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vendredi 12 juin 2020

Idée de la vraie Vertu




Il est peu de chrétiens, même parmi ceux qui sont spécialement consacrés à Dieu, qui aient une juste idée de la vraie vertu. Presque tous la font consister dans une certaine routine de piété, dans la fidélité à certaines pratiques extérieures. Si avec cela ils ont par intervalles quelques mouvements de dévotion sensible, sans discerner même si ces mouvements viennent de Dieu, ou de leurs propres efforts, ils se croient solidement vertueux. Cependant ils sont sujets à mille défauts dont ils ne s'aperçoivent pas, et qu'on essaierait en vain de leur mettre sous les yeux. Ils sont petits, minutieux, scrupuleusement exacts dans leurs pratiques, remplis d'estime pour eux-mêmes, d'une extrême sensibilité, entêtés de leurs idées, concentrés dans leur amour-propre, gênés et affectés dans leurs manières ; rien de vrai, rien de simple, rien de naturel en eux. Ils se préfèrent intérieurement aux autres, et souvent ils méprisent, condamnent et persécutent, dans les Saints mêmes, la véritable piété qu'ils ne connaissent point. Rien n'est plus commun dans le christianisme que cette justice fausse et pharisaïque. Les vrais gens de bien n'ont pas de plus grands ennemis ; et, pour les peindre d'un seul trait, ce sont ces faux justes qui ont crucifié Jésus-Christ, et qui le crucifient encore tous les jours dans ses plus parfaits imitateurs. Dès qu'une personne se donne véritablement à Dieu, et s'applique à la vie intérieure, elle est sûre d'attirer sur elle, d'abord la jalousie et la critique, ensuite, les calomnies et les persécutions des dévots pharisiens.
Pour concevoir ce que c'est que la vraie vertu, c'est dans Jésus-Christ qu'il faut la considérer ; il est notre unique modèle, il nous a été donné comme tel, il s'est fait homme pour nous rendre la sainteté sensible et palpable. Toute sainteté qui n'est pas formée et moulée sur la sienne, est fausse ; elle déplaît à Dieu, elle trompe les hommes, elle est tout au moins inutile pour le ciel. Étudions donc Jésus-Christ, et pour le bien connaître, pour l'exprimer ensuite en nous, demandons-lui continuellement sa lumière et ses grâces.
Jésus-Christ ne s'est jamais cherché lui-même, jamais il n'a eu en vue ses propres intérêts, ni temporels, ni spirituels ; il n'a jamais fait une seule action pour plaire aux hommes; il ne s'est jamais abstenu d'aucune bonne œuvre dans la crainte de leur déplaire. Dieu seul, sa gloire et sa volonté ont été l'unique objet de ses pensées et de ses sentiments, l'unique règle de sa conduite. Il a tout sacrifié, tout sans aucune réserve, aux intérêts de son Père.
Jésus-Christ a fait consister la piété dans les dispositions intérieures, non dans des sentiments vains et illusoires, mais dans des sentiments sincères, efficaces, toujours suivis de l'exécution ; disposition d'un entier dévouement à Dieu, d'un continuel anéantissement de lui-même, d'une charité sans bornes envers les hommes. Tous les instants de sa vie ont été consacrés à l'accomplissement de ces trois dispositions. Il n'a négligé l'observation d'aucun point de la loi ; mais en même temps il a déclaré, et par ses discours, et par son exemple, que cette observation devait venir d'un principe intérieur d'amour, et que la seule pratique de la lettre faisait des esclaves et non des enfants de Dieu.
Jésus-Christ a toujours regardé la vie présente comme un passage, un pèlerinage, un temps d'épreuve uniquement destiné à témoigner à Dieu son amour. Ce qui est éternel l'a toujours occupé. Il a donné à la nature ce qui lui était nécessaire, sans jamais aller au delà. Quoiqu'il n'eût rien, et que, pour les besoins du corps, il fût dans une dépendance continuelle de la Providence, il n'a jamais été inquiet du lendemain, et il a voulu éprouver plus d'une fois les effets de la pauvreté.
Jésus-Christ a embrassé par choix ce qui fait le plus de peine aux hommes, et à quoi ils ne se soumettent que par la nécessité de leur condition. Il n'a pas absolument réprouvé les richesses, mais il leur a préféré la pauvreté. Il n'a pas condamné les rangs et les marques d'honneur que Dieu lui-même a établis parmi les hommes, mais il leur a appris qu'une condition obscure, dénuée de toute espèce de considération, était plus agréable à Dieu, plus favorable au salut, et que se croire plus que les autres, parce qu'on est né grand, noble, puissant, qu'on a autorité sur eux ; c'est une erreur, une source de bien des fautes. À l'exception des plaisirs naturels que le Créateur a attachés à certaines actions, et dont l'usage est soumis aux règles les plus sévères, il a méprisé absolument tous les autres genres de plaisirs qu'on recherche avec tant de fureur, et il s'est interdit même les plus innocents. Le travail, les courses apostoliques, la prière, l'instruction de ses disciples et des peuples, ont rempli tous les moments de sa vie.
