mardi 31 août 2021

Vivre dans le recueillement et dans le silence, c'est mener une vie douce et agréable


Saint Jérôme

De tout ce que nous avons dit, il s'ensuit une chose digne de remarque ; c'est que mener une vie retirée, où l'on ne veut ni voir, ni parler, ni entendre parler que de choses nécessaires ou utiles au salut, et où on devient sourd, aveugle et muet aux choses du monde pour l'amour de Dieu, n'est pas une vie triste et mélancolique, mais plutôt une vie très-douce et très-agréable ; et d'autant plus douce, que le commerce et la conversation avec Dieu, vers lequel elle nous élève, a incomparablement plus de délices et de charmes, que la vie ordinaire de tous les hommes. « Que les autres, dit saint Jérôme, en jugent comme il leur plaira, car chacun s'en rapporte à ce qu'il sent ; pour moi, je regarde le monde comme une prison, et la solitude comme un Paradis. » Saint Bernard disait pareillement, qu'il n'était jamais moins seul, que quand il était seul ; que c'était alors qu'il se trouvait en meilleure compagnie, et qu'il était plus content, parce qu'il n'y a que le commerce avec Dieu, qui puisse donner un solide contentement à l'âme. Ceux qui ne savent ce que c'est que le commerce intérieur avec Dieu, et qui n'ont point de goût pour la spiritualité et pour l'oraison, trouveront cette sorte de vie triste et mélancolique ; mais cette vie, pour un véritable Chrétien, sera toujours remplie de consolation et de douceurs.
La joie intérieure, selon le sentiment même de la Philosophie païenne, est la seule qui soit solide : l'or le plus pur n'est point celui que l'on trouve sur la superficie de la terre, c'est celui qui est caché dans le fond de ses entrailles, dans ses veines les plus cachées : aussi le véritable contentement n'est point celui que l'on fait ordinairement paraître au-dehors dans ses paroles et dans les mouvements de son visage, car l'âme n'y a bien souvent aucune part ; c'est cette joie pure qui est renfermée au fond du cœur. La véritable joie et le véritable contentement consistent à avoir la conscience pure, à mépriser généreusement tout ce qui est périssable, et élever l'esprit au-dessus de toutes les choses de la terre.

(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)


Reportez-vous à Circonstances que nous devons observer en parlant, Le Silence est un moyen efficace pour acquérir la Perfection, Il est difficile, sans l'observation du Silence, de devenir homme d'oraison, Du Silence : Ses avantages et son utilité, Du Silence, par Saint Vincent Ferrier, De la conversation, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Le Purgatoire des paroles inconvenantes, Méditation sur les discours immodestes, Méditation sur les péchés de la langue, VIE CHRÉTIENNE : Repas, Récréations, Conversations et Visites, Qu'il ne sorte aucun mauvais discours de votre bouche, Qu'il faut s'abstenir de toutes paroles de raillerie, et éviter toute contestation avec le prochain, Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !, et Qu'il est très-utile d'ajouter quelques pénitences à l'examen particulier.














lundi 30 août 2021

ABRÉGÉ DU CATÉCHISME DE PERSÉVÉRANCE, DEUXIÈME PARTIE, Leçon XXXI : L'Ave Maria ou Salutation angélique


ABRÉGÉ DU CATÉCHISME DE PERSÉVÉRANCE

DEUXIÈME PARTIE

Contenant l'histoire et l'explication de la Religion

depuis la Naissance du Messie jusqu'à son Ascension


XXXIe LEÇON

DE NOTRE UNION AVEC NOTRE-SEIGNEUR,

LE NOUVEL ADAM, PAR L'ESPÉRANCE.

SALUTATION ANGÉLIQUE.



Q. Quelle est la plus belle prière particulière après le Pater ?
R. La plus belle prière particulière après le Pater, c'est l'Ave Maria ou la Salutation angélique, parce que c'est le Saint-Esprit lui-même qui nous l'a enseignée par la bouche de l'archange Gabriel, de sainte Élisabeth et de l'Église.

Q. Pourquoi la récitons-nous après le Pater ?
R. Nous la récitons après le Pater, afin d'obtenir, par l'intercession de Marie, notre Mère, ce que nous avons demandé à Dieu, notre Père.

Q. Comment se divise la Salutation angélique ?
R. La Salutation angélique se divise en trois parties : la première, qui comprend les paroles de l'Ange ; la seconde, les paroles de sainte Élisabeth ; et la troisième, les paroles de l'Église.

Q. Quelles sont les paroles de l'Ange à Marie ?
R. Voici les paroles de l'Ange à Marie : Je vous salue, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes.

Q. Que marquent ces paroles : Je vous salue ?
R. Ces paroles : Je vous salue, marquent le profond respect de l'Ange pour Marie, et nous apprennent à la respecter nous-mêmes et à lui parler avec confiance.

Q. Que veut dire le nom de Marie ?
R. Le nom de Marie veut dire lumière, parce que la sainte Vierge est la Mère de Notre-Seigneur qui est la lumière du monde ; il veut dire aussi dame et souveraine, parce que la Vierge est la reine du ciel et de la terre.

Q. Que signifient ces mots : Pleine de grâce ?
R. Ces mots : Pleine de grâce, signifient que Marie a reçu plus de grâces que tous les hommes et les Anges ensemble.

Q. Que nous apprennent ces paroles : Le Seigneur est avec vous ?
R. Ces paroles : Le Seigneur est avec vous, nous apprennent que la sainte Trinité a toujours été avec la sainte Vierge, afin de la préserver de tout péché, même originel, et de l'élever au plus haut degré de vertu et de gloire.

Q. Pourquoi l'Ange dit-il à Marie : Vous êtes bénie entre toutes les femmes ?
R. L'Ange dit à Marie : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, parce qu'elle seule est Mère de Dieu, toujours vierge, et mère par adoption de tous les hommes.

Q. Quelles sont les paroles de sainte Élisabeth ?
R. Voici les paroles de sainte Élisabeth : Le fruit de vos entrailles est béni, nous les disons pour glorifier la sainte Vierge dans son Fils, parce que la gloire du fils rejaillit sur la mère.

Q. Quelles sont les paroles de l'Église ?
R. Voici les paroles de l'Église : Sainte Marie, Mère de Dieu, etc. ; par là nous glorifions la sainte Vierge en lui rappelant sa sainteté, son bonheur et sa puissance.

Q. Pourquoi ajoutons-nous : Priez pour nous, pauvres pêcheurs ?
R. Nous ajoutons : Priez pour nous, pauvres pêcheurs, afin d'exciter sa compassion en lui représentant notre misère.

Q. Pourquoi disons-nous : Maintenant et à l'heure de notre mort ?
R. Nous disons : Maintenant et à l'heure de notre mort, parce qu'il n'y a pas pour nous un seul instant sans besoin et sans péril, et qu'à nos derniers moments le démon redouble d'efforts pour nous perdre.

Q. Nommez encore quelques-unes des plus belles prières de l'Église ?
R. On compte encore parmi les plus belles prières de l'Église : L'Angélus, le Salve Regina, et les Litanies de la sainte Vierge et des Saints.

Je prends la résolution d'aimer Dieu par-dessus toute chose, et mon prochain comme moi-même pour l'amour de Dieu ; et, en témoignage de cet amour, je ne manquerai jamais de me recueillir un instant avant de prier.


