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dimanche 23 janvier 2022

Perquisition et interrogatoires à l'oratoire de Don Bosco



Don Bosco ne fait aucun mystère de sa fidélité au souverain pontife. Il publie, dans les premiers jours de la nouvelle année, une lettre pontificale où Pie IX déplore la grande perturbation de l'Italie, la rébellion de plusieurs provinces de son propre royaume, et remercie l'apôtre de Turin de son indéfectible attachement, en même temps qu'il lui prédit de grands ennuis et l'exhorte à les supporter avec grand courage.
La lettre du Saint-Père agit comme une étincelle dans un baril de poudre, d'autant plus que, dans les mêmes jours, Camille Cavour revient au pouvoir et que la nouvelle du débarquement de Garibaldi avec sa légion rouge en Sicile déclenche un regain farouche d'enthousiasme guerrier.
Les ennemis de don Bosco ont beau jeu. Ils accusent l'oratoire d'être un foyer réactionnaire et prétendent impudemment qu'on y entretient un arsenal d'armes et de munitions, en attendant l'heure du coup de force qui renversera le gouvernement.
Si ridicules qu'ils soient, ces racontars trouvent des oreilles crédules dans le peuple et jusque en haut lieu.
Le nouveau ministre de l'Intérieur, le Sicilien Charles-Louis Farini, ordonne une perquisition.

Le 26 mai 1860, samedi de la Pentecôte, les gendarmes arrivent à l'oratoire, dans l'après-midi.
— Conduisez-nous à votre chambre, ordonne le commissaire de police à don Bosco.
— Seulement si vous avez un mandat officiel, répond celui-ci.
Le commissaire de police se fouille inutilement les poches ; finalement il envoie un de ses gendarmes chercher le papier oublié.
Pendant ce temps, les jeunes gens, maçons, serruriers, forgerons, reviennent de leur travail et s'indignent de cette intervention outrageante. Certains montrent le poing, retroussent leurs manches et 'attendent qu'un signe pour bousculer dehors les intrus.
« Permettez-vous... » demande le vigoureux Joseph Buzzetti. La réponse très catégorique de don Bosco le désole : « J'interdis toute parole et tout geste offensants à l'égard de qui que ce soit. »
L'ordre officiel du chef de la police arrive et la perquisition commence.
Primo, les objets personnels. On vide toutes les poches, on fouille très consciencieusement jusque dans les ourlets de la soutane et le pompon de la barrette du « prêtre Bosco ».
On met les tiroirs sens dessus dessous ; on culbute la corbeille à papier ; on brasse pêle-mêle des douzaines de lettres. Rien !
On finit tout de même par découvrir au fond d'une armoire à linge un tiroir secret :
— Qu'est-ce qu'il y a là-dedans ?
— Des documents privés, confidentiels. Je désire que l'on n'ouvre pas.
— Quoi de confidentiel ? Quoi de secret ? C'est précisément ce que nous cherchons. Ouvrez-vite !
— Puisque vous m'y forcez.
Quelle n'est pas la désillusion des policiers en ne trouvant que des factures non acquittées pour le pain, le macaroni et les ressemelages.
— Vous vous moquez de nous ? grogne le commissaire.
— Vous devez bien comprendre qu'il me déplaise de révéler l'étendue de mes dettes. Auriez-vous par hasard l'obligeance de payer une partie de ces factures ? »
Le commissaire devient écarlate, tandis que plusieurs de ses hommes se retiennent à peine de rire.
La perquisition se prolonge jusqu'à six heures. On fouille partout et dans tous les coins, y compris la cuisine et les ateliers. Sans aucun résultat.
« Assez pour aujourd'hui ! » ordonne le commissaire.
Ce n'est pourtant pas encore la paix pour l'oratoire.
Quinze jours plus tard, trois fonctionnaires du ministère s'y présentent avec tout un peloton de police pour une nouvelle perquisition.
— Donnez-nous vos livres de comptes, commandent-ils à don Alasonatti, don Bosco étant absent.
— Pourquoi les livres de comptes ?
— Il nous est revenu que vous avez accumulé de très fortes sommes en vue d'une insurrection, grogne Malusardi, secrétaire du ministre de l'Intérieur. Montrez-nous la caisse !
