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samedi 15 octobre 2016

La puissance des démons réglée par la sagesse divine


 Extrait de "Traité du Saint Esprit" de Mgr Gaume :



Job apprenant sa ruine (Gustave Doré)
Suivant les conseils de son infinie sagesse, Dieu maintient la puissance des démons dans de justes limites (S.. Aug. Enarr. in ps. c. 12). Il en résulte que les princes de la Cité du mal ne peuvent nuire à l'homme et aux créatures dans toute la mesure de leur haine (S. Th., III p. q. xxix, art. 1, ad 3). Non seulement Dieu restreint leur puissance, mais il la dirige ; car, comme tout ce qui existe, cette puissance doit, à sa manière, contribuer à la gloire du Créateur.

Sur ce point essentiel dans le gouvernement de la Cité du bien, rappelons l'enseignement précis de la théologie catholique. « Les bons anges, dit saint Thomas, font connaître aux démons beaucoup de choses touchant les secrets divins. Ces révélations ont lieu toutes les fois que Dieu exige des démons certaines choses, soit pour punir les méchants, soir pour exercer les bons. Ainsi, dans Tordre social, les assesseurs du juge notifient aux exécuteurs la sentence qu'il a portée. Afin donc qu'il n'y ait rien d'inutile, dans l'ordre général, pas même les démons, Dieu les fait concourir à sa gloire, en leur donnant la mission de punir le crime, ou en leur laissant la liberté de tenter la vertu (I p., q. cix, art. 4, ad 1 - q. LXIV, art. 4. corp et S. Ambros., lib. VI in Luc). »

Et ailleurs ; « Les mauvais anges attaquent l'homme de deux manières. La première, en l'excitant à pécher. Dans ce sens ils ne sont pas envoyés de Dieu ; mais quelquefois, suivant les conseils de sa justice, Dieu les laisse faire. La seconde, en le punissant et en l'éprouvant : dans ce sens ils sont envoyés de Dieu (Id., q. cxiv, art. 1, ad 1). »

Il faut remarquer qu'à cause de sa haine invétérée contre le Verbe, le démon est naturellement tentateur de l'homme : c'est là son office. Il faut remarquer, de plus, qu'il tente même lorsqu'il est envoyé pour punir. En effet, autre est son intention en punissant, autre celle de Dieu qui l'envoie. Il punit par haine et par jalousie ; tandis que Dieu l'envoie pour venger les droits de sa justice (I, Thess., 3 et Viguier, p. 91).

Il faut remarquer, enfin, que cette délégation ou permission divine n'ajoute rien à la puissance naturelle des démons : elle ne fait que la déchaîner et en déterminer l'usage. Par l'intermédiaire des bons anges, Dieu leur indique les lieux et les personnes auxquels ils doivent faire sentir leur redoutable présence, le genre et la limite des châtiments ou des épreuves dont ils sont les ministres. Qui oserait s'élever contre cette conduite de la Sagesse infinie ? Dieu n'est-il pas libre de faire, par qui il veut et comme il veut, rendre au méchant suivant ses œuvres, et acheter au juste la couronne qu'il lui réserve ?

De cette double fonction de punir et d'éprouver, donnée aux mauvais anges, les preuves abondent dans l'Écriture et dans l'histoire de l'Église. En voici quelques-unes.

Fonction de punir. — C'est par le démon que furent frappés de mort les premiers-nés des Égyptiens, en punition de l'opiniâtreté de ce peuple et de son roi à résister aux ordres de Dieu. Abîme de la justice divine ! Les démons avaient, par leurs prestiges, puissamment contribué à l'obstination de l'Égypte, et les démons eux-mêmes sont chargés de l'en punir ! Peut-être même ces esprits malfaisants avaient-ils le pressentiment de ce qui devait arriver. Tant il est vrai qu'en tout ce qu'ils font ils n'ont qu'un but, le mal de l'homme (Vig., p. 92).

