samedi 15 février 2020

De l'Oraison qui convient à la voie extraordinaire, et Avis nécessaires à ceux qui sont dans cette voie, par le R.-P Jean-Joseph Surin


Extrait du CATÉCHISME SPIRITUEL DE LA PERFECTION CHRÉTIENNE, TOME I, Composé par le R. P. J. J. SURIN, de la Compagnie de Jésus :




De l'Oraison qui convient à la voie extraordinaire



Quelle est l'Oraison propre de cette voie ?

C'est la contemplation.


Qu'est-ce que la contemplation ?

Nous l'avons expliqué ailleurs en détail par rapport à l'état dont nous parlons, il suffit de dire que c'est un don de Dieu qui nous facilite l'entretien que nous avons avec lui. Cette facilité est en effet le grand moyen de réussir dans ce saint exercice, qui sans cela serait très-pénible.


N'y a-t-il pas plus d'une sorte de contemplation ?

Il y en a de trois sortes, qui répondent aux trois différons degrés que nous avons distingués dans le chapitre précédent.


Quelle est la première sorte de contemplation ?

C'est un doux repos au milieu duquel l'âme envisage Dieu avec amour, et jouit tranquillement de sa présence, usant peu du raisonnement, et n'employant presque point son industrie; mais suivant l'attrait de la grâce, et se laissant conduire au mouvement du Saint-Esprit, qui lui donne une sainte liberté de s'entretenir familièrement avec Dieu.


Quelle est la seconde sorte de contemplation ?

C'est lorsque l'âme ayant perdu la facilité à se servir de ses puissances, de vient comme immobile dans son repos ; c'est ce qu'on appelle Oraison de silence, parce que l'âme y reçoit l'inspiration divine sans faire autre chose que d'écouter ce qui est dit à son cœur.


Quelle est la troisième sorte de contemplation ?

C'est celle où l'âme ayant recouvré la facilité à se servir de ses puissances, mais d'une manière plus relevée et plus parfaite, reçoit de la part de Dieu des lumières et des impressions claires et distinctes. Voici ce qu'on peut dire de ces trois degrés de contemplation. Dans le premier, la grâce qui remplit l'âme, et qui l'établit dans un grand calme, la meut doucement vers Dieu, afin qu'elle lui parle, qu'elle s'offre à lui, qu'elle lui fasse ses demandes, etc. Dans le second degré, les puissances sont comme liées, et n'ont aucune facilité à produire des actes : l'opération de la grâce pénètre l'âme, et l'attache à Dieu par un regard simple, avec une idée générale et confuse, et sans connaissance distincte. C'est comme une forte impression de la présence du Saint-Esprit qui fixe l'âme, et qui la rend comme immobile. L'âme dans cette espèce d'immobilité éprouve des effets différents. Quelquefois elle se sent pressée, et souffre d'étranges peines qui marquent une opération plus noble dans laquelle elle se purifie, et se dispose à une grande perfection. Quelquefois aussi elle ne sent que douceur et consolation. Dans le troisième degré, l'âme a des notions particulières et des connaissances distinctes qui sont l'effet d'une communication plus intime et mieux marquée arec son Époux céleste.


Quels avis sont nécessaires aux âmes favorisées de cette manière d'Oraison ?

Il y en a trois principaux. Le premier est de se conduire avec grande simplicité, sans raisonner sur leur état, ni s'informer si leur oraison est extraordinaire et sublime, ou si elle est commune et ordinaire, parce que telles réflexions nuisent beaucoup, et retardent l'exécution des desseins de Dieu. Leur unique soin doit être de se laisser conduire à Notre-Seigneur, lui parlant familièrement, ou se tenant en silence devant lui selon l'attrait présent qu'il leur donne.


Quel est le second avis ?

C'est de se donner bien de garde, lorsqu'elles sont en oraison, de troubler par leur activité le repos dont elles jouissent ; ce serait interrompre l'ouvrage du Saint-Esprit, au lieu qu'elles doivent être souples à ses impressions.


Quel est le troisième ?