Deuxième Partie : Leçon I : État du monde à la venue du Messie, Leçon II : Naissance du Messie, Leçon III : Vie cachée de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Leçon IV : Vie publique de Notre-Seigneur, Première année, Leçon V : Vie publique de Notre-Seigneur, Première année, Leçon VI : Vie publique de Notre-Seigneur, Première année, Leçon VII : Vie publique de Notre-Seigneur, Deuxième année, Leçon VIII : Vie publique de Notre-Seigneur, Deuxième année, Leçon IX : Vie publique de Notre-Seigneur, Troisième année, Leçon X : Vie publique de Notre-Seigneur, Troisième année, Leçon XI : Vie publique de Notre-Seigneur, Troisième année, Leçon XII : Passion de Notre-Seigneur, Leçon XIII : Passion de Notre-Seigneur, Suite, Leçon XIV : Sépulture et Résurrection de Notre-Seigneur, Leçon XV : Vie glorieuse de Notre-Seigneur, Leçon XVI : Notre-Seigneur Réparateur du monde, Leçon XVII : Notre-Seigneur, Nouvel Adam, Leçon XVIII : Union de notre esprit avec Notre-Seigneur, le nouvel Adam, par la Foi, premier et deuxième articles du Symbole, Leçon XIX : Troisième, quatrième et cinquième articles du Symbole, Leçon XX : Le Purgatoire, Leçon XXI : Sixième et septième articles du Symbole, Leçon XXII : Huitième article du Symbole, Leçon XXIII : Neuvième article du Symbole, l'Église, Leçon XXIV : Neuvième article du Symbole, Leçon XXV : Dixième article du Symbole, Leçon XXVI : Onzième article du Symbole, Leçon XXVII : Douzième article du Symbole, Leçon XXVIII : Espérance et Grâce, Leçon XXIX : Premier moyen d'obtenir la grâce, la prière, Leçon XXX : Premier moyen d'obtenir la grâce, la prière : l'Oraison dominicale, Leçon XXXII : Les sacrements.

Première Partie :
Leçon I : Enseignement vocal de la Religion, Catéchisme, Leçon II : Enseignement écrit, Écriture et Tradition, Leçon III : Connaissance de Dieu considéré en Lui-même, Leçon IV : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 1er Jour de la Création, Leçon V : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 2e Jour de la Création, Leçon VI : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 3e Jour de la Création, Leçon VII : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, Fin du 3e et commencement du 4e Jour de la Création, Leçon VIII : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, suite du 4e Jour de la Création, Leçon IX : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 5e Jour de la Création, Leçon X : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, Fin du 5e et commencement du 6e Jour de la Création, Leçon XI : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, Suite du 6e Jour de la Création, Leçon XII : Connaissance de l'homme considéré en lui-même, Leçon XIII : Connaissance de l'homme considéré dans ses rapports avec les créatures, Leçon XIV : Connaissance de l'homme considéré dans ses rapports avec Dieu, Leçon XV : Connaissance des Anges, Leçon XVI : Chute de l'homme, Leçon XVII : Accord de la justice et de la miséricorde divine dans la punition et dans la transmission du péché d'Adam, Leçon XVIII : Nécessité et perpétuité de la Foi au Mystère de la Rédemption, Histoire de Job, Leçon XIX : Connaissance de la Religion, Nature et définition de la Religion, Leçon XX : Connaissance de la Religion, Que la Religion est une Loi, Leçon XXI : Le Messie promis et figuré : Adam et Abel, Leçon XXII : Le Messie promis et figuré, Noé, Troisième Figure du Messie, Leçon XXIII : Deuxième promesse et quatrième figure du Messie, Melchisédech, Leçon XXIV : Isaac, cinquième Figure du Messie, Leçon XXV : Le Messie promis et figuré, Jacob, Sixième Figure du Messie, Leçon XXVI : Le Messie promis et figuré, Joseph, Septième Figure du Messie, Leçon XXVII : L'Agneau pascal, Huitième Figure du Messie, Leçon XXVIII : La Manne, Neuvième Figure du Messie, Leçon XXIX : Les sacrifices et le serpent d'airain, Dixième et onzième Figure du Messie, Leçon XXX : Moïse, Douzième Figure du Messie, Leçon XXXI : Josué, Treizième Figure du Messie, Leçon XXXII : Gédéon, quatorzième Figure du Messie, Leçon XXXIII : Samson, Quinzième Figure du Messie, Leçon XXXIV : Sixième Promesse du Messie, Leçon XXXV : David, Seizième Figure du Messie, Leçon XXXVI : Salomon, Dix-septième Figure du Messie, Leçon XXXVII : Jonas, Dix-huitième Figure du Messie, Leçon XXXVIII : Le Messie prédit, Prophéties de David, Leçon XXXIX : Le Messie prédit, Prophéties d'Isaïe, Leçon XL : Le Messie prédit, Prophéties d'Osée, de Michée, de Joël et de Jérémie, Leçon XLI : Le Messie prédit, Prophéties d'Ézéchiel, Leçon XLII : Le Messie prédit, Prophéties de Daniel, Leçon XLIII : Le Messie prédit, Prophéties d'Aggée, de Zacharie et de Malachie, Leçon XLIV : Résumé général et application des promesses, des figures et des prophéties, à Notre-Seigneur Jésus-Christ, Leçon XLV : Le Messie préparé, Monarchie des Assyriens, Leçon XLVI : Le Messie préparé, Monarchie des Assyriens, Histoire de Judith, Leçon XLVII : Le Messie préparé, Histoire de Tobie, Leçon XLVIII : Le Messie préparé, Monarchie des Perses, Histoire d'Esther, Leçon XLIX : Le Messie préparé, Monarchie des Grecs et des Romains, Leçon L : Le Messie préparé, Histoire des Machabées, Leçon LI : Unité de la Religion et de l’Église.














dimanche 29 août 2021

Une journée du Saint Curé d'Ars



Les témoins journaliers des merveilles d'Ars en retrouveront une peinture fidèle dans ces lignes palpitantes de vérité et d'émotion.

