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samedi 27 juin 2020

De la Crainte de Dieu


Saint Jean sur le Cœur de Jésus
La parfaite charité bannit la crainte. (Saint Jean)

Dieu veut être craint, sans doute : et ce n'est pas en vain que l'Écriture déclare en mille endroits, qu'il est terrible en ses jugements, et que saint Paul dit, qu'il est horrible de tomber entre les mains du Dieu vivant. Aussi la crainte du Seigneur est-elle le commencement de la sagesse ; mais elle n'en est que le commencement ; l'amour en est le progrès et la consommation. La crainte est un don du Saint-Esprit, mais un don par lequel il veut nous préparer à d'autres dons plus excellents. Il est donc utile et même nécessaire d'avoir ce sentiment de crainte, et d'en être pénétré non-seulement dans l'âme, mais jusque dans notre chair ; mais il n'en faut pas demeurer là, il faut aspirer à cette parfaite charité qui bannit la crainte, ou plutôt qui l'épure, qui l'ennoblit, qui la change en une autre crainte, fille de l'amour.
Si nous avons à sortir de l'état du péché, livrons-nous à toute la terreur des jugements de Dieu ; craignons sa justice inexorable, craignons ses vengeances éternelles. Laissons agir ce sentiment dans toute sa force, et gardons-nous bien de chercher à l'affaiblir ; c'est l'Esprit saint qui le met lui-même dans nos cœurs, pour nous disposer à une sincère conversion.
Après la conversion, que la crainte nous soutienne encore dans la pratique de la pénitence ; que la pensée du feu de l'enfer que nous avons si souvent mérité, et dont la pénitence, selon la pensée de Tertullien, n'est qu'une compensation, anime notre courage, nous rende saintement ennemis de nous-mêmes, et nous fasse embrasser généreusement tout ce que la mortification chrétienne a de pénible pour la nature.
Craignons encore dans les occasions continuelles où nous sommes de pécher, dans la vue de notre extrême faiblesse, et de l'empire de l'habitude. Opposons à l'attrait du plaisir, aux suggestions du démon, à la violente impulsion de la concupiscence, la crainte de la justice divine et de ses menaces formidables contre les pécheurs qui retombent dans le crime après en avoir obtenu le pardon. La crainte est un contrepoids dont les âmes innocentes, aussi bien que les pécheurs réconciliés, ont besoin en mille rencontres pour se préserver du péché.
Mais, après tout, le motif de la crainte n'est pas celui qui doit dominer dans la vie du chrétien ; ce n'est pas l'intention de Dieu ; il mérite d'être servi par des motifs plus relevés, et le cœur humain est fait pour être conduit par l'amour. L'amour est le seul sentiment vraiment digne de Dieu ; il en a fait le premier et le plus grand de ses commandements ; il mérite ce sentiment de notre part par ses perfections infinies, par les bienfaits dont il nous a comblés dans l'ordre de la nature et dans celui de la grâce, et par les biens éternels qu'il nous promet, et qui seront la récompense de l'amour. Ce sentiment est aussi le seul qui change véritablement le cœur, qui le tourne vers Dieu, et le dégoûte des créatures, qui l'amollit, qui l'élargit, qui l'élève, qui le rend capable de tout faire et de tout souffrir pour Dieu.
Deux choses sont commandées au chrétien : d'éviter le mal, et de faire le bien. La crainte peut bien nous faire éviter le mal ; mais elle ne nous portera jamais à la pratique du bien. L'amour, au contraire, produit excellemment l'un et l'autre effet ; il nous détourne efficacement du mal, et même de toute apparence du mal ; il nous porte au bien, et au bien le plus parfait, nonobstant toutes les difficultés et tous les sacrifices qu'il en peut coûter à la nature. La crainte qui n'envisage que notre intérêt, n'est pas généreuse ; elle s'en tient à ce qui est de pure obligation, et croit encore beaucoup faire en l'accomplissant. Il n'en est pas ainsi de l'amour. Il est toujours au-dessus de ce qu'il donne, et il compte pour rien tout ce qu'il a fait, lorsqu'il peut faire quelque chose au-delà. Les délicatesses, les attentions, les prévenances de l'amour ne sont connues que de lui ; la crainte n'en donne pas même l'idée. Lors donc que Dieu a commencé à répandre dans nos cœurs sa charité, lorsque nous sentons que nous l'aimons, et que tout notre désir est de lui en donner des témoignages, il faut nous livrer tout entiers à ce sentiment, le nourrir avec le plus grand soin, et éloigner tout ce qui pourrait l'affaiblir. Dieu lui-même prend plaisir alors de se montrer à l'âme avec tous ses charmes ; il lui donne de si vives impressions de sa bonté, qu'elle s'étonne, en quelque sorte, qu'on puisse le craindre ; elle s'approche de