On lit au premier livre des Rois : « Un mauvais esprit venu de la part du Seigneur tourmentait Saül. Cet esprit mauvais envoyé de Dieu s'emparait de Saül, et Saül prophétisait (I Reg., xvi, 14 ; XVIII, 10). » Suivant les commentateurs, l'esprit mauvais dont il s'agit était un démon envoyé de Dieu pour punir Saül. « Le premier roi d'Israël, dit Théodoret, s'étant volontairement soustrait à l'empire du Saint-Esprit, fut livré à la tyrannie d'un démon (In hunc loc , q. XXXVIII). »

Saint Grégoire ajoute : « Le même esprit est appelé tout à la fois esprit du Seigneur et esprit mauvais : du Seigneur, pour marquer l'investiture d'une juste puissance ; mauvais, à cause du désir d'une injuste tyrannie (Moral., lib. II,  c. VI). »

Ce texte sacré a cela de précieux qu'il ne prouve pas seulement la délégation divine donnée au démon, mais encore qu'il en détermine l'usage. Saül ne perd ni l'ouïe, ni la parole, ni la santé, comme certains possédés de l'Évangile : autre est la punition réglée par le Souverain juge. En usurpant les fonctions sacerdotales, ce prince avait voulu devenir le voyant d'Israël, et il éprouve des agitations violentes, il voit des fantômes, il tombe dans des accès de fureur ; et dans cet état, qui manifeste toujours la présence de l'esprit de désordre, il rend des oracles incohérents (Theodor., ubi supra).

Nous apprenons du même livre qu'un esprit de mensonge est envoyé par le Seigneur pour tromper Achab, roi d'Israël, en punition de son hypocrisie (III Reg. c. ultim).

Afin d'abréger : le dernier des livres sacrés, annonçant ce qui doit arriver à la fin des temps, nous montre quatre démons chargés de punir la terre, la mer et leurs habitants ; mais recevant, suivant lés interprètes, leur mission de Dieu par le ministère des bons anges (Apoc., VIII, et Corn, a Lap., in hunc loc).

Dans les siècles intermédiaires entre l'Ancien Testament et la consommation du monde, la mission de punir déléguée au démon n'a jamais été suspendue. Gomme preuve entre mille, citons seulement un fait célèbre dans l'histoire. Nous disons célèbre, puisqu'il a donné lieu à quatre conciles. C'était au siècle de Charlemagne. On faisait une translation solennelle des reliques des saints martyrs Pierre et Marcellin. De nombreux miracles s'opéraient sur leur passage ; mais il y en eut un qui étonna plus que les autres. Une jeune fille possédée fut amenée à un des prêtres pour qu'il l'exorcisât. Le prêtre lui parla latin. Quel fut l'étonnement de la foule, lorsqu'on entendit la jeune fille répondre dans la même langue !

Étonné lui-même, le prêtre lui demanda : « Où as-tu appris le latin ? de quel pays es-tu ? quelle est ta famille ? » Par la bouche de la jeune fille le démon répondit : « Je suis un des satellites de Satan, et j'ai été longtemps portier des enfers. Mais depuis quelques années, nous avons reçu ordre, moi et onze de mes compagnons, de ravager le royaume des Francs. C'est nous qui avons fait manquer les récoltes de blé et de vin, et attaqué toutes les autres productions de la terre qui servent à la nourriture de l'homme. C'est nous qui avons fait mourir les bestiaux par différents genres d'épidémies, elles hommes eux-mêmes par la peste et par d'autres maladies contagieuses. En un mot, c'est nous qui avons fait tomber sur eux toutes les calamités et tous les maux, dont ils souffrent depuis plusieurs années. »
— Pourquoi, lui demanda le prêtre, une pareille puissance vous a-t-elle été donnée ? » Le démon répondit : « À cause de la malice de ce peuple et des iniquités de tout genre de ceux qui le gouvernent. Ils aiment les présents et non la justice ; ils craignent l'homme plus que Dieu. Ils oppriment les pauvres, demeurent sourds aux cris des veuves et des orphelins et vendent la justice. Outre ces crimes, particuliers aux supérieurs, il y en a une multitude d'autres qui sont communs à tous : le parjure, l'ivrognerie, l'adultère, l'homicide. Voilà pourquoi nous avons reçu ordre de leur rendre suivant leurs œuvres.
— Sors, lui dit le prêtre en le menaçant, sors de cette créature. — « J'en sortirai, répondit-il, non à cause de tes ordres, mais à cause de la puissance des martyrs, qui ne me permettent pas d'y demeurer plus longtemps. » À ces mots il jeta violemment la jeune fille par terre, et l'y tint pendant quelque temps comme endormie. Bientôt il se retira ; et la possédée, sortant comme d'un profond sommeil, par la puissance de Notre-Seigneur et par les mérites des bienheureux martyrs, se leva saine et sauve en présence de tous les spectateurs. Une fois le démon parti, il lui fut impossible de parler latin ; ce qui montra clairement que ce n'était pas d'elle-même qu'elle parlait cette langue, mais le démon qui la parlait par sa bouche (Labbe, Collect. Concil, t. VII, col. 1668).

