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lundi 8 juin 2020

Seconde Méditation sur le petit nombre des Élus : Le nombre de ceux qui seront sauvés est très-petit, selon ce que la raison même nous apprend




Considérez que la foi ne nous enseignerait pas expressément cette terrible vérité, supposez certains principes de l'Évangile, dont tous les Chrétiens conviennent ; la seule raison suffirait pour nous convaincre que le nombre des sauvés doit être très-petit. Il ne faut pour cela que considérer d'une part ce que nous sommes obligés de faire, et de l'autre ce que nous faisons.
Pour être sauvé, il faut nécessairement vivre selon les maximes de l'Évangile, et le nombre de ceux qui vivent aujourd'hui selon ces maximes est-il fort grand ?
Pour être sauvé, il faut se déclarer hautement disciple de Jésus-Christ. Hélas ! combien de gens ont aujourd'hui honte de paraître tels ? Il faut renoncer, ou d'effet, ou d'affection à tout ce qu'on possède, et porter sa croix chaque jour ; à cette marque reconnaissez-vous beaucoup de disciples ? Le monde est l'ennemi irréconciliable de Jésus-Christ ; c'est se déclarer contre Jésus-Christ, que de suivre les maximes du monde : il n'est pas possible de servir tout à la fois ces deux Maîtres ; jugez lequel des deux le grand nombre sert.
Les Pharisiens étaient des gens qui avaient un dehors fort réglé, c'étaient des gens extrêmement mortifiés, leur conduite paraissait irréprochable, et cependant, si nous ne sommes plus exacts observateurs de la Loi, si nous n'avons une vertu, et plus solide, et plus parfaite, nous n'entrerons jamais dans le Ciel.
C'est beaucoup de ne se pas venger, c'est encore plus de pardonner les injures, et ce n'est pas encore assez pour être sauvé, il faut quelque chose de plus parfait, et de plus héroïque, pour être sauvé ; il faut aimer ceux mêmes qui nous persécutent, ceux qui nous ont le plus maltraités.
Il ne suffit pas de condamner les mauvaises actions, il faut avoir encore horreur des moindres pensées criminelles ; non-seulement il n'est pas permis de retenir le bien d'autrui, il faut encore assister les pauvres de son propre bien : l'humilité chrétienne, qui doit faire en partie le caractère des Chrétiens, ne souffre point l'ambition, ni le faste ; la modestie doit être le plus bel ornement extérieur d'une personne chrétienne ; mais à ce portrait, reconnaissez-vous beaucoup de Chrétiens ?
Travaillons tant qu'il nous plaira ; si ce n'est pas véritablement pour Dieu que nous travaillons, personne durant toute l'éternité ne nous saura gré de nos peines : gardons tant de mesure qu'il nous plaira, sauvons toutes les bienséances ; Dieu ne se paye point des dehors ; il veut le cœur, il veut être adoré en esprit et en vérité, c'est-à-dire, qu'il veut être servi avec sincérité, et avec droiture. De bonne foi, est-ce-là la règle des mœurs de la plupart des gens du monde ? La piété même de toutes les personnes dévotes est-elle toute selon cette règle des mœurs ?
Mais pour être encore plus convaincu d'une vérité si terrible, il ne faut que réfléchir sur le premier Commandement de la Loi : Vous aimerez le seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et de tout votre esprit, et votre prochain comme vous-même. C'est ici le premier des Commandements, et la base de tous les autres ; ne pas observer celui-ci, c'est comme les violer tous. Trouve-t-on beaucoup de Chrétiens, même de ceux qui font profession de vertu, qui gardent véritablement ce précepte ? Puis-je dire moi-même que je l'ai gardé ? Et ai-je du moins sujet d'espérer que je serai de ce nombre ?
Un seul péché mortel ravit en un moment tout le mérite de la plus longue, et de la plus sainte vie ; vit-on aujourd'hui dans une grande innocence ? Que de crimes secrets ! que de péchés de jeunesse qui échappent ! combien de péchés griefs qu'on regarde comme légers ! Nul qui soit sur de sa pénitence : concluez s'il y aura beaucoup de gens sauvés.
C'est un article de Foi, que les fourbes, les détracteurs, les orgueilleux, les vindicatifs, et les impudiques n'entreront jamais dans le Ciel : que pour y entrer, il faut, ou n'avoir jamais perdu la grâce, ou l'avoir recouvrée par une sincère pénitence ; et le nombre de ces justes, ou des ces pénitents est-il bien grand ? En trouve-t-on beaucoup qui se fassent cette violence perpétuelle, sans laquelle on ne saurait entrer dans le Ciel ? En trouve-t-on beaucoup qui aient cette pureté de moeurs, et qui vivent dans l'exercice de cette pénitence ? Où est cette horreur du vice ? Où est cette ardente charité, qui fait en partie le caractère des Élus ?
