lundi 31 août 2020

La crèche

 


La crèche n'est pas moins l'école de la vie intérieure que la croix. On commence par la crèche, on finit par la croix; l'une en contient les éléments, l'autre en renferme la consommation. Et comme en toute science les éléments sont ce qu'il y a de plus important et de plus nécessaire, faisons notre étude de la crèche, et appliquons-nous à exprimer en notre conduite ce qu'elle enseigne. Contemplons le Verbe fait chair, le Fils de Dieu devenu petit enfant. Voyons quelles sont en naissant ses dispositions intérieures ; considérons l'appareil extérieur de sa naissance, et qui sont ceux qu'il appelle à la crèche.
C'est l'amour de son Père, c'est l'amour des hommes qui l'a attiré sur la terre. Le sentiment qui occupe et qui remplit son cœur, est de s'offrir en holocauste à son Père pour réparer sa gloire et sauver le genre humain ; saint Paul, après David, nous l'apprend. En entrant dans le monde, dit cet apôtre, il dit : Les sacrifices et les victimes de l'ancienne loi ne vous ont point plu, mais vous m'avez donné un corps. C'est pourquoi j'ai dit : Voici que je viens, pour accomplir, ô mon Dieu ! votre volonté. Et quelle volonté ? une volonté infiniment rigoureuse, selon laquelle il devait se charger de nos péchés et porter le poids de la justice divine. Il a donc en naissant cette volonté, il s'y soumet avec amour. Dès le berceau, il envisage la croix, il soupire après la croix, et son premier désir est d'y mourir attaché pour apaiser son Père et nous racheter.
Apprenons de là que la croix est le grand objet de la vie intérieure, que la première chose que Dieu nous y présente est la croix ; que le premier sentiment d'un cœur qui se donne à Dieu, est l'acceptation de la croix. Or, qui dit la croix dit un oubli, une perte entière de nous mêmes en Dieu ; un sacrifice parfait de tous nos intérêts pour ne plus penser qu'aux intérêts de Dieu. Il sait seul jusqu'où doit aller ce sacrifice, puisque c'est lui qui nous le propose, qui nous inspire le courage de l'accepter et nous donne la force de l'accomplir. Mais de notre part nous ne devons y mettre aucunes bornes ; il faut l'accepter dans toute son étendue et sans aucune restriction ; il faut l'envisager sans cesse et soupirer après son accomplissement, comme fit Jésus-Christ.
Mais pourquoi naître petit enfant ? Pourquoi ne pas venir au monde comme Adam dans l'état d'homme fait ? Il ne tenait qu'à lui, sans doute, mais il a eu ses raisons pour préférer l'état d'enfance. Et la principale de ces raisons a été qu'il voulait nous apprendre que, du moment qu'on se donne à Dieu, il faut mettre à ses pieds tout jugement, toute volonté, toute force propre ; il faut se remettre dans la petitesse, dans la faiblesse, dans l'imbécillité d'un enfant ; il faut que tout ce qui a précédé soit anéanti, et qu'on entre dans un nouvel état, dans une nouvelle vie, dont Dieu seul est le principe ? Et quelle est cette vie ? dépendance parfaite de la grâce, simplicité, obéissance. Voyons Jésus-Christ naissant : il adore son Père aussi parfaitement dans le berceau que sur la croix. Mais toute son adoration est renfermée dans le cœur : il ne dit rien, il ne fait rien, il est comme anéanti ; et c'est dans cet anéantissement même que consiste la perfection de son hommage. Concevons cela, nous qui nous plaignons sans cesse d'être devant Dieu comme des brutes, sans pensée, sans parole, sans action. Cet état qui est la mort de l'amour-propre, est incomparablement plus agréable à Dieu que tout ce que notre esprit, notre cœur et notre bouche pourraient exprimer de plus sublime. Se taire devant Dieu, s'humilier, s'anéantir devant lui, être en sa présence comme si l'on n'était pas, c'est l'adoration parfaite en esprit et en vérité. Qu'a besoin Dieu de nos lumières et de nos sentiments qui ne font que nourrir un orgueil secret et une vaine complaisance en nous-mêmes ? Plus notre oraison approchera de celle de Jésus enfant, plus elle sera basse et ravalée à nos yeux, plus elle sera élevée aux yeux de Dieu.
Passons à l'appareil extérieur de sa naissance. Rebutée dans toutes les hôtelleries, Marie est réduite à se retirer dans une étable ; c'est là que naît le Fils de Dieu, au sein de la pauvreté, de l'humiliation, de la souffrance. Une crèche remplie d'un peu de paille lui tient lieu de berceau, de pauvres langes l'enveloppent; au milieu de la nuit, dans la plus rude saison de l'année, dans un lieu ouvert à tous les vents, son corps tendre et délicat est exposé aux injures de l'air. Personne n'assiste à sa naissance ; on ne lui donne aucun secours, aucun soulagement.
