mercredi 12 février 2020

L’INIMITIÉ ENTRE SATAN ET MARIE


Autre chose est de renoncer à Satan et au monde ; autre chose de marcher dans les pas du Christ en renonçant à soi-même. Nous sommes ici dans le labeur de la vie vraiment chrétienne, labeur qui réclame de constants efforts pour l’acquisition du Royaume de Dieu.
Si nous nous refusons à ces efforts, non seulement nous ne ferons aucun progrès, mais quand l’occasion de pécher se présentera, nous succomberons ; et ce sera peut-être le commencement d’une série de chutes qui souilleront les pages de notre vie.
Qu’il importe donc de bien se connaître, afin de savoir lutter contre soi-même, surtout dans les moments de tentation
.  (Père Dayet)




L’INIMITIÉ ENTRE SATAN ET MARIE


Notre dévotion à la Sainte Vierge étant le plus grand, le plus puissant moyen d’attirer en nos âmes Jésus-Christ, la sagesse éternelle et incarnée, elle est aussi par le fait même le moyen le plus radical de nous affranchir de l’esprit du monde, toujours en vivante opposition avec celui de l’Évangile.
C’est pourquoi il convient (...) de fixer notre méditation sur l’inimitié irréconciliable, voulue par Dieu, entre la Vierge et Satan, le Prince du monde. Cette même inimitié devra se retrouver chez tous ceux qui veulent être les fidèles esclaves d’amours de Marie.
Du même coup, une lumière plus vive va se projeter sur les promesses de notre saint Baptême, et nous inviter à les renouveler avec un accroissement de ferveur. Renoncer à Satan et à ses séductions, nous redonner pour toujours par Marie à Jésus-Christ, comment accorder mieux nos âmes avec ce qui constitue le fondement de la vie chrétienne ? (...)
Arrêtons-nous aujourd’hui à considérer l’inimitié qui existe entre Satan et Marie : inimitié que nous révèle la sentence portée par Dieu au paradis terrestre contre le serpent tentateur. Nous verrons comment, en vertu de cette sentence, Marie a été entièrement soustraite au pouvoir du démon : jamais il n’a pu et ne pourra lui nuire. Par contre, la Vierge sera toujours toute-puissante face à sa haine de damné.


I – MARIE, ENTIÈREMENT SOUSTRAITE AU POUVOIR DE SATAN

Adam et Ève, créés dans l’état d’innocence ou de justice originelle, jouissaient de leur bonheur au jardin d’Éden où Dieu les avait placés. Pour éprouver leur fidélité, le Seigneur avait porté une défense ; et nos premiers parents s’y soumettaient docilement.
C’est alors qu’intervint le tentateur, Satan, le Séraphin déchu, jaloux du bonheur de ces deux êtres fidèles à Dieu, entreprit de s’attaquer à la femme comme à une proie plus facile à saisir. Caché sous la forme d’un serpent, le plus rusé de tous les animaux, il se glissa, ondoyant au milieu des feuillages, à proximité d’Ève, pour lui faire entendre des paroles séductrices et mensongères. La faiblesse d’Ève fut d’engager avec lui la conversation que nous connaissons et qui se termina par une double désobéissance : la sienne d’abord, puis celle d’Adam. Le bonheur du paradis terrestre venait de prendre fin. Nos premiers parents se retrouvaient devant Dieu, tremblant de peur, rougissant de honte, ne cherchant qu’à se cacher.

Dieu interroge les coupables. Adam avoue, mais s’excuse sur la femme. Ève avoue pareillement, et fait retomber une partie de sa responsabilité sur le serpent. « Le Seigneur Dieu dit alors au serpent : parce que tu as fait cela, tu es maudit entre les animaux domestiques et toutes les bêtes des champs ; tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière tous les jours de ta vie. Et je mets une inimitié entre toi et la Femme, entre ta race et sa descendance : celle-ci (la descendance ou la postérité de cette Femme) t’écrasera la tête et tu la mordras au talon. » (Gen. III, 13-15).
Cette sentence divine comprend deux parties bien distinctes. La première énonce une peine afflictive contre le serpent-animal, frappé en lui-même comme instrument de figure du tentateur : « tu es maudit… ». Tu seras cet être rampant qui n’inspire qu’horreur et répulsion (le serpent rampait auparavant : c’est dans sa nature ; mais Dieu promulgue qu’il sera, par sa reptation, le symbole de Satan. C’est ainsi que l’arc-en-ciel, phénomène naturel, est présenté par la Bible comme créé par Dieu après le déluge, ce qui veut dire qu’il sera désormais le Signe de l’Alliance entre Dieu et la terre. Voir Bonnefoy, le Mystère de Marie selon le Protévangile et l’Apocalypse). La seconde expose une peine vindicative contre le Serpent infernal, Satan, l’ennemi de Dieu, qui s’est subordonné le corps d’un serpent réel pour parler à Ève et la faire désobéir à son Créateur et Sanctificateur : « Je mets une inimitié entre toi et la Femme… »

Parce que tu t’es servi d’Ève pour séduire Adam et essayer de ruiner mon œuvre de grâce, moi aussi je me servirai de la Femme et de sa descendance pour mon plan de revanche. C’est pourquoi j’établis une inimitié entre toi, démon, et la Femme par excellence, d’ores et déjà prédestinée, la Femme bénie entre toutes les femmes, la Vierge Marie. Cette inimitié est mon œuvre, mon œuvre personnelle. Je l’établis et la maintiendrai : elle est sainte, absolue, inconditionnée.
« Marie sera donc l’ennemie-née de Satan. Elle n’existe pas encore et Dieu l’a déjà prédestinée à ce rôle. C’est dire qu’elle commencera à le jouer à l’instant même où elle commencera d’exister. Elle sera l’ennemie de Satan dès le moment de sa conception, qui contrastera ainsi avec celle des autres descendants d’Adam et d’Ève. Eux seront conçus dans le péché. La conception de Marie sera immaculée (Bonnefoy, O.F.M., Ouvrage cité, p. 60) ». La Vierge entrera dans l’existence sous le signe de l’inimitié posée par Dieu.
Conçue immaculée, Marie sera, en outre, confirmée en grâce, c’est-à-dire préservée de tout péché, même véniel, à l’abri de toute défaillance. Elle sera entièrement soustraite aux attaques du démon. Satan ne pourra jamais rien contre elle, pas même l’amener à commettre la plus petite faute, la plus légère désobéissance. Quel contraste avec le pouvoir qu’il eut sur Ève !
Marie sera surtout la Mère de celui qui écrasera la tête du Serpent infernal, la Mère du grand vainqueur de Satan ; « Je mets une inimitié entre toi, Satan, et la Femme à venir ; entre ta race et sa descendance. Celle-ci – la descendance de cette Femme – t’écrasera la tête… » c’est-à-dire qu’elle ruinera ton empire, qu’elle brisera ta puissance de « chef », de Prince de ce monde » (Joan. XII, 31). Ce qui ne peut s’entendre, en tout premier lieu, que du Christ Jésus, le miséricordieux Sauveur du genre humain.
Marie sera donc la Mère du Rédempteur et, avec son Fils, la triomphatrice de Satan. Elle sera sa Mère et sa collaboratrice dans l’œuvre divine de revanche. « Ève avait collaboré activement à notre perte, Marie collaborera non moins activement à notre salut. Mais, de même que la désobéissance d’Ève ne consomma pas notre perte, l’obéissance de Marie ne parachèvera pas notre salut : toutes deux agissent en second. Au grand responsable que fut Adam, Dieu opposera le grand Répondant, le Christ : ipse conteret caput tuum ». C’est Lui qui t’écrasera la tête, qui t’enlèvera de haute lutte le bénéfice de ta victoire su nos premiers parents.

La Vulgate a mis le pronom féminin ipsa, attribuant ainsi la victoire à la Femme elle-même plutôt qu’à sa descendance ; mais, dans le texte hébreu, le pronom est masculin, de même que dans les Septante et la version syriaque (Saint Jérôme lui-même reconnaissait que la vraie leçon est ipse, conservée dans plusieurs manuscrits anciens de la Vulgate. Un copiste, ne comprenant pas la relation de ipse (ou ipsum) avec semen, aura mis ipsa. Le sens, d’ailleurs, n’en est pas essentiellement différent. Cf. la Bible de crampon, note, Genèse III, 15). C’est le Christ, le Rejeton par excellence de la Femme, qui sera le grand victorieux de Satan, et Marie sera associée, en qualité de Corédemptrice, à la victoire de Celui qui représentera éminemment sa postérité.