Jésus-Christ a été simple, uni, sans affectation dans ses discours et dans toutes ses actions. Il a enseigné avec toute l'autorité d'un Homme-Dieu les choses les plus sublimes, les plus inconnues aux hommes avant lui. Mais il a proposé sa doctrine d'une manière aisée, familière, éloignée de toute la pompe de l'éloquence humaine, à portée de tous les esprits. Ses miracles, divins en eux-mêmes, le sont encore plus par la manière dont il les fait. Il a voulu que le récit des Évangélistes répondit à la simplicité de sa vie. Il est impossible d'exprimer avec moins de recherche, des faits et des discours qui portent l'empreinte de la divinité.
Jésus-Christ a eu une tendre compassion pour les pécheurs sincèrement humiliés et repentants de leurs fautes. Je suis venu pour les pécheurs, disait-il, et non pour les justes qui se confient en leur propre justice. Le publicain, Magdeleine, la femme adultère, la Samaritaine sont traités par lui avec une bonté qui nous étonne. Mais l'orgueil, l'hypocrisie, l'avarice des pharisiens, sont l'objet de sa censure et de ses malédictions. Les péchés de l'esprit, péchés auxquels les faux dévots sont plus sujets que les autres, sont ceux qu'il condamne avec le plus de sévérité, parce qu'ils marquent plus d'aveuglement dans l'esprit, et plus de corruption dans le cœur.
Jésus-Christ a supporté avec une douceur inaltérable les défauts et la grossièreté de ses Apôtres. À considérer les choses selon nos idées, combien ne devait-il pas souffrir d'avoir à vivre avec des hommes si imparfaits et si ignorants des choses de Dieu ? Le commerce avec le prochain est peut-être une des choses les plus difficiles et qui coûtent le plus aux Saints. Plus ils sont élevés en Dieu, plus ils ont besoin de condescendance pour se rabaisser, pour se proportionner, pour dissimuler, pour excuser dans les autres mille défauts dont ils s'aperçoivent mieux que personne. Ce point est d'une pratique continuelle, et, de la conduite qu'on tient à cet égard, dépend ce qui rend la vertu aimable ou rebutante.
Jésus-Christ a souffert de la part de ses ennemis tous les genres de persécutions, mais il n'y a jamais cédé. Il ne leur a opposé que son innocence et la vérité, et par là il les a toujours confondus. L'heure venue où il devait tomber entre leurs mains, il a laissé agir leurs passions qu'il regardait comme les instruments de la justice divine. Il s'est tu quand il les a vus obstinés dans leur malice ; il n'a pas cherché à se justifier, ce qui lui était si aisé ; il s'est laissé condamner ; il les a laissés jouir de leur prétendu triomphe, il leur a pardonné, il a prié, il a versé son sang pour eux. Voilà le point le plus sublime et le plus difficile de la perfection.
Quiconque aspire à la vraie sainteté et à se conduire en tout par l'esprit de Dieu, doit s'attendre à passer par les langues des hommes, à essuyer leurs calomnies et quelquefois leurs persécutions. C'est ici surtout qu'il faut se proposer Jésus-Christ pour modèle ; soutenir tant qu'on le peut, à ses dépens, les intérêts de la vérité ; ne répondre aux calomnies que par une vie innocente ; garder le silence lorsqu'il n'est pas absolument nécessaire de parler ; laisser à Dieu le soin de nous justifier, s'il le juge à propos ; étouffer dans son cœur tout ressentiment, toute aigreur ; prévenir ses ennemis par toutes sortes d'actes de charité; prier Dieu qu'il leur pardonne, et ne voir dans ce qu'ils nous font souffrir, que l'accomplissement des desseins de Dieu sur nous.
Quand la vertu se soutient ainsi dans le mépris, dans l'opprobre, dans les mauvais traitements, on peut la regarder comme consommée. Aussi Dieu réserve-t-il ordinairement cette épreuve pour la fin. Heureux ceux qui y passent ! Ils auront à la gloire de Jésus-Christ une part proportionnée à celle qu'ils ont eue à ses humiliations. Désirer un pareil état, l'accepter quand il nous est offert, le soutenir lorsqu'on s'y trouve, ce ne peut être qu'un pur effet de la grâce, et d'une grâce extraordinaire. Pour nous, tenons-nous dans notre petitesse ; n'aspirons de nous-mêmes à rien de relevé, et demandons seulement à Dieu que le respect humain ne nous fasse jamais abandonner ses intérêts.

(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertuDe la vraie et solide dévotion, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Grâce, Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Prière, Voyez de quel esprit vous êtes incité et poussé, quand vous entendez quelque chose d'extraordinaire et de grand que Dieu opère en ses véritables serviteurs, Voyez donc de quel esprit vous désirez suivre la conduite, si c'est de l'esprit de vérité, ou de celui de mensonge, Que c'est une chose dangereuse que de résister au Saint-Esprit, Faites un bon usage de tous les moyens extérieurs ou intérieurs que Dieu voudra vous donner pour votre avancement à la vertu, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Ordre de la vie spirituelle pour les Directeurs, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des maladies de l'âme, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.