Salon parisien avec tables tournantes - L'illustration, 1853. |
Extrait de "Traité du Saint-Esprit" de Mgr Gaume :
Ne pouvant travailler au centre, Satan travaille aux frontières. Ce n'est qu'après de longs siècles de combats lointains, qu'il était parvenu une première fois à faire de Rome la capitale de son immense Cité. Il s'en souvient ; et, dans sa haine infatigable, il recommence les luttes qui lui avaient trop bien réussi.
Par les hérésies, par les schismes, par les scandales, par les attaques formidables de la barbarie musulmane, il s'efforce d'entamer la Cité du bien, de débaucher une partie de ses habitants et de les enrôler sous sa bannière. Ses manœuvres sans cesse renouvelées n'étaient pas demeurées sans résultat, et les succès partiels préparaient un succès plus général.
Toutefois, la Cité du bien, fidèle à ses glorieuses traditions, demeurait debout sur ses fondements.
Comme Adam et Ève, aux jours de leur bonheur, avaient vécu dans l'ignorance du mal, l'Europe, contente de la science du bien qu'elle devait au Saint-Esprit, vivait étrangère à la science du paganisme, c'est-à-dire à la science du mal organisé. Si elle prenait quelque connaissance de l'antiquité, ce n'était ni pour l'admirer ni pour la louer, moins encore pour l'imiter et la faire revivre. La preuve en est qu'entre le jour et la nuit la différence est moins grande, qu'entre la langue, les arts et les institutions du moyen âge, et la langue, les arts et les institutions du paganisme. Devant ce fait péremptoire viennent échouer tous les efforts de ceux qui prétendent que la Renaissance n'a rien ou presque rien changé, au système d'enseignement de la vieille Europe.
Cependant le Serpent séducteur n'oublie pas qu'Ève fut séduite par la perfide beauté du fruit défendu, et aspectu delectabile. Tout à coup il se transforme en ange de lumière et se donne pour le Dieu du beau. Aux yeux de l'Europe, il fait miroiter les trompeuses beautés de son règne. Il se dit calomnié des rois et des prêtres, et invite l'Europe à l'écouter, si elle veut sortir de l'esclavage et de la barbarie. À ces mots, le virus originel, qui ne fut jamais éteint, fermente avec une activité inconnue dans les veines de l'imprudente Europe. À la même heure, des Grecs, chassés de l'Orient, en punition de leur révolte obstinée contre l'Église, débarquent en Italie. Ces fugitifs se donnent pour mission de ressusciter les prétendues gloires de l'antiquité païenne. À leur école se presse la jeunesse de l'Europe. Pour insulter au christianisme, le jour de la grande séduction est marqué dans l'histoire par le nom de Renaissance (voir l'histoire détaillée de la Renaissance dans notre ouvrage La Révolution, t. IX). Ce jour, en effet, divise l'existence de l'Europe en deux : les siècles qui le précèdent s'appellent le moyen âge ; ceux qui le suivent, les temps modernes. À partir de là se manifestent des phénomènes, jusqu'alors inconnus.
Premier phénomène. Un cri général de réprobation contre le moyen âge part de l'Italie et retentit dans toute l'Europe. L'injure, le sarcasme, la calomnie, tout ce que la haine et le mépris peuvent inventer de plus outrageant, tombe à flots sur l'époque où, comme nous l'avons vu, le Saint-Esprit régna avec le plus d'empire. Théologie, philosophie, arts, poésie, littérature, institutions sociales, langage même, sont grossièreté, ignorance, superstition, esclavage, barbarie. Les fils ont rougi de leurs pères et répudié leur héritage. « Et pourtant, les croyances anciennes, les créations anciennes, les aristocraties anciennes, les institutions anciennes, malgré ce qui a pu leur manquer, comme à tout ce qui est humain, qu'était-ce donc après tout ? C'était le travail de nos ancêtres ; c'était l'intelligence, c'était le génie, c'était la gloire, c'était l'âme, c'était la vie, c'était le cœur de nos pères (Le P. Félix, XIe conf. à Notre-Dame de Paris, 1860). » Il faut ajouter : c'était le christianisme dans la vie de nos pères, et le règne du Saint-Esprit sur le monde.
Second phénomène. Au cri frénétique de réprobation contre le moyen âge, succède l'acclamation non moins frénétique et non moins générale de l'antiquité païenne. L'époque où Satan fut tout à la fois Dieu et Roi du monde, devient l'âge le plus brillant de l'humanité. Dans les seules républiques de la Grèce et de l'Italie, honteusement prosternées aux pieds de Jupiter et de César, a brillé de tout son éclat le soleil de la civilisation. Philosophie, arts, poésie, éloquence, vertus publiques et privées, caractères, institutions sociales, lumières, libertés : chez elles, tout est grand, héroïque, inimitable. Retourner à leur école et recevoir leurs leçons comme des oracles est pour les nations baptisées le seul moyen de sortir de la barbarie et d'entrer dans la voie du progrès.