Cette interprétation, d’ailleurs, nous aide à comprendre les derniers mots de la sentence divine. « Le Rejeton de la Femme t’écrasera la tête, et tu le mordras au talon ». À la différence de sa Mère, le Sauveur, en effet, sera exposé à la morsure du Serpent infernal, c’est-à-dire aux embûches que lui tendra celui-ci : peu de temps après sa naissance, il devra subir la fuite en Égypte pour échapper au massacre prescrit par Hérode, instrument du démon : dès son entrée dans la vie publique, il sera tenté dans le désert ; tout au long de ses années d’apostolat, il subira les persécutions des pharisiens, « race de vipères » ; et finalement, à l’heure de la puissance de ténèbres, il souffrira la Passion et la mort sur la croix. C’est ainsi que le Christ a été mordu au talon, dans la partie inférieure de lui-même, dans son humanité, plus exactement dans corps : il a payé sa victoire de ses blessures et de sa vie corporelle.
Par contre, Marie Corédemptrice sera exempte de toute morsure du Serpent infernal : elle ne subira ni les tentations provenant de sa ruse, ni les persécutions des ennemis de son divin Fils. « Nulle part, on ne voit que les hommes se soient attaqués directement à sa personne. Sur le calvaire, ni avant ou après le Cénacle, elle n’est l’objet, semble-t-il, d’aucune raillerie, d’aucun mauvais traitement. Les premières persécutions déchaînées contre l’Église ne l’atteindront pas davantage. Elle vivra paisiblement auprès de saint Jean, comme en un lieu de retraite et de contemplation, comme en un « désert » (Apoc. XII, 6 et 14), à ce point que son nom disparaît complètement des Écritures depuis la Pentecôte.

S’il faut admettre, en s’appuyant sur la croyance universelle, que Marie ait connu la mort corporelle, cette mort ne pouvait être qu’une extase d’amour, une sortie très douce de l’âme, une dormition paisible suivie d’un prompt réveil ; en un mot, une mort ne comportant aucun caractère pénal, cas unique dans l’histoire du monde. Car non seulement la mort des pécheurs, mais même celle des saints, et surtout celle du Christ, revêtent ce caractère.
Satan n’a donc pu nuire à Marie en aucune manière. Sans doute, la Vierge a souffert tout au long de la vie du Sauveur, et principalement au pied de la croix. Elle a souffert, non pas dans son corps, mais dans son âme, comme le lui avait prédit le saint vieillard Siméon. Elle a souffert avec son Fils et dans son Fils. Aux mérites de la douloureuse « agonie », elle ajoutait ceux de sa Compassion. Ses souffrances, unies à ses prières, ont contribué à notre Rédemption, c’est-à-dire à la défaite de Satan. Elle s’est ainsi montrée son ennemie active, et sans jamais subir la moindre morsure.
Admirons ce triomphe de Dieu dans son plan de revanche. Admirons la nouvelle Ève, entièrement soustraite au pouvoir du tentateur, aux embûches du « Serpent antique, appelé le Diable ou Satan » (Apoc. XII, 9), « par l’envie de qui la mort est entrée dans le monde » (Sap. II, 24). Avec Marie victorieuse, la vie nous a été rendue, et la victoire nous est assurée à nous-mêmes, car si le démon ne peut rien contre la Vierge, de son côté la Vierge peut tout contre lui.


II – MARIE, TOUTE-PUISSANTE CONTRE SATAN

Sa toute-puissance apparaît dès le Cénacle, berceau de l’Église naissante ; La Mère de Jésus est là, au milieu des apôtres et des disciples ; et elle prie, elle appelle sur eux tous la venue de l’Esprit-Saint. Ce sont eux qui vont commencer la conquête des âmes, entreprendre la conversion du monde païen, l’arracher province par province à Satan. Et pendant que se livrent leurs premiers combats, pendant qu’ils fondent et multiplient les chrétientés, pendant qu’ils se répandent sur toutes les voies de l’immense empire romain, Marie continue de prier dans la solitude et la retraite. Son divin Fils la laisse un certain nombre d’années sur la terre pour la consolation des premiers baptisés, des premiers persécutés, des premiers martyrs : tous puisent leur force et leur ardeur dans cette prière de Marie qu’ils savent encore présente au milieu d’eux.
L’Église primitive a tellement gardé ce souvenir que, dans les peintures des Catacombes et les fresques de ses premières Basiliques, Marie ne sera pas représentée autrement que comme la grande Orante, les mains toujours levées vers le Ciel. Quelle devait être la rage de Satan contre cette continuelle et toute-puissante intercession de la Vierge, au temps où commençait de crouler son empire terrestre !
Au Ciel de sa triomphante Assomption, Marie demeure bien plus encore cette toute-puissance suppliante : omnipotentia supplex. Elle ne cesse de nous obtenir et de nous distribuer toutes les grâces de la Rédemption. Sa mission très précise est de peupler le Paradis des élus, de remplir toutes les places de la Cour céleste. « Dieu lui a donné, écrit Montfort, le pouvoir et la commission de remplir de saints les trônes vides dont les anges apostats sont tombés par orgueil. » (V.D., n° 28). Quelle nouvelle et éclatante revanche sur Lucifer ! Elle assure, non pas seulement la simple entrée des élus dans la gloire, mais encore leur placement au sein des hiérarchies angéliques. « Pour récompense de son humilité », Marie est établie Souveraine du Royaume céleste, avec pouvoir et charge de rendre à Dieu la gloire dont les anges rebelles l’ont frustré.
Dans cette mission qui doit durer jusqu’à la fin des siècles, les anges, demeurés fidèles, sont à son service et, plus qu’eux tous, saint Michel, le vainqueur de Lucifer. Ce Chef et Prince de la Milice céleste sera le plus zélé à exécuter ses ordres, soit dans les grands combats de l’Église, où Marie apparaîtra toujours l’exterminatrice des hérésies, soit dans les luttes intimes que chaque chrétien doit livrer au cours de sa vie contre le démon, et surtout à l’heure décisive de la mort, où Marie ne demande qu’à justifier son titre consolant de « Porte du Ciel », c’est-à-dire à sauver le plus grand nombre possible d’âmes.

C’est pourquoi sa toute-puissance se manifeste surtout vis-à-vis des pécheurs. Chose merveilleuse : Marie, l’ennemie irréconciliable de Satan, ne sera pas l’ennemie de ceux que Satan possède et détient dans le péché. Elle sera bien plutôt leur Refuge, elle sera même l’Espérance des désespérés, comme l’appelle saint Éphrem. Elle les arrachera à l’enfer, s’ils consentent à l’invoquer et à implorer leur pardon ; car il ne sera jamais dit qu’aucun de ceux qui auront eu recours à sa miséricorde ait été abandonné ou repoussé.
On comprend alors la haine que Satan continue de lui vouer, sa fureur contre ses miraculeuses interventions, contre Lourdes, La Salette, Fatima, contre toutes ses apparitions. Car c’est un fait que celles-ci se manifestent toujours en faveur des pécheurs et suscitent d’innombrables conversions.
Si Notre-Dame de Fatima est allée jusqu’à mettre sous les yeux de ses trois enfants privilégiés une vision de l’enfer, c’est bien le signe qu’elle veut, de toute la force de sa puissance éviter le malheur de la damnation éternelle à quantité de pauvres âmes où l’enfer – plus déchaîné que jamais – s’acharne à leur perte. Et si elle vient de parcourir en Pèlerine le monde entier – même le monde hindou et musulman – semant partout des bienfaits sur son passage, c’est encore un signe manifeste de sa lutte contre Satan et de son inlassable miséricorde envers ceux que celui-ci croit détenir pour toujours.
On ne peut nier que le communisme ne soit aujourd’hui la plus monstrueuse hérésie qui ait jamais existé. Il est la négation absolue de Dieu et de tous ses commandements. Il est une entreprise d’athéisme universel. Par ses adeptes, qui n’admettent que la matière et la seule vie présente, il s’applique à repaganiser la terre. Son succès est foudroyant : un quart de la population du globe est en son pouvoir. Dans l’Encyclique Divini Redemptoris, Pie XI déclarait que la diffusion si rapide des idées communistes, à travers le monde, ne peut s’expliquer que par « une propagande vraiment diabolique ».
Or, voici Marie apparaissant à Fatima et dénonçant la Russie comme le foyer du communisme. En même temps, elle sollicite des prières et des actes pour la conversion de cette malheureuse nation, gouvernée par les Sans-Dieu. Elle promet le triomphe final de son Cœur immaculé, la cessation des guerres et persécutions, si on lui obéit, si on abandonne l’esprit du monde pour revenir à l’esprit de l’Évangile. Nous la voyons donc dressée à nouveau contre Satan et ses légions infernales.
Par la solennelle Définition du dogme de son Assomption corporelle, survenant au moment où Satan croit détenir sa victoire, elle écrase d’un seul coup toutes les erreurs communistes. Elle affirme devant l’Univers la différence entre l’âme et le corps, la survivance de l’âme, l’existence d’une autre vie, la participation du corps au bonheur de l’âme, la personne humaine reconstituée en dignité, la vie éternelle avec Dieu.
Bien plus, pour montrer le lien qu’elle a voulu établir entre cette Définition solennelle et son Message de Fatima, à quatre reprises : les 30, 31 octobre 1950, le 1er novembre, jour de la Définition, et le 8 novembre, jour-octave, elle renouvelle pour Pie XII seul, dans les jardins du Vatican, le grand miracle du soleil, signe de l’authenticité de son Message de 1917.

