La politesse, on le constate, se fait de plus en plus rare dans ce monde, mais aussi malheureusement chez les catholiques, plus encore chez ceux qui crient haut et fort détenir la bonne doctrine... ce ne sont pas des mots qui font un catholique, mais l'esprit de Dieu qui l'anime et les actes qui en découlent ; d'où selon nous la nécessité de rappeler que la politesse est indissociable de la charité. Sans politesse donc, nulle charité. Espérons que ce rappel soit une source de motivation pour ceux qui ont oublié l'importance de la politesse et de la civilité pour être agréables à Dieu et aux hommes.
Sainte Anne et Saint Joachim instruisant Marie |
Considérations sur la nature, les principes, les règles fondamentales,
la nécessité de la bienséance et de la civilité
La Bienséance, telle que nous la considérons dans ce traité, est la convenance qui règle nos rapports extérieurs avec Dieu, avec le prochain, avec nous-mêmes.
La Civilité, cette partie de la bienséance qui ne s'occupe que des rapports mutuels des hommes entre eux, ajoute aux convenances naturelles auxquelles nous sommes tenus à l'égard des autres, certaines règles arbitraires qui varient avec les temps et les lieux. Elle emprunte à la Politesse ce qu'elle peut avoir, dans le mode, d'aisé, de fin et de délicat.
Fondées sur la nature des choses, les règles de bienséance sont immuables, elles obligent tous les hommes, et elles ne peuvent être enfreintes sans un désordre plus ou moins grave.
Quant aux lois de la civilité et de la politesse qui changent suivant les pays et les temps, elles doivent être respectées d'après les principes de la bienséance générale. Celle-ci, en effet, tout en gardant le silence sur les formes arbitraires du respect et de la bienveillance extérieure, prescrit indirectement l'observation de ces règles, précisément par l'obligation qu'elle impose de se montrer bon et honnête à l'égard des autres.
L'infraction de ces lois dépendant des usages, peut provenir ou de l'ignorance : elle annonce une mauvaise éducation ; ou de l'oubli : il dévoile un esprit léger, et peu fait pour sentir vivement les convenances ; ou de la grossièreté : elle ne se trouve que dans un cœur sans vertus, et nullement susceptible de se plier à la politesse extérieure ; ou bien enfin d'un caractère plein d'orgueil : abaissant les autres à ses propres yeux, il se croit dispensé des règles de l'honnêteté ; froissé dans sa vanité, il ne garde plus aucune mesure à l'égard de ceux qui l'on blessé.
Toutefois, gardez-vous de cette civilité purement extérieure, telle qu'elle se trouve ordinairement dans le monde. On croit avoir gardé toutes les règles, lorsque, sous des formes pleines de politesse, sous les protestations réitérées d'une bienveillance hypocrite et d'un respect apparent, on cache le mépris ou l'indifférence, souvent même la haine.
La civilité, pour un chrétien, doit puiser son principe dans la charité, seul lien d'union solide entre les hommes. Le chrétien, non content d'y chercher ces motifs si puissants qui le portent à regarder dans les autres hommes des chefs-d’œuvre sortis des mains du Créateur, des enfants, comme lui, de ce père commun, des frères régénérés avec lui dans le sang du Sauveur, dont ils sont appelés à partager ensemble le royaume et la gloire ; le chrétien, dis-je, trouvera encore dans les caractères de la vraie charité, des règles qui le guideront avec d'autant plus de sûreté dans ses rapports avec ses frères, qu'elles lui sont données par l'Esprit-Saint lui-même.
Formée sur ces divins enseignements, la civilité du chrétien sera donc, comme sa charité, pleine de patience et de douceur ; dans ses procédés, elle ne fera paraître ni précipitation ni orgueil ; apprenant à fouler aux pieds ses propres intérêts, elle ne cachera jamais des desseins ambitieux. Au lieu de montrer de l'aigreur contre ceux qui auraient pu le piquer, celui qui règle sa civilité sur l'amour de ses frères supporte tout, souffre tout ; loin de témoigner des défiances injurieuses, par une louable simplicité et une noble franchise, il croit et il espère toute espèce de bien des autres. Si quelquefois il blâme le mal, plus souvent et avec plus de complaisance il relève les belles actions. Sa civilité, comme sa charité, ne lui fait jamais défaut ; elle répand sur toute sa conduite les charmes les plus attrayants.
Tels sont les principes, telles sont les règles de cette civilité véritable dont la politesse du monde n'est qu'une froide et pâle image.