C'est de prendre garde qu'en voulant éviter un défaut elles ne tombent dans un autre, qui serait l'oisiveté. Le don de contemplation n'est pas tellement permanent, que Dieu ne le retire quelquefois pour éprouver les âmes saintes, et alors elles doivent employer leur industrie pour ne pas donner entrée aux illusions de Satan, à la vanité, et à l'amour-propre ; comme il arrive à quelques personnes, lorsque sous prétexte de ne point troubler leur repos, et de laisser agir le S. Esprit, elles demeurent dans l'inaction, et laissent agir la nature et le démon.


Par quels moyens une âme peut-elle arriver à ce degré d'Oraison ?

Nous l'avons déjà dit ; l'homme ne peut pas y arriver par son industrie ; mais il peut prendre certains moyens pour s'y disposer. Le premier est un soin constant et assidu de se vaincre soi-même, et de se mortifier en toutes choses. Le second est une attention continuelle à éviter les égarements des sens pour suivre l'attrait de la grâce, qui porte au recueillement. Le troisième est d'accoutumer l'esprit à n'envisager en toutes choses que le bien universel ; et autant que la prudence le permet, de ne point considérer les différences particulières des objets qui se présentent. Par exemple, dans les repas user des viandes qui conviennent à la nourriture, sans regarder si elles sont bien ou mal apprêtées, ou si elles sont servies à propos ; en faisant voyage, ne pas s'arrêter à considérer dans les ouvrages de l'art et de la nature qu'on rencontre sur son chemin, ce qu'ils ont de singulier, de rare et de curieux qui les distingue, mais se comporter en voyageur qui pense au terme, et qui ne voit les choses qu'en gros et en passant. Il faut en user ainsi dans les autres rencontres de la vie, s'attacher toujours aux motifs généraux qui sont les plus relevés, et prendre garde que les vues particulières et les idées distinctes ne fassent trop d'impressions sur l'esprit et sur le cœur. Mais ce n'est pas en donnant à son esprit une élévation forcée qu'on peut réussir dans ce saint exercice ; il faut s'y prendre avec douceur, en s'accoutumant peu à peu à détourner son attention des biens terrestres, pour la donner aux choses de Dieu.


Ne serait-il pas plus utile et plus méritoire aux personnes d'Oraison, de produire des actes marqués, que de demeurer dans le repos de la contemplation, où il n'y a rien de précis, et de distinct ?

Quoique l'âme dans le repos de la contemplation, paraisse ne rien faire, et que souvent même elle ne s'aperçoive pas de son action ; elle y fait pourtant beaucoup. Tous les actes distincts qu'elle pourrait produire par son industrie aidée de la grâce, quoique très-agréables à Dieu, n'approcheraient pas de l'excellence et du mérite de ce saint repos, qui est un don du Saint-Esprit. Ce n'est à la vérité qu'une vue très-simple, jointe à une humble disposition d'un cœur attaché, soumis à Dieu, et anéanti en sa présence ; mais c'est justement cette vue simple de l'esprit, et cette humble disposition du cœur, qui semblent ne rien exprimer, et qui sont pourtant capables de tout obtenir de Dieu. C'est ce que Notre-Seigneur a fait connaître plus d'une fois à sainte Gertrude lorsqu'en lui accordant des grâces dont elle ne croyait pas avoir formé la demande, il l'assurait qu'elle les avait suffisamment demandées, quoiqu'elles ne les eût pas prévues distinctement. Aussi est-il certain que cette idée générale de Dieu, laquelle est communiquée aux âmes humbles dans la contemplation, leur domine comme par infusion une lumière qui renferme la connaissance de beaucoup de vérités, dont elles sont véritablement instruites, quoiqu'elles ne s'en aperçoivent qu'à mesure que cette connaissance se développe dans les occasions où elles ont besoin d'être éclairées. C'est ainsi que l'explique saint Denis, et il ajoute que c'est l'Oraison propre de plusieurs Saints. Et voilà pourquoi la contemplation est beaucoup plus excellente que l'Oraison commune, parce que les divers actes qui composent celle-ci sont d'un ordre fort inférieur au saint repos où le Saint-Esprit met une âme.
Il ne faut pas conclure de là, que les personnes que Dieu appelle à cette sorte d'Oraison, puissent se préférer aux autres, parce qu'elles sont dans un état plus relevé : elles ne doivent envisager que la volonté de Dieu dans une si grande faveur ; et s'il leur était permis de choisir, c'est la voie la plus commune qu'elles devraient préférer. Elles doivent être persuadées que ceux qui suivent avec simplicité le train commun de la piété chrétienne, et qui pratiquent l'Oraison ordinaire, leur sont préférables s'ils sont plus humbles qu'elles. Et en effet leur humilité les éleva bien plus que le plus haut degré de la contemplation la plus sublime. Les dons extraordinaires de Dieu, sont des secours pour avancer dans la vertu ; il faut les recevoir comme tels, et surtout se bien donner de gardé d'y chercher sa propre satisfaction.