« Il y a deux ans, dit M. Louis Lacroix, j'avais résolu de consacrer une partie de mes vacances à revoir Rome et à visiter enfin en chrétien cette ville que l'on ne connaît qu'incomplètement, et que l'on ne comprend guère tant qu'on n'y a pas fait son voyage ad limina. Me trouvant à Paris, quelques jours avant mon départ, je rencontrai un de mes amis, écrivain spirituel, chrétien intelligent et sincère, qui a signé de bonnes pages dans plusieurs de nos revues périodiques, et je l'entretins naturellement de mon projet. Il y applaudit de tout son cœur : « Mais, ajouta-t-il, puisque vous partez cette fois en pèlerin, ce n'est pas assez d'un pèlerinage au terme du voyage, faites-en un au début, et, puisque vous passez par Lyon, allez voir le Curé d'Ars. Cela ne vous détourne pas, ne vous retarde guère, et vous verrez là ce qu'on chercherait vainement, ce qu'on ne voit nulle part ailleurs. » Mon ami avait vu le Curé d'Ars, que je ne connaissait que vaguement, par des ouï-dire lointains, et nullement par des récits de témoin oculaire. Il me parla de ce qu'il avait vu à Ars de manière à piquer ma curiosité, et son récit vif et animé se termina par ces réflexions qui achevèrent tout à fait de me convaincre : « Vous étudiez l'histoire et vous l'enseignez, vous devez tenir à la comprendre et à en saisir le secret. Allez à Ars et vous apprendrez comment s'est établi le christianisme, comment se sont convertis les peuples et comment s'est fondée la civilisation chrétienne. Il y a là un homme en qui se trouve l'action créatrice des saints du passé, qui fait des chrétiens comme les apôtres, que les populations vénèrent comme saint Bernard, et en qui se reproduisent toutes les merveilles que nous ne connaissons que par les livres. Allez le voir ; parlez-lui, si vous pouvez l'aborder, car il est fort assiégé ; regardez-le, si vous ne pouvez obtenir plus, et vous verrez que vous n'aurez pas perdu votre temps. Quand on a le bonheur d'être le contemporain d'un pareil prodige, il ne faut pas fermer les yeux et passer outre. Les savants se donnent souvent bien du mal pour observer des phénomènes qui n'en valent pas toujours la peine. Celui-là est ce qu'il y a de plus grand et de plus rare au monde, puisque c'est la sainteté en pleine activité. Vous ne pouvez, en qualité d'historien, vous dispenser de l'étudier. Allez donc à Ars ; n'y manquez pas : mais dépêchez-vous, car le curé d'Ars ne durera guère. »
Mon spirituel ami avait raison : je le sentis et résolus de suivre son conseil. En conséquence, au lieu d'aller directement à Lyon, je m'arrêtai à Villefranche. À peine arrivé dans cette ville, au moment où je m'apprêtais à en parcourir la rue longue et montante et à en visiter l'église, qui me paraissait bien mériter un coup d'œil, les nuages amoncelés dans l'air (je notre à dessein cette circonstance), versèrent un déluge d'eau qui me força à me réfugier dans le bureau des voitures qui font le service de Villefranche à Ars, où la célébrité de l'abbé Vianney attirait alors une affluence de visiteurs toujours croissante. L'heure venue, nous partîmes : il continuait à tomber une pluie battante ; personne sur les chemins ; il avait plu fréquemment tout le jour et la veille. Bon ! me disais-je, il n'y aura pas foule autour du Curé d'Ars. Je serai privé du spectacle des populations empressées pour le voir, mais je pourrai facilement l'aborder, lui parler, et partir sans trop de retard.
Tout en faisant ces réflexions, j'arrivai à Ars. La voiture nous descendit à une bonne auberge du village, où l'on est bien traité et où l'on ne vous exploite pas encore. On me dit que le curé le défend et qu'on lui obéit. Comme je sais qu'il est difficile de modérer les exigences des aubergistes, surtout dans les lieux de pèlerinage, ce fut pour moi un indice, et le premier de tous, de l'empire que ce saint homme exerce sur les cœurs. À peine débarqués, nous courûmes tous à l'église, où l'on nous dit que se trouvait M. le Curé. Chemin faisant j'arrangeais un peu les choses à ma façon : je croyais que l'omnibus avait apporté tout le monde ; que personne n'avait pu venir autrement ; que nous serions les seuls visiteurs ; et j'avais la naïveté de m'imaginer que le bon curé était là-bas à nous attendre. Enfin, tout bien disposé que j'étais à me laisser toucher et édifier, je prenais un peu le change, et je n'étais nullement préparé à ce que j'allais rencontrer. Preuve nouvelle d'une vérité dont tout voyageur a bien souvent l'occasion de se convaincre : qu'il faut voir pour savoir, voir par soi-même autant que possible, ou ne s'en rapporter qu'à de sûrs témoins. Quant aux merveilles d'Ars, c'est peut-être ce que je renoncerais le moins à avoir vu, tant je tiens au précieux privilège de pouvoir les raconter fidèlement aux autres !
J'entrai donc avec l'empressement d'une curiosité qui manquait peut-être un peu de gravité. Mais quelle fut ma surprise ! au lieu de la solitude que j'avais rêvée, je vis dans l'église une foule nombreuse et recueillie, les femmes éparses par groupes dans la nef, les hommes se pressant, serrés et nombreux, aux abords et autour du chœur, tous silencieux et calmes, dans l'attitude de la méditation ou de la prière. Jamais antichambre de ministre ou de souverain ne s'était présentée à moi avec cette grandeur et cette majesté. et je compris, je sentis à l'instant toute la dignité de cet humble ministre du souverain Roi de la terre et des cieux, à qui sa sainteté donnait tant de puissance et attirait tant de solliciteurs. Cependant je le cherchais lui-même des yeux et je ne le voyais pas. On me montra du doigt la porte de la sacristie, et l'on me dit qu'il était là confessant les hommes à tour de rôle. Il recevait alors ceux qui étaient arrivés la veille. Or, il était cinq heures du soir. Évidemment je n'avais aucune chance de voir le curé d'Ars ce jour-là, me trouvant à l'extrémité de cette longue chaîne qui commençait à la porte de la sacristie, et dont je n'étais que le dernier anneau. Mais je ne me plaignis pas ; je me sentis pris par la beauté du spectacle qu'il m'était donné de contempler, et je me trouvais heureux de pouvoir observer comment le Curé d'Ars terminait sa journée, en me proposant bien de venir voir le lendemain de quelle manière il la commençait.
Cependant l'abbé Vianney restait invisible. La porte de la sacristie s'ouvrait et se fermait, tour à tour, sur les pénitents ou les consultants qui se succédaient les uns aux autres au tribunal du saint prêtre. Je les voyais entrer recueillis, concentrés ou soucieux, et en sortant leurs visages paraissaient calmes, joyeux et épanouis. L'un d'eux, c'était un jeune ouvrier, passant près de moi, s'arrêta tout à coup, en se frappant le front : « Ah ! mon Dieu ! j'ai encore à lui parler, se dit-il à lui-même, il faut que je lui parle encore ! » et il alla se remettre à l'extrémité de la file, pour retrouver dans un jour ou deux un second tour.
Plus de deux heures s'étaient écoulées ainsi avec rapidité. J'avais oublié de compter les instants, car la scène que j'avais sous les yeux remplissait tellement l'âme des choses divines et éternelles qu'on y oubliait le temps, qui n'est que la succession de celles qui passent. La nuit était venue : il était près de huit heures. l'église, loin de se désemplir, avait reçu de nouveaux visiteurs et était alors entièrement pleine. On me dit que c'était l'heure de la prière du soir, que les gens du village ne manquaient pas de s'y rendre non plus qu'à la messe le matin, car la sainteté de leur Curé les a tous ramenés à la pratique de leurs devoirs de chrétiens. En ce moment M. Vianney sortit pour monter en chaire. Sa vue me fit oublier tout le reste ; je n'eux d'yeux que pour le considérer. Il était vêtu de son surplis, qu'il ne quitte jamais. Tout son extérieur manifestait ses vertus et sa sainteté extraordinaires. Son visage et sa personne étaient d'une extrême maigreur, attestant le sublime et effrayant travail de la mortification et de l'ascétisme, d'où résulte ce que Bossuet appelle cet horrible anéantissement de l'homme tout entier, horrible pour la nature, mais plein de charme dans l'ordre de la grâce ; car s'il tue dans l'une, il enfante dans l'autre. Ce corps si frêle et déjà courbé paraissait grand et majestueux. Il marchait la tête inclinée, les yeux baissés ; sa chevelure longue et abondante retombait sur son coeur et encadrait sa figure comme d'une sorte de blanche auréole. Je me sentis tout ému quand il passa près de moi et que je touchais le bord de son vêtement. Dès qu'il fut monté en chaire, on s'agenouilla et il dit la prière du soir, mais d'une voix si faible qu'il n'en venait que des sons confus à mon oreille. On sentait, à l'entendre, un homme exténué, et cela rendait d'autant plus merveilleuses son infatigable assiduité à l'église et au confessionnal, où il reste des jours et des nuits entières. La prière dite, il descendit de chaire, traversa l'église, sortit par une porte latérale, et toujours nu-tête et en surplis, rentra dans sa demeure, entre deux haies de fidèles qui s'agenouillaient et qu'il bénissait en passant. J'avais constaté l'empire du Curé d'Ars sur ses semblables ; je l'avais ressenti intérieurement sur moi-même : le but essentiel de mon séjour à Ars était atteint. Évidemment l'abbé Vianney n'était point un homme ordinaire, puisqu'il y avait autour de lui, dans ce village perdu de la Bresse, autant d'affluence qu'aux pèlerinages les plus renommés. J'avais vu cela ; j'aurais pu partir et j'avais de quoi porter témoignage. Mais il m'en coûtait de m'éloigner sans avoir parlé au saint prêtre et sans avoir reçu sa bénédiction. Je m'étais informé de ce qu'il fallait faire pour parvenir jusqu'au Curé d'Ars. Un homme qui rangeait le monde à l'église, et que je pris pour le sacristain, m'assura qu'en venant à quatre heures je pourrais le voir dans la matinée et repartir le jour même. Je me promis bien d'être exact au rendez-vous.