— Nous n'avons pas de caisse. En fait, nous n'avons jamais d'argent. Ce qui nous est donné est aussitôt dépensé à payer une partie de nos dettes.
— Faut-il vous croire ? On la connaît, la roublardise des Jésuites !
Par bonheur, don Bosco arrive juste à ce moment. Il prie les fonctionnaires de le suivre dans sa chambre. Sur la question financière, il n'a pas d'autre explication à donner que don Alasonatti.
— Nous allons interroger vos élèves, déclare le chevalier Gatti, inspecteur général du ministère de l'instruction, pour connaître l'esprit de cette maison.
— Interrogez qui vous voudrez, répond don Bosco. Je n'y vois pas d'inconvénient.
On fait venir au petit bonheur quelques écoliers et la séance commence :
— À qui vas-tu à confesse ? demande le chevalier au premier.
— À don Bosco.
— Depuis longtemps ?
— Depuis trois ans que je suis ici, toujours.
— Et tu aimes te confesser ?
— Oui, beaucoup.
— Qu'est-ce qu'on te dit au confessionnal ?
— On me donne de bons conseils.
— Je voudrais un peu plus de précision. Ne te dit-on pas que ceux qui ont pris au pape ses territoires sont des scélérats ?
— On ne parle pas de ça au confessionnal.
— Mais, ces choses-là ne sont-elles pas des péchés ?
— Si ce sont des péchés, ceux qui les ont commis peuvent s'en confesser. Moi, je n'ai pas volé de provinces au Saint-Père.
Rien à faire avec ce madré garnement. Passons à un autre. Le chevalier croit son choix plus heureux. Le gamin appelé n'a pas l'air des plus intelligents.
— En quelle classe es-tu ?
— En cinquième.
— Tu connais le roi ?
— Je ne l'ai jamais vu, mais je sais qu'il est notre souverain.
— Un mauvais souverain, qui persécute les prêtres et les religieux, n'est-ce pas ? Don Bosco vous l'a bien dit ?
— Jamais ! Don Bosco nous parle du roi avec beaucoup de respect.
— Mais les persécuteurs de l'Église sont des scélérats. Victor-Emmanuel persécute la religion, donc c'est un scélérat, c'est bien ainsi ?
— Vous pouvez mieux en juger que moi, monsieur, répond le gamin, qui est loin d'être aussi bête qu'il en a l'air. Je n'ai jamais rien entendu de pareil, et je sais seulement que don Bosco nous a fait prier pour le roi quand il était malade.
— C'est don Bosco qui t'a soufflé cette réponse !
— Pas possible. Il ne savait pas ce que vous alliez me demander.
Le fonctionnaire arrête. Au troisième !
— En quelle classe es-tu ?
— En quatrième.
— Vous avez sans doute étudié l'histoire romaine ?
— Mais oui.
— Peux-tu me dire qui a assassiné Jules César ?
— Brutus et ses conjurés.
— Brutus a sans doute bien agi en assassinant l'oppresseur de la liberté ?
— Non. Un sujet ne doit jamais lever la main contre son souverain.
— Mais si le souverain commet le mal ?
— Dieu le jugera. Ses sujets n'ont qu'à le respecter.
— Prenons un exemple. Victor-Emmanuel n'est-il pas condamnable parce qu'il cause des tracas aux religieux et des ennuis au Saint-Père ?
— Si le roi agit mal, il en répondra devant Dieu. Mais les sujets ont le devoir d'obéir à l'autorité.
Rien à faire encore avec celui-là, comme avec les suivants.
« Maudite engeance ! grogne le chevalier, en allant rejoindre ses collègues. Impossible de les faire se couper ! »

C'est à cette époque que don Bosco perd son ami le plus cher. Le 22 juin, don Cafasso meurt. Don Bosco le pleure comme un père. Avec ses jeunes il le conduit à sa dernière demeure. Le saint prêtre laisse à l'oratoire cinq mille lires et quelques pièces de terre.