Comment pouvait-elle nous montrer de façon plus éclatante sa toute-puissance d’Ennemie de Satan ?
Enfin, la Sainte Vierge avait demandé que la Russie soit spécialement consacrée à son cœur Immaculé ; et toute la catholicité a tressailli de joie devant le geste magnifique du Souverain Pontife, le 7 juillet 1952. Par ce geste, Marie atteint le communisme à la tête, car la conversion de la Russie, annoncée par elle, entraînera certainement celle des autres nations qui gémissent sous le joug infernal.
Ce sera son triomphe et son règne de paix. Ainsi voyons-nous se vérifier ce qu’écrivait Montfort en son Traité de la Vraie Dévotion : « Jamais Dieu n’a fait et formé qu’une inimitié, mais irréconciliable, qui durera et augmentera même jusqu’à la fin : c’est entre Marie, sa digne Mère, et le diable ; entre les enfants et les serviteurs de la sainte Vierge, et les enfants et suppôts de Lucifer ; en sorte que la plus terrible des ennemis que Dieu ait faite contre le diable est Marie, sa sainte Mère » (N° 52).

Que cette méditation nous aide à comprendre combien nous aussi devons demeurer toute notre vie, à la suite de la Vierge, les ennemis déclarés de Satan. Il a le pouvoir de nous tenter, certes ; mais il n’a pas celui de nous faire succomber. Nous pouvons lui opposer l’énergie de notre volonté soutenue par la grâce.
Au jour de notre baptême, les prières sacramentelles de l’Église ont chassé de notre âme le démon qui s’y trouvait installé en conséquence du péché originel. « Sors de cet enfant, lui a dit le prêtre, et laisse la place à l’Esprit-Saint ». Par la vertu de ce commandement, Satan a dû sortir, et l’Esprit-Saint est entré avec l’intention d’y demeurer toujours.
Si nous nous laissons aller à commettre le péché mortel, nous retournons cette forte parole du prêtre ; c’est nous alors qui disons à l’Esprit-Saint : « Sors de chez moi, et laisse de nouveau la place au démon ». Le démon revient, et il ravage.
Réfléchissons à la peine qu’éprouve la Sainte Vierge chaque fois qu’un baptisé pactise ainsi avec le démon. Et combien plus s’il s’agit d’une âme esclave de Marie, consentant à redevenir l’esclave de Satan ! Sans doute, il y a le remède du sacrement de Pénitence, si l’âme pécheresse présente à Dieu les dispositions voulues ; mais il est autrement sanctifiant de s’épargner les remords d’une conscience souillée et une reddition de comptes plus aggravée au jour du jugement.
Sachons employer à notre profit la toute-puissance de la Sainte Vierge contre le démon tentateur, afin qu’il ne puisse aucunement nous nuire. Nous avancerons alors, dans la fidélité aux promesses de notre Baptême et de notre Consécration, sur le chemin qui conduit à l’éternelle récompense.


L’INIMITIÉ ENTRE LA RACE DE SATAN ET LA DESCENDANCE DE MARIE


Après la chute de nos premiers parents, Dieu ne s’est pas contenté d’établir une inimitié totale, irrémissible entre Satan, le démon tentateur, et Marie, la Femme qui sera intimement associée à l’œuvre de revanche. Il a établi, de façon aussi formelle, la même inimitié entre la race de Satan et la descendance de la Vierge.
La race de Satan est formée de tous les hommes pervers qui imitent sa conduite de révolté. Quant à la descendance de Marie, elle comprend Jésus, son Fils par nature, et tous ses enfants par grâce, les prédestinés, membres du Corps mystique du Christ.
C’est cette descendance de Marie qui a reçu mission d’écraser la tête du serpent infernal, comme nous l’avons vu (...). Jésus, Verbe incarné s’est manifesté, au cours de son existence terrestre, le grand Vainqueur de Satan et des suppôts de satan. Mais ceux-ci n’ont pas désarmé pour autant. Jusqu’à la fin du monde, ils ne cesseront d’attaquer et de persécuter tous ceux qui appartiennent à la descendance spirituelle de Marie. Les justes auront donc à lutter, eux aussi, et à vaincre.
Nous considérerons d’abord comment le monde est partagé en deux camps adverses. Nous comprendrons mieux ensuite combien nous devons être heureux de nous ranger du côté des esclaves de la Vierge, dans la certitude de notre victoire sur les esclaves de Satan.


I. LES DEUX CAMPS ADVERSES

C’est un fait indéniable que le monde se trouve divisé en deux groupes : d’une part, Satan et la race des méchants ; d’autre part, Marie et sa descendance. À la cité du mal, Dieu – par sa sentence du Paradis terrestre – a opposé la cité du bien.
Cette cité du mal existait déjà, en la personne de Lucifer et de ses anges rebelles. On sait que les esprits angéliques, au moment de leur création, furent soumis à une épreuve, afin de mériter l’entrée dans le Ciel de la vision béatifique. Dans un dessein d’amour, Dieu leur révélait le mystère de l’incarnation de son Fils. Ce Fils, prédestiné à être leur Roi, « ne leur était pas présenté dans sa gloire, ni même dans la plénitude de sa vie humaine, mais dans l’humiliation : c’était un enfant, un enfant dans le sein de sa mère » (Apoc. XII, 2) (Voir Bonnefoy, Le Mystère de Marie selon le Protévangile et l’Apocalyse). À la suite de l’orgueilleux Lucifer, les uns ne veulent pas le reconnaître et se dressent contre lui. Les autres, sous la conduite de Michel, prennent sa défense et l’adorent.

Il y eut un grand combat entre eux, mais le dragon rouge et ses anges ne purent vaincre, et leur place même ne se trouva plus dans le Ciel.
Ainsi, c’est autour de la Vierge-Mère du Verbe incarné que s’est fait l’éternel partage des bons et des mauvais, du bien et du mal, dans la création. L’enfer est né de cette révolte des mauvais anges, transformés aussitôt en démons. On comprend de ce fait leur haine contre la Vierge et contre sa descendance spirituelle.

Au paradis terrestre, le signe marial est de nouveau levé, qui se place cette fois devant l’humanité pécheresse. Il faut choisir entre la Femme corédemptrice et le démon, corrupteur des âmes ; entre Marie ou Satan. Il n’y a pas de milieu. Les hommes se diviseront en deux camps comme les anges : les uns accepteront le miséricordieux plan de la rédemption, les autres rejetteront cette immense grâce qui leur est offerte. Les premiers se rangeront du côté de la Vierge ; les seconds, par orgueil, resteront du côté de Satan, l’ennemi de la Femme et de sa descendance. Il y aura les bons et les mauvais, les dociles et les rebelles, les élus et les réprouvés. Il y aura les esclaves de Marie et les esclaves de satan.
Entre les uns et les autres, aucune entente ne sera possible. « Dieu a mis, dit Montfort, des inimitiés, des antipathies, des haines secrètes, entre les vrais enfants et serviteurs de la Sainte Vierge et les enfants et esclaves du démon. Ils ne s’aiment point mutuellement, ils n’ont point de correspondance intérieure les uns avec les autres.
« Les enfants de Bélial, les esclaves de Satan, les amis du monde (car c’est la même chose, ont toujours persécuté jusqu’ici et persécuteront plus que jamais ceux et celles qui appartiennent à la Très Sainte Vierge, comme autrefois Caïn persécuta son frère Abel, et Esaü son frère Jacob, qui sont les figures des réprouvés et des prédestinés.
« Mais l’humble Marie aura toujours la victoire sur cet orgueilleux, et si grande, qu’elle ira jusqu’à lui écraser la tête où réside son orgueil. Elle découvrira toujours sa malice de serpent… (VD n° 54).
Au temps de l’Incarnation, elle lui a déjà arraché, par son divin Fils, cet empire du monde qu’il détenait sans conteste depuis des millénaires. Au matin de Pentecôte, elle a opposé à sa haine la force irrésistible de conquête de l’Église naissante. La prédication des apôtres, soutenue par la vertu de l’Esprit-Saint, lui a permis d’engendrer des enfants innombrables et de voir surgir des chrétientés magnifiques. Pendant près de quatre siècles, les empereurs païens ont déchaîné persécutions sur persécutions, qui ont fait des milliers de martyrs. Ces persécutions sont les morsures de la race du Serpent contre la descendance spirituelle de Marie, contre « les autres enfants de la Femme », revêtue du soleil et couronnée d’étoiles (Apoc. XII, 17). Satan, par ses suppôts, s’est acharné à meurtrir leurs corps par toutes sortes de tortures, jusqu’à provoquer la mort violente. Comme il a persécuté le Christ, il a persécuté les premiers chrétiens.