Cependant chacun rentrait chez soi. Les paysans des environs regagnaient leurs villages. Toutes les maisons d'Ars recevaient les hôtes qui voulaient prolonger leur séjour. Je retournai à mon auberge, où je trouvai mes compagnons d'omnibus, savoir : une dame de Besançon et sa fille, un prêtre de Grenoble, deux séminaristes de Lyon, un aumônier de Marseille, une dame marseillaise avec ses deux filles, l'une muette, l'autre boiteuse, une autre famille de Marseille, composée de trois personnes. Cette affluence de Marseillais s'expliquait par le bruit qu'avait fait un miracle obtenu six semaines auparavant par le curé d'Ars en faveur d'une personne de cette ville. Au souper, la conversation roula tout entière sur l'homme extraordinaire que nous étions tous venus contempler. Chacun exprimait son admiration et rendait ses impressions à sa manière : « Ah ! je suis content d'être venu ici, disait le chef de la famille marseillaise, sur ce ton accentué qui dénote l'habitant de la Canebière. Je ne m'en souciais pas trop. C'était pure complaisance pour ma femme et ma fille, qui le voulaient à toute force. Mais je suis content d'être venu : je sais maintenant ce que c'est que la religion. » Et l'on sentait que ce brave homme en pensait plus encore qu'il n'en disait, et qu'il était tout prêt à tirer de ce qu'il avait vu la conclusion pratique qui en résulte naturellement.
Le lendemain, c'était le vendredi 11 septembre 1857, j'étais sr pied à quatre heures et je courus à l'église avant le jour. Je croyais arriver à temps et même devancer tout le monde, mais j'éprouvai même surprise que la veille, et plus grande encore. Déjà une foule nombreuse était assemblée, et, à mon grand désappointement, je ne pus obtenir qu'une place bien éloignée de cette bienheureuse porte qui donnait accès vers le Curé, et que je me voyais, comme Moïse, destiné à regarder de loin sans pouvoir la franchir. « Depuis quand êtes-vous là ? demandai-je aux voisins que le sort m'avait donnés. — Depuis deux heures du matin. — Et M. le Curé, quand est-il venu ? — Il est arrivé à minuit. — Où est-il ? que fait-il maintenant ? — Il est là-bas, au confessionnal, derrière le chœur, et il confesse les femmes en ce moment. C'est son occupation ordinaire le vendredi matin. Il ne recevra les hommes qu'après la messe. — Mais alors que font-ils là tous ceux que je vois ? — Ils gardent leur place pour passer à leur tour. — Quand donc sont-ils venus ? — Quand le curé est entré lui-même. Ils attendaient à la porte, le premier venu tenant le bouton ; à minuit l'église a été ouverte, et ils ont pris leurs places. » Tout cela surpassait ce que j'avais vu et entendu la veille : j'en étais stupéfait. Je savais bien que l'homme est capable d'une prodigieuse constance, quand il s'agit de son plaisir et de son intérêt ; qu'il fait queue des heures entières pour être bien placé au spectacle ; qu'autrefois on avait passé des jours et des nuits, rue Quincampoix, pour obtenir des actions du Mississipi. Mais ce que je ne savais pas, ce que je n'avais jamais vu, c'est que l'homme fût réellement disposé à faire le même sacrifice de son temps, de son repos, pour les biens purement spirituels, et ce spectacle tout nouveau pour moi, qui me semblait une scène de l'Évangile, me pénétrait au fond du cœur et me touchait jusqu'aux larmes. Je me laissai donc aller, comme la veille, au plaisir de voir, à l'oubli du temps et à la joie de prier et de méditer dans cette atmosphère de vie spirituelle et religieuse que propageait autour de lui ce grand serviteur de Dieu.
Toutefois j'en voulais un peu au sacristain de la veille, qui ne m'avait pas averti qu'il fallait passer la nuit à la porte de l'église, ce qui m'avait valu d'être relégué à une si mauvaise place. Je le regardais de travers, — car il était à son poste de bonne heure, — pendant qu'il allait et venait, rangeant les nouveaux venus, répondant à tout, faisant patienter les gens et ne se fâchant jamais. Touché de ce calme et de la parfaite convenance de ses manières, je m'informai encore autour de moi, et j'appris que ce prétendu sacristain était un homme de bonne compagnie, qui, guéri et converti par le Curé d'Ars, s'était voué par reconnaissance et par piété à l'œuvre pénible et ingrate que je le voyais si dignement accomplir. Il s'était fait l'auxiliaire du saint Curé, en entretenant l'ordre et en faisant la surveillance de l'église pendant que celui-ci confessait. Avec un curé qui souvent confesse vingt heures par jour, ce n'est pas une petite besogne. Cette découverte fut pour moi un nouveau trait de lumière. Elle me fit comprendre comment les saints, qui font l'impossible, ont le don d'entraîner les autres à le tenter aussi, et comment, autant par ce qu'ils font que par ce qu'ils font faire avec abnégation, sacrifice absolu d'eux-mêmes et amour sans bornes de Dieu et du prochain, ils sont réellement les plus actifs, les plus productifs, les plus bienfaisants des hommes.
À six heures, le vicaire vint dire sa messe, pendant que le Curé continuait à confesser les femmes. Enfin sur les sept heures, après une séance mortelle pour tout autre, qui durait depuis minuit, il sortit du confessionnal avec cet air calme et reposé qui lui était habituel, et il rentra dans la sacristie pour se préparer à dire la messe. Quant à moi, toujours préoccupé du désir de lui parler un instant, de lui demander sa bénédiction et de repartir ce jour-là, j'avais fait un effort et j'avais réussi à me glisser dans la sacristie au moment où le vicaire y était rentré : « Tenez-vous là, m'avait-il dit, quand M. le Curé arrivera, peut-être consentira-t-il à vous entendre avant de monter à l'autel ! » Je suivis cette recommandation, mais sans succès. Le Curé d'Ars, qui jugeait à la simple vue de l'état et du besoin des âmes, ne crut pas devoir s'interrompre pour satisfaire mon impatience ; il m'ajourna et se revêtit de ses ornements sacerdotaux. Tout ce que je gagnai à cette tentative, ce fut de le voir de près, de sentir le doux et perçant rayon de son regard fixé sur moi et d'assister aux préparatifs de sa messe. Je vis alors, pendant qu'il changeait de vêtement, l'extrême ténuité de ce corps mortifié, qui ressemblait plutôt à une ombre, ce qui ne l'empêchait pas de mouvoir ses membres fragiles avec une vivacité singulière et d'imprimer une décision énergique à tous ses gestes. Je le suivis à l'autel de sainte Philomène, qu'il vénère d'une façon toute particulière. C'est là qu'il disait sa messe ; c'est à cet autel qu'il a obtenu de nombreux miracles. Les ex-voto de tout genre qui couvrent cette chapelle disent assez combien d'infirmités et de misères y ont été soulagées. C'est là qu'un jour ayant opéré la guérison d'un paralytique, qui se dressa et marcha tout à coup, comme à la parole du Sauveur lui-même, tandis que toute l'assistance émue exprimait hautement son admiration et sa reconnaissance, le serviteur de Dieu, embarrassé de cette manifestation publique de l'efficacité de ses prières, s'en plaignait à la sainte qu'il avait invoquée, en lui disant avec une humilité qui trahit le secret de sa puissance : « Quand vous m'accordez de telles grâces, que ce soit en secret ! Guérissez-les chez eux, et épargnez à mon indignité une semblable confusion. »
La messe dite, je crus que le Curé d'Ars serait enfin abordable ; c'était le moment qu'il m'avait assigné ; mais je me trompais encore. L'église regorgeait de monde, et la foule m'avait séparé de lui pendant qu'il allait à la sacristie. J'étais de nouveau réduit au rôle d'observateur, et je vis la suite des opérations de la matinée. Il avait reparu en simple surplis sur les marches du chœur. La multitude des pèlerins s'était à l'instant portée vers lui. On lui faisait bénir quantité de médailles et de chapelets ; on lui présentait des enfants auxquels il imposait les mains. Quand il eut satisfait tout le monde, il entra dans une petite sacristie, située au côté droit de l'église, où il reçut les unes après les autres plusieurs dames venues pour le consulter. Au bout d'une heure environ, il reparut, regagne le chœur, et la confession des hommes commença immédiatement. Chaque fois que je l'apercevais, j'étais trop séparé de lui pour l'atteindre, et il m'échappait toujours. J'avais été sur le point de me dépiter ; mais un peu de réflexion me rendit honteux de ce mouvement : car, en voyant cet homme divin se prodiguer avec un tel dévouement et donner tout son temps pour les besoins d'autrui, je sentis qu'il aurait été indigne de ne pas savoir donner un peu du mien pour arriver jusqu'à lui. Je revins donc assez facilement à ces sentiments de patience et d'admiration qui m'avaient saisi d'abord, et qui devinrent définitifs tant que je fus en ce lieu.