À quoi peut-on comparer le repos de la contemplation pour en faire comprendre l'excellence ?

On peut le comparer à une pièce d'or dont la valeur renferme éminemment, et surpasse même celle de plusieurs deniers : ce repos paraît n'être qu'un seul acte, et encore fort confus et peu sensible ; et il est vrai pourtant que plusieurs actes très-distincts et très marqués ne le valent pas.


Sur quoi est fondé ce que vous dites du repos de la contemplation ?

Sur l'autorité des Saints qui l'ont expérimenté, et qui en ont fait mention en divers endroits de leurs ouvrages. Saint Bernard, saint Bonaventure, Hugues et Richard de saint Victor, et le saint évêque de Genève, ont souvent parlé de ce repos. Ce dernier en particulier a dit dans quelqu'endroit de ses écrits, qu'il voulait demeurer en la présence de Dieu sans pensée, et sans aucun acte ni d'entendement, ni de volonté. Ce n'est pas qu'il voulût être oisif dans son Oraison ; mais c'est qu'il voulait nous faire comprendre la douceur et l'excellence du repos dont il jouissait.


Que peut-on conseiller aux personnes qui ne sachant pas s'entretenir avec Dieu, par raisonnement et par réflexion, se voyait par là hors d'état d'user de la méditation, qui est l'oraison ordinaire ?

Si ces personnes trouvent accès à ce doux repos dont nous venons de parler, il leur faut conseiller de s'y arrêter. Il y a toujours certaines vérités connues pour lesquelles on a du goût, comme sont celles dont le Livre de l'Imitation de Jésus-Christ est plein. Il y a des Mystères de la Religion dont on se souvient toujours avec plaisir, et dont le seul souvenir touche : Ceux qui ne peuvent pas méditer doivent recourir à ces vérités et à ces Mystères, s'occuper du goût qu'ils y trouvent, et pour ainsi dire, s'en rassasier dans l'oraison, et ne point se faire un scrupule d'abandonner le sujet de la méditation qu'ils s'étaient proposé.
Ce conseil est du P. Louis Dupont, dans son Introduction : il approuve encore cette conduite lorsqu'il parle avec éloge du repos de la contemplation, dans la vie du P. Balthazard Alvarez, qu'il a écrite. On raconte du B. Louis de Gonzague, qu'il s'entretenait un jour de sa manière d'oraison avec le Cardinal Bellarmin son Directeur, et que ce saint et ce savant homme après l'avoir ouï, lui dit qu'il entrait dans l'obscurité divine ; in divinam caliginem, désignant par ces paroles l'idée générale et indistincte. Il ajoute que cette manière de prier ne l'éloignait point de l'esprit de sa Vocation, et qu'il n'en serait pas moins propre à procurer le salut du prochain.
Sainte Thérèse dit dans sa vie, qu'elle a écrite elle-même, que son oraison se passait en silence ; ce qui ayant donné lieu à plusieurs personnes de soupçonner qu'il y avait de l'illusion, elle consulta le P. Borgia, et que ce grand homme (alors Jésuite, auparavant Duc de Gandie, et depuis mis au nombre des Saints,) l'assura que c'était là une opération de Dieu ; qu'elle n'était point dans l'illusion, et qu'il était lui-même dans la même voie d'oraison.