Il en a toujours été ainsi dans la vie de l’Église. Sur toutes les plages où les missionnaires sont venus annoncer la Vierge et son divin Fils, ceux-ci ont arraché quantité d’âmes à Satan ; mais Satan n’a pas tardé à susciter contre eux de sanglantes persécutions. Néanmoins, les martyrs ont toujours triomphé de leurs bourreaux, et leur sang versé est devenu une semence de nouvelles chrétientés pour Marie.
Même dans les pays où l’Église affirme depuis des siècles la puissance de la hiérarchie, si Satan ne peut pas toujours déchaîner de persécutions sanglantes, il emploie des armes autrement meurtrières pour les âmes. C’est la laïcisation à outrance, c’est la mensongère et odieuse propagande communiste, c’est la mauvaise presse de plus en plus envahissante par ses livres, brochures et revues aux gravures obscènes, c’est le mauvais cinéma, ce sont toutes les attractions du monde.
Jamais les morsures de la race du Serpent ne furent plus venimeuses et plus cruelles. Jamais la cité du mal ne s’est tant élevée contre la cité eu bien. Dieu a laissé au démon le pouvoir de nuire, afin de donner aux enfants de la Vierge la gloire de combattre et de souffrir pour mériter la couronne éternelle. Ce pouvoir cependant est limité, et ne durera qu’un temps ; c’est pourquoi nous voyons le démon – sachant qu’il lui reste peu de temps – intensifier sa haine et gagner partout à sa cause des multitudes d’hommes pervers, pour combattre plus que jamais les fidèles enfants et esclaves de la Vierge.
Combien nous devons être heureux de vouloir appartenir à Marie comme ses esclaves d’amour, dans cette lutte formidable des derniers temps annoncée par Montfort, et qui se terminera par le triomphe éclatant de Jésus-Christ et son Règne dans les siècles des siècles.


II. LA VICTOIRE DES ESCLAVES DE MARIE SUR LES ESCLAVES DE SATAN

« Mais le pouvoir de Marie sur tous les diables éclatera particulièrement dans les derniers temps, où Satan mettra des embûches à son talon, c’est-à-dire à ses humbles esclaves et à ses pauvres enfants, qu’elle suscitera pour lui faire la guerre.
« Ils sont petits et pauvres selon le monde, et abaissés devant tous comme le talon, foulés et persécutés comme le talon l’est à l’égard des autres membres du corps. Mais, en échange, ils seront riches en grâces de Dieu, que Marie leur distribuera abondamment ; grands et élevés en sainteté devant Dieu, supérieurs à toute créature par leur zèle animé, et si fortement appuyés du secours divin, qu’avec l’humilité de leur talon, en union de Marie, ils écraseront la tête du diable et feront triompher Jésus-Christ » (V.D., n° 54).
Ne nous étonnons donc pas de voir la haine des esclaves de Satan se manifester de façon caractérisée contre les apôtres et esclaves de Marie, c’est-à-dire contre ceux et celles qui, totalement dévoués à sa cause, s’efforcent de promouvoir son Règne dans le monde.
Ce sont les deux esclavages qui s’affrontent, car tous ceux qui se rangent obstinément du côté de Satan sont ses esclaves dès ce monde, et le seront bien plus encore dans l’enfer. Ils sont ici-bas ses esclaves de contrainte : bon gré, mal gré, Satan les entraîne dans sa révolte contre le plan divin, comme il entraîna jadis le tiers des esprits angéliques. Dans l’enfer, ils seront, avec Satan et sous la domination de Satan, les esclaves de contrainte de la justice de Dieu, subissant un châtiment implacable et sans espoir d’en voir le terme. Ils sauront alors que Dieu est le Maître : Et scient quia ego Dominus.
Contre les esclaves de Satan Marie lève l’armée de ses esclaves d’amour, qu’elle a formés à la ressemblance de son divin Fils. Leur petitesse aux yeux du monde, leur humilité, leur esprit de dépendance, leur pauvreté et leur détachement des biens terrestres, leur manque de considération au point de vue humain et naturel, tout leur extérieur évangélique ne feront qu’attiser la haine de Satan. Plus que les autres, ils subiront ses morsures. « Ils seront foulés et persécutés, comme le talon l’est à l’égard des autres membres du corps ». On les méprisera, on les contredira, on les traitera d’insensés.
Mais Marie leur communiquera une force surnaturelle qui les rendra invincibles. Elle leur distribuera abondamment ses grâces, en sorte que plus ils apparaîtront pauvres aux yeux du monde, plus ils seront riches en vertus et mérites ; plus on les verra petits et méprisés, plus ils seront « grands et élevés en sainteté devant Dieu ».
« Ils seront supérieurs à toute créature par leur zèle animé », ce qui veut dire que leur apostolat ne s’arrêtera ni devant les puissances infernales déchaînées, ni devant les puissances humaines complices. Et ils se sentiront « si fortement appuyés du secours divin, qu’avec l’humilité de leur talon, en union de Marie, ils écraseront la tête du diable », ils arracheront quantité d’âmes à son esclavage, ils convertiront les pêcheurs, ils reculeront les frontières de ce qui lui reste encore d’empire. « Et ils feront triompher Jésus-Christ », ils établiront son Règne, ce Règne éclatant que toutes les âmes saintes attendent, et pour lequel elles prient et se sacrifient.
Ce sera le beau triomphe de l’Ère mariale. Car « Dieu veut que sa sainte Mère soit à présent plus connue, plus aimée, plus honorée que jamais elle n’a été… » (V.D. n° 55). « C’est par Marie que le salut du monde a commencé, et c’est par Marie qu’il doit être consommé. Marie n’a presque point paru dans le premier avènement de Jésus-Christ… : mais dans le second (c’est-à-dire dans les derniers temps qui précèderont l’apparition du Sauveur dans la gloire de son triomphe), Marie doit être connue et révélée par le Saint-Esprit, afin de faire par elle connaître, aimer et servir Jésus-Christ » (N° 49).
« Marie doit éclater, plus que jamais, en miséricorde, en force et en grâce, dans ces derniers temps : en miséricorde, pour ramener et recevoir amoureusement les pauvres pécheurs et dévoyés qui se convertiront et reviendront à l’Église catholique ; en force, contre les ennemis de Dieu… qui se révolteront terriblement pour séduire et faire tomber, par promesses et menaces, tous ceux qui leur seront contraires ; et enfin elle doit éclater en grâce (comme nous l’avons vu), pour animer et soutenir les vaillants soldats et fidèles serviteurs de Jésus-Christ qui combattront pour ses intérêts… » (N° 50).
Très visiblement, nous sommes entrés dans cette Ère mariale des grandes luttes de l’Église. Si, d’une part, nous voyons l’armée des esclaves de Satan plus organisée et plus décidée que jamais, d’autre part, il est incontestable que les âmes viennent de plus en plus nombreuses à la parfaite Consécration, aussi bien dans nos vieilles contrées chrétiennes que dans tous les pays de Mission. Réjouissons-nous donc de vouloir, par notre Consécration, marcher en tête de l’armée du Bien.