Le bruit de cet événement, accompli en présence d'une multitude de témoins, se répandit partout et ne tarda pas à venir aux oreilles de l'Empereur. Charlemagne était un grand homme, mais non à la manière des pygmées de nos jours qui usurpent ce litre. Charlemagne était un grand homme, parce qu'il était un grand chrétien. Comme tel, il croyait, avec l'Église et le genre humain tout entier, aux démons et à leur puissance sur l'homme et sur les créatures. À la vue du prodige et des fléaux qui désolaient l'empire, il ne dit pas, comme les petits grands hommes d'aujourd'hui : Échenillez, drainez, soufrez : il suffit.

Composant un antidote avec le venin même du serpent, Charlemagne convoque les évêques. De concert avec eux, il ordonne dans tout l'empire trois jours de jeûne et de prières publiques. Comme ce n'est pas assez de guérir le mal, mais qu'il faut en prévenir le retour, le grand Empereur fait assembler quatre conciles sur les différents point des Gaules, afin de pourvoir à la correction des abus et à la réforme des mœurs. Ces conciles furent tenus à Paris, à Mayence, à Lyon et à Toulouse : de sages règlements y furent établis, et après ce drainage catholique les fléaux cessèrent et l'abondance revint (Labbe, Collect. ConciL, t. VII, col. 1668).

Fonction d'éprouver. — Tout le monde connaît l'histoire de Job. Écrite sous l'inspiration de Dieu lui-même, cette histoire est la preuve éternellement péremptoire de la puissance donnée au démon d'éprouver le juste. Grand parmi tous les princes de l'Orient, père d'une belle et nombreuse famille, possesseur paisible d'immenses richesses, patriarche à la foi d'Abraham, Job excite la jalousie de Satan. Le Roi de la Cité du mal demande la permission de le soumettre à l'épreuve. Dieu, qui connaissait l'âme de son serviteur, accorde la permission demandée. Il savait que cet or pur jeté au creuset de la douleur en sortirait plus brillant ; que le triomphe de la faiblesse humaine aidée de la grâce deviendrait la confusion de Satan, l'admiration des siècles et le modèle de toutes les victimes de l'adversité.

Comme celle de punir, la mission d'éprouver est déterminée par la sagesse divine : le texte sacré nous en fournit encore la preuve. « Le Seigneur dit à Satan : Tout ce que Job possède t'est livré ; mais tu n'étendras pas la main sur sa personne (Job., I, 12). » Nous voyons, en effet, dans ce premier assaut, toutes les possessions de Job impitoyablement frappées et si bien anéanties, que le saint homme peut prononcer en toute vérité le mot de résignation sublime qui, depuis quatre mille ans, retentit à tous les échos du monde : « Je suis sorti nu du sein de ma mère, et nu j'y rentrerai. Le Seigneur m'avait donné, le Seigneur m'a ôté ; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait ; que le nom du Seigneur soit béni (Job., I, 21). »