D'où vient donc que saint Ignace dans son Livre des Exercices assigne des sujets de méditation, plus propres à exercer les puissances de l'âme, qu'à les conduire au repos de la contemplation ?

Il en a usé ainsi fort sagement pour s'accommoder à la portée du commun des hommes ; cette manière de prier étant la voie ordinaire qui convient au grand nombre, et la plus propre à accoutumer les esprits à l'exercice de l'oraison. Mais le même Saint veut qu'on revienne aux mêmes sujets sur lesquels on a déjà médité, et que ces sortes de répétitions se fassent par le goût des Mystères et des vertus; et il y ajoute, ce qu'il appelle l'application des sens, qui est une véritable contemplation. Aussi voyons-nous que tous les Saints de son Ordre, dont les sentiments sont venus jusqu'à nous, ont suivi la manière de faire oraison dont nous parlons dans ce Chapitre, et que les Docteurs du même Ordre, comme Suarez, Alvarez de Paz, et plusieurs autres l'ont approuvée, et ont jugé qu'elle n'avait rien que de conforme à l'esprit de leur Vocation. Le P. Claude Aquaviva, Général de la même Compagnie, rend le même témoignage dans une de ses Lettres adressée à tous les Sujets de cette Compagnie. Suarez ajoute que le Sermon du Prédicateur est un acte de contemplatif.
Tous ces docteurs disent que la contemplation consiste dans un doux repos et dans un simple regard, c'est-à-dire, comme nous le lisons nous-mêmes, dans une notion très-simple du souverain bien. Et en effet, Dieu qui est infiniment parfait, parce qu'il est parfaitement simple, ne donne pas lieu à la multiplicité des connaissances. Saint François passa toute une nuit en entretien avec Dieu, disant toujours la même parole, qui ne pouvait produire que la même idée. Sainte Thérèse expliquant la manière de son oraison à S. François de Borgia, lui disait qu'elle était devant Dieu sans pensée.
Ces sentiments et ces expériences des Saints, prouvent que le repos dont nous parlons, qui consiste en un simple regard, leur est fort ordinaire, et que c'est le moyen le plus efficace dont Dieu se sert pour les unir à lui. Il arrive bien quelquefois, lorsqu'on est en contemplation, que Dieu suggère à l'âme des paroles qu'elle lui adresse, et qu'il lui fait produire divers actes et connaître diverses choses : mais c'est sans troubler son repos, qui fait le fond de son oraison, et qui est comme un doux sommeil, par lequel l'esprit est fixé en Dieu. Au reste, cette manière de prier ne convient pas tellement à la vie contemplative, qu'elle ne soit souvent le partage de ceux qui s'adonnent à la vie active. Dieu se plaît à en favoriser les simples et les ignorants. Les savants qui y parviennent la préfèrent à leurs raisonnements ; ils la regardent comme le terme de leurs désirs, et un bien mille fois plus grand que tout ce qu'ils pourraient acquérir par leur industrie.


Comment l'âme qui est dans le saint repos, peut-elle être sans action, puisque Dieu lui parle, et que sa parole est si pénétrante et si efficace ?

C'est parce que dans la contemplation Dieu parle au milieu d'une paix intime et profonde, et que pour dire beaucoup, il n'a pas besoin de recourir au bruit et à la multitude des paroles. C'est ce souffle d'un petit vent ou Élie dit qu'était le Seigneur, pour se faire entendre à lui. Lorsqu'on entend ce souffle divin, on éprouve la vérité de ce qu'a dit l'Auteur du Livre de l'Imitation de J. C. : Celui à qui le Verbe Éternel parle, est bientôt au-dessus des vaines opinions des hommes, et on s'écrie avec le même Auteur : Que tous les savants se taisent en votre présence, ô mon Dieu, parlez-moi vous seul. L'âme de son côté dit beaucoup, sans beaucoup parler, ou plutôt, c'est son silence qui parle, et qui dit à Dieu toutes choses. Au reste ce serait une erreur de croire que le repos de la contemplation exclue toute action de l'âme ; ce n'est que les opérations discursives, et les actes marqués qui sont supprimés, pour faire place à des actes si simples, si subtils et si imperceptibles, que l'âme même souvent ne les sent pas, quoiqu'en effet elle les produise.


