DIX-NEUVIÈME JOUR DE NOVEMBRE
SAINTE ÉLISABETH DE HONGRIE
VEUVE, DU TIERS-ORDRE
"Le Palmier séraphique" (Tome XI)
1231. — Pape : Grégoire IX. — Roi de France : Saint Louis.
Il semble que Dieu ait donné au monde cette glorieuse princesse pour faire voir jusqu’où peut aller la force de l’humilité chrétienne et l’amour de la croix, du détachement des choses de la terre, de l’esprit de pauvreté dans le bonheur d'une illustre naissance, et du désir de se dépouiller pour revêtir les pauvres de Jésus-Christ. Élisabeth était fille d’André II, roi de Hongrie, qui s’est rendu illustre par sa piété et par sa justice, et de Gertrude de Méranie ou d’Andechs, son épouse, qui avait eu pour père le grand-duc de Carinthie. Elle était aussi, par sa mère, nièce de sainte Hedwige, duchesse de Silésie et de Pologne, et elle eut pour frère Béla IV, roi de Hongrie, lequel, outre ses rares qualités qui en ont fait un très-grand et très-saint monarque, eut le bonheur d’être père de sainte Cunégonde, qui conserva la virginité dans le mariage avec Ladislas, duc de Pologne, et, ayant depuis embrassé l’Ordre de Sainte-Claire, y fit un nombre infini de miracles ; et de sainte Marguerite de Hongrie, religieuse de l’Ordre de Saint-Dominique.
Enfin, elle eut pour second frère Coloman, roi de Galicie et prince de Russie, qui garda une continence perpétuelle avec la bienheureuse Salomée de Pologne, son épouse, et mena une vie tout angélique dans les embarras des affaires du monde et dans les troubles continuels de la guerre.
Élisabeth n’était encore âgée que de quatre ans lorsque Hermann, landgrave de Thuringe, prince de Hesse et de Saxe et comte palatin, l’envoya demander en mariage pour le prince Louis son fils, héritier présomptif de tous ses États, qui n’était aussi qu’un enfant. Il obtint ce qu’il demandait, et la jeune princesse fut transportée à Thuringe pour y être élevée à la cour selon les mœurs du pays. On dit qu’elle avait déjà fait paraître en Hongrie une inclination merveilleuse pour l’assistance des pauvres. À mesure qu’elle avançait en âge, Notre-Seigneur opérait plus puissamment dans son âme. Les délices et les ornements du corps lui étaient insupportables. Elle ne se plaisait ni au jeu ni au bal, ni aux vains amusements de la cour, mais seulement à l’oraison. Elle se retranchait tout ce qu’elle pouvait des joyaux dont on la parait, et elle avait mille industries pour pourvoir à la nécessité des mendiants.
Elle prit saint Jean l’Evangéliste pour son patron et pour protecteur de sa chasteté, et elle lui porta toute sa vie une singulière dévotion. Après la mort du landgrave (1216), Élisabeth, qui n’avait alors que neuf ans, fit encore paraître plus d’humilité, de piété et de miséricorde. Lorsqu’elle entrait dans l’église, elle ôtait toujours la couronne de pierreries qu’elle avait sur sa tête, disant qu’il n’était pas raisonnable qu’elle parût en cet état devant son Dieu couronné d’épines. Elle se plaisait mieux avec les jeunes et nobles demoiselles qui furent mises à son service, que dans le tumulte fastueux de la cour. Tout son plaisir était d’être à l’église ou à son oratoire, et elle ne pouvait rien avoir à sa disposition qu’elle ne le distribuât aussitôt aux nécessiteux. Sophie, mère du jeune landgrave, Agnès sa sœur, et la plupart des grands de la cour qui n’avaient que l’esprit du monde, furent fort mécontents de cette conduite ; ils lui en firent souvent des railleries fort piquantes qu’elle souffrait avec une patience invincible : ils tâchèrent d’empêcher l’accomplissement de son mariage, disant qu’elle était plus propre pour le monastère que pour le trône. Mais le jeune prince, dont Dieu avait touché le cœur par ses prières, protesta, en désignant une grande montagne, que, quand on lui offrirait de l’or de la grosseur de cette masse, il ne quitterait pas la résolution qu’il avait prise d’épouser Élisabeth.