Troisième phénomène. Un changement radical ne tarde pas à se manifester dans la vie de l'Europe. Remis en honneur, l'esprit de l'antiquité redevient l'âme du monde qu'il fait à son image. Alors commence un impur déluge de philosophies païennes, de peintures et de sculptures païennes, de livres païens, de théâtres païens, de théories politiques païennes, de dénominations païennes, de panégyriques sans cesse renouvelés du paganisme, de ses hommes et de ses œuvres. Ce vaste enseignement s'incarne dans les faits. On voit les nations chrétiennes briser tout à coup les grandes lignes de leur civilisation indigène, pour organiser leur vie sur un plan nouveau ; et, jetant, comme un haillon d'ignominie, le manteau royal dont l'Église leur mère les avait revêtues, s'affubler des oripeaux souillés du paganisme gréco-romain.
De là est sorti ce qu'on appelle la civilisation moderne : civilisation factice, qui n'est le produit spontané ni de notre religion, ni de notre histoire, ni de notre caractère national ; civilisation à rebrousse-poil, qui, au lieu d'appliquer de plus en plus le christianisme aux arts, à la littérature, aux sciences, aux lois, aux institutions, à la société, les informe de l'esprit païen et nous fait rétrograder de vingt siècles ; civilisation corrompue et corruptrice, qui, se faisant tout au profit du bien-être matériel, c'est-à-dire de la chair et de toutes ses convoitises, ramène l'Europe, à travers les ruines de l'ordre moral, au culte de l'or et aux habitudes indescriptibles de ces jours néfastes, où la vie du monde, esclave de l'Esprit infernal, se résumait en deux mots : manger et jouir, panem et circenses.
Quatrième phénomène. La première conséquence des faits que nous venons de rappeler devait être l'oubli de plus en plus profond du Saint-Esprit : il en fut ainsi. La nuit et le jour sont incompatibles dans le même lieu : quand l'une entre, l'autre sort. Plus Satan avance, plus le Saint-Esprit recule. Du cénacle au concile de Florence, l'enseignement du Saint-Esprit coule à pleins bords sur l'Europe qu'il vivifie. Avec la Renaissance, on voit les eaux du fleuve se retirer, et le grand enseignement du Saint-Esprit rentrer dans des limites de plus en plus étroites. Interrogeons l'histoire ; interrogeons nos yeux.
La Renaissance arrive ; et la guerre contre le christianisme, qui, depuis plusieurs siècles, se réduisait à des combats partiels, recommence, avec vigueur, sur toute la ligne. Vingt ans avant Luther, les bases même de la religion sont battues en brèche par les béliers gréco-romains. Mille fois la lutte donne lieu à des traités spéciaux, destinés à défendre, les uns après les autres, tous les dogmes chrétiens : démonstrations, conférences, sermons, dissertations, apologies sous toutes les formes, se succèdent d'années en années, presque de mois en mois. L'existence de Dieu ; la divinité de Notre-Seigneur ; l'authenticité, l'intégrité, l'inspiration, la vérité historique des Écritures ; l'infaillibilité de l'Église ; l'immortalité, la liberté, la spiritualité de l'âme ; chaque sacrement, chaque institution, chaque pratique religieuse : en un mot, chaque vérité chrétienne a été montrée vingt fois dans l'éclat de ses preuves, et dans la magnificence de ses rapports avec la nature de l'homme et les besoins de la société.
Rien de semblable pour le Saint-Esprit. Et pourtant, c'est lui qu'on niait, en niant les différentes manifestations du grand mystère de la grâce dont il est le principe ; lui qu'on attaquait, en attaquant chaque partie de la Cité du bien, dont il est le fondateur et le Roi. Qui pourrait nommer un grand ouvrage, composé depuis la Renaissance, par un grand auteur, dans le but de faire connaître et de rappeler aux adorations du monde la troisième personne de la Sainte Trinité ? Pour nous ; il nous a été impossible d'en découvrir un seul en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en Belgique, en France. Il faut le reconnaître et en gémir : à l'égard du Saint-Esprit, l'enseignement public s'est visiblement appauvri.
(...)
Pour les païens d'autrefois le Saint-Esprit était comme n'étant pas. Son nom même ne se trouve dans aucune de leurs langues. La raison en est simple : dans le monde antique, le Saint-Esprit n'était rien, parce que le mauvais Esprit était tout. Que prouvent l'ignorance du monde actuel et son indifférence à l'égard du Saint-Esprit, sinon que Satan regagne le terrain qu'il a perdu et qu'il reforme sa Cité ? Voilà LE VRAI MYSTÈRE DES TEMPS MODERNES. Qui ne le voit pas ne voit rien, qui ne le comprend pas, ne comprend rien à la situation.
Cinquième phénomène. Rentré dans la Cité du bien, Satan commence par en ébranler la base. L'unité de foi, la puissance sociale de l'Église, le droit chrétien, la constitution chrétienne de la famille, étaient, nous l'avons vu, les quatre grandes assises de l'édifice religieux et social de nos ancêtres : que sont-elles devenues ?
Où est aujourd'hui l'unité de foi ? Le symbole catholique est brisé en morceaux comme un verre. La moitié de l'Europe n'est plus catholique ; l'autre moitié est à peine catholique à demi.