Job est dépouillé de tout ; mais la santé lui reste. Malgré la puissance de sa haine, le démon n'a pu faire tomber un cheveu de la tête de sa victime. Furieux de voir que sa malice ne fait que donner à la vertu de Job un éclat qui le confond, Satan revient à la charge t il demande à Dieu la permission de frapper Job dans sa chair. À peine obtenue, le patriarche est couvert de la tête aux pieds d'un ulcère de la pire espèce. Avec autant de résignation qu'il a reçu la perte de ses biens, Job accueille la perte de sa santé.

Afin de l'exaspérer et de lui arracher, sinon des blasphèmes, du moins un murmure, Satan emploie contre l'héroïque patriarche le dernier des êtres chéris qui lui reste. Complice de l'esprit mauvais, la femme de Job lui dit : Maudis celui qui te frappe. Job répond en le bénissant (Job, II, 7-10). C'en est fait, l'épreuve est finie ; Satan est confondu ; le triomphe du juste complet. Devenu l'admiration des anges et des hommes, Job n'a plus qu'à attendre lès bénédictions divines, récompense de sa victoire.

Sans parler de la tentation de Notre-Seigneur au désert, nous trouvons dans le Nouveau Testament une mission semblable donnée au démon, à l'égard de saint Paul. Écoutons le grand Apôtre : « Et de peur que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillît, il m'a été donné l'aiguillon de ma chair, l'ange de Satan, chargé de me souffleter. C'est pourquoi, trois fois j'ai demandé au Seigneur de l'éloigner de moi, et il m'a dit : Ma grâce vous suffit ; car la vertu se perfectionne dans l'infirmité (II Cor., XII, 7-8). » Remarquons-le bien, saint Paul ne dit pas : Un ange de Satan me soufflette ; mais il dit : « Un ange de Satan m'a été donné, datas est mihi, pour me souffleter. » Cet ange, ajoutent les commentateurs, n'est pas autre chose qu'un démon à qui Dieu permit de tenter la chasteté du grand Apôtre, comme il avait permis à Satan lui-même de tenter la patience de Job (Corn, a Lap. ; ibid).

Mais pourquoi saint Paul appelle-t-il soufflets, et non simplement tentations, les attaques que lui fait subir Fange de Satan ? Le voici : à l'égard des saints, les tentations delà chair produisent l'effet d'un soufflet appliqué sur la joue. Elles ne les blessent pas, mais elles leur font monter la rougeur au visage et éprouver les salutaires douleurs de l'humiliation. Plus la sainteté est grande, plus l'humilité doit être profonde, quanto magnus es, humilia te in omnibus. Quoi de plus conforme aux sages conseils de Dieu sur ses élus, que Paul, élevé au troisième ciel, fût sans cesse rappelé au sentiment de sa faiblesse et de son néant, par le démon le plus propre à l'humilier ! « Ce moniteur, dit saint Jérôme, fut donné à Paul pour réprimer en lui l'orgueil ; de même qu'on place derrière le triomphateur, sur son char, un esclave chargé de lui redire sans cesse : Souviens-toi que tu es homme (Ep., xxv, ad Paulam, de obitu Bloesillae). »

Paul a compris l'intention paternelle de son divin Maître. Athlète généreux, il ceint ses reins au combat, et, assuré que l'épreuve tournera à la honte de son ennemi, il s'écrie. : « Eh bien ! je me glorifierai avec bonheur de mes soufflets, de mes humiliations, de mes infirmités ; plus la lutte sera vive, plus grand sera l'éclat de la force divine qui combat eu moi (II, Cor., XII, 9). »

En effet, l'Orient et l'Occident, Jérusalem, Athènes, Rome, voient passer l'infatigable combattant. Malgré son importun moniteur, il marche de victoire en victoire, jusqu'au jour où, le démon à jamais confondu, Paul entonne l'hymne de la délivrance et du triomphe éternel : « J'ai combattu un bon combat ; j’ai achevé ma course ; il ne me reste plus qu'à recevoir la couronne de justice (II Tim. IV, 7). »