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Puisque nous sommes résolus de suivre, non pas Satan, le prince de ce monde, mais Jésus-Christ, la Sagesse éternelle et incarnée, disons donc avec toute la ferveur de notre âme : Je renonce pour jamais à Satan, à toutes ses séductions et à ses œuvres de péché, et je me donne pour toujours à Jésus-Christ. Il est le seul Maître, le Maître humble et doux qui ne trompe jamais. Il est la Vérité par essence, il est le Verbe de Lumière, il est la Sagesse incarnée. Lui seul dit les paroles qui conduisent à la vie éternelle ; et je demeure dans la sainteté tant que je garde son enseignement.
Je dépose cette rénovation de mes promesses baptismales entre les mains de Marie Immaculée, la priant humblement de mettre dans mon âme l’inimitié que Dieu lui-même a mise entre elle et le démon. Je lui demande de rendre cette inimitié totale, sans compromission, irréductible, éternelle. Ainsi me recevra-t-elle, le jour de ma parfaite Consécration, au nombre de ses esclaves d’amour qui ne se donnent tout entiers à elle que pour être entiers à Jésus-Christ.

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Il est si facile de nous illusionner sur ce qu’on croit être la plus grande gloire de Dieu, et surtout si difficile d’éloigner toute recherche d’intérêt personnel. Mais « Marie connaît très parfaitement où est la plus grande gloire de Dieu, et ne fait rien que pour la plus grande gloire de Dieu. Nous pouvons donc être assurés que la valeur de toutes nos actions, pensées et paroles, sera employée à la plus grande gloire de Dieu » ! La Sainte Vierge exerce ainsi, en notre nom, la première des charités, cette charité parfaite qui fait passer les intérêts de Dieu avant les nôtres. « Peut-on trouver rien de plus consolant pour une âme qui aime Dieu d’un amour pur ? » (VD, n° 151). Quelle richesse de mérites en découle ! Loin de perdre quoi que ce soit, on acquiert un trésor incalculable en vue de l’éternité.

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Nous aimerons découvrir, dans les beautés de la nature comme dans le contact des choses familières, des évocations de Celle que l’Église chante en ses Litanies de Lorette et dans les strophes du Cantique des Cantiques. On se rappelle les actes délicieux de M. Olier, dans sa Journée chrétienne, mettant à profit toutes les circonstances de la vie quotidienne comme autant d’échelons pour s’élever à Dieu : « Quand on va aux champs, quand on voit le soleil, quand on voit la terre, les herbes, les fleurs, les fruits, quand on entend chanter les oiseaux… » Ainsi profiterons-nous des plus humbles spectacles qui s’offrent à notre imagination pour bénir Marie, la louer, la remercier, lui chanter notre cantique intérieur. Qu’on se trouve loin alors des régions de rêves et de chimères où rôde le tentateur.
Nous veillerons pareillement à ordonner notre sensibilité selon la direction que la Vierge elle-même lui imprime. Marie étant la Reine de notre cœur, son amour doit diriger toutes nos affections. Que de joies nous éprouverons alors, tant nous nous sentirons libres d’aimer les âmes, toutes les âmes que nous approchons, surtout les âmes des petits, des humbles, des pauvres, des délaissés et déshérités de ce monde, celles des malades, des souffrants, des accablés d’épreuves. N’est-ce pas vers celles-là de préférence que se portait la tendresse du divin Maître ? Marie ne désire-t-elle pas nous voir aimer nos frères comme son divin Fils nous a tous aimés, avec bonté, douceur, patience, condescendance, miséricorde, avec esprit de support et d’entraide ? Nous garderons ainsi à notre sensibilité – cette précieuse faculté qui n’est nullement sentimentalité ou sensiblerie – toute sa force de dévouement au service d’une volonté uniquement désireuse de témoigner compassion à ceux qui en ont le plus besoin.
Pour notre mémoire, le mieux n’est-il pas de la garder toujours riche du souvenir des bienfaits dont nous avons été l’objet de la part de Marie ? De combien de faveurs nous a-t-elle comblés ! De combien de chutes nous a-t-elle relevés ? De combien d’accidents nous a-t-elle préservés ! Entretenons ces réconfortants souvenirs : ils nous libéreront de certains autres où s’agitent les ressentiments, les rancunes, les retours et replis sur soi-même. Dans la basilique de Notre-Dame de Liesse, près Laon, sur l’un des ex-voto qui en tapissent les murs, on lit cette inscription : « La Sainte Vierge a fait le bonheur de ma vie ». Témoignage d’une âme qui a su s’élever au-dessus des adversités et contrariétés de la vie présente pour se réfugier dans la joie pacifiante que lui apportait son amour de Marie.

Avec notre corps et notre âme, nous livrons à Marie tous les BIENS que nous possédons : biens extérieurs d’ordre temporel et surtout biens intérieurs d’ordre spirituel. Les premiers concernent principalement notre corps ; les seconds constituent la richesse de notre âme.
En abandonnant à Marie nos biens extérieurs, nous renonçons à les considérer autrement que comme lui appartenant en premier lieu. En réalité, elle les possède déjà, puisque l’univers entier est son domaine ; mais nous voulons qu’elle les possède aussi au titre particulier de notre donation personnelle. Nous reconnaissons expressément qu’ils sont sa propriété, que nous en gardons seulement l’usage. On voit de suite quelle élévation d’esprit suppose un pareil renoncement.
Apparemment, aux regards de ceux au milieu de qui nous vivons, nous continuons nos achats et nos dépenses selon les nécessités de l’existence et selon les exigences de notre situation. Il le faut bien. Mais, dans l’intime, une lumière nouvelle est là, projetant ses rayons sur l’usage que nous devons faire, en dépendance de la volonté de Marie, de nos biens de fortune, du fruit de notre travail, de nos économies, pour n’en disposer que dans un grand esprit de détachement, de justice, de reconnaissance, de modération pour soi et de charité pour les autres.
De même, lorsque nous achetons ou recevons un vêtement, un aliment, un remède, un livre, telle fourniture de bureau, tel article de toilette, etc., notre premier mouvement doit être d’accepter ces choses comme nous venant des mains de la Sainte Vierge. Il faut l’en remercier aussitôt, lui offrir l’usage que nous en ferons et toujours considérer sa gloire avant notre profit.
M. Olier suivait ponctuellement cette habitude. « Je n’ai jamais osé, a-t-il avoué, me servir d’aucune chose, comme de chapeaux, vêtements, sans en avoir consacré à Marie le premier usage… Me voyant seul à user de cette pratique, il m’est arrivé de croire que c’était une faiblesse, une niaiserie et une trop grande sujétion. Mais quand j’y manquais, dès le jour même, ou fort peu de temps après, mes hardes se perdaient, ou se brûlaient, ou se déchiraient ; et cette peine visible m’avertissait de me corriger de ma faute et de n’y plus retomber (M. Letourneau, Pensées choisies de M. Olier, 2e édition, 1915). Il y a donc une vertu spéciale dans ce fait d’offrir chaque fois à Marie jusqu’aux moindres objets que nous acquérons : cela suppose de multiples renoncements cachés qu’elle nous fait accomplir « avec douceur et facilité », comme Montfort nous en a prévenus.
L’entière donation à la Sainte Vierge de nos biens intérieurs exige encore d’autres renoncements. C’est toute la richesse de notre vie spirituelle que nous lui abandonnons ; passées, présentes et futures : leur triple valeur de mérite, de prière et de sacrifice.
Leur valeur de mérite est confiée à la garde de la Très Sainte Vierge. C’est chose strictement personnelle, inaliénable, incommunicable. Nos mérites sont les titres avec lesquels nous achetons notre place au paradis. Mais ces titres, comme nous l’avons vu dans notre méditation précédente, ne sont-ils pas plus en sûreté entre les mains de Marie que dans les nôtres ? Elle saura les garder fidèlement au mieux de nos intérêts. Elle saura les défendre. Remettons-les-lui avec confiance.