Où est la puissance sociale de l'Église ? Où est sa propriété ? Son sceptre est un roseau, et la mère des peuples n'a plus où reposer sa tête.
Où est le droit chrétien ? Honni, foulé aux pieds, il est remplacé par le droit nouveau, disons mieux, par le droit de César, le droit de la force, du caprice et de la convenance.
Où est la constitution chrétienne de la famille ? Le divorce est rentré dans les codes de la moitié de l'Europe. Ailleurs, sous le nom de mariage civil, vous avez le concubinage légal. Partout l'autorité paternelle désarmée ; et la famille, sans perpétuité, devenue une institution viagère.
Quel est l'artisan de ces grandes ruines qui en supposent et qui en ont déterminé tant d'autres ? Si ce n'est pas l'Esprit du bien, c'est l'Esprit du mal : il n'y pas à sortir de là.
Cependant, fasciner et détruire n'est que la première partie de l'œuvre satanique. Sur les ruines qu'il a faites, l'usurpateur s'empresse d'élever son trône. Qui ne serait épouvanté envoyant, au dix-neuvième siècle de l'ère chrétienne, le règne du démon se manifester au cœur même de la Cité du bien, avec tous les caractères qu'il eut dans l'antiquité païenne ? Ces caractères, on ne l'a pas oublié, furent le RATIONALISME, le SENSUALISME, le CÉSARISME, la HAINE DU CHRISTIANISME.
De ces différents caractères quel est celui qui nous manque ? Le Rationalisme, ou l'émancipation de la raison de toute autorité divine en matière de croyances, peut-il être beaucoup plus complet ? L'autorité divine enseigne par l'organe de l'Église : quel est aujourd'hui le gouvernement qui l'écoute? Sous le nom de liberté de conscience, toutes les religions ne sont-elles pas, politiquement et aux yeux d'un grand nombre, également vraies, également bonnes, et dignes d'une égale protection ? Qu'est-ce que cela, sinon l'Esprit de mensonge donnant, dans la Rome antique, le droit de bourgeoisie à tous les cultes et admettant tous les dieux au même Panthéon ?
Sont-ils relativement nombreux les particuliers qui règlent leur foi sur la parole de l'Église ? Les hommes, les livres, les brochures, les journaux antichrétiens, ne sont-ils pas les oracles de la multitude ? D'ailleurs, la foi se connaît aux œuvres, comme l'arbre aux fruits. Interrogez les membres du sacerdoce ; consultez les statistiques de la justice ; regardez autour de vous. Si cela ne vous suffit pas pour mesurer la puissance de la foi sur le monde actuel et fixer les limites de son empire, prenez une mappemonde et jugez !
Le Sensualisme, ou l'émancipation de la chair de toute autorité divine en matière de mœurs, ne marche-t-il pas de pair avec le Rationalisme ? Sous ce rapport, le monde actuel court à toutes jambes aux antipodes du christianisme. Le concile de Trente définit la vie chrétienne une pénitence continuelle, perpétua poenitentia ; et notre époque, une jouissance continuelle, la plus large possible et par tous les moyens possibles. L'homme devient chair. Inutile d'insister sur ce caractère du règne satanique, dont le développement rapide alarme tous les esprits sérieux.
Le Césarisme, ou l'émancipation de la société de l'autorité divine en matière de gouvernement, par la concentration de tous les pouvoirs spirituels et temporels dans la main d'un homme, empereur et pontife, ne relevant que de lui-même. Qu'en est-il de ce nouveau caractère ? Regardez: la moitié des rois de l'Europe se sont faits papes ; l'autre moitié aspire à le devenir. Fouler aux pieds les immunités de l'Église, empiéter sur les droits de l'Église, souffleter l'Église, dépouiller l'Église, enchaîner l'Église ; n'est-ce. pas là ce qu'ont fait ou laissé faire tous les gouvernements de l'Europe, depuis la Renaissance ? N'est-ce pas ce qu'ils font encore ? Si ce n'est pas là du Césarisme païen, nous ne comprenons plus le sens des mots.
La Haine du christianisme. Le paganisme ancien haïssait le christianisme d'une haine implacable, universelle, à qui tous les moyens étaient bons pour insulter, pour écraser son ennemi. Il le haïssait dans son Dieu, dans ses ministres, dans ses disciples, dans ses dogmes, dans sa morale, dans ses manifestations publiques. Son nom était devenu celui de tous les crimes. Il était responsable de toutes les calamités publiques. La prison, l'exil, la mort au milieu des tortures, étaient justement dus à une secte, dit Tacite, coupable de la haine du genre humain.
Satan est toujours Satan. Sa haine du christianisme est aussi jeune, aussi universelle, aussi implacable aujourd'hui qu'autrefois. Il hait le Dieu des chrétiens. Depuis un siècle surtout, quels blasphèmes restent à proférer contre la personne adorable du Verbe incarné ? Citez un seul de ses mystères qui n'ait été mille fois attaqué, un seul de ses droits qui n'ait été nié et qui ne soit foulé aux pieds ?