L'histoire de l'Église offre mille exemples éclatants de la même délégation, ou permission divine donnée aux démons. Pour n'en citer qu'un seul, est-il rien de plus célèbre que les tentations de saint Antoine et des Pères du désert ? Veut-on voir briller de tout son éclat une de ces belles harmonies, qu'on rencontre à chaque instant dans les conseils de Dieu ? il faut se reporter aux circonstances de ces luttes formidables.

On était au milieu du troisième siècle. La guerre contre l'Église allait devenir la plus affreuse mêlée, disons mieux, la plus horrible boucherie que le monde eût encore vue. D'un bout de l'empire à l'autre, allait retentir le cri sanguinaire : Les chrétiens au lion, christianos ad lconem ! et des milliers de jeunes enfants, de vierges timides, de faibles femmes allaient descendre dans les amphithéâtres et lutter corps à corps avec les bêtes féroces et avec les ministres de Satan, plus féroces que les bêtes.

À ce moment précis, Dieu fait partir pour les saintes montagnes de la Thébaïde de nouveaux Moïses. « Dévoués tout entiers au service de Dieu, dit Origène, et dégagés des soucis de la vie, ils sont chargés de combattre pour leurs frères, par la prière, par le jeûne, par la chasteté, par la pratique sublime de toutes les vertus (Homil, xxiv in Num). » Jamais mission ne sera mieux accomplie. Du fond de leur solitude, Paul, Antoine, Pacôme, et leurs nombreux disciples élevèrent vers le ciel leurs mains suppliantes, et la voix de la vertu, en terrassant Dioclétien et Maximien, obtiendra la victoire aux martyrs et Constantin à l'Église.

Satan voit ce qui se prépare, et il rugit. Dieu lui permet de se déchaîner contre les intercesseurs, dont la puissante prière va ébranler ses autels et détruire son empire. La lutte sera une lutte à outrance. Afin de rendre plus éclatante la gloire du triomphe et la honte de la défaite, elle aura lieu dans la forteresse même du démon et contre ses plus redoutables satellites. Quelle était cette forteresse ? C'étaient les déserts de la haute Égypte, espèce de bagne, où la justice de Dieu tenait relégués les plus terribles de ces esprits malfaisants.

Ceci n'est point une supposition vaine, c'est un fait. Ne lisons-nous pas dans l'histoire de Tobie que l'archange Raphaël, ayant saisi le démon qui tourmentait Sara, le confina dans les déserts de la haute Égypte, où il l'enchaîna (Tob., VIII, 3) ? Maître souverain de toutes les créatures, Dieu ne peut-il pas prescrire aux démons certaines limites à leur pouvoir, aussi bien par rapport aux temps et aux lieux, que par rapport aux personnes et aux choses ? Dans l'Évangile Notre- Seigneur fait allusion aux mêmes solitudes. Parlant d'un démon chassé de l'âme, il dit qu'il s'en va dans des pays arides et sans eau, où il recrute sept autres démons plus méchants que lui (Luc, XI, 24). Quels sont ces pays mal famés ? Les plus savants interprètes répondent sans hésiter : « Ce sont les affreux déserts, situés ù la partie orientale de l'Égypte, vastes solitudes couvertes de sables brûlants, où il ne pleut jamais, où le Nil cesse d'être navigable, où le bruit affreux des cataractes remplit l'âme d'épouvante, et où fourmillent les serpents et les bêtes venimeuses (in Ezech., c. xxx ; Corn, a Lap. ; in Tob., VIII, 3 ; Serarius, quoestiuncul, ad lib. Tob. Scriptur, Sacr., cursus complet. T., XII. 647, etc.). »

C'est là, dans ces lieux d'horreur, dont Satan faisait comme sa citadelle, que la sagesse divine conduit les Paul, les Antoine, les Pacôme, les Paphnuce et leurs valeureux compagnons. C'est sur ce champ de bataille qu'ils auront à soutenir contre les démons, de fréquents, de gigantesques combats. L'histoire les a décrits, et la vraie philosophie en donne la raison.