Qu'est devenue cette simplicité des premiers Chrétiens, cette bonne foi, cette vie exemplaire ? Tout cède aujourd'hui à l'intérêt, on fait même servir la Religion à ses desseins particuliers, on se laisse entraîner par la foule ; c'est ainsi, dit-on, qu'on vit aujourd'hui dans le monde : il faut être homme parmi les hommes ; à la bonne heure, mais il faut être Chrétien pour être sauvé, il faut vivre en Chrétien parmi ceux qui n'en ont que le nom.
C'est une vérité qui n'est pas moins constante que celle-ci, savoir, que le salut est notre plus importante, notre unique affaire ; que toute la vie ne nous est donnée que pour y travailler, qu'il y faut donner tous nos soins, toute notre application, sans qu'on puisse encore après cela être assuré du succès ; et s'en trouve-t-il beaucoup de ces Chrétiens zélés, qui regardent leur salut comme leur importante, et leur unique affaire ?
Sans la grâce finale, il n'y a point de salut à espérer ; c'est cependant une vérité incontestable, que personne ne peut mériter cette dernière grâce, et que Dieu peut sans nulle injustice, la refuser aux plus grands Saint ; Et sur quel fondement, nous qui sommes si peu fidèles, et si tièdes au service de Dieu, nous promettrons-nous de l'avoir ?
Ce ne sont point là des conseils, ce sont les lois, et les maximes de Jésus-Christ, le fondement, et la règle de notre salut. Ce ne sera pas pour avoir su ces lois, et ces maximes que l'on sera sauvé : mais ce sera pour les avoir gardées. Il ne faut même que se dispenser d'une seule pour être damné. Considérons maintenant, nous qui savons comme on vit aujourd'hui dans le monde si le nombre de ceux qui seront sauvés est bien grand, et considérons de bonne foi, si nous avons nous-mêmes grand sujet d'espérer d'être de ce nombre.
On s'acquitte à la vérité de certains devoirs de Religion, on fréquente les Sacrements, nos Églises sont remplies de peuple : mais peut-on compter sûrement sur ces exercices extérieurs de piété ? Quel fruit de l'usage des Sacrements ? Quelle régularité dans la conduite, et quelle pureté de mœurs parmi ce peuple ?
Combien pensez-vous qu'il y aura de gens sauvés dans cette grande Ville, disait saint Chrysostome aux Habitants d'Antioche ? Ce que je vais dire, ajoute ce grand Saint, effrayera, et je ne saurais cependant me dispenser de le dire : De tant de mille âmes, qui composent à présent cette grande Ville, une des plus vastes, et des plus peuplées de l'Univers, à peine y en aura-t-il cent de sauvées, encore doutai-je du salut de celles-ci.
La Ville d'Antioche n'était pas alors moins policée, que le sont aujourd'hui les Villes de la Chrétienté ; elle était remplie d'honnêtes gens, le peuple y passait même pour dévot ; on y fréquentait les Sacrements, on y vivait comme on vit aujourd'hui dans le monde : jugeons par le sentiment d'un Saint, qui n'aurait jamais parlé si affirmativement sans une lumière particulière ; jugeons du nombre des Élus.
En vérité, à quoi pensons-nous de nous imposer ainsi ? et de nous aveugler jusqu'à ne pas voir que nous nous perdons sans ressource ! et ne voyons-nous pas, que vivant comme vivent la plupart ; notre Religion nous oblige de croire que nous nous damnons ?
En effet, si avec de telles lois, et de telles maximes, notre Religion nous laissait l'espérance d'être sauvés, en faisant tout le contraire de ce qu'elle nous prescrit, pourrions-nous croire que notre Religion fût bonne, et ne serait-ce pas là vouloir imposer au Genre humain ? Mais, grâces à Dieu, notre Religion est la première à se récrier là-dessus ; elle condamne une telle contradiction de mœurs, elle réprouve une conduite si peu chrétienne, et le nombre des Chrétiens lâches, et déréglés, ne justifiera jamais leur lâcheté, ni leur dérèglement.
C'est un article de Foi, que personne ne sera sauvé s'il ne ressemble à Jésus-Christ, c'est-à-dire, s'il n'a les mêmes sentiments que lui, c'est-à-dire, s'il n'a en horreur ce que Jésus-Christ déteste, et s'il n'estime ce que Jésus-Christ aime. Mais y a-t-il beaucoup de gens qui ressemblent à ce modèle ? Lui ressemblons-nous nous-mêmes ? Et quel sera notre sort si nous ne lui ressemblons pas ?