Il le hait dans ses ministres. Dans le paroxysme de sa fureur, n'a-t-il pas dit qu'il voudrait tenir le dernier boyau du dernier des rois, pour étrangler le dernier des prêtres ? Autant qu'il a pu, n'a-t-il pas réalisé son vœu sanguinaire ? Est-il un seul pays, en Europe, où, depuis la Renaissance, les évoques, les prêtres, les religieux n'aient pas été dépouillés, chassés, poursuivis comme des bêtes fauves, insultés et massacrés ? Le Vicaire même du Fils de Dieu, le Père du monde chrétien, Pierre, du moins, aura été respecté. Voyez plutôt comme ils l'ont traité dans la personne de Pie VI et de Pie VII ; comme ils le traitent encore dans la personne de Pie IX. Qu'est-ce que l'Europe actuelle, sinon une famille en révolte contre son père ? Chaque jour, depuis neuf ans, des millions de voix ne font-elles pas retentir le cri déicide : Nous ne voulons plus qu'il règne sur nous ? Assiégée par cent mille excommuniés, la papauté n'est-elle pas un Calvaire ? Judas le vendeur ; Caïphe l'acheteur ; Hérode le moqueur ; Pilate le lâche ; le soldat spoliateur et bourreau, ne reparaissent-ils pas sur la scène ?
Il le hait dans ses disciples. Les vrais catholiques subissent le sort de leurs prêtres. Toutes les injures adressées à leurs pères par les païens d'autrefois leur sont adressées par les païens d'aujourd'hui. On les tient pour inhabiles ou pour suspects. Autant qu'on le peut, on les exclut des charges publiques, on les traite d'arriérés, d'ennemis du progrès, de la liberté, des institutions modernes, demeurants d'un autre âge qui voudraient ramener le monde à l'esclavage et à la barbarie. On les opprime dans leur liberté, en annulant les dons qu'ils ont faits à l'Église, leur mère, ou aux pauvres, leurs frères ; en supprimant leurs associations de charité, qu'on ne rougit pas de mettre au-dessous des sociétés excommuniées. On les opprime dans leur droit de propriété, on prend leurs couvents pour en faire des casernes ; leurs églises, pour en faire des écuries ; leurs cloches, pour en faire des canons ; leurs vases sacrés, pour en faire de la monnaie ou des objets de luxe, à l'usage de leurs ennemis.
On les opprime dans leur conscience, en leur imposant un travail défendu, en insultant, chaque jour, sous leurs yeux, tout ce qu'ils aiment, tout ce qu'ils respectent, tout ce qu'ils adorent. Pour que rien ne manque ni à leur martyre ni à la haine qui les poursuit, dans toute l'Europe, depuis la Renaissance, on les a pendus, brûlés, guillotinés. (...) Si Dieu ne se lève, on en fera des boucheries, et des milliers de voix crieront : C'est justice ! Reus est mortis !
Il le hait dans ses dogmes. Depuis quatre siècles, au sein de l'Europe baptisée, il s'est dépensé, pour détruire l'édifice de la vérité chrétienne, plus d'encre, plus de papier, plus de temps, plus d'argent, plus d'efforts, qu'il n'en faudrait pour convertir le monde : cette guerre impie n'a pas cessé. Sans parler des livres, des théâtres, des discours antichrétiens : que font ces myriades de feuilles empoisonnées qui, chaque soir, partent de toutes les capitales de l'Europe, pour tomber le lendemain, comme des nuées de sauterelles venimeuses, dans les villes et les campagnes, et semer partout le mépris et la haine de la religion, le doute et l'incrédulité ?
Il le hait dans sa morale. Revenu ce qu'il était aux jours de la souveraineté satanique, le monde actuel semble organisé pour la corruption des mœurs : Totus in maligno positus. Si les tristesses et les alarmes de tout ce qui porte encore un cœur chrétien ne vous le disent pas assez haut, regardez vous-mêmes.
La fièvre des affaires ; la soif de l'or et du plaisir ; l'industrie qui constitue des millions d'âmes dans l'impossibilité morale de remplir les devoirs essentiels du christianisme ; le luxe babylonien dont les coupables folies vont toujours croissant ; les modes impudiques ; les danses obscènes ; cinq cent mille cafés ou cabarets (en France seulement), gouffres béants où se perdent l'amour du travail, la pudeur, la santé, l'esprit de famille, le respect de soi-même et de toute autorité ; dans toutes les classes de la société des habitudes de mollesse qui énervent les âmes ; des scandales retentissants qui familiarisent avec le mal et tuent la conscience ; le mépris des lois qui ont pour but l'asservissement de la chair ; la profanation du dimanche ; la sanctification du lundi ; l'abandon de la prière et des sacrements : qu'est-ce que cela sinon la haine de la morale chrétienne, haine infernale dont le dernier mot est d'étouffer le christianisme dans la boue ?
Il le hait dans ses manifestations publiques et privées. Là, il interdit le son des cloches et condamne le prêtre qui, en public, porterait son costume ; ailleurs, il abat les croix. Ici, il défend au Fils de Dieu de sortir de ses temples pour recevoir les hommages de ses enfants, et, sous peine d'être insulté, il doit se cacher avec soin lorsqu'il va les visiter sur leur lit de douleur. Tout cela se passe dans des sociétés qui se disent chrétiennes !