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D’autres fidèles sont attentifs à recourir plus fréquemment à la Très Sainte Vierge. Ils la prient matin et soir, ils aiment réciter son chapelet et même, à certains jours, son Rosaire ainsi que son petit Office. Ils voient venir avec plaisir chacune de ses fêtes, y compris celles qui ne sont pas solennisées. Les mois de mai et d’octobre leur sont des mois de ferveur aimante. Leurs âmes se complaisent dans la lecture d’un livre qui traite des grandeurs de Marie, comme à l’audition d’un sermon qui célèbre l’un ou l’autre de ses mystères. Ils aiment aussi manifester un soin particulier pour ses autels, ses statues et chapelles. Ils fréquentent ses pèlerinages, ses Congrès si possible, en témoignage des sentiments d’estime, d’amour, de confiance et de vénération qu’ils lui portent.
Cette dévotion est celle de nos élites chrétiennes et, à plus forte raison, des âmes religieuses et sacerdotales. Elle est bonne, sainte et louable ; elle accorde à Marie une grande place dans la piété. On peut s’en contenter, et beaucoup s’en contentent.
Il en est cependant qui veulent aller au-delà, car si louable que soit cette manière d’honorer Marie, il faut reconnaître qu’elle ne lui donne qu’une partie du temps, une partie des prières et des bonnes œuvres. On ne peut pas dire que ces pratiques extérieures et transitoires s’harmonisent avec la place données à la Vierge dans le plan divin.
C’est pourquoi, si l’on veut imiter la conduite des trois Personnes divines à l’égard de Marie, il faut aller jusqu’au DON TOTAL de soi et jusqu’à la VIE D’UNION de tous les instants qui en découle. Il faut – et nous le méditerons dans les jours qui suivent – choisir Marie pour la Mère et la Maîtresse de toute notre vie surnaturelle, comme le Verbe incarné l’a choisie pour sa Mère et sa Coopératrice dans l’œuvre de notre salut. Il faut lui remettre entre les mains tout ce qu’il nous est possible de lui donner, sans aucune restriction ni réserve ; de même que Dieu le Père lui a communiqué toutes ses grâces, Dieu le Fils tous ses mérites, Dieu le Saint-Esprit tous ses dons ineffables ; bien convaincus que ce que nous donnons est peu de chose en regard de ce qu’ils ont donné.
C’est la CONSÉCRATION à Marie, tant recommandée par le Pape Pie XII, et que lui-même a définie « un don total de soi pour toute la vie et l’éternité ; non pas un don de pure forme ou de pur sentiment, mais un don effectif, réalisé dans l’intensité de vie mariale et chrétienne » (Discours aux Congréganistes de la Sainte Vierge, le 21 janvier 1943, et le 23 novembre 1946, aux pèlerins du Grand-Retour). « Cette définition, écrivait Mgr Théas, évêque de Lourdes, s’accorde parfaitement avec la doctrine de saint Louis-Marie de Montfort, et l’on ne saurait mieux répondre au désir de Sa Sainteté qu’en adoptant, pour se consacrer à Marie, la formule de saint Louis-Marie de Montfort (Lettre pastorale à l’occasion de notre Année Mariale, janvier 1949) ».

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« Ceux qui sont conduits par l’esprit de Dieu sont enfants de Dieu (Rom., VIII, 14). Ceux qui sont conduits par l’esprit de Marie sont des enfants de Marie et par conséquent des enfants de Dieu » (N° 258). Ils sont les enfants de Dieu et de Marie en perfection, parce que, « possédés et gouvernés » par l’Esprit-Saint et par l’Épouse de l’Esprit-Saint, ils ne leur offrent en toute circonstance qu’obéissance et soumission d’amour. Notre consécration n’enlève donc rien au titre d’enfant que le baptême imprime sur nos fronts ; bien au contraire, elle fit resplendir ce titre d’un rayonnement nouveau.
Soyons humblement fiers de nous consacrer esclaves d’amour de la Reine des cœurs. Redisons-le, cette donation demeure entièrement libre. Montfort la présente à notre choix entre plusieurs autres manières de témoigner à Marie une dévotion vraie. (Traité de la Vraie dévotion, 115 à 119) Mais il avoue n’en avoir point trouvé « qui soit plus glorieuse à Dieu, sanctifiante pour l’âme et utile au prochain » (118).
C’est pour la faire connaître qu’il a écrit son Traité marial dont il aurait voulu former les caractères de son sang au lieu d’encre, dans l’espérance, dit-il, que « tôt ou tard la Très Sainte Vierge aura plus d’enfants, de serviteurs et d’esclaves d’amour que jamais ; et que, par ce moyen, Jésus-Christ, son cher Maître, règnera dans les cœurs plus que jamais » (N° 112, 113).
Estimons-la donc comme une très grande grâce du Saint-Esprit, qu’il nous faut mériter par une profonde humilité ; car ce sont les humbles et les petits qui apprécient et goûtent le mieux ce « divin secret des élus » (au Refrain du Cantique de la Consécration). Ô notre Père des Cieux ! Ô Marie, Mère et Maîtresse des âmes ! Nous vous rendons grâces de ce que vous avez caché ces choses aux sages et prudents du siècle, et de ce que vous les révélez à vos humbles enfants et esclaves.

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Un enfant obéissant à Marie, sa directrice éclairée, peut-il s’égarer dans les chemins de l’éternité ? « En la suivant, dit saint Bernard (Homilia II super “Missus est”, N° 17), vous ne vous égarez point. » Ipsam sequens, non devias. Il ne peut se laisser prendre ni aux illusions du malin esprit, ni aux finesses trompeuses des hérétiques : Ipsa tenente, non corruis. Si Marie vous soutient, vous ne tomberez pas » (N° 209).

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Marie défend et protège ses esclaves d’amour contre leurs ennemis. « Rébecca, par ses soins et ses industries, délivra Jacob de tous les dangers où il se trouva, et particulièrement de la mort que son frère Esaü lui aurait apparemment donnée par la haine et l’envie qu’il lui portait, comme autrefois Caïn à son frère Abel ». Elle sépara les deux frères, en envoyant Jacob e Chaldée, chez son oncle Laban, tant que durerait la colère d’Esaü.
Ainsi, Marie, la bonne Mère des prédestinés, protège ses fidèles enfants et esclaves qui sont souvent, ici-bas, en butte à la haine et à la persécution des réprouvés. « Elle les cache sous les ailes de sa protection, comme une poule ses poussins ; elle parle, elle s’abaisse à eux, elle condescend à toutes leurs faiblesses. Pour les garantir de l’épervier et du vautour, elle se met autour d’eux, et les accompagne comme une armée rangée en bataille : ut catrorum acies ordinata (Cant., VI, 3). Que pourrait craindre un homme de ses ennemis, s’il était entouré d’une armée bien rangée de cent mille soldats ? Un fidèle serviteur de Marie, entouré de sa protection et de sa puissance impériale, a encore moins à craindre. S’il le fallait, cette bonne Mère et Princesse puissante dépêcherait plutôt des bataillons de millions d’anges pour secourir un de ses serviteurs, qu’il fût jamais dit qu’un fidèle serviteur de Marie, qui s’est confié à elle, a succombé à la malice, au nombre et à la force de ses ennemis » (N° 210).

(...)

Enfin, Marie intercède pour ses fidèles esclaves auprès de son Fils. « Après les avoir comblés de ses faveurs et leur avoir obtenu la bénédiction du Père céleste, elle les unit.
Jésus-Christ d’un lien très intime et les conserve dans cette union. Elle les garde et elle veille toujours, de peut qu’ils ne perdent la grâce de Dieu et ne tombent dans les pièges de leurs ennemis », comme nous l’avons vu au cinquième Jour de notre première Semaine. Ainsi Marie les fait persévérer jusqu’à la fin (N° 212). Cette grâce de la persévérance finale dans l’union à Jésus-Christ est « le plus grand bien que Marie procure à ses fidèles esclaves » (N° 211).


(Père Dayet, Exercices préparatoires à la consécration de Saint Louis-Marie de Montfort)



Extrait du Traité de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge, de Saint Louis-Marie Grignion de Montfort :

Cette dévotion est un chemin aisé, court, parfait et assuré pour arriver à l'union avec Notre Seigneur, où consiste la perfection du Chrétien.