Comme celles qu'il entreprit contre Job et contre le grand Apôtre, ces luttes acharnées de Lucifer contre les héros de la Thébaïde, tournèrent à sa honte et à la gloire des Saints. Écoutons l'illustre historien et l'ami de saint Antoine. « Le voyez-vous, s'écrie saint Athanase, ce fier dragon, suspendu au hameçon de la croix ; traîné par un licol comme une bête de somme ; un carcan au cou et les lèvres percées d'un anneau, comme un esclave fugitif ! Le voyez-vous, lui, si orgueilleux, foulé sous les pieds nus d'Antoine, comme un passereau, n'osant faire un mouvement, ni soutenir son aspect (Vit. S. Ant) ! »

La puissance d'éprouver, que les démons manifestent quelquefois par des attaques extraordinaires, comme celles qu'on vient de lire, est habituelle chez eux. Nuit et jour, depuis la chute originelle, et sur tous les points du monde, ils l'exercent à l'égard de chaque enfant d'Adam (S. Th., I p. q. cxiv, art. 1, ad 1). Il en résulte que le Roi de la Cité du mal, auquel ils obéissent, est la cause indirecte de tous les crimes ; car c'est lui qui, en poussant le premier homme au péché,-nous a rendus héritiers de l'inclination à toutes les iniquités (S. Thom., I, p. q. cxix, art. 3, c). Ajoutons que le péché auquel il nous porte avec le plus de fureur, et qui lui cause une plus grande joie, à raison de son adhérence, c'est le péché d'impureté (Ibid., la 2ae. q. LXXIII, art. 5, ad 2).

Toutefois, la sagesse de Dieu détermine l'exercice de cette terrible puissance, et sa bonté en fixe les limites. Elles sont telles que nous pouvons toujours résister. « Dieu est fidèle, dit saint Paul ; il ne permettra pas que vous soyez tentés au delà de vos forces ; il vous fera même tirer profit de la tentation, afin d'assurer votre persévérance (I Cor., x, 13). »

Pour rendre palpable la consolante vérité enseignée par l'Apôtre, saint Éphrem emploie plusieurs comparaisons ; « Si les muletiers, dit-il, ont assez de bon sens et d'équité pour ne pas charger leurs bêtes de somme de fardeaux qu'elles ne peuvent porter ; à plus forte raison, Dieu ne permettra pas que l'homme soit en butte à des tentations supérieures à ses forces. » Et encore : « Si le potier connaît le degré de cuisson qu'il faut à ses vases, en sorte qu'il ne les laisse dans le four, que juste le temps nécessaire pour donner à chacun la solidité et la beauté convenables ; à plus forte raison, Dieu ne nous laissera dans le feu de la tentation, que le temps nécessaire pour nous purifier et nous embellir. L'effet obtenu, la tentation cesse (Tractatus de patientia). »

Par malheur tous ne font pas usage de la grâce de résistance qui leur est donnée. Faibles, parce qu'ils sont présomptueux, ils succombent aux coups de l'ennemi ; une première défaite est bientôt suivie d'une seconde. Satan les enivre de son venin, paralyse leurs forces, et renverse tellement leur sens moral, qu'ils en viennent à aimer leurs chaînes. Au lieu de les épouvanter, le tyran qui les leur donne n'est plus qu'un être imaginaire, ou un agent puissant dont l'intimité peut en bien des rencontres procurer de sérieux avantages. C'est ainsi que l'homme augmente à son égard l'empire des démons, et cette puissance volontairement donnée est la plus redoutable de toutes. Par respect pour la liberté de l'homme, Dieu permet qu'il en soit ainsi, sauf à demander compte à l'homme de l'usage de sa liberté.