Il s'y passe bien autre chose. En signe de victoire, Satan a replacé ses statues dans les jardins, dans les promenades, sur les places des grandes villes, dans l'Europe entière. Pénétrant jusque dans l'intérieur du foyer domestique, il en a banni les images du Verbe incarné et mis les siennes à leur place.
« Il n'y a plus de Christ au foyer, s'écriait naguère un éloquent prédicateur ; il n'y a plus de Christ suspendu à la muraille ; il n'y a plus de Christ se révélant dans les mœurs. Quoi ! vous avez sous vos yeux les portraits de vos grands hommes ; vos maisons se décorent de statues et de tableaux profanes ! Que dis-je ? vous gardez, exposés aux regards de vos enfants et aux admirations de la famille, les Amours du paganisme, les Vénus du paganisme, les Appollons du paganisme ; oui toutes les hontes du paganisme trouvent un asile au foyer des chrétiens ; et, sous ce toit qui abrite tant de héros humains et de divinités païennes, il n'y a plus de place pour l'image du Christ, que Tibère lui-même ne refusait pas d'admettre avec ses divinités au Panthéon de Rome (Le P. Félix). »
Oui, il est vrai, vrai non seulement en France où enseigne l'Université, mais vrai en Europe où enseignent les ordres religieux, vrai longtemps avant l'Université et la Révolution française : chez les chrétiens lettrés des temps modernes, le Christ n'est plus au foyer. Mais il y était chez nos aïeux ignorants du moyen âge. Comment en a-t-il été banni ? comment a-t-il été remplacé par les dieux du paganisme, c'est-à-dire par Satan lui-même sous ses formes multiples, omnes dii gentium doemonia ? À quelle époque remonte cette substitution sacrilège ? Qui a formé les générations qui s'en rendent coupables ? Dans quels lieux et dans quels livres ont-elles appris à se passionner pour les choses, les hommes, les idées et les arts du paganisme ? Quel Esprit a dicté l'enseignement qui aboutit à un pareil résultat ? Est-ce l'esprit du Cénacle ou l'esprit de l'Olympe ? C'est l'un ou l'autre.
Enfin, il est un dernier phénomène qui, chaque jour, se manifeste avec plus d'éclat: c'est le double mouvement auquel le monde actuel obéit : mouvement à l'unification matérielle, et mouvement de dissolution morale. L'Esprit du dix-neuvième siècle pousse de toutes ses forces à l'unification matérielle des peuples : navires à vapeur, chemins de fer, télégraphes électriques, unions douanières, traités de commerce, libre échange, multiplication des postes, abaissement de la taxe des imprimés et des lettres : pas de moyen de communication qu'il n'accélère ou qu'il n'invente. En même temps, il absorbe les petites nationalités, supprime la famille, la commune, la province, la corporation, toute espèce de franchise et d'autonomie ; il ressuscite les armées permanentes de l'ancien monde, rebâtit ses grandes capitales, et, au cou des peuples affranchis par le Christianisme, rive les chaînes de la centralisation césarienne.
À ce mouvement d'unification matérielle, correspond, en dehors du Catholicisme, un mouvement non moins rapide de dissolution morale. En fait de doctrines religieuses, sociales, politiques, que reste-t-il debout ? Le grand dissolvant de toute espèce de foi, le Rationalisme, n'est-il pas le dieu de la foule ? Où trouve-t-on des convictions assez profondes, des affirmations assez nettes pour résister aux séductions de l'intérêt, pour braver les menaces ou même l'oubli du pouvoir, pour se maintenir inébranlables au milieu des sophismes de l'impiété et des entraînements du mauvais exemple ? Quelle peut être l'unité morale d'un monde qui a brisé en morceaux le symbole catholique, qui entend, qui supporte, qui accueille toutes les négations, même celle de Dieu ?
Pareil spectacle n'a été vu qu'une fois ; c'est à l'époque où le monde romain penchait vers sa ruine. Formée par l'absorption continue du faible par le fort, du peuple par le peuple, l'unité matérielle arriva jusqu'au despotisme d'un seul homme. Satan avait atteint son but. Rome était le monde, et César était Rome ; et César était Empereur et grand Prêtre de Satan. Alors le genre humain, sans force de résistance, parce qu'il était sans foi, et sans autre ambition que les jouissances matérielles, panem et circenses, n'était plus qu'un bétail bâtonné, vendu, égorgé, suivant le caprice du maître.
Armées permanentes, grandes capitales, rapidité des communications, centralisation universelle, unification matérielle des peuples, poussée avec une ardeur fiévreuse ; dissolution morale, arrivée au morcellement indéfini de tout symbole et de toute foi : qui oserait soutenir que ce double phénomène n'est pas le précurseur de la plus colossale tyrannie ? Peut-être la pierre d'attente du règne antichrétien, annoncé pour les derniers temps ?
À nos yeux, c'est César à cheval avec Lucifer en croupe.