1° C'est un chemin aisé ; c'est un chemin que Jésus-Christ a frayé en venant à nous, et où il n'y a aucun obstacle pour arriver à lui : on peut à la vérité arriver à l'union divine par d'autres chemins ; mais ce sera par beaucoup plus de croix et de morts étranges ; et avec beaucoup plus de difficultés, que nous ne vaincrons que difficilement : il faudra passer par des nuits obscures, par des combats, des agonies étranges, par-dessus des montagnes escarpées, par-dessus des épines très-piquantes et par des déserts affreux ; mais par le chemin de Marie , on passe plus doucement et plus tranquillement : on y trouve à la vérité de grands combats à donner et de grandes difficultés à vaincre ; mais cette bonne Mère et maîtresse se rend si proche et si présente à ses fidèles serviteurs, pour les éclairer dans leurs ténèbres et dans leurs doutes, pour les affermir dans leurs craintes, pour les soutenir dans leurs combats et leurs difficultés, qu'en vérité, ce chemin virginal pour trouver Jésus-Christ est un chemin de roses et de miel, comparé aux autres chemins. Il y a eu quelques saints, mais en petit nombre, comme un saint Éphrem, saint Jean Damascène, saint Bernard, saint Bernardin, saint Bonaventure, saint François de Sales, etc. ; qui ont passé par ce chemin doux pour aller à Jésus-Christ ; parce que le Saint-Esprit, époux fidèle de Marie , le leur a montré par une grâce singulière ; mais les autres Saints qui sont en plus grand nombre, quoiqu'ils aient tous eu de la dévotion à la Sainte-Vierge, n'ont pas pourtant, ou très-peu entré dans cette voie. C'est pourquoi ils ont passé, par des épreuves plus rudes et plus dangereuses.
D'où vient donc, me diront quelques fidèles serviteurs de Marie , que les serviteurs fidèles de cette bonne Mère ont tant d'occasions de souffrir et plus que les autres, qui ne lui sont pas si dévots. On les contredit, on les persécute, on les calomnie, on ne les peut souffrir : ou bien, ils marchent dans des ténèbres intérieures, et dans des déserts où il n'y a pas la moindre goutte de rosée du ciel ; si cette dévotion à la Sainte-Vierge rend le chemin pour trouver Jésus-Christ plus aisé, d'où vient qu'ils sont les plus méprisés ? Je lui réponds, qu'il est bien vrai que les plus fidèles serviteurs Vierge étant ses plus grands favoris, ils reçoivent d'elle les plus grandes grâces et faveurs du Ciel, qui sont les croix ; mais je soutiens, que ce sont aussi les serviteurs de Marie qui portent ces croix avec plus de facilité, de mérite et de gloire ; et que ce qui arrêterait mille fois un autre ou le ferait tomber, ne les arrête pas une fois et les fait avancer ; parce que cette bonne Mère, toute pleine de grâces et de l'onction du Saint-Esprit, confit toutes ces croix qu'elle leur taille, dans le sucre de sa douceur maternelle et dans l'onction du pur amour ; en sorte qu'ils les avalent joyeusement comme des noix confites, quoiqu'elles soient d'elles-mêmes très-amères ; et je crois qu'une personne qui veut être dévote et vivre pieusement en Jésus-Christ, et par conséquent souffrir persécution et porter tous les jours sa croix, ne portera jamais de grandes croix ou ne les portera pas joyeusement ni jusqu'à la fin, sans une tendre dévotion à la Sainte-Vierge, qui est la confiture des croix : tout de même qu'une personne ne pourra pas manger, sans une grande violence qui ne sera pas durable, des noix vertes sans être confites dans le sucre.

2° Cette dévotion à la Sainte-Vierge est un chemin court pour trouver Jésus-Christ, soit parce qu'on ne s'y égare point, soit parce que, comme je viens de dire, on y marche avec plus de joie et de facilité, et par conséquent avec plus de promptitude : on avance plus en peu de temps de soumission et de dépendance de Marie que dans des années entières de propre volonté et d'appui sur soi-même ; car un homme obéissant et soumis à la divine Marie chantera des victoires signalées sur tous ses ennemis ; ils voudront l'empêcher de marcher, ou le faire reculer, ou le faire tomber, il est vrai ; mais avec l'appui, l'aide et la conduite de Marie, sans tomber, sans reculer, et même sans se retarder, il avancera à pas de géant vers Jésus-Christ, par le même chemin par lequel il sait que Jésus-Christ est venu à nous à pas de géant et en peu de temps. Pourquoi pensez-vous que Jésus-Christ a si peu vécu sur la terre, et qu'en le peu d'années qu'il y a vécu, il a passé presque toute sa vie dans la soumission et l'obéissance à sa Mère ? Ah ! c'est qu'ayant été consommé en peu, il a vécu longtemps et plus longtemps qu'Adam, dont il était venu réparer les pertes, quoi qu'il ait vécu plus de neuf cents ans. Jésus-Christ a vécu longtemps, parce qu'il a vécu bien soumis à sa sainte Mère et bien uni avec elle, pour obéir à Dieu son Père ; car celui qui honore sa Mère ressemble à un homme qui thésaurise, dit le Saint-Esprit ; c'est-à-dire, que celui qui honore Marie sa Mère, jusqu'à se soumettre à elle, à lui obéir en toutes choses, deviendra bientôt bien riche 1° parce qu'il amasse tous les jours des trésors, par le secret de cette pierre philosophale : Qui honorât matrem quasi qui thesaurizat ; 2° parce que c'est dans le sein de Marie qui a entouré et engendré un homme parfait, et qui a eu la capacité de contenir celui que tout l'univers ne comprend ni ne contient pas ; c'est dans le sein de Marie, dis-je, que les jeunes gens deviennent des vieillards en lumière, en sainteté, en expérience et en sagesse, et qu'on parvient en peu d'années jusqu'à la plénitude de l'âge de Jésus-Christ.

3° Cette pratique de dévotion à la Sainte Vierge est un chemin parfait pour aller et s'unir à Jésus-Christ, puisque la divine Marie est la plus parfaite et la plus sainte des pures créatures, et que Jésus-Christ, qui est parfaitement venu à nous, n'a point pris d'autre route de son grand et admirable voyage ; le Très-Haut, l'Incompréhensible, l'Inaccessible, Celui qui est, a voulu venir à nous, petits vers de terre, qui ne sommes rien : comment cela s'est-il fait ? Le Très-Haut est descendu parfaitement et divinement, par l'humble Marie, jusqu'à nous, sans rien perdre de sa divinité et sainteté ; et c'est par Marie que les très-petits doivent monter parfaitement et divinement au Très-Haut, sans rien appréhender. L'Incompréhensible s'est laissé comprendre et contenir parfaitement par la petite Marie, sans rien perdre de son immensité ; c'est aussi par la petite Marie que nous devons nous laisser contenir et conduire parfaitement sans aucune réserve. L'Inaccessible s'est approché, s'est uni étroitement, parfaitement et même personnellement, à notre humanité par Marie, sans rien perdre de sa majesté ; c'est aussi par Marie que nous devons approcher de Dieu et nous unir à sa majesté parfaitement et étroitement, sans crainte d'être rebutés.
Enfin, Celui qui est a voulu venir à ce qui n'est pas, et faire que ce qui n'est pas devienne Dieu en celui qui est ; et il l'a fait parfaitement en se donnant et se soumettant entièrement à la jeune vierge Marie, sans cesser d'être dans le temps celui qui est de toute éternité. De même, c'est par Marie que, quoique nous ne soyons rien, nous pouvons devenir semblables à Dieu par la grâce et la gloire, en nous donnant à elle si parfaitement et entièrement, que nous ne soyons rien en nous-mêmes et tout en elle, sans crainte de nous tromper.
Qu'on me fasse un chemin nouveau pour aller à Jésus-Christ, et que ce chemin soit pavé de tous les mérites des Bienheureux, orné de toutes leurs vertus héroïques, éclairé et embelli de toutes les lumières et beautés des Anges, et que tous les Anges et les Saints y soient pour y conduire, défendre et soutenir ceux et celles qui y voudront marcher ; en vérité, en vérité, je dis hardiment, et je dis la vérité, que je prendrais préférablement à ce chemin qui serait si parfait, la voie immaculée de Marie : Posui immaculatam viam meam ; voie ou chemin sans aucune tache ni souillure, sans péché originel ni actuel, sans ombres ni ténèbres ; et si mon aimable Jésus, dans sa gloire, vient une seconde fois sur la terre (comme il est certain), pour y régner, il ne choisira point d'autre voie de son voyage que la divine Marie , par laquelle il est si sûrement et parfaitement venu la première fois : la différence qu'il y aura entre la première et la dernière venue, c'est que la première a été secrète et cachée, la seconde sera glorieuse et éclatante ; mais toutes deux parfaites, parce que toutes deux seront par Marie. Hélas ! voici un mystère qu'on ne comprend pas : Hic taceat omnis lingua.

4° Cette dévotion à la Sainte-Vierge est un chemin assuré pour aller à Jésus-Christ, et acquérir la perfection en nous unissant à lui.