Il était à peu près neuf heures du matin, et le même mouvement que la veille recommençait à cette porte de la sacristie, qui était redevenue inaccessible pour moi. Chacun avait repris sa place et l'on ne passait qu'à son rang. Il y eut bien quelques exceptions à la règle : plusieurs dames opiniâtres et intrigantes parvinrent à se glisser jusqu'à la porte et à passer, en dépit de tous les obstacles. On s'en irritait à bon droit. Quelquefois le Curé désignait lui-même la personne qu'il voulait admettre, et de ces préférences nul ne songeait à se plaindre. Enfin les grandes infirmités passaient immédiatement, et tout le monde comprenait que c'était justice. Quand la dame marseillaise arriva avec ses deux filles, la muette et la boiteuse, elles n'attendirent que l'instant qu'il fallut pour que le curé devînt libre. De temps en temps, on voyait se grouper en bas de l'autel ceux que la confession avait réconciliés avec Dieu. Le vicaire paraissait, ouvrait le tabernacle et leur distribuait la sainte communion. Tous ces mouvements produisaient quelquefois une certaine agitation qui n'était pas sans avoir besoin d'un peu de surveillance ; mais alors l'homme bien élevé, que je ne prenais plus pour un sacristain, et qui m'inspirait aussi du respect, allait de bancs en bancs, calmant tout le monde et ramenant partout l'ordre et la paix.
Il y avait dix heures que durait ce drame sublime de la charité. Celui qui en était le héros n'avait pas un seul instant ralenti ni suspendu son action, et il était là toujours en scène et toujours infatigable. Pour moi, venu quatre heures après lui, et qui n'avais été que témoin je commençais à succomber au besoin et à la fatigue, et déjà je songeais à la retraite. Toutefois avant d'abandonner la partie, je résolus de livrer un dernier assaut à l'inaccessible sacristie. Aidé de l'obligeant auxiliaire du Saint, je parvins à me placer à l'ouverture de la porte, et quand le Curé l'ouvrit pour admettre un nouveau pénitent à son tribunal, il me vit là droit devant lui, parut me reconnaître et me laissa entrer. Nous restâmes debout l'un et l'autre. Ne voulant rien prendre de trop du temps si précieux d'un tel homme, je lui posai brièvement et rapidement deux questions que j'avais préparées. De son côté il y répondit sur-le-champ, résolument, sans l'apparence de réflexion, sans la moindre hésitation, mais aussi sans aucun empressement ; et ses réponses étaient ce qu'il y avait de plus sensé, de plus sage, de plus facilement et de plus utilement applicable. Ordinairement les hommes sont obligés de délibérer, de peser mûrement un projet, pour trouver le sage parti à prendre. Le Curé d'Ars improvisait la sagesse. J'étais confondu de lui voir ce calme, cette attention, cette présence d'esprit dans de telles conditions. Depuis minuit il n'avait cessé d'être assiégé comme il l'était encore ; il ne s'était donné aucun relâche ; il avait eu à répondre à des centaines de personnes. Il y avait là, à côté de nous, un homme agenouillé au prie-dieu de la confession, attendant son tour ; des masses d'autres s'amoncelaient à la porte comme les vagues de la marée montante. Et le saint prêtre était toujours présent, se donnant à tous, sans impatience, sans fatigue apparente, le cœur toujours ouvert, l'esprit toujours prompt, sa fragile personne sans cesse en activité. Assurément cela n'était pas humain, cela n'était pas naturel, et quiconque voudra réfléchir un instant sur de tels faits ne pourra s'empêcher d'y reconnaître l'intervention de la grâce élevant à une miraculeuse puissance d'action ce saint homme, fidèle à toutes ses inspirations. Il m'avait répondu en aussi peu de temps que j'en avais mis à l'interroger. Quand il eut fini, je repris à mon tour et lui dis :
« — Encore une faveur, mon père, je vais à Rome m'agenouiller et prier au tombeau des apôtres, donnez-moi votre bénédiction pour qu'elle m'accompagne pendant tout mon voyage.
« — Au nom de Rome, l'abbé Vianney sourit de joie, ses yeux abaissés se levèrent, son regard recueilli et tout intérieur ressortit avec vivacité, et tandis que son œil me lançait un rayon lumineux :
« — Ah ! vous allez à Rome, dit-il, vous y verrez notre Saint-Père. Et ici sa physionomie prit une expression qui disait tout ce que ressentait son cœur. Eh bien ! ajouta-t-il après une légère pause, je vous recommande de prier pour moi à la Confession des saints apôtres.
Après cette dernière réponse et un échange de paroles qui dura je n'ose pas dire cinq minutes, je m'inclinai ; il me bénit ; je lui baisai la main et me retirai pénétré de joie, de force et de vénération. J'étais content aussi d'être libre ; j'en profitai pour retrouver le grand air et parcourir le village d'Ars, que je n'avais pas vu encore, et dont presque toutes les maisons sont devenues des auberges pour les pèlerins et des magasins d'objets de piété. On y voyait à toutes les vitres différents portraits du curé d'Ars. J'achetai celui qui me parut le plus ressemblant, puis je fis une pointe dans la direction du château, et je me hâtai de revenir à l'église, après une tournée d'une demi-heure, pour assister à ce qu'on appelait le catéchisme de M. le Curé. C'était une instruction qu'il faisait tous les jours, avant midi, et pour laquelle, après les fatigues et les travaux de ses terribles séances, il trouvait encore la force de prolonger son inépuisable dévouement. L'église s'était remplie de nouveau ; j'eus de la peine à retrouver une place dans le chœur. Le Curé vint s'asseoir sur une chaise adossée au maître-autel, et l'homélie commença.
Certes l'éloquence du Curé d'Ars n'était pas dans sa parole. Quoique placé à peu de distance, c'était à peine si je pouvais l'entendre, car indépendamment de la faiblesse de sa voix exténuée, la perte totale de ses dents avait enlevé toute netteté à sa prononciation. Mais il était éloquent par sa physionomie, par son geste et surtout par l'autorité de sa vie et l'ascendant de ses œuvres. Aussi quelle action puissante il exerçait sur son auditoire ! ce fut la dernière scène et la plus belle de toutes. La foule s'était entassée autour de lui : à ses pieds, sur les marches de l'autel, sur le pavé du chœur, se pressaient des gens de tout âge, de toute condition, de tout sexe, surtout des femmes avec leurs enfants, tous absorbés dans une attention haletante, le cou tendu, les yeux fixés sur sa personne. Si l'on ne pouvait entendre, il suffisait de voir, car son extérieur faisait tout comprendre, tant il avait d'expression dans son geste, dans ses yeux et dans toute sa physionomie ! Il frissonnait d'horreur en parlant du péché ; il pleurait en pensant aux offenses faites à Dieu ; il paraissait ravi quand il s'agissait de l'amour divin ; il rougissait, il pâlissait tour à tour. Sa parole était du reste abondante et facile. Il nous parlait de la fin de l'homme, qui est le bonheur en Dieu. Le péché éloigne de Dieu ; le repentir et la pénitence y ramènent. C'était son thème de tous les jours : il le développait avec son cœur. Je le répète, on entendait bien peu, mais on sentait tout. De temps en temps on saisissait quelque chose, et c'était vraiment divin. Il avait des pensées du genre de celle-ci : « Chose étrange ! j'ai rencontré bien des gens qui se sont repentis de n'avoir pas aimé Dieu ; je n'en ai jamais rencontré un seul qui fût triste et se repentît de l'aimer ! » On le voit, ce n'est pas là une éloquence qui frappe et subjugue, mais une onction qui échauffe et pénètre. Il répétait sans cesse, comme saint Jean : « Mes enfants ! » et la foule l'écoutait comme un père vénéré. C'était là vraiment qu'un peintre aurait dû venir chercher les modèles d'un tableau du Sermon sur la montagne.
Midi sonnait quand le Curé d'Ars finissait de parler, et retournait à son presbytère pour y puiser, dans la prière et la mortification, la force de recommencer, deux ou trois heures après, sa vie d'immolation et de sacrifice. Quant à moi, au bout d'une heure, je quittais le village d'Ars, emportant comme un trésor la bénédiction de l'abbé Vianney et le souvenir ineffaçable des merveilles de sainteté et de charité dont j'avais été le témoin. Je n'avais pas vu de miracle particulier, mais j'avais vu le miracle ordinaire de sa vie, dont chaque journée ressemble à celle qu'il m'avait été donné de contempler.
Arrivé à Lyon le soi même, je consignai immédiatement, dans mon journal de voyage, tous les détails de ce qui s'était passé sous mes yeux, et ce sont ces notes exactes et fidèles qui forment la substance du récit que je livre au public. Voilà les faits. Je pourrais les accompagner d'un commentaire et entreprendre d'aider le lecteur à se rendre compte de la grandeur du sacerdoce catholique, qui peut atteindre dans ses représentants un tel degré de perfection et de puissance, à apprécier l'action bienfaisante de l'Église sur les âmes et par conséquent sur la société qu'elle répare sans cesse par la vertu et par la vérité, et où elle combat là où rien ne peut l'atteindre l'action non moins incessante de l'ignorance, de l'erreur et du vice ; je pourrais en dire bien long sur cet inépuisable sujet. Mais j'aime mieux laisser à chacun le plaisir de méditer lui-même sur cette histoire et de trouver la conclusion qu'elle comporte. Il me suffit d'avoir raconté les faits ; ma tâche d'historien est remplie, et je m'arrête. Heureux si en consacrant ces pages à la mémoire vénérée du Curé d'Ars, si en faisant connaître un seul moment de sa sublime et sainte carrière, si en montrant que l'œuvre de sa vie a été surtout le traitement et la guérison des âmes au tribunal de la pénitence, je puis contribuer à entretenir et à répandre la gloire de ce grand serviteur de Dieu, à consoler les cœurs chrétiens par le spectacle du retour de la sainteté sur la terre, et à faire comprendre à notre temps, si travaillé de toutes les maladies de l'âme, que la confession en est le souverain remède, et que grâce au Curé d'Ars, dont la mission a été d'être le grand et puissant confesseur de notre siècle, cette sainte institution de l'Église sort des œuvres de sa vie triomphante et victorieuse, réhabilitée des dédains de l'indifférence, justifiée de toutes les objections de la sophistique, et vengée d'une manière éclatante de tous les outrages de l'incrédulité ! »