lui avec confiance ; elle lui parle avec une sainte familiarité ; elle ne lui parle que d'amour ; les vérités terribles ne l'affectent plus, à peine y pense-t-elle ; la crainte fait place à un sentiment plus doux, et elle éprouve avec transport la vérité de ce qu'a dit saint Jean : La parfaite charité chasse la crainte. Elle craint pourtant encore, mais d'une crainte chaste, d'une crainte qui n'appartient qu'aux enfants. Ce n'est plus parce que Dieu est terrible en ses vengeances, qu'elle craint de l'offenser ; mais parce qu'il est son Père, parce qu'elle l'aime, parce qu'il est infiniment parfait, et que le péché lui déplaît souverainement. Elle a horreur non-seulement du péché mortel, mais du péché véniel, mais de la moindre faute, et elle n'en voudrait pas commettre une seule de propos délibéré. Elle sait que le péché est le mal de Dieu ; et le plus petit mal de Dieu, qu'elle aime uniquement, lui paraît plus grand que tous les autres maux, quels qu'ils puissent être. Quelle force cette crainte filiale ne lui donne-t-elle pas pour se combattre, pour résister aux tentations ! Quelle attention, quelle vigilance continuelle sur elle-même ne lui inspire-t-elle pas ! Quelles précautions elle lui suggère pour éviter tout ce qui peut déplaire à celui qu'elle aime ! Avec quelle facilité ne force-t-elle pas tous les obstacles, ne brise-t-elle pas tous les liens, ne triomphe-t-elle pas du monde et de ses plaisirs, de la chair et de sa sensualité, du démon et de ses tentations ! Quelle joie pour elle de se trouver affranchie de tout ce qui la captivait, et de pouvoir aimer de toute l'étendue de son affection celui qui seul mérite d'être aimé! La crainte des esclaves, cette crainte qui glace, qui rétrécit le cœur, produisit-elle jamais, peut-elle produire de semblables effets.
Si la crainte de déplaire à l'objet aimé, détourne l'âme de tout mal, le désir de lui plaire l'excite à la pratique de tout le bien que Dieu peut désirer d'elle. Elle va au-devant des occasions, sans empressement pourtant ; elle saisit avec joie toutes celles qui se présentent ; les travaux, les souffrances, les sacrifices ne lui coûtent rien. Pourvu qu'elle parvienne à contenter Dieu, elle est contente ; et sa plus grande douleur serait d'avoir à se reprocher quelque négligence, quelque lâcheté à cet égard. Comme elle sait que le plus grand ennemi qu'ait Dieu, c'est elle-même, c'est sa nature corrompue, c'est son amour-propre, elle se hait comme Dieu la hait ; elle se combat, se poursuit, se fait violence en tout ; et, parce qu'elle sent bien qu'il lui est impossible de se détruire, elle s'offre à Dieu et à ses coups, afin que lui-même détruise et anéantisse son ennemi.
Voilà ce que fait la parfaite charité : lorsqu'elle s'est emparée d'un cœur, la crainte l'y a introduite ; mais une fois qu'elle est entrée, elle chasse cette crainte et veut régner seule. En effet, ces deux sentiments sont incompatibles. La charité, qui n'envisage que Dieu, renonce à tout propre intérêt, et l'intérêt propre est au contraire l'unique chose que la crainte consulte, l'unique mobile de ses démarches. La charité ne sert pas Dieu parce qu'il est terrible, mais parce qu'il est bon ; elle ne le craint pas comme maître, elle l'aime comme père ; elle ne fait attention ni au châtiment, ni même à la récompense, mais elle s'arrête à Dieu, qu'elle aime pour lui-même sans aucun retour sur elle.
Quand donc une âme qui s'est donnée à Dieu, et qui l'aime de tout son cœur, est vivement frappée de la terreur de ses jugements ; si ce sentiment vient de Dieu, c'est une épreuve, et elle doit la porter avec amour. Si c'est un effet de l'imagination, il ne faut pas qu'elle s'y arrête, et elle doit éviter tout ce qui pourrait l'entretenir. S'il vient du démon qui tâche de la porter au désespoir, elle doit ranimer sa confiance en Dieu, se jeter entre ses bras, s'abandonner à lui, et le prier de tirer sa gloire de cette tentation, en la faisant servir au triomphe de son pur amour. Car Dieu ne la permet que pour porter l'âme à l'aimer avec plus de pureté, pour la détacher d'un reste d'intérêt propre, pour l'obliger à se renoncer en ce qu'elle a de plus intime. Quand elle a fait généreusement ce sacrifice, elle est tranquille ; le démon disparaît et perd tout pouvoir sur elle ; le règne de l'amour s'établit et s'affermit en elle. C'est ainsi que la crainte, même celle qui vient d'épreuve et de tentation, doit aboutir, dans les desseins de Dieu, à la charité parfaite. Tâchons avec le secours de la grâce d'en faire cet usage.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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