Se faire adorer à la place du Verbe incarné : tel a toujours été le but de l'ange rebelle, tel il sera toujours. Il n'en connaît pas d'autre. L'histoire dit ses succès chez les peuples païens d'autrefois et chez les nations idolâtres d'aujourd'hui. Après avoir, par le rationalisme, le sensualisme, le césarisme et l'antichristianisme, opéré le divorce aussi complet que possible de l'homme avec Dieu, il se présente pour rétablir le lien que lui-même a brisé. Fondé sur la nature des choses, son succès, à moins d'un miracle, est infaillible. Quoi qu'il fasse, le monde inférieur ne peut se soustraire à l'influence du monde supérieur. S'il rompt avec le Roi de la Cité du bien, il tombe forcément sous l'empire du Roi de la Cité du mal. Dieu ou le Diable : pas de milieu.
Entre l'homme, sa dupe et son esclave, et lui, son séducteur et son tyran, le démon établit une foule de communications directes et palpables, contrefaçon permanente des communications du Verbe avec l'homme. Par mille moyens, que lui-même indique, il se fait adorer comme un Dieu, respecter comme un maître, chérir comme un bienfaiteur, consulter comme un protecteur, appeler comme un médecin, recevoir comme un ami, traiter comme un être inoffensif. Sur cet ensemble de faits permanents, universels, repose l'idolâtrie ancienne et moderne ; ou plutôt c'est l'idolâtrie elle-même.
Or, nous le répétons, Satan ne change ni ne vieillit. Ce qu'il était hier, il l'est aujourd'hui, il le sera demain. Singe éternel de Dieu, ennemi implacable du Verbe incarné, toujours il voudra le détrôner, afin de régner à sa place. Si donc c'est bien lui que la Renaissance a ramené triomphant au sein de l'Europe chrétienne ; si c'est bien le rationalisme, le sensualisme, le césarisme, l'antichristianisme qui forment les grands caractères de l'époque moderne, nous devons nous attendre à retrouver le démon s'efforçant de se substituer matériellement au vrai Dieu ; et, au surnaturel divin, d'opposer le surnaturel satanique, jusqu'à ce que le second supplante le premier. Pour inspirer à l'homme d'aujourd'hui les mêmes sentiments dont il avait pénétré l'homme d'autrefois, il doit nous apparaître environné de tout le cortège de consultations, d'oracles, de prestiges, de pratiques mystérieuses qui composaient son culte et assuraient son empire dans l'antiquité païenne : voyons si l'histoire confirme cette induction.
Jusqu'à la Renaissance et à la Réforme, sa fille aînée, la double autorité des lois canoniques et des lois civiles continuait de tenir enchaîné le père du mensonge, le vaincu du Calvaire. C'est par exception seulement et sur une échelle restreinte qu'on le surprend exerçant son art ténébreux, chez les peuples chrétiens du moyen âge. Rappelé par la Renaissance sous la forme de Dieu du beau, et par la Réforme sous le nom de Dieu de la liberté, il reprend bientôt l'ancienne indépendance de ses allures.
En Italie, en Allemagne, en France, un grand nombre de renaissants, imitateurs des lettrés de Rome et de la Grèce, se livrent avec passion à l'étude et à la pratique des sciences occultes (voir Des rapports de l'homme avec le démon, par M. Bizouard, t. III, liv. XI-XIV). Les principaux chefs du protestantisme se vantent de leurs colloques avec Satan (voir notre ouvrage La Révolution, etc., t. VI, IX, X). Sous des formes à peine modifiées, reparaissent toutes les superstitions de l'ancien paganisme : consultations, évocations, manifestations, oracles, prestiges, adorations vont se multipliant avec les négations de l'Évangile. Telle est la rapidité avec laquelle le culte de Satan envahit l'Europe, que l'Église s'en émeut. Par l'organe de Sixte V, grand esprit assurément, elle signale au monde épouvanté cette épidémie de l'idolâtrie renaissante et la frappe d'une condamnation solennelle.
Dans la fameuse bulle Coeli et terrae Creator, sont énumérées, comme reparaissant au grand soleil du christianisme, la plupart des pratiques démoniaques usitées dans l'antiquité païenne, et dont Porphyre nous a laissé la longue nomenclature (Dans Euseb., Proepar Evang., lib. II, III, IV, V, VI).