(Vie de J.-M.-B. Vianney par Alfred Monnin)


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samedi 28 août 2021

Le pèlerinage d'Ars



Ils ne sont pas rares autour de nous les hommes qui, tout en ayant au fond du cœur le respect et l'amour des vérités religieuses, se laissent aller à penser et à dire qu'elles n'ont plus, de nos jours, la manifestation triomphante et l'influence souveraine que Dieu leur a données dans les siècles passées ; que la foi aussi bien que les vertus des vieux chrétiens ne sont plus possibles de notre temps, et qu'il faut se contenter de les admirer dans l'histoire, qui du reste, paraissent-ils croire, les a peut-être un peu surfaites par le travail de l'imagination et les embellissements de la légende.
Il n'y a, pour répondre à ces chrétiens timides et découragés, qu'à monter les signes éclatants qui font de notre siècle un de ceux où Dieu a le plus manifesté son pouvoir et prouvé combien il est fidèle dans ses promesses. Parmi ces signes, je crois qu'il nous est permis de compter au premier rang le pèlerinage d'Ars.
Ce pèlerinage, qui a duré plus de trente ans avec un concours et un retentissement extraordinaires, tiendra une large place dans les annales chrétiennes du XIXe siècle. Il donne à la monographie que nous publions une teinte si vive d'originalité et un cadre si splendide, qu'elle semble faite autant pour la poésie que pour l'histoire. Là, en effet, se trouvent réunies à un degré suréminent toutes les merveilles dont nos anciens hagiographes ont illustré leurs récits. Or, nous ne sommes pas à une époque mythique, et personne ne s'avisera de supposer que la vie de cet homme, notre contemporain, porte déjà les traces de l'élaboration légendaire. C'est une histoire qui a ses témoins par mille et par cent mille, et dans laquelle nous voyons tout ce que nous admirons dans les récits du passé, tout ce que nous croyons être d'un héroïsme inaccessible à notre époque, à savoir : une parfaite abnégation, des austérités effrayantes, une humilité sans égale, un amour de Dieu sans bornes, et en retour de cet abandon complet d'une créature à son Créateur, la domination sur les âmes, la puissance de les attirer de loin, de les toucher, de les convertir, de les sauver ; et comme marque de cet empire dans l'ordre spirituel, un pouvoir extraordinaire sur la nature, celui de modifier les conditions ordinaires des choses, de guérir les infirmités corporelles, de lire à livre ouvert dans le fond des consciences, de prédire l'avenir, le don de prophétie en un mot et le don des miracles, qui, s'ils ne sont pas ce qu'il y a de plus grand dans les saints, sont au moins ce qui frappe le plus en eux l'imagination de la foule.
Cet idéal présent de ce qu'il y a de plus extraordinaire dans les légendes d'autrefois, de plus parfait dans la vie des Pères du désert, de plus sublime dans celle de ces thaumaturges que le moyen-âge nous représente traînant après eux les populations enchaînées ; ce tableau des vertus les plus héroïques et les plus modestes, des mœurs les plus austères et les plus douces, de la charité la plus vaste et la plus tendre, de la parole la plus puissante et la plus aimable ; ce tableau qui s'était depuis longtemps éclipsé aux yeux des générations séduites par d'autres images, distraites par d'autres pensées, sollicitées par d'autres attraits, emportées vers d'autres soins, le Curé d'Ars le faisait revivre sous nos regards étonnés. Sa réputation devait d'autant mieux grandir, — grandir au point d'attirer les foules des contrées les plus lointaines, de fixer les regards de la catholicité tout entière, — que, depuis bien des années, on pouvait avoir désappris ce que c'est qu'un SAINT.
La vie miraculeuse de M. Vianney nous rendant le spectacle des œuvres extraordinaires de sainteté qu'on n'avait pas vues publiquement depuis les temps de saint Vincent de Paul et du bienheureux Pierre Fourrier, il en résulte que toutes les vérités mises en action par les exemples de ces grands saints retrouvent aujourd'hui une démonstration vivante, qui en renouvelle l'évidence, qui nous montre que notre oubli ne les détruit pas, et qu'elles conservent toujours leur force et leur fécondité. « Avant d'être venu à Ars, nous disait un homme du peuple, et d'avoir vu le bon père (c'est le nom que les pèlerins donnaient communément au serviteur de Dieu), j'avais peine à croire ce qui est raconté dans la Vie des saints : bien des choses me paraissaient impossibles. Maintenant je crois tout, parce que j'ai vu de mes yeux tout cela et encore plus. »
Grâce à la sainteté récente du vénérable M. Vianney, si nous voulons avoir des yeux pour voir et des oreilles pour entendre, nous pouvons nous convaincre et prouver aux autres que la vitalité de notre foi n'est pas diminuée ; que l'Église n'a rien perdu de sa fécondité primitive ; et qu'en plein soleil du XIXe siècle, elle enfante des hommes, qui en se faisant les disciples et les imitateurs du divin Maître deviennent les plus sages, les plus bienfaisants, les plus aimables, les plus saints de tous les hommes et entraînent leurs semblables à leur suite, dans la voie où ils marchent, qui est celle du bonheur, de la vérité et de la vertu.
Sans doute ce n'était pas la première fois qu'on avait vu se produire dans le monde ce grand phénomène d'attraction qui soulève les masses, les arrache à leur indifférence et les précipite tout émues sur les pas de la sainteté. Les premiers disciples du Sauveur avaient senti descendre sur eux, du haut de sa croix, l'effet de la divine promesse : « Ils avaient attiré tout à eux (S. Jean, XII, 32) » On avait vu des bourgades, des cités, des tribus entières, de vastes contrées s'ébranler aux prédications de leurs successeurs. Plus tard, les déserts de la Syrie et de la haute Égypte se peuplèrent à la voix des Paul, des Antoine, des Pacôme, des Macaire, des Moïse et des Hilarion. Saint Siméon Stylite vit à ses pieds non seulement les Syriens ses compatriotes, mais les Persans, les Arabes, les Arméniens et jusqu'à des gens venus de l'Espagne, de la Bretagne et de la Gaule.
Ces grands mouvements populaires remplissent le moyen-âge. Dès qu'un homme paraît avec l'auréole de la sainteté, avec une grande réputation de savoir, avec une parole puissante, avec une idée nouvelle, éclose à temps pour remuer les multitudes, le bruit qui se fait autour de son nom, le courant qui s'établit autour de sa personne, continuent sur son tombeau. Tels furent Pierre l'Ermite, saint Bernard, saint Dominique, saint François d'Assise, et, à une époque moins éloignée de nous, saint François de Paule, saint Philippe de Néri, saint Vincent Ferrier, saint Jean-François Régis. Mais on pouvait croire que ces temps avaient fui sans retour ; que l'affaiblissement où les cœurs étaient tombés protestait contre toute manifestation d'enthousiasme et de foi ; que, devant une génération désabusée, et à la lumière d'une impitoyable liberté d'examen, les peuples n'étaient plus susceptibles de ce degré d'exaltation qui permet de les dominer et de les conduire.