Après son mariage, qui eut lieu en 1220, ayant pris pour son directeur le bienheureux Conrad, de Marbourg, prêtre d’une sainteté très-éminente, elle fit des progrès incroyables dans le détachement de cœur de toutes les choses de la terre et dans l’union avec Dieu.
La considération de Jésus-Christ pauvre, souffrant et couvert d’opprobres, la toucha tellement qu’elle n’eut plus d’autre désir que de lui ressembler. Elle regardait le faste de sa dignité souveraine et tous les ornements qui l’accompagnaient avec un mépris que l’on ne peut exprimer. Comme elle voyait en son mari l’image du Sauveur, époux de l’Église, elle l’aimait parfaitement, le suivait dans ses voyages, quelque difficiles qu’ils fussent, mangeait toujours avec lui et ne s’en séparait ni jour ni nuit. Cependant elle passait presque toute la nuit en prières, les larmes aux yeux, prosternée contre terre, et quelquefois tout abîmée dans la contemplation des grandeurs de Dieu et des perfections ineffables de Jésus-Christ. S’il arrivait que le landgrave, en sortant de ses États, fût obligé de la laisser, elle quittait aussitôt ses habits magnifiques et en prenait de simples jusqu’à son retour. Son abstinence et ses austérités étaient extrêmes, et il ne semblait pas qu’un corps aussi délicat que le sien pût les supporter.
Les douze maximes suivantes, que lui avait données son confesseur, étaient comme le résumé de sa règle de conduite :
« 1° Souffrez patiemment les mépris au sein de la pauvreté volontaire ;
2° Donnez à l’humilité la première place dans votre cœur ;
3° Renoncez aux consolations humaines et aux voluptés de la chair ;
4° Soyez miséricordieuse en tout envers le prochain ;
5° Ayez toujours la mémoire de Dieu au fond de votre cœur ;
6° Rendez grâces à Dieu de ce que, par sa mort, il vous a rachetée de l’enfer et de la mort éternelle ;
7° Puisque Dieu a tant souffert pour vous, portez aussi patiemment la croix ;
8° Consacrez-vous tout entière, corps et âme, à Dieu ;
9° Rappelez-vous souvent que vous êtes l’œuvre des mains de Dieu, et agissez, par conséquent, de manière à être éternellement avec lui ;
10° Pardonnez et remettez à votre prochain tout ce que vous désirez qu’il vous remette ou pardonne ; faites pour lui tout ce que vous désirez qu’il fasse pour vous ;
11° Pensez toujours comme la vie est courte, et que les jeunes meurent comme les vieux ; aspirez toujours à la vie éternelle ;
12° Déplorez sans cesse vos péchés, et priez Dieu de vous les pardonner ».
Sa miséricorde envers les pauvres n’avait point de bornes, et il faudrait un volume entier pour en décrire les merveilles. Elle en recevait et en traitait tous les jours un très-grand nombre en son palais, et elle leur fit bâtir plusieurs hôpitaux dont elle était la mère, la protectrice et la nourricière. Tout sales qu’ils étaient, elle les nettoyait de ses propres mains, leur lavait les pieds, leur portait le morceau à la bouche et les pansait avec une charité insurmontable. La difficulté des chemins, la malpropreté des rues, la mauvaise odeur et l’infection des lieux ne l’ont jamais empêchée de visiter à pied les femmes accouchées, les malades, les pauvres honteux et les prisonniers. Un jour qu’on la pressait extrêmement de venir à table, où le landgrave traitait les plus grands seigneurs de son État, étant importunée par un pauvre, elle lui donna son propre manteau ducal en aumône ; mais un ange le rapporta aussitôt, et peut-être était-ce lui-même qui l’avait reçu. Une autre fois, les ambassadeurs du roi son père étant venus vers son mari, quoiqu’elle fût simplement vêtue, elle parut toute couverte d’une robe d’hyacinthe relevée d’or, de pierreries et de perles précieuses. Mais aucun des miracles dont Dieu honora notre Sainte n’est plus populaire que le suivant. Un jour qu’elle descendait accompagnée d’une de ses suivantes favorites, par un petit chemin très-rude que l’on montre encore, portant dans les pans de son manteau du pain, de la viande, des œufs et d’autres mets, pour les distribuer aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari, qui revenait de la chasse. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau, il lui dit : « Voyons ce que vous portez » ; et en même temps il ouvrit malgré elle le manteau qu’elle serrait, tout effrayée, contre sa poitrine ; mais il n’y avait plus que des roses blanches et rouges, les plus belles qu’il eût vues de sa vie ; cela le surprit d’autant plus que ce n’était pas la saison des fleurs. S’apercevant du trouble d’Élisabeth, il voulut la rassurer par ses caresses ; mais il s’arrêta tout à coup en voyant apparaître sur sa tête une image lumineuse en forme de croix. Il lui dit alors de continuer son chemin sans s’inquiéter de lui, et remonta lui-même à la Wartbourg, en méditant avec recueillement sur ce que Dieu faisait d’elle, et emportant avec lui une de ces roses merveilleuses, qu’il garda toute sa vie.