Puisque le repos de la contemplation amortit la vivacité de la nature, en faisant cesser ses opérations, n est-il pas à craindre qu'il n'amortisse aussi la vigueur de l'âme, et que les personnes habituées à ce repos, ne soient pas moins propres à l'action et aux fonctions de leur charge ?

Il arrive au contraire que l'âme en devient plus forte et plus courageuse, et que plus la paix dont elle jouit au-dedans est grande, plus son action est ardente et vigoureuse au-dehors. On remarque que les Saints accoutumés à la contemplation, ont plus travaillé au-dehors pour la gloire de Dieu, que les autres, qui n'ont pas été favorisés de ce don. On raconte de saint Xavier, que dans un de ses voyages sur mer, étant sorti du vaisseau avec plusieurs autres, quand il fallut se rembarquer, il fut trouvé hors de lui même, absorbé dans la contemplation ; c'est dans ce doux repos qu'il prenait de nouvelles forces, pour se soutenir dans ses travaux. Et cela est aisé à comprendre ; ce repos étant fondé sur l'amour, dont il est l'effet et la cause tout ensemble ; plus il est grand, plus il y a d'amour ; et à mesure que l'amour de Dieu augmente, le zèle de sa gloire et le désir de s'employer à son service augmentent aussi. Il semble même que ce repos convienne particulièrement à ceux qui travaillent beaucoup pour Dieu ; c'est pour eux comme un port tranquille, où ils se délassent de leurs fatigues ; et on peut leur appliquer ces paroles de l'Apocalypse : Dès maintenant, dit l'Esprit, ils se reposeront de leurs travaux. C'est là que dans une douce mort, ils oublient toutes les choses de la terre, et participent au bonheur de ceux dont il est écrit : Heureux sont les morts qui demeurent dans le Seigneur.


Qui sont ceux qui peuvent prétendre à ce doux repos ?

Nous avons déjà remarqué plus d'une fois, qu'il n'y a point de méthode pour y parvenir : c'est ordinairement la récompense des travaux passés. Souvent aussi Dieu le donne dès le commence ment à ceux qui ont le cœur droit, et qui, à beaucoup de candeur, joignent une grande humilité. L'homme de son côté peut s'y disposer par la droiture d'intention, par un soin continuel de chercher Dieu en toutes choses, et par un grand détachement des biens et des plaisirs de la vie. Ce qui est certain, c'est que la contemplation étant la véritable sagesse, elle ne saurait se trouver dans la région de ceux qui vivent dans les délices (Job).


Avis nécessaires à ceux qui sont dans la voie
extraordinaire, ou surnaturelle



Quels avis faut-il donner aux personnes qui marchent dans la voie que nous venons de décrire dans les deux Chapitres précédents ?

Ces avis sont différents, selon les différents degrés que nous avons distingués dans cette voie.


Quels sont les avis nécessaires à ceux qui sont dans le premier degré, où l'âme attirée au saint repos, a la facilité de se servir de ses puissances, pour suivre les mouvements que lui donne le Saint-Esprit ?