Quelle entrée dans le monde pour le Fils de Dieu, pour celui qui vient racheter le monde, et qui dès l'origine des choses a été annoncé à nos premiers parents pour le libérateur du genre humain ! Qui eût jamais cru qu'il eût choisi pour lui une naissance si pauvre, si obscure, si souffrante ! Mais que cette naissance est instructive pour ceux que le Saint-Esprit fait naître à la vie intérieure ! Elle leur donne dans ce divin enfant un modèle accompli des trois vertus qui doivent être désormais leurs compagnons inséparables ; détachement parfait de tous les biens de la terre, jusqu'à embrasser la plus rigoureuse pénitence, si Dieu le veut. Ainsi, mépris souverain de tous les honneurs de la terre, jusqu'à souhaiter non-seulement d'être ignoré du monde, mais d'en être le rebut ; renoncement absolu à tous les plaisirs de la terre, jusqu'à vouer son corps à tous les genres de mortification. Voilà ce que Jésus-Christ naissant enseigne à ses enfants intérieurs. Ce qu'il a choisi à la crèche, il l'a aimé, il l'a pratiqué toute la vie. Il a toujours été pauvre, vivant du travail de ses mains, n'ayant pas même où reposer sa tête ; il a toujours été ou inconnu au monde, ou en butte aux calomnies, aux mépris, aux persécutions du monde. Il s'est refusé tous les plaisirs et il a souffert dans sa vie privée et dans sa vie publique toutes les peines corporelles qui y étaient attachées. Sa mort a réuni dans le plus haut degré la pratique de ces trois vertus. Embrassons-les donc dès l'entrée de la vie spirituelle et ne nous en séparons jamais.
Qui sont enfin ceux que Jésus a admis à sa crèche ? C'est une chose bien remarquable qu'aucun n'y a paru que ceux qui y ont été appelés par une voix céleste ou par un signe miraculeux. Ceci nous enseigne que, pour entrer dans la voie intérieure, dont la crèche nous figure le commencement, il faut une vocation divine, et que personne n'y peut entrer de soi-même. Mais nous pouvons apporter de notre part quelque préparation à cette vocation, et pour cela nos dispositions doivent être les mêmes que celle des bergers et des mages.
Il faut donc que nous soyons simples, pauvres d'esprit, petits comme les bergers ; que nous ayons comme eux une grande droiture de cœur, que nous vivions dans l'innocence, ou que nous ayons fait un divorce absolu avec le péché. C'est encore pour l'ordinaire les personnes d'une condition commune, d'une vie obscure et retirée, des personnes ignorées et méprisées du monde, que Dieu appelle à la vie intérieure. De plus, les bergers veillaient même pendant la nuit sur leurs troupeaux : ce qui marque que la vigilance et l'attention sur soi-même, la crainte de Dieu, la fuite des occasions, la délicatesse de la conscience, nous préparent à la vocation du ciel. Ils prêtèrent une oreille attentive aux discours des Anges ; ils y ajoutèrent foi sans réfléchir ni raisonner ; ils quittèrent tout et partirent sur le-champ pour aller voir l'Enfant nouveau-né. Ainsi l'âme doit-elle écouter attentivement ce que Dieu lui dit au cœur, croire à sa parole avec une foi soumise et aveugle, tout quitter pour suivre promptement et fidèlement l'instinct de la grâce.
Dans la personne des mages, des grands et des savants sont aussi appelés à la crèche, mais des grands humbles, détachés de tout, prêts à tout sacrifier pour répondre à l'appel de Dieu : des savants sans suffisance, sans présomption, dociles à la lumière divine, devant laquelle ils font taire tous les raisonnements. Tels ont été un saint Louis, un saint Augustin, tant de Saints de l'un et de l'autre sexe, distingués par l'éclat de leur naissance et de leurs dignités, ou par l'étendue de leur génie et de leurs connaissances.
Le caractère d'Hérode, des pharisiens, des prêtres et des docteurs de la loi, nous fait connaître qui sont ceux que Jésus rejette et qui, de leur côté, ne font aucun usage des moyens ordinaires que la grâce leur fournit de connaître et de pratiquer la vie intérieure.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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