Pour en finir avec toutes ces tracasseries, don Bosco décide de prendre le taureau par les cornes. Après bien des démarches, il obtient une audience du ministre de l'Intérieur. Farini ne lui manifeste d'abord aucune malveillance ; il lui adresse même des éloges au sujet de son dévouement envers les jeunes gens, mais : « Il est d'autant plus regrettable, enchaîne-t-il en fronçant les sourcils, que vous passiez maintenant au domaine de la politique. Vous devez comprendre que le gouvernement soit sur ses gardes. »
Le ministre tire quelques numéros du journal catholique Armonia :
— Voyez tout ce qu'on écrit contre le gouvernement. Il me revient par ailleurs que vous tenez des réunions révolutionnaires au Valdocco et que vous entretenez une correspondance avec les ennemis du pays.
— Ces articles ne sont pas de moi, et je ne tiens pas de réunions révolutionnaires chez moi. Avec les ennemis du pays, je n'ai aucune correspondance. Tout cela, ce ne sont que des calomnies de gens qui dupent les autorités et les jouent magistralement.
Le ministre a de la peine à se contenir.
— Pouvez-vous m'assurer en votre âme et conscience, arrive-t-il à demander posément, qu'il ne se tient pas de rassemblements révolutionnaires en votre maison, qu'aucun Jésuite n'y fréquente et qu'il n'existe aucune correspondance entre vous et les ennemis de la nation ? Nous avons des lettres, des preuves.
— Pourquoi ne me les montrez-vous pas ? Tout ce que je désire est la justice et la paix pour me dévouer aux enfants que Dieu m'a confiés.
Le ministre se lève, arpente la salle en silence. Comme il s'apprête à reprendre la parole, la porte s'ouvre : « Oh, que se passe-t-il ? demande le comte Cavour en entrant. Que l'on ait des égards pour le pauvre don Bosco ! Réglons la chose à l'amiable. Il a toujours eu ma sympathie. »
Le comte tend poliment la main à don Bosco et le prie de s'asseoir.
— Alors, qu'y a-t-il ? Quels sont vos ennuis ?
— On m'accuse d'être réactionnaire et chef de rebelles, Excellence, répond carrément don Bosco. Et tout cela sans aucune preuve. Je ne sais ce qui m'arrivera, mais ces bassesses ne peuvent demeurer cachées. Tôt ou tard Dieu et les hommes en châtieront les coupables.
— Calmez-vous, mon cher don Bosco. Personne ne vous en veut. Nous avons toujours été en bons termes et j'espère que nous continuerons. Dommage seulement que certains vous trompent et vous incitent à pratiquer une politique qui entraîne des conséquences fâcheuses.
— Quelle politique ? Quelles conséquences ? Nous n'avons, nous catholiques, pas d'autre politique que l'Évangile. Que me reprochez-vous exactement, monsieur le comte ?
Cavour retire ses grosses lunettes, rectifie un pli de sa veste :
— Voici, en un mot, dit-il. L'esprit qui prévaut dans votre institut est inconciliable avec la politique du gouvernement. Nous savons que vous êtes pour le pape ; vous êtes donc conte le gouvernement.
— Naturellement. Oui, comme catholique je suis pour le pape et je le serai jusqu'à mon dernier soupir. Mais, pour ce qui est de la politique, je n'appartiens à aucun parti et je ne me suis jamais mêlé de ces affaires-là. Si je me suis compromis en quelque chose, que l'on m'en punisse ; sinon, qu'on me laisse vaquer en paix à mes occupations !
— Pourtant vous croyez indiscutablement à l'Évangile. Or, vous y lisez que celui qui est pour le Christ est contre le monde. Étant pour le pape, vous ne pouvez donc pas être pour le gouvernement. Soyez sincère ! Que votre langage soit : « Oui ? — Oui », et : « Non ? — Non » !
— Voulez-vous dire par là que le gouvernement est contre Jésus-Christ et contre l'Évangile ? Je ne puis croire que le comte Cavour puisse renier les fondements de la morale et de la religion. Mais si vous voulez me citer la Sainte Écriture, vous connaissez aussi cette autre parole : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » Tel est mon principe. Me prenez-vous réellement pour un rebelle ?
— Non, non, jamais ! Je vous ai toujours considéré comme un homme d'honneur et je le fais encore. Et maintenant je veux qu'on en finisse avec cette affaire. Veuillez agir en ce sens, mon cher Farini !