À cette opinion aussi fausse qu'affligeante, le pèlerinage d'Ars est venu donner un solennel démenti. Si saint Jérôme, en parlant d'une des phases du IVe siècle, a pu écrire qu'un jour l'univers s'étonna d'être arien, en pensant à ce qui s'est accompli sous nos yeux pendant trente ans, nous pouvons presque dire, par un témoignage meilleur et plus heureux, que la France, surprise de trouver en elle-même une vivacité de sentiments catholiques, une abondance de vie religieuse, un besoin de croire et de vénérer qu'elle ne soupçonnait pas, s'étonna d'être si hautement et si franchement chrétienne. Ars semble être la protestation du XIXe siècle contre l'incrédulité de son devancier. À une époque où l'indépendance de la pensée a été portée à ses dernières limites, n'est-ce pas chose merveilleuse que de voir, au sein du peuple le plus spirituel et le plus éclairé de l'Europe, de hautes et fières intelligences se courber devant un pauvre curé de campagne comme devant un Père de l'Église ? Je ne sais s'il y a eu un exemple d'une telle puissance depuis saint Bernard.
Les premiers qui vinrent à Ars furent des âmes d'élite, avides d'une direction plus haute et plus ferme, des âmes troublées cherchant le repos de la conscience, mais surtout des pauvres espérant recueillir une part dans les aumônes du saint Curé, et des malades en réclamant une autre dans ses prières. Ainsi l'apostolat du M. Vianney commença, comme celui de Notre-Seigneur, par les affligés, les pauvres et les petits. Saint François de Sales remarque que la bonté est une des bases de la renommée. On commença à se dire dans le voisinage combien le Curé d'Ars était doux envers les coupables, patient envers les scrupuleux, indulgent envers les faibles, compatissant envers les malheureux, secourable envers tous. Les pécheurs venaient trouver ce bon prêtre, qui les accueillait en pleurant ; les pauvres accouraient vers ses mains bienfaisantes, qui n'avaient rien à donner et qui donnaient toujours ; les affligés savaient que ses lèvres étaient une source abondante de lumière et de consolations ; ceux qui étaient agités de doutes savaient qu'elles donnaient une force victorieuse à la vérité. Les justes venaient aussi, car son cœur était un foyer d'amour auquel se réchauffaient tous les cœurs.
Connu d'abord d'un petit nombre, la vertu du serviteur de Dieu se répandit de proche en proche et lui amena tous les jours de nouveaux admirateurs. Les exemples d'austérité que nous avons rapportés au livre précédent, les faits merveilleux qui se rattachent à la fondation de la Providence, d'autres encore que nous ne connaissons pas eurent bientôt fait le tour de la Bresse, du Beaujolais, du Lyonnais, du Forez, du Dauphiné et de la Bourgogne. Il y eut une chronique d'Ars qui se mit à courir de ville en ville, de chaumière en chaumière, déposant dans la mémoire du peuple un immortel fondement à la réputation de M. Vianney. Pour lui, au milieu des marques éclatantes de la confiance publique, le sentiment qui prenait dans son cœur un plus rapide accroissement, c'était la défiance de lui-même. Que de bien à faire ! oh ! s'il avait pu s'échapper pour laisser la place à un plus digne ! Ce fut là le point de départ de cette tentation qui ne cessa de l'obséder toute sa vie. Elle avait, comme on le voit, ses racines dans l'humilité.
Mais plus le bon Curé prenait soin de se cacher et de s'anéantir, plus la faveur publique s'obstinait à la tirer de son obscurité volontaire. C'est la promesse faite par l'Évangile : « Celui qui s'abaisse sera élevé. » Dieu ne donne la gloire qu'à la condition qu'on la portera sans en être ébloui et en se montrant plus grand qu'elle.
C'est ainsi que le concours s'établit entre 1825 et 1830.
Plus tard, une guérison célèbre, qui fut d'abord accueillie avec enthousiasme et saluée du nom de miracle, vint donner un nouvel essor au pèlerinage. Bientôt, ainsi qu'on devait s'y attendre, car c'est le procédé ordinaire de l'esprit humain vis-à-vis des bontés de Dieu, il y eut contre ce fait éclatant la réaction de l'incrédulité, de la faiblesse et de la peur. Beaucoup de ceux qui avaient été les premiers à acclamer le miracle le nièrent à outrance pour se faire pardonner d'y avoir cru. Mais l'effet subsista dans les masses, et le bon sens populaire continua à y voir la manifestation d'un pouvoir qu'on ne peut venir à bout de méconnaître entièrement, et qui se venge de nos ingratitudes par ses bienfaits.
De nombreuses guérisons opérées coup sur coup devant les reliques de sainte Philomène, dans les années qui suivirent, amenèrent beaucoup de monde. « Mais ce qui a le plus augmenté l'affluence, c'est M. le Curé par ses prières pour la conversion des pécheurs. La grâce qu'il obtenait était si forte qu'elle allait les chercher, sans leur laisser un moment de repos (Note de Catherine) » Nous croyons, en effet, que ce que l'opinion publique honora d'abord en M. Vianney, fut cette force immense d'intercession, ces mains toujours élevées entre le ciel et la terre pour attirer les bénédictions de l'un et la confiance de l'autre, ces supplications toujours actives, toujours ferventes, ces torrents de prières et de larmes sans cesse répandues aux pieds de Dieu, qui veut qu'on l'implore et qu'on le fléchisse.
LA GRÂCE ÉTAIT SI FORTE QU'ELLE ALLAIT CHERCHER LES PÉCHEURS. On ne saurait mieux dire, et voilà en feux mots l'origine du pèlerinage d'Ars. La Providence a voulu que, pendant trente ans, les populations du XIXe siècle, si amoureuses de toutes les vanités, vinssent en foule rendre hommage à l'humilité et à la simplicité. Pendant que les beaux esprits de nos jours s'évertuaient contre la confession et ses influences, le peuple leur répondait en allant se confesser à Ars. C'est autour du CONFESSEUR que le mouvement s'est fait d'abord. (...)
Le vœu de saint Philippe de Néri de n'avoir aucune heure, aucun moment à lui ; M. Vianney arriva bien vite à cet état de glorieuse sujétion. Si le Stylite se fit attacher à un rocher afin de ne pouvoir, encore qu'il le voulût, dépasser dans ses mouvements la longueur de sa chaîne et de n'avoir la liberté que de contempler le ciel et de soupirer après Notre-Seigneur, le Curé d'Ars avait aussi sa chaîne : c'étaient ces âmes qui le rivaient à son confessionnal. (...)
Il y a des faits et des services d'un ordre si profond qu'ils n'acquièrent tout leur éclat que sous le regard de l'histoire et devant la postérité. Nous croyons qu'il en sera ainsi du pèlerinage d'Ars. Ce qu'il y a eu de plus visible, de plus palpable et qui a le plus saisi l'admiration et la reconnaissance des contemporains, n'en est pas le côté le plus consolant et le plus sérieusement beau. Comme en est convenu le saint Curé lui-même, « on ne saura qu'au jour du jugement le bien qui s'est fait dans ce petit coin de terre privilégié. »

(Vie de J.-M.-B. Vianney par Alfred Monnin)


