; voilà le seul soin nécessaire. C'est de cette disposition intérieure que nous devons tirer toute notre force pour le détail des fonctions et des occupations de la vie. L'Auteur du Livre de l'Imitation de J. C. ne recommande rien tant que cette pratique ; il veut qu'on n'envisage que Dieu en tout, qu'on rapporte tout à Dieu, et qu'on voie toutes choses en Dieu, sans quoi on ne saurait être ferme dans ses résolutions, ni jouir d'une paix constante.
L'état que nous décrivons dans ce chapitre est fort relevé, et nous sommes trop faibles pour y arriver avec les efforts d'une application ordinaire. Mais si nous tournons toute notre attention du côté de Dieu, nous nous établirons dans un parfait recueillement, par le moyen duquel nous surmonterons tous les obstacles à la grâce, qui seule peut nous conduire à cette sublime perfection. Il s'agit donc d'empêcher qu'il ne se fasse aucune diversion de nos forces intérieures, en vaquant aux choses du dehors, sans nous en occuper au dedans, et en renonçant à tout autre soin qu'à celui de plaire à Dieu, afin que J. C. n'ait pas sujet de nous faire le reproche qu'il fit à Marthe : Vous vous inquiétez, et vous vous embarrassez de plusieurs choses.


A quelle industrie en particulier peut-on avoir recours, pour venir à bout d'une entreprise si difficile ?

Il faut avoir grand soin de conserver la paix intérieure, qui est le mobile et comme l'âme de tout ce grand ouvrage ; ce qui ne peut se faire que par une application assidue et invariable à prévenir les moindres mouvements qui peuvent altérer la tranquillité du cœur, et ; à les étouffer, quand on n'a pas pu les prévenir. Il faut éviter avec un soin égal de se mêler des affaires d'autrui. Par une telle conduite, on prépare son âme à servir de demeure à l'Époux céleste, dont il est dit, qu'il a choisi un lieu de paix pour son séjour.



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