Avec un geste amical de la main, Cavour se retire.
— Vous avez entendu ce que vient de dire le comte Cavour, dit le ministre de l'Intérieur en toussotant. Rentrez donc chez vous et consacrez-vous à vos enfants. Le gouvernement vous en sera reconnaissant. Mais de la prudence, mon cher ! Soyez prudent ! Nous vivons en des temps difficiles, où l'on voit souvent une mouche se transformer en éléphant. Donc, soyez prudent !
Sur ces mots, me ministre se lève, serre la main à don Bosco :
— J'espère que nous resterons amis à l'avenir. Priez pour nous.
Si don Bosco a maintenant réellement la paix, pendant quelque temps de la part du gouvernement, il est d'autant plus consterné des nouvelles qui, dans les jours suivants, affectent tous les bons catholiques.
Le 19 août, Garibaldi franchit avec ses diables rouges le détroit de Messine et débarque en Calabre. Trois semaines plus tard, il entre en vainqueur à Naples, où il proclame Victor-Emmanuel souverain du royaume. Son prochain objectif ne peut être que les États de l'Église. Le 11 septembre, les troupes piémontaises envahissent les provinces pontificales de l'Ombrie et les Marches. Trois jours après, c'est la chute de Pérouse ; le 29 septembre, la capitulation des troupes pontificales à Ancône.
Victor-Emmanuel se fait proclamer roi d'Italie le 17 mars 1861. Mais le Piémont est encore privé de son plus beau fleuron, Rome comme capitale du nouveau royaume, dernière possession du pape sous la protection de la France. Victor-Emmanuel ne peut risquer de s'opposer au puissant empereur Napoléon, d'autant plus que son chancelier lui est enlevé par la mort le 6 juin.
La veille de la Fête-Dieu, le comte Cavour meurt des suites d'une attaque d'apoplexie. En annonçant cette nouvelle à ses jeunes gens, don Bosco ajoute : « Plaignons le noble comte, qui n'a pas trouvé un véritable ami à ses derniers moments. Il nous reste l'espoir que Dieu lui aura fait miséricorde, grâce à l'intercession de saint François de Sales, avec lequel Cavour était apparenté du côté maternel. »
C'est au milieu de cette effervescence que croît et mûrit l'œuvre de don Bosco. Il agrandit l'oratoire, plus de six cents jeunes gens y trouvent un foyer. Le 14 mai 1862, les premiers Salésiens prononcent, au terme de leur noviciat, leurs vœux publics. Vingt et un prêtres et séminaristes s'engagent à pratiquer jusqu'à leur dernier jour la pauvreté, la chasteté et l'obéissance, en se dévouant au service de Dieu et de la jeunesse.
Don Bosco leur adresse ces paroles émues et prophétiques : « Mes enfants, nous vivons en des temps fort troublés et cela semble une folie de fonder une nouvelle congrégation religieuse à l'heure précise où le monde et l'enfer mettent tout en œuvre pour anéantir celles qui existent déjà. Mais n'ayez pas peur. Ce ne sont pas des probabilités, ce sont des certitudes que j'ai : Dieu bénit notre effort et veut qu'il se poursuive. Que n'a-t-on pas fait déjà pour se mettre en travers de notre dessein ! À quoi cela a-t-il servi ? À rien. Ce serait déjà une raison de nous confier en l'avenir. Mais, j'en ai d'autres plus solides. La principale est que nous ne cherchons pas autre chose que la gloire du Seigneur et le salut des âmes. Qui sait si le Ciel ne veut pas se servir de cette humble congrégation pour accomplir de grandes choses dans l'Église de Dieu ? Qui sait si d'ici vingt-cinq ou trente ans notre petit noyau, béni du Seigneur, n'envahira pas la terre, et ne deviendra pas une armée d'au moins mille religieux ? » La fin de l'année réserve encore une grande épreuve à don Bosco : la mort de son frère Joseph, le 12 décembre 1862. C'est lui-même qui lui ferme les yeux.

(Don Bosco, l'Apôtre des Jeunes, G. Hünermann)


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