L'immortel pontife nomme : l'astrologie, la géomancie, la chiromancie, la nécromancie, les sortilèges, les augures, les auspices, la divination par les clés, les grains de froment et les fèves ; les pactes avec les démons, dans le but de connaître l'avenir ou de satisfaire les passions ; les charmes ; les oracles ou évocations des esprits, interrogés et répondant ; l'offrande d'encens, de sacrifices, de prières ; les génuflexions, les prosternements, les cérémonies du culte ; l'anneau et le miroir magique, les vases destinés à fixer les esprits et à en obtenir des réponses ; les femmes sympathiques (nous disons somnambules et magnétisées), qui, mises en rapport avec le démon, obtiennent de lui la connaissance des choses cachées, passées ou futures ; l'hydromancie, au moyen de vases pleins d'eau dans lesquels des hommes et plus souvent des femmes, font apparaître des figures qui rendent des oracles. Il faut ajouter la pyromancie, la pédomancie, l'ornitomancie, l'oniromancie ou l'oracle par les songes, et d'autres pratiques, « restes impurs, dit le pape, de l'ancienne idolâtrie vaincue par la croix. »
Remarquons en passant que le Vicaire de Jésus-Christ signale la femme comme l'instrument préféré du démon. Inutile de rappeler que cette préférence se retrouve partout dans l'ancien paganisme, aussi bien que dans la moderne idolâtrie, en Afrique, dans l'Océanie et ailleurs. Aux raisons que nous en avons données, saint Thomas ajoute celle-ci : « Les démons, dit-il, répondent plus facilement à l'appel des vierges, afin de mieux tromper, en affectant de paraître aimer la pureté (S. Thomas. Viguier, XII, 92). »
Quoi qu'il en soit, les personnes du sexe sont averties qu'un danger particulier les menace. Elles comprendront dès lors la nécessité de s'environner de vigilance, et surtout d'éviter toute participation à aucune pratique suspecte, qui pourrait donner prise sur elles à leur implacable ennemi.
De la bulle de Sixte V ressortent deux faits. D'une part, la multiplicité des pratiques démoniaques : on dirait une ébullition générale de l'Europe, fille de la Renaissance, au souffle de l'esprit satanique ; d'autre part, la persistance de ces honteux phénomènes. « Malgré tous les efforts de l'Église, ajoute le Pontife, on n'a pu parvenir à extirper ces superstitions, ces crimes, ces abus. De jour en jour on découvre que tout en est plein, omnia plena esse. » C'est donc un fait acquis à l'histoire : un siècle après la Renaissance, les communications de Satan avec l'homme étaient redevenues, comme dans l'ancien paganisme, générales, permanentes, indestructibles, et la puissance du démon s'étendait dans la Cité du bien, jusqu'à des limites inconnues, omnia plena esse in dies detegantur.
Le mal ne fut point arrêté par les défenses pontificales. Le Béarn, Loudun, Louviers, les pays du Nord, les Cévennes, le cimetière de Saint-Médard à Paris, et d'autres lieux, devenus successivement le théâtre de manifestations éclatantes, montrèrent que Satan demeurait maître d'une bonne partie de la place. Pour les esprits frivoles, ces phénomènes furent des jongleries, et leur histoire des contes à dormir debout. Affirmé par quelques-uns, leur caractère démoniaque fut nié opiniâtrement par toute la secte incrédule. Au siècle de Voltaire, la négation s'étendit à tous les faits du même genre. Divinations, évocations, pactes, magie, possessions, sorcelleries, maléfices, il passa en principe que tout cela n'était qu'un tissu de rêveries. Cette négation audacieuse de l'histoire universelle produisit l'affaiblissement général de la foi au démon, à ses pratiques et à son influence.
Afin de ne pas se mettre en opposition avec l'Évangile et avec l'enseignement de l'Église, les plus catholiques disaient que, à la vérité, ces choses avaient eu lieu dans les anciens âges, mais qu'on n'en voyait plus d'exemples dans les temps modernes. « En effet, ajoutait la philosophie voltairienne, le démon, grâce au progrès des lumières, n'est plus qu'un être inactif et désarmé. Il est même reconnu que la plupart des faits que l'Église lui impute, sont le résultat des lois naturelles. Calomnié à plaisir par le moyen âge ignorant et crédule, il est bon désormais pour épouvanter les grand-mères et les petits enfants. »
Ainsi le démon faisait son œuvre et s'approchait du premier but de ses efforts. Quel est-il ? Bannir sa crainte du cœur de l'homme ; la bannir afin de se rendre familier ; se rendre familier, afin de faire mépriser les enseignements de l'Église et jeter les armes antidémoniaques dont elle avait pourvu ses enfants. A-t-il réussi ? interrogeons l'histoire contemporaine.
Se rendre familier. Il se passe sous nos yeux un fait inconnu des peuples chrétiens. Ce fait est peu remarqué, et pourtant il nous semble mériter de l'être beaucoup ; car il forme un des caractères les plus significatifs des temps actuels. Les siècles passés avaient horreur du démon. Son vrai nom, le nom de Diable, n'était prononcé que rarement, avec une sorte d'hésitation et même de scrupule. Encore aujourd'hui, certaines populations, heureusement préservées de l'esprit moderne, ne l'articulent jamais. Quand elles ont à parler de Satan, elles disent : la vilaine bête. À part cette exception qui tend de jour en jour à disparaître, le nom du Diable est sur les lèvres de tous. On le prononce comme celui de la chose la plus indifférente. Il assaisonne les plaisanteries ; il accentue les jurons ; il sert de titre aux livres à la mode et de réclame aux pièces de théâtre. Les marchands eux-mêmes trouvent piquant de le prendre pour enseigne de leurs boutiques. On dirait que le moyen d'appeler les lecteurs ou d'attirer les clients est d'employer un mot qui faisait horreur à nos pères.