Reportez-vous à L'atmosphère d'Ars, À la rencontre du Saint Curé d'Ars, Les grands affluent à Ars comme les petits, Témoignage d'un pèlerin d'Ars : Tout autour du Saint Curé prouve la vérité de la religion, Le Saint Curé d'Ars et la haine du monde, Le Saint Curé d'Ars et les contradictions, Comment M. Vianney fut persécuté par les démons, Neuvaine au Saint Curé d'Ars pour notre Temps, La Providence d'Ars, ses humbles commencements, les miracles que Notre-Seigneur fit pour la soutenir, Le style du Saint Curé d'Ars, Le Saint Curé d'Ars et l'apostolat de la conversation, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Comment M. Vianney parlait des saints, Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (1/2), Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (2/2), De la vie Apostolique, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Du bon Directeur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Du vrai Religieux, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie mixte, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'homme intérieur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la conduite des âmes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les souffrances, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Aimables reparties de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Foi de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Espérance de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur les joies de la vie intérieure, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Amour de M. Vianney pour les pauvres, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Humilité de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, L'Esprit du Saint Curé d'Ars, Le Saint Curé d'Ars dans ses homélies, Comment M. Vianney abolit les danses à Ars, Réflexions spirituelles du serviteur de Dieu, J. M. B. Vianney, le Saint Curé d'Ars, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Salut, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'amour de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les prérogatives de l'âme pure, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint-Esprit, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la Sainte Vierge, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la sanctification du dimanche, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la parole de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la prière, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint Sacrifice de la Messe, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la présence réelle, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la communion, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le péché, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'orgueil, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'espérance, Les saints et le combat spirituel : Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, le Curé d'Ars, Litanies du Saint Curé d'Ars, Litanies de Sainte Philomène, Sermon sur l'Enfer, par M. J.-M.-B. Vianney, et Sermon du Saint Curé d'Ars sur l'Enfer des Chrétiens.



















vendredi 27 août 2021

L'atmosphère d'Ars



Qu'on se figure maintenant, si l'on peut, les sentiments qui devaient agiter ces grandes foules composées surtout de malades et de pécheurs, surnaturellement guéris et convertis, rendus à la santé et à la grâce ! Là, on savait se frapper la poitrine et se prosterner sans l'avoir appris ; là, on retrouvait tous les accents sublimes de l'âme pour gémir et chanter tour à tour, pour pleurer de joie et de douleur. Là, des personnes qui ne se seraient jamais rencontrées ni pénétrées ailleurs, se groupaient instinctivement à l'abri de cette bienveillance inépuisable, où chacun à son tour trouvait une affinité, un secours, une lumière, une force. Rien n'appelle la confiance comme la confiance : elle naissait à Ars naturellement de la sécurité que le bon Père répandait autour de lui. De même que dans ces lieux privilégiés, où la Providence, qu'on y méconnaît trop souvent, a donné aux eaux une vertu curative, les conversations roulent sur les infirmités du corps, là elles roulaient sur les infirmités de l'âme, sur les infortunes et les accidents de la vie qui y amenaient leurs victimes. Les amitiés qui se formaient, les correspondances qui se nouaient, les relations qui s'établissaient à la suite, n'en étaient que plus douces et plus durables. Les chrétiens se connaissent promptement : au premier regard, au premier salut, au premier mot, ils sentent entre eux le lien fraternel d'une même foi et d'un même amour. Il ne faut qu'un peu d'aménité et de savoir-vivre pour rendre intimes des rapports d'où le soupçon est naturellement exclu.
Après avoir été amenés à Ars par l'éclat des prodiges, les pécheurs y étaient retenus par un charme indéfinissable. L'incrédule ne pouvait pas plus méconnaître ce charme que s'en défendre. L'étranger, conduit par le hasard ou le caprice, le ressentait aussi bien que le pèlerin dévot attiré par l'espérance et l'amour. Ce charme allait droit au cœur, pour le réjoui s'il était pur, et le renouveler s'il était coupable. Il y avait dans l'atmosphère de ce petit village quelque chose d'inexprimable et de divin qui pénétrait à la fois l'âme et le corps, reflétant dans le calme et le bien-être de l'un la paix et la sérénité de l'autre. Au milieu même du mouvement qu'y entretenait l'arrivée quotidienne de douze voitures publiques, c'était un cadre paisible et silencieux qui prédisposait aux pensées graves. Rien n'y ressemblait à ce qu'on voit ailleurs. Les figures y étaient reposées, les conversations sérieuses, l'animation même qui y régnait n'excluait pas le recueillement. On n'était plus en France et au XIXe siècle ; on pouvait se croire en plein moyen âge, dans un de ces grands cloîtres au seuil desquels les bruits de la terre finissent.
Le paysage lui-même, par sa tranquillité et sa douceur, contribuait à former ces religieuses impressions. Elles devenaient plus vives à mesure qu'on approchait de l'église et du presbytère, en sorte que la source d'où elles découlaient paraissait être surtout dans ces lieux. Dès l'abord on était pénétré. Il s'opérait une sorte d'épanouissement dans l'homme intérieur. Peu à peu les souffrances morales se voilaient, un nuage chargé d'un fluide bienfaisant semblait s'étendre sur l'âme : la rosée qu'il y répandait adoucissait toutes les amertumes de la passion, tout ce qu'il pouvait y avoir de cuisant et d'enflammé dans les désirs, d'âpre et de personnel dans les regrets. On oubliait les petitesses de la vie vulgaire et les exemples mauvais ; on ne sentait plus que la sainte protestation de la conscience contre le mal, et l'énergique désir de le combattre au-dedans et au-dehors de soi-même. On se trouvait si bien à Ars qu'on n'aurait plus voulu s'en aller, si ce n'est pour monter au ciel sans repasser par le monde. On aurait souhaité d'y finir sa vie, d'y avoir son tombeau. On ne se contentait pas de le désirer, plusieurs personnes de différentes conditions ont réellement quitté leur résidence et leurs relations dans le monde pour s'ensevelir dans cette solitude, à l'ombre de la sainteté, et y préparer leur âme à la seconde vie. Ce n'est pas sans émotion que nous avons lu sur une croix de bois, qui marque au cimetière la sépulture d'un étranger, cette belle inscription : UBI CRUX, IBI PATRIA.

(Vie de J.-M.-B. Vianney par Alfred Monnin)


Reportez-vous à Le pèlerinage d'Ars, À la rencontre du Saint Curé d'Ars, Les grands affluent à Ars comme les petits, Témoignage d'un pèlerin d'Ars : Tout autour du Saint Curé prouve la vérité de la religion, Le Saint Curé d'Ars et la haine du monde, Le Saint Curé d'Ars et les contradictions, Comment M. Vianney fut persécuté par les démons, Neuvaine au Saint Curé d'Ars pour notre Temps, La Providence d'Ars, ses humbles commencements, les miracles que Notre-Seigneur fit pour la soutenir, Le style du Saint Curé d'Ars, Le Saint Curé d'Ars et l'apostolat de la conversation, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Comment M. Vianney parlait des saints, Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (1/2), Vie domestique de M. Vianney : Depuis sa naissance jusqu'à sa nomination à la cure d'Ars (1786-1818) (2/2), De la vie Apostolique, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Du bon Directeur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Du vrai Religieux, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie mixte, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'homme intérieur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la conduite des âmes, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les souffrances, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Aimables reparties de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Foi de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Espérance de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur les joies de la vie intérieure, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Amour de M. Vianney pour les pauvres, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Humilité de M. Vianney, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Pensées de M. Vianney sur l'abnégation et la souffrance, L'Esprit du Saint Curé d'Ars, Le Saint Curé d'Ars dans ses homélies, Comment M. Vianney abolit les danses à Ars, Réflexions spirituelles du serviteur de Dieu, J. M. B. Vianney, le Saint Curé d'Ars, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Salut, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'amour de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur les prérogatives de l'âme pure, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint-Esprit, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la Sainte Vierge, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la sanctification du dimanche, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la parole de Dieu, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la prière, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le Saint Sacrifice de la Messe, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la présence réelle, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur la communion, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur le péché, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'orgueil, Catéchisme du Saint Curé d'Ars : Sur l'espérance, Les saints et le combat spirituel : Saint Jean-Marie-Baptiste Vianney, le Curé d'Ars, Litanies du Saint Curé d'Ars, Litanies de Sainte Philomène, Sermon sur l'Enfer, par M. J.-M.-B. Vianney, et Sermon du Saint Curé d'Ars sur l'Enfer des Chrétiens.