On ne peut dignement représenter sa dévotion à la messe, son attention et sa révérence en entendant le sermon, ses manières humbles au jour du vendredi saint et aux principales fêtes de l’année. Alors il n’y avait point de distinction entre elle et le peuple, et tout son plaisir était de s’humilier devant Dieu pour honorer les anéantissements de son Sauveur.
Pour mieux suivre les inclinations de son humilité, elle embrassa le Tiers-Ordre de Saint-François et elle en reçut le cordon des mains du vénérable Conrad, alors gardien de Marbourg et depuis provincial d’Allemagne.
Cependant Dieu, qui voulait consommer sa sainteté par les exercices les plus héroïques de l’humilité et de la patience, lui enleva le landgrave son époux, qui mourut en Sicile en allant à la Terre-Sainte avec l’empereur Frédéric, pour retirer les saints lieux des mains des infidèles. Dès que cette nouvelle fut venue en Thuringe, le prince Henri, son beau-frère, qui se porta pour régent de l’État, sans avoir égard à la douleur dont une perte si sensible lui perçait le cœur, la chassa de son palais et la dépouilla de tous ses biens ; à peine put-elle trouver une place dans une hôtellerie de la ville pour se retirer avec ses enfants qu’on lui amena. Ceux qui lui avaient le plus d’obligation pour sa protection et ses charités immenses l’abandonnèrent et lui refusèrent un asile, et une vieille femme qu’elle avait nourrie de ses aumônes, la fit tomber dans la boue pour passer un ruisseau tout fangeux avant elle. Elle reçut ces accidents comme des présents inestimables du ciel.
Lorsque l’évêque de Bamberg, son oncle maternel, et quelques grands du royaume qui avaient ramené le corps de son mari, l’eurent fait retourner dans le palais et eurent obligé le prince Henri à lui demander pardon du mauvais traitement qu’il lui avait fait, elle renonça d’elle-même à toutes les grandeurs du monde, et se fit construire une petite maison de terre et de planches dans la ville de Marbourg. Pendant qu’on la bâtissait, elle se logea dans un village, dans une misérable chaumière à demi couverte, où rien ne la garantissait des vents, de la pluie et des autres injures de l’air. Nous n’avons point de paroles pour représenter ni l’état de pauvreté où elle se réduisit, ni les austérités qu’elle pratiqua, ni ce qu’elle fit pour l’assistance des pauvres. Ses habits n’étaient que de laine, et, lorsqu'ils étaient usés, elle les raccommodait elle-même avec de mauvais morceaux d'étoffe, sans même qu’elle se mît en peine qu’ils fussent de même couleur que le vêtement qu’elle raccommodait. Du pain bis et quelques légumes, le plus souvent cuits seulement avec de l’eau, faisaient toute sa nourriture. Elle gardait exactement les jeûnes de sa Règle et beaucoup d’autres, que son directeur lui permettait.