De là, naissent les pratiques occultes, au moyen desquelles l'homme se met en rapport direct et immédiat avec les esprits de ténèbres. Nous nommerons entre autres les pactes explicites ou implicites, le pouvoir de jeter des sorts et de faire apparaître le démon, d'en obtenir des réponses et des prestiges ou les moyens de satisfaire les passions. Comme nous l'avons vu, toutes ces choses sont aussi anciennes que le monde et aussi vulgaires chez les peuples infidèles que le culte même des idoles. Moins générales parmi les chrétiens, elles existent cependant sous des formes toujours anciennes et toujours nouvelles. Pour les nier, il faudrait déchirer l'histoire (Voir le détail de la plupart des pratiques démoniaques dans la Constit. de Sixte V, Coeli et terroe creator, etc., 1586 ; Ferraris, art. Superstitio. — Cette puissance librement donnée au démon peut atteindre des limites qu'on ne saurait préciser. En parlant des géants, plusieurs Pères de l’Église, entre autres saint Justin, Athénagore, Clément d'Alexandrie, Tertullien, Lactance, saint Ambroise, disent : « Scitote vero nihil nos temere ac sine teste dicere, sed quae a prophetis pronuntiata sunt, declarare. Atque illi quidem (angeli) in cupiditatem prolapsi virginum, et carnis illecebra superati sunt... Ex illis qui ad virgines adhaeserunt, nati sunt quos gigantes appellarunt, Athenag. Légat., etc. — (Gigantes) ex angelis et mulieribus generatos asserere divinte scripturae conditorem. S. Ambr. de Noe et arca. Ne serait-ce pas de là que serait venue la croyance aux demi-dieux, répandue chez tous les peuples païens ?
Fondée, à ce qu'il paraît, sur la corporéité des anges, l'opinion de ces anciens Pères est complètement abandonnée. Saint Thom. De civ. Dei, lib. XV, c. 23. De Trinit., lib. III, c. VIII et IX et I p. q. LI, art. 3, ad 6.

De là aussi les lois, justement sévères, portées contre ceux qui se livrent à de semblables pratiques. Nous lisons dans le Lévitique : « Que l'homme ou la femme en qui sera un esprit pythonique ou de divination soient mis à mort sans miséricorde (xx, 27). » Et dans le Deutéronome ; « Que nul ne se trouve en Israël qui purifie son fils ou sa fille, en les faisant passer par le feu, ou qui consulte les devins, et qui observe les songes et les augures ; qu'il n'y ait ni faiseur de maléfices, ni enchanteur, ni consulteur de serpents et de magiciens, ni personne qui demande la vérité aux morts (XVIII, 10, 11, 12). »

Les anciennes législations chrétiennes ne sont pas moins rigoureuses. La dégradation, l'infamie, la prison temporaire ou perpétuelle, les peines corporelles, la mort et l'excommunication majeure, sont les châtiments qu'elles infligent aux adeptes du démon (Ferraris, ubi supra). Aux yeux de tout homme impartial, l'énormité du crime en lui-même et dans ses conséquences soit religieuses soit sociales, ainsi que l'exemple de Dieu lui-même, justifient hautement nos aïeux. Que notre époque nie les pratiques démoniaques et abolisse les peines qui les défendent, cela prouve simplement sa stupidité et l'influence trop réelle que le démon a reprise sur le monde.

Ici encore, si nous résumons les opérations des princes de la Cité du mal, nous voyons que leurs artifices infinis, comme leurs implacables fureurs, tendent au même but, la destruction du Verbe incarné, en lui-même et dans l'homme, son frère. Vérité effrayante et précieuse en même temps : effrayante, elle nous révèle la nature et la noirceur incompréhensible de la haine satanique ; précieuse, elle nous frappe d'une crainte salutaire, et, ramenant le mal à l'unité, oriente la lutte et nous donne la plus haute idée de nous-mêmes.




Lire "Traité du Saint Esprit" (Tome 1, Tome II)


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