Qu'on ne s'y trompe pas, ce fait nouveau a sa signification. « La révolution des choses, dit un vieil auteur, n'est pas plus grande que celle des mots. » La popularité d'un mot est le signe de la popularité de l'idée. La facilité, la légèreté, l'indifférence avec laquelle on emploie de nos jours un nom jusqu'alors abhorré, dénote donc l'imprudente familiarité du monde actuel avec son plus dangereux ennemi, comme elle mesure la distance qui sépare nos idées des idées de nos pères.
Toutefois se rendre familier n'est que le premier succès ambitionné de Satan : se faire nier, en lui-même et dans ses opérations multiples, est le second. Se faire réhabiliter est le troisième. Se faire rappeler comme prince est le quatrième. Se faire adorer comme Dieu est le cinquième. Nous allons le suivre dans ces différentes étapes de la route, dont le terme final est le rétablissement, sous une forme ou sous une autre, de l'ancien paganisme.
Se faire nier. Autrefois on croyait au démon, tel que la révélation le fait connaître, et on avait peur de lui. Pour nos aïeux, Satan n'était pas un être imaginaire, une allégorie, un mythe ; mais bien un être réel et personnel comme notre âme. Ce n'était pas un être inoffensif, impuissant ; mais bien un être essentiellement malfaisant, cause de notre ruine, jour et nuit nous tendant des pièges et doué d'une puissance redoutable sur l'homme et sur les créatures. Aussi, la première frayeur de l'enfant, comme la dernière crainte du vieillard, c'était le démon. De là, l'usage universel, et religieusement observé, des préservatifs enseignés par l'Église contre ses attaques. De là encore, dans tous les codes de l'Europe, la peine de mort portée contre quiconque était convaincu d'avoir eu commerce avec cet ennemi-né du genre humain.
Aujourd'hui se manifestent des dispositions diamétralement contraires. On est effrayé de rencontrer, au sein des nations chrétiennes, une foule de personnes dont la foi sur le démon n'est plus catholique. Les unes le regardent comme un mythe, et son apparition au paradis terrestre sous la forme matérielle du serpent, comme une allégorie ; d'autres, tout en admettant son existence personnelle, refusent de croire à son action sur l'homme et sur le monde. Il en est qui restreignent cette action dans certaines limites, tracées par leur raison, et n'admettent rien au-delà. Beaucoup même ne l'acceptent que sous bénéfice d'inventaire, et, malgré des milliers de témoins, nient intrépidement ce qu'ils n'ont pas vu de leurs yeux.
Excepté quelques catholiques de vieille roche, personne ne recourt avec fidélité aux armes fournies par l'Église pour éloigner le prince des ténèbres. On ne parle plus de lui à l'enfance, ou bien on lui en parle légèrement, pour mémoire et comme d'un être à peu près suranné. L'homme fait et le vieillard, n'ayant aucune peur de lui, sourient si vous leur manifestez la vôtre. Aux yeux de la loi, le commerce avec le démon ou n'a jamais existé, ou il n'existe plus, ou il n'est pas un délit. De là, ce que nous voyons aujourd'hui, l'interprétation rationaliste de tous les faits démoniaques de l'Ancien et du Nouveau Testament, la négation de l'histoire universelle et le mépris des enseignements de l'Église sur l'ange déchu.
Pour avancer cette œuvre qui est la sienne, le démon se déguise sous tous les masques, joue tous les rôles, emprunte tous les noms. Dans les manifestations même qui révèlent avec le plus d'évidence son odieuse personnalité, il parvient à faire prendre le change. Tantôt, sous le nom de fluide nerveux, de fluide magnétique, de fluide spectral, il se donne pour un agent purement naturel. Tantôt il s'appelle seconde vue, et n'est qu'une simple faculté de l'âme. Ici, il se fait passer pour un bon ange et donne de pieux conseils. Ailleurs, c'est un esprit badin, qui plaisante, qui ricane, qui veut être traité comme un jouet ou comme un vain épouvantail. D'autres fois, il devient l'âme d'un mort admiré ou chéri, et il usurpe la confiance. Beaucoup plus dangereuse que les autres, cette dernière transformation est aussi la plus commune : on sait qu'elle est la base même du Spiritisme.
Quel est, pour le Père du mensonge, le bénéfice de tous ces déguisements ? Accomplir son œuvre sans en porter la responsabilité ; en d'autres termes, se faire nier. Rien de plus habile que son calcul. Quiconque nie Satan, nie le christianisme. Quiconque dénature Satan, dénature le christianisme. Quiconque plaisante de Satan, plaisante de l'Église, dont les prescriptions antidémoniaques ne sont plus que des superstitions de bonne femme. Quiconque nie Faction malfaisante de Satan sur l'homme et sur les créatures, accuse le genre humain d'une aliénation mentale, soixante fois séculaire, et, déchirant les unes après les autres toutes les pages de l'histoire, arrive au doute universel.
Par tous les faits que nous venons de rappeler, Satan dit au monde actuel : N'aie pas peur de moi. Nous allons voir que le monde actuel répond : Je n'ai pas peur de toi.
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