Dans sa plus grande pauvreté, elle s’ôtait le pain de la bouche pour le donner aux pauvres, et lorsqu’elle ne pouvait plus rien leur donner, elle se donnait elle même à eux, en leur rendant des assistances que les moindres servantes auraient eu en horreur de leur rendre. Lorsque, par les soins du pape Grégoire IX, d’un grand seigneur nommé Rodolphe, et du prêtre Conrad, son directeur, à qui Sa Sainteté l’avait particulièrement recommandée, on lui rendit sa dot, qu’elle aima mieux avoir en argent qu’en fonds, elle assembla une multitude de pauvres à jour nommé, et leur distribua pour cette fois jusqu’à neuf mille livres. Ses profusions eussent encore été plus excessives et l’eussent réduite à la dernière mendicité, comme elle le souhaitait passionnément, si son directeur n’eût arrêté sa ferveur. D’ailleurs ce sage ecclésiastique contribuait beaucoup, par sa conduite sévère, à la faire mourir à elle-même et à rompre en toutes choses sa propre volonté : il lui défendait ce qu’elle souhaitait ardemment, il lui commandait ce qu’il voyait de plus contraire, non-seulement aux inclinations de sa nature, mais aussi aux mouvements surnaturels qu’elle voulait suivre. Un jour qu’elle avait différé d’obéir, il la renvoya sévèrement, et lui dit qu’il ne voulait plus se mêler de sa conduite ; de sorte qu’elle n’obtint la continuation de ses soins que par ses larmes et une mort parfaite à son propre jugement. Il lui ôta deux saintes femmes qui avaient toujours été auprès d’elle, et dont la conversation lui étaient d’un soulagement et d’une consolation extraordinaires ; à leur place il lui donna des femmes rudes et sévères, qui la reprenaient sans respect et la venaient accuser sans qu’elle eût manqué.
La douceur de notre princesse était admirable en toutes ces occasions. Jamais de dégoût, jamais d’impatience, jamais de tristesse, mais on voyait toujours la paix et la tranquillité de son cœur peintes sur son visage. Elle était la servante de ses propres servantes, elle les faisait manger avec elle, et, comme une d’entre elles ne pouvait souffrir cet acte héroïque d’humilité, elle lui dit qu’il fallait qu’elle mangeât sur son propre sein. Dieu fit souvent des miracles pour donner de l’éclat à toutes ses vertus. Elle délivra sa mère du purgatoire par ses prières. Un malade de l’hôpital, souhaitant de manger du poisson, elle en tira un d’un puits où il n’y en avait point. Son oraison fut si efficace pour un jeune libertin, qu’à mesure qu’elle priait il sentait son cœur s’embraser des flammes de l’amour divin, et son corps devenir tout en sueur. Par tous ces exercices, elle fut élevée à une très-haute contemplation, et Notre-Seigneur se communiqua à elle d’une manière ineffable. Elle gagnait une partie du jour sa vie du travail de ses mains ; mais hors cela et les emplois de la charité, elle était tellement absorbée en Dieu que son esprit et ses sens ne vivaient plus qu’en lui et pour lui.
Enfin, son époux céleste, pour l’amour duquel elle avait refusé les secondes noces que ses illustres parents lui offrirent, l’appela à lui par ces aimables paroles qu’il lui dit dans une apparition : « Venez, ma bien-aimée, et entrez dans le bienheureux séjour que je vous ai préparé avant tous les siècles ». Trois jours avant sa mort, elle pria que personne n’entrât dans sa chambre, excepté ceux qui pouvaient l’aider à bien mourir. Elle fit les pauvres ses héritiers. Elle reçut les sacrements avec une componction de cœur et une dévotion merveilleuses. Elle dit des choses si ravissantes sur nos saints mystères, qu’on croyait entendre un ange parler. Enfin, elle rendit son esprit à Dieu le 19 novembre 4231, dans la vingt-quatrième année de son âge.
Sainte Élisabeth est représentée :
1° portant aux pauvres, dans sa robe, des pains qui sont changés en roses ;
2° tenant un livre, sur lequel sont posées deux couronnes ;
3° en costume du Tiers Ordre de Saint-François ;
4° pansant les malades ;
5° tenant un oiseau sur sa main, et un vase ;
6° distribuant des vivres aux indigents ;
7° portant des pains, et près d’elle une couronne ;
8° assise et travaillant au milieu des filles de son palais