L'esprit de charité qui inspire, qui vivifie la civilité et la politesse de tout chrétien, doit surtout se faire remarquer chez un ecclésiastique, obligé, par état, à une vie de dévouement, de zèle et de charité. Appelé à continuer et à perpétuer, sur la terre, la mission d'amour et de sacrifice de son divin maître, il imitera son humilité et sa douceur. Dans tous ses rapports avec le prochain devront se faire remarquer et sa modestie et sa bienveillance. Au-dessus du monde, par son caractère et ses fonctions ; hors du monde, par un esprit vraiment sacerdotal qui l'éloigne des habitudes de la société mondaine, le prêtre, cependant, vit au milieu du monde : aussi doit-il se plier à ces règles de bienséance, d'ailleurs indifférentes, mais auxquelles il est soumis comme les autres, et qu'il ne pourrait enfreindre sans s'exposer au mépris, au discrédit des gens du monde, et sans compromettre le succès d'un ministère laborieux et sanctifié même par de grandes vertus. Cependant, se souvenant toujours de sa dignité et de son caractère, il ne doit se prêter à rien de bas ni de trop mondain : ce serait une autre manière de tomber dans le mépris que d'affecter une politesse mondaine, contraire à ce que les gens du monde eux-mêmes attendent des mœurs graves d'un ecclésiastique.
Nous faisons connaître au jeune élève du sanctuaire le caractère spécial de la civilité pour un ecclésiastique, afin que, de bonne heure, il s'accoutume à cette bienveillance, à cette modestie, à cet esprit de dévouement, et à cette sage réserve qui devront, plus tard, paraître tout particulièrement dans ses rapports avec ses frères.
Exposer les principes et les règles fondamentales de la civilité chrétienne, n'est-ce pas faire sentir toute son utilité, toute son importance ? En effet, l'exercice de la civilité, telle que nous l'entendons, n'est autre chose que l'exercice des plus belles vertus chrétiennes : la patience, le renoncement à soi-même, l'humilité, la modestie, la douceur, en un mot la charité.
De l'observation consciencieuse des règles de la bienséance naît comme nécessairement cette habitude d'une sainte contrainte qui dispose à tous les sacrifices que demande la pratique des vertus.
La vigilance que nous devons avoir sur nous-mêmes et sur toutes nos démarches pour ne manquer à aucune convenance, facilité cette autre vigilance plus rigoureuse avec laquelle nous devons garder notre cœur et nos sens ; elle facilité aussi l'attention continuelle que nous devons apporter à l'accomplissement de nos devoirs.
De tout ce que nous venons de dire, il est facile de conclure combien il est important, combien il est nécessaire de s'exercer de bonne heure à la pratique de la civilité.
Elle forme, nous venons de le voir, aux habitudes les plus propres à faire naître et à entretenir les vertus. Pratiquée dès le jeune âge, la civilité préserve souvent les enfants, les jeunes gens, de ces vices grossiers qui ne trouvent pas de prise sur un cœur formé, par la bienséance, à la délicatesse et à l'honnêteté. Combien de fois un air de modestie et d'une honnête retenue n'a-t-il pas préservé un jeune homme du contact des méchants, qui fuient à l'aspect de la vertu ?
La considération de ne pouvoir se former plus tard que très-difficilement à ces habitudes d'honnêteté qu'il n'aurait pas contractées dans sa jeunesse, doit déterminer un jeune homme à s'accoutumer à l'exercice de la civilité et de la politesse, et à redresser, de bonne-heure, les mauvais plis qu'il réussirait avec peine à réformer dans la suite.
Un jeune élève se fera donc un devoir d'étudier avec attention les règles de la bienséance, et les différents usages de la société dans laquelle il est appelé à vivre. Ce sera surtout par la pratique qu'il parviendra à la connaissance de ces règles et de ces coutumes.
Une grande vigilance sur soi-même, sans préoccupation gênante ; l'observation attentive des bons procédés et des bonnes manières dans les personnes civiles et délicates ; la bonne volonté de profiter des avis ou des corrections par lesquelles un supérieur, un ami, cherchent à réformer des défauts contraires à la civilité et à la politesse : tous ces moyens seront employés avec zèle, et conséquemment avec profit, par les jeunes gens qui sentiront l'importance et la nécessité de se former aux bienséances et à la politesse.
(Politesse et Bienséances, par l'Abbé Théodore de Beauvois)