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jeudi 2 septembre 2021

Circonstances que nous devons observer en parlant



Mettez, Seigneur, des gardes à ma bouche, et une porte à mes lèvres pour les fermer. Saint Ambroise et Saint Grégoire, parlant des maux divers que cause l'intempérance de la langue, et nous exhortant à l'observation du silence pour les éviter ; font ensuite cette objection : Hé quoi, faut-il donc que nous devenions muets ? Nullement, répondent-ils ; car la vertu du silence ne consiste pas à ne parler point, mais à parler à propos, et à se taire quand il faut ; de même que la vertu de tempérance ne consiste pas à ne point manger, mais à manger sobrement et dans les temps réglés, à ne manger que ce qui est nécessaire, et à s'abstenir de tout le reste. Il y a, disent-ils encore, en rapportant ces paroles de l'Ecclésiaste, un temps de se taire, et un temps de parler ; ainsi il est nécessaire d'user de discernement, pour savoir faire à propos l'une et l'autre de ces choses ; car on peut manquer en ne parlant pas quand il le faut, de même qu'en parlant quand il ne faut pas. Or, ces deux choses, ajoutent-ils, nous sont marquées dans ces paroles du Prophète : Mettez, Seigneur, des gardes à ma bouche, et une porte à mes lèvres pour les fermer. David, dit Saint Grégoire, en demandant à Dieu qu'il mette des gardes à sa bouche, ne lui demande pas qu'il y élève une muraille, afin qu'elle ne s'ouvre jamais : il demande seulement qu'il y mette une porte ; et comme une porte est faite pour être ouverte, et pour pouvoir être fermée quand il est nécessaire, il nous donne à entendre par-là, que nous devons aussi ouvrir et fermer la bouche, selon qu'il en est besoin, et que c'est en cela que consiste l'essentiel de la vertu du silence. Le Sage, dans l'Ecclésiastique, demande la même chose à Dieu : « Qui mettra, dit-il, des gardes à ma bouche, et le sceau de la sagesse sur mes lèvres, afin qu'elles ne me fassent point tomber, et que ma langue ne me perde point ? » Il faut tant de circonstances et tant de conditions, pour ne parler que bien à propos, que ce n'est pas sans raison que le Sage craint que sa langue ne le perde ; et qu'il demande à Dieu le discernement nécessaire pour savoir ouvrir et fermer la bouche quand il le faut ; car il suffit de manquer à une seule circonstance en parlant, pour commettre une grande faute ; et au contraire, pour parler sagement, et ainsi qu'il convient, il est nécessaire que toutes les circonstances s'y rencontrent, et qu'on n'en omette aucune. Il y a cette différence du bien au mal, que pour qu'une action morale soit bonne, il faut que toutes les conditions requises y concourent toutes en même temps, au lieu que pour la rendre mauvaise, il suffit qu'il y en manque une seule.
Saint Basile, Saint Ambroise, Saint Bernard, et plusieurs autres Saints nous marquent les circonstances qui sont nécessaires pour bien parler ; et ils disent que la première et la principale est de bien considérer auparavant ce que l'on veut dire.
C'est le conseil que donne l'abbé Amon, rapporté par Saint Éphrem : « Avant que vous parliez, dit-il, communiquez premièrement avec Dieu ce que vous avez à dire, et les raisons que vous avez de le dire ; et après cela, parlez hardiment, comme un homme qui exécute la volonté de Dieu, qui vous a commandé de parler. » Voilà qu'elle est la principale circonstance pour bien parler ; pourvu que nous l'observions, nous observerons facilement toutes les autres.
La seconde circonstance à quoi nous devons prendre garde, est la fin et l'intention qui nous oblige de parler ; car il ne suffit pas que ce que nous disons soit bon, il faut aussi que la fin que nous nous proposons en le disant soit bonne.
Saint Basile dit qu'il faut en troisième lieu, que celui qui parle, considère et ce qu'il est, et à qui, et devant qui il parle.
La quatrième circonstance, dit Saint Ambroise, est de considérer le temps où il faut parler : car une des principales qualités de la prudence, est de savoir dire les choses dans leur temps : L'homme sage, dit l'Ecclésiastique, ne parlera point qu'il n'en soit temps : mais l'homme léger et imprudent, ne gardera ni temps, ni mesure. Et le Saint-Esprit, au Livre des Proverbes, parlant de ceux qui observent cette circonstance du temps, ajoute qu'une parole dite à propos, est comme des pommes d'or sur un lit d'argent. Mais aussi tout le contraire arrive, lorsqu'on ne garde point cette règle, car alors les meilleures choses perdent leur prix, et deviennent désagréables. Une parabole, dit le sage, ou une parole grave et sentencieuse, sera mal reçue de la bouche d'un fou : car il ne la dit point dans son temps. Cette circonstance du temps consiste encore à n'interrompre personne en parlant ; ce qui est également contraire aux règles