Pourvu qu'on garde aujourd'hui certaines apparences de Religion, je ne sais quel dehors de vertu, et quelles bienséances, chacun se fait d'abord son système de conscience, à l'abri duquel on est tranquille sur l'affaire du salut. Mais ignorons-nous que les Hérétiques se font leur système aussi, et qu'ils sont d'ailleurs encore plus grands observateurs de certaines cérémonies que nous ? nous croyons qu'ils se perdent avec toutes leurs bienséances, et leurs prétendues qualités d'honnêtes hommes, et nous avons raison de le croire, et sur quelle révélation, sur quel nouvel Évangile fondons-nous cette assurance, que nous tâchons d'avoir de notre salut ?
Nous sommes, dira-t-on, dans la bonne Religion, et eux ont le malheur de n'y pas être. Certainement, si l’on ne prend plaisir à se tromper, en matière du salut, lequel vaut mieux, ou ne croire presque rien de ce qu’on doit faire, ou ne faire presque rien de ce que l'on croit ?
Si pour être sauvé il ne fallait que croire, le nombre des prédestinés ne serait pas petit; qu’on nous laisse vivre comme nous voudrons, diraient bien des gens, nous croirons aisément tout ce qu’on voudra; mais la foi est morte sans les œuvres. Qu’on se flatte tant qu’on voudra de croire l’Évangile, il n’y a point de salut à espérer, si l’on ne vit conformément à ce qu’on croit. Les démons croient mieux que nous, mais ils n’ont qu’une foi spéculative ; malheur à nous, si nous ne croyons que comme eux.
Serait-il bien possible que toute la haute sainteté du Christianisme, tous les fruits des exemples d’un Homme-Dieu, tout le prix de son Sang, tout l’effet de ses Sacrements, de sa grâce se réduisit à nous faire garder tout au plus je ne sais quels dehors, et quelles mesures, qui ne servent qu’à nous faire périr avec moins de crainte, en nous déguisant les défauts qui nous sont communs avec les Païens ?
Eh quoi ! les Saints étaient-ils des hommes d’une autre condition que nous ? Avaient-ils été exceptés dans la Rédemption universelle du Genre humain ? Les voies du Ciel n'avaient-elles pas encore été trouvées ? Prétendaient-ils à une autre récompense ? D'où vient que nous leur sommes si peu semblables ? Ils voulaient être Saints, que voulons-nous donc être, et devons-nous espérer de l'être en leur ressemblant si peu ?
Dieu nous fera, dit-on, miséricorde ; mais sur quoi peut être fondée cette confiance, pour des gens qui se servent de la miséricorde de Dieu pour l'offenser plus hardiment ? Jésus-Christ a condamné en termes exprès les âmes tièdes ; et où est-ce que ne règne pas la tiédeur ?
Eh quoi Seigneur, je serai persuadé que le nombre de ceux qui seront sauvés est petit, et je ne serai presque rien pour être de ce petit nombre. Oui, mon Dieu, périsse qui voudra, pour moi, quand il ne devrait y avoir qu'un seul homme sauvé dans tout l'Univers, sachant que je puis l'être, je veux, avec le secours de votre grâce, que ce soit moi.
Je vois bien, mon Sauveur, que je n'ai rien fait jusqu'à présent pour vous qui soit capable de m'inspirer cette confiance ; mais permettez-moi de vous dire, que je saurais en avoir moins en voyant ce que vous faites vous-même à présent pour moi.
Ne me donneriez-vous ce loisir ; ne me feriez-vous faire ces réflexions que pour me rendre plus coupable ? Dois-je attendre que vous me donniez d'autres marques du désir sincère que vous avez de me mettre dans la petite troupe des Élus ? La crainte extrême que j'ai à présent de n'en être pas, et que je regarde comme une grande grâce, ne m'est-elle pas une forte preuve de ce désir ?
J'ai rendu inutiles tous les bons sentiments que vous m'avez donnés jusqu'ici ; mais, mon Dieu, j'ai, ce me semble, quelque sujet de croire que la résolution que je fais à présent, de travailler sérieusement à l'affaire de mon salut, sera efficace. Je sais que ces sentiments passent, que ces vues s'évanouissent ; mais comme je ne prétends pas différer un moment de me convertir, et de me dévouer tout-à-fait à votre service, j'espère, appuyé sur votre bonté, que ma conversion sera durable.

Lecture : Second Livre de l'Imitation de Jésus-Christ, Chapitre onzième.


(Extrait de Retraite spirituelle pour un jour de chaque mois)



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