Voici les deux plus important. Le premier est qu'on ne doit point se détourner de cette voie de repos, ni rien faire qui en puisse troubler la douceur. Agir de son propre mouvement, et multiplier ses pratiques, ce serait s'embrouiller : il n'y a qu'à recevoir et à suivre les mouvements de la grâce. Cet avis est d'autant plus nécessaire aux personnes qui marchent dans cette voie, qu'elles ont ordinairement beaucoup de contradictions à soutenir de la part de bien des gens, et même de quelques Directeurs, qui traitent leur état d'illusion et de pure oisiveté. C'est pour cela qu'il ne faut jamais oublier ce que nous avons déjà solidement établi : Que le simple regard de la contemplation, est préférable à la multitude des actes, et à tout ce qu'on pourrait faire par son industrie ; que ce n'est pas seulement une oraison très-relevée, mais encore une excellente règle de conduite, à cause de la lumière divine qui accompagne toujours ce regard, et qui applique saintement les âmes au bien que Dieu demande d'elles.
Le second avis nécessaire aux personnes dont nous parlons, est d'éviter avec soin l'extrémité opposée, qui serait de se mettre d'elles-mêmes dans cet état de repos, avant que Dieu les y attirât. L'amour des choses extraordinaires, en a précipité plusieurs dans les fausses dévotions, qui se glissent facilement dans cette voie.


Comment est-ce qu'on donne entrée aux fausses dévotions ?

L'imprudence des directeurs y contribue quelquefois autant que l'amour-propre des personnes qu'ils dirigent. Ils ont lu des Livres où l'on traite de ces voies sublimes, de mort mystique, d'inaction, d'abandonnement, de perte de soi-même ; ils ont vu quelques âmes que Dieu conduisait par ces sortes de voies ; frappés de ces belles idées, et voyant dans les personnes qu'ils dirigent, quelques attraits de la grâce, ils se bâtent de leur faire prendre l'essor, et de les conduire, comme si elles étaient en effet parvenues à ces états relevés. D'où il arrive que ces personnes, pleines d'estime pour elles-mêmes, et d'une grande idée de leur état, affectent une dévotion sublime, qui n'est que dans leur esprit : et pour soutenir cette fausse élévation, elles ont recours à des raisonnements subtils et à quelques goûts forcés qui les amusent. Mais toute cette dévotion n'est que chimère, orgueil, vaine complaisance, ou pour le moins inutilité.


Quels avis sont nécessaires aux personnes qui sont arrivées au second degré, que nous avons appelé une mort mystique ?

Ces avis doivent être réglés sur les différentes épreuves par où l'on passe quand on est dans ce degré. Ces épreuves, comme nous l'avons déjà dit, sont l'aridité, l'impuissance et la peine.


Comment doit-on se comporter dans l'aridité ?

Le soin principal doit être de ne point se relâcher de ses exercices spirituels, de ne rien retrancher de ce qu'on avait coutume de pratiquer, et de se soutenir par la foi. Cette aridité, qui est fort contraire aux inclinations des sens, augmente la vigueur de l'esprit : l'âme accoutumée à se passer des goûts sensibles, et à ne se conduire que par les lumières de la foi, en sort plus généreuse, et les vertus en deviennent plus solides.


De quelle manière doit-on se conduire dans l'état d'impuissance, où l'âme n'a pas l'usage ordinaire de ses facultés pour agir intérieurement, et pour former de bons désirs ?

Ce n'est pas assez qu'elle souffre avec patience cet état de privation et de perte ; il faut encore qu'elle s'abstienne de faire de grands efforts pour en sortir ; parce qu'il lui est avantageux d'être pour un temps dans cette impuissance. Au reste, on ne doit point être surpris que Dieu traite ainsi les âmes qui sont fideles ; c'est par un effet de son amour qu'il en use de la sorte, afin, de leur communiquer un bien infiniment plus parfait. Il se comporte en cela comme un bon père, qui ôterait des mains de son fils une viande grossière, et ordonnerait qu'on en cherchât une plus délicate. Cet enfant souffrirait la faim pendant quelque temps ; mais l'attente d'une meilleure nourriture le consolerait. Après tout, en cet état il n'y a point d'autre parti à prendre que celui de la patience, à moins qu'on ne veuille se tourmenter en vain pour faire ce qui est alors comme impossible.


Comment doit-on se comporter quand on est dans la troisième épreuve qui est la peine ?