de la bienséance, et à celles de l'humilité Chrétienne : c'est mal prendre son temps, que de parler quand une autre parle. N'interrompez personne au milieu de son discours, dit l'Ecclésiastique ; attendez qu'il ait achevé ce qu'il veut dire, et ensuite vous parlerez à votre tour. Ce qu'il ajoute, confirme ce qu'il vient de dire : « Ne répondez rien, dit Salomon, que vous n'ayiez bien entendu ce que l'on vous dit. Celui qui répond avant que d'avoir entendu ce qu'on lui a dit, fait voir qu'il est insensé, et digne de confusion. » Saint Basile donne encore ici un autre avertissement touchant le temps où l'on peut répondre : c'est que quand on adresse la parole à un autre qu'à vous, vous devez garder le silence ; et lorsque vous trouvant dans une compagnie, on y demandera le sentiment de tout le monde en général sur quelque chose que ce soit, si ce n'est point à vous qu'on adresse particulièrement la parole, vous ne devez pas vous charger de répondre pour tous les autres.
La cinquième circonstance que les Saints veulent qu'on observe pour bien parler, regarde la manière de parler ; c'est-à-dire, la composition du visage et le ton de la voix.
Saint Bonaventure comprend, sous cette circonstance, celle de parler avec un visage ouvert et serein, sans faire aucun signe irrégulier de la bouche ou des yeux : sans mouvement violent de la tête, sans gestes outrés. Saint Ambroise et Saint Bernard ajoutent à cette circonstance, que la voix ne doit être ni languissante, ni entrecoupée : qu'elle ne doit rien avoir d'affecté et d'efféminé : mais qu'elle doit être réglée, mâle et grave, comme il convient à un homme de l'avoir. Que s'il ne faut pas que la manière de parler soit languissante ni affectée, aussi ne faut-il pas qu'elle soit dure ni sèche, car, reprend Saint Bernard, comme je ne veux rien de mou ni d’efféminé, soit dans le son de la voix, soit dans la contenance et dans le geste, aussi je n'y veux rien trouver qui sente la rudesse et la grossièreté.
Saint Ambroise dit qu'il faut que les remontrances et les avertissements soient sans aigreur, et sans qu'il y ait rien qui puisse blesser : et il rapporte à ce sujet ce passage de l'Apôtre : « Ne reprenez personne avec rudesse, mais avertissez doucement les vieillards, comme vos pères : les jeunes hommes, comme vos frères, les femmes âgées, comme vos mères : et les jeunes femmes, comme vos sœurs. »
En un mot, il y a tant de circonstances à observer, pour parler comme il convient de le faire, qu'il est très-difficile qu'on n'y fasse quelque faute : c'est donc un excellent remède ou un puissant préservatif de demeurer dans le silence comme dans un port où nous serons à couvert de tous les inconvénients, et de tous les dangers qu'il y a à parler, suivent ces paroles du Sage : « Celui qui garde sa bouche et sa langue, garde aussi son âme de beaucoup d'afflictions. »
Personne n'ignore ce beau mot, de Saint Arsène, qu'il répétait souvent, et qu'il chantait même quelquefois, ainsi que le rapporte l'Auteur de sa vie : « Je me suis souvent repenti d'avoir parlé, disait-il, mais jamais de m'être tu. Une parole une fois échappée, ne revient jamais. » Saint Jérôme dit, qu'aussitôt qu'une parole est proférée, elle est comme une pierre que l'on ne peut plus retenir, dès qu'elle a été lancée, ni empêcher qu'elle fasse tout le mal qu'elle peut faire, si elle atteint quelqu'un.
Faisons donc une ferme résolution de régler notre langue, et disons avec le Prophète : « J'ai résolu de prendre garde à mes voies, afin que je ne pèche pas par ma langue. » Saint Ambroise, écrivant sur ces paroles, dit qu'il y a des voies que nous devons suivre, et d'autres auxquelles nous devons prendre garde. Nous devons prendre garde aux nôtres, de crainte de  nous y égarer, et de nous y perdre : nous y prendrons garde, conclut ce Saint Archevêque, si nous savons bien nous taire.

(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)


Reportez-vous à De la Médisance, Vivre dans le recueillement et dans le silence, c'est mener une vie douce et agréable, Le Silence est un moyen efficace pour acquérir la Perfection, Il est difficile, sans l'observation du Silence, de devenir homme d'oraison, Du Silence : Ses avantages et son utilité, Du Silence, par Saint Vincent Ferrier, De la conversation, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Le Purgatoire des paroles inconvenantes, Méditation sur les discours immodestes, Méditation sur les péchés de la langue, VIE CHRÉTIENNE : Repas, Récréations, Conversations et Visites, Qu'il ne sorte aucun mauvais discours de votre bouche, Qu'il faut s'abstenir de toutes paroles de raillerie, et éviter toute contestation avec le prochain, Parle, Seigneur, ton serviteur écoute !, et Qu'il est très-utile d'ajouter quelques pénitences à l'examen particulier.