1° Parce que cette pratique que j'enseigne n'est pas nouvelle : elle est si ancienne, qu'on ne peut, comme dit M. Boudon (mort depuis peu en odeur, de sainteté), dans un livre qu'il a fait de cette dévotion, en marquer précisément les commencements ; il est cependant certain que, depuis plus de 700 ans, on en trouve des marques dans l'Église. Saint Odillon, abbé de Cluny, qui vivait environ l'an 1040, a été un des premiers qui l'a pratiquée publiquement en France, comme il est marqué dans sa vie. Le cardinal Pierre Damien rapporte que, l'an 1036, le Bienheureux Marin, son frère, se fit esclave de la Sainte-Vierge, en présence de son directeur, d'une manière bien édifiante ; car il se mit la corde au cou, prit la discipline, et mit sur l'autel une somme d'argent, pour marquer son dévouement et sa consécration à la Sainte-Vierge ; ce qu'il continua si fidèlement toute sa vie, qu'il mérita à sa mort d'être visité et consolé par sa bonne maîtresse, et de recevoir de sa bouche les promesses du Paradis, pour récompense de ses services.
Césarius Bollandus fait mention d'un illustre chevalier, Vautier de Birbac, qui, environ l'an 1500, fit cette Consécration de soi-même à la Sainte-Vierge. Cette dévotion a été pratiquée par plusieurs particuliers, jusqu'au xviie siècle, où elle est devenue publique.
Le Père Simon de Roras, de l'ordre de la Trinité, dit de la Rédemption des Captifs, prédicateur du roi Philippe III, mit en vogue cette dévotion par toute l'Espagne et l'Allemagne, et obtint, à l'instance de Philippe III, de Grégoire XV, de grandes indulgences à ceux qui la pratiqueraient. Le R. Père de Los-Rios, Augustin, s'appliqua avec son intime ami, le Père Roras, à étendre cette dévotion par ses paroles et ses écrits dans l'Espagne et l'Allemagne ; il composa un gros volume, intitulé : Hierarchia Mariana, dans lequel il traite avec autant de piété que d'érudition de l'antiquité, de l'excellence et de la solidité de cette dévotion. Les RR. Pères Théatins, au siècle dernier, établirent cette dévotion dans l'Italie, la Sicile et la Savoie. Le R. Père Stanislas Phalacius, de la Compagnie de Jésus, avança merveilleusement cette dévotion dans la Pologne. Le Père de Los-Rios, dans son livre cité ci-dessus, rapporte les noms des Princes, Princesses, Ducs et Cardinaux de différents royaumes, qui ont embrassé cette dévotion.
Le R. Père Cornélius, à Lapide, aussi recommandable pour sa piété que pour sa science profonde, ayant reçu commission de plusieurs théologiens d'examiner cette dévotion, après l'avoir examinée mûrement, lui donna des louanges dignes de sa piété, et plusieurs autres grands personnages suivirent son exemple.
Les RR. Pères Jésuites, toujours zélés au service de la très-sainte Vierge, présentèrent, au nom des congréganistes de Cologne, un petit traité de cette dévotion au Duc Ferdinand de Bavière, pour lors archevêque de Cologne, qui lui donna son approbation, et la permission de le faire imprimer, exhortant tous les curés et religieux de son diocèse d'avancer, autant qu'ils le pourraient, cette dévotion. Le cardinal de Bérulle, dont la mémoire est en bénédiction par toute la France, fut un des plus zélés à étendre en France cette dévotion, malgré toutes les calomnies et persécutions que lui firent les critiques et les libertins : ils l'accusèrent de nouveauté et de superstition ; ils écrivirent et publièrent contre lui un écrit diffamatoire ; et ils se servirent, ou plutôt le démon par leur ministère, de mille ruses pour l'empêcher d'étendre cette dévotion en France ; mais ce grand et saint homme ne répondit à leurs calomnies que par sa patience ; et à leurs objections, contenues dans leur libelle, que par un petit écrit où il les réfute puissamment, en leur montrant que cette dévotion est fondée sur l'exemple de Jésus-Christ, sur les obligations que nous lui avons, et sur les vœux que nous avons faits au saint Baptême ; et c'est particulièrement par cette dernière raison qu'il ferme la bouche à ses adversaires, leur faisant voir que cette consécration à la Sainte-Vierge et à Jésus-Christ par ses mains, n'est autre chose qu'une parfaite rénovation des vœux ou promesses du Baptême : il dit plusieurs belles choses sur cette pratique, qu'on peut lire en ses ouvrages.
On peut lire dans le livre de M. Boudon, les différents Papes qui ont approuvé cette dévotion, les Théologiens qui l'ont examinée, les persécutions qu'elle a eues et vaincues, et les milliers de personnes qui l'ont embrassée, sans que jamais aucun Pape l'ait condamnée ; et on ne le pourrait pas faire sans renverser les fondements du Christianisme. Il reste donc constant que cette dévotion n'est point nouvelle ; et, que si elle n'est pas commune, c'est qu'elle est trop précieuse pour être goûtée et pratiquée de tout le monde.

2° Cette dévotion est un moyen assuré pour aller à Jésus-Christ, parce que le propre de la Sainte-Vierge est de nous conduire sûrement à Jésus-Christ, comme le propre de Jésus-Christ est de nous conduire sûrement au Père éternel. Et que les spirituels ne croient pas faussement que Marie leur soit un empêchement pour arriver à l'union divine ; car serait-il possible que celle qui a trouvé grâce devant Dieu pour tout le monde en général, et pour chacun en particulier, fût un empêchement à une âme pour trouver la grande grâce de l'union avec lui ? Serait-il possible que celle qui a été toute pleine et surabondante de grâce, si unie et transformée en Dieu, qu'il a fallu qu'il se soit incarné en elle, empêchât qu'une âme ne fût parfaitement unie à Dieu ? Il est bien vrai que la vue des autres créatures, quoique saintes, pourrait peut-être, en de certains temps, retarder l'union divine ; mais non pas Marie , comme j'ai dit et dirai toujours sans me lasser. Une raison pourquoi si peu d'âmes arrivent à la plénitude de l'âge de Jésus-Christ, c'est que Marie, qui est autant que jamais la Mère du Fils et l'épouse féconde du Saint-Esprit, n'est pas assez formée dans leurs cœurs. Qui veut avoir le fruit bien mûr et bien formé, doit avoir l'arbre qui le produit ; qui veut avoir le fruit de vie, Jésus-Christ, doit avoir l'arbre de vie, qui est Marie ; qui veut avoir en soi l'opération du Saint-Esprit, doit avoir son Épouse fidèle et indissoluble, la divine Marie, qui le rend fertile et fécond, comme nous l'avons dit ailleurs.
Soyez donc persuadé que plus vous regarderez Marie en vos oraisons, contemplations, actions et souffrances, sinon d'une vue distincte et aperçue, du moins d'une vue générale et imperceptible, et plus parfaitement vous trouverez Jésus-Christ, qui est toujours avec Marie, grand, puissant, opérant et incompréhensible.
Ainsi, bien loin que la divine Marie, toute perdue en Dieu, devienne un obstacle aux parfaits pour arriver à l'union avec Dieu, il n'y a point eu jusqu'ici et il n'y aura jamais de créature qui nous aide plus efficacement à ce grand ouvrage, soit par les grâces qu'elle nous communiquera à cet effet ; personne n'étant rempli de la pensée de Dieu que par elle, dit un Saint : Nemo cogitatione Dei repletur nisi per te ; soit par les illusions et tromperies du malin esprit dont elle nous garantira.
Là où est Marie, là l'esprit malin n'est point ; et une des plus infaillibles marques qu'on est conduit par le bon esprit, c'est quand on est bien dévot à Marie , qu'on pense souvent à elle, et qu'on en parle souvent.
C'est la pensée d'un Saint, qui ajoute que, comme la respiration est une marque certaine que le corps n'est pas mort, la fréquente pensée et invocation amoureuse de Marie est une marque certaine que l'âme n'est pas morte par le péché.
Comme c'est Marie seule, dit l'Église et le Saint-Esprit, qui la conduit, qui a seule fait périr toutes les hérésies : Sola cunctas hoereses interemisti in universo mundo. Quoique les critiques en grondent, jamais un fidèle dévot de Marie ne tombera dans l'hérésie ou l'illusion du moins formelle ; il pourra bien errer matériellement, prendre le mensonge pour la vérité, et le malin esprit pour le bon, quoique plus difficilement qu'un autre ; mais il connaîtra tôt ou tard sa faute et son erreur matérielle ; et quand il la connaîtra, il ne s'opiniâtrera en aucune manière à croire et à soutenir ce qu'il avait cru véritable. Quiconque donc, sans crainte d'illusion ; qui est ordinaire aux personnes d'oraison, veut avancer dans la voie de la perfection et trouver sûrement et parfaitement Jésus-Christ, qu'il embrasse avec un grand cœur, Corde magno et animo volenti, cette dévotion à la Sainte-Vierge, qu'il n'avait peut-être pas encore connue ; qu'il entre dans ce chemin excellent qui lui était inconnu, et que je lui montre : Excellentiorem viam vobis demonstro.



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