Comme c'est une épreuve très-rude comme le démon par ses tentations travaille sans cesse à la rendre encore plus rude, et qu'elle est presque toujours accompagnée de trouble et de ténèbres intérieures, l'âme qui souffre cette peine doit, 1. prendre beaucoup sur elle-même pour la supporter avec résignation. 2. Être continuellement en garde contre la tentation pour repousser vigoureusement le mal auquel elle se sent portée. 3. Faire choix d'un directeur éclairé, et lui être fort soumise ; parce qu'étant faible et dans l'obscurité, elle ne peut tirer que de l'oraison et de l'obéissance les lumières et la force dont elle a besoin pour résister à de si rudes attaques.


Que doit-on conseiller aux âmes qui sont dans le troisième degré, que nous avons comparé à une espèce de résurrection et de vie nouvelle ?

Comme cet état est abondant en lumière et en puissants secours, on y surmonte aisément les plus grandes difficultés, et on n'a guère besoin d'avis quand on y est parvenu ; mais on en a grand besoin pour y arriver et pour s'y établir. Ce passage est dangereux ; il s'agit de passer de l'obscurité à la lumière ; c'est le temps où Satan se transfigure pour séduire les âmes. Si elles ne sont sur leurs gardes et qu'elles n'aient pas un bon guide, elles prennent le faux jour qui vient du malin esprit, pour la véritable lumière qui vient de Dieu.


Quel est ce faux jour ?

C'est une de ces illusions dont les personnes avancées dans la vertu ne sont pas exemptes. Nous en avons parlé dans le dernier chapitre de la première partie. Maintenant il suffit de dire que cette illusion s'introduit à la faveur des consolations spirituelles que Dieu rend à l'âme après qu'elle a passé par les épreuves. Le retour de ces consolations qui se font sentir à la partie inférieure, est un de ces temps dangereux, où il est aisé au démon de faire donner les âmes dans le piège. Comme elles ne font que sortir des ténèbres où elles ont été longtemps plongées, et pendant lesquelles le malin esprit a dressé ses embûches ; il leur et très-difficile de distinguer la véritable lumière de la fausse. Il faut donc que ces âmes encore à demi aveugles aient recours à trois guides sûrs, qui sont la foi, l'humilité et l'obéissance, sans quoi elles ne sauraient se défendre de ce que l'Écriture appelle les artifices secrets de l'esprit de ténèbres. (Ps. 90, 6)


Quelle est l'illusion la plus dangereuse et la plus difficile à guérir dans la vie spirituelle ?

C'est lorsque le démon vient à bout de persuader aux âmes que tout ce qu'il leur suggère vient immédiatement de Jésus-Christ ou de la sainte Vierge, ou de quelqu'autre Saint. Ce sont quelquefois des personnes vertueuses et accoutumées aux visites de Notre-Seigneur, et qui néanmoins ne peuvent pas reconnaître la tromperie. Elles n'ont pas le moindre doute que ce ne soit J. C. qui leur parle en certains temps, quoique les choses qu'elles entendent soient dans la suite justement condamnées de tout le monde. N'a-t-on pas vu à Rouen un prêtre connu pour un homme de bien, lequel disant la Messe et tenant J. C. entre ses mains, croyait entendre des paroles et recevoir des conseils qui aboutirent enfin à un grand désordre ? Ne sait-on pas que sainte Catherine de Bologne, après avoir pratiqué la vertu pendant longtemps et reçu de très-grandes faveurs du ciel, fut durant trois ans trompée par le démon qui lui paraissait tantôt sous la forme de J. C., et tantôt sous celle de la sainte Vierge ?
Cela arrive aux âmes qui ne sont pas encore parfaitement éclairées, quoique solidement vertueuses : car celles qui sont dans la claire lumière, il n'est pas à craindre, dit sainte Thérèse, qu'elles se trompent ainsi ; elles n'ont nulle peine à distinguer les fausses visites des véritables.


Comment peut-on se garantir de ses illusions ?

Il n'y a qu'un moyen, qui est de s'attacher à la foi et de se conduire par l'obéissance, comme fit sainte Catherine de Bologne, qui mérita par sa soumission de découvrir les artifices de Satan, et d'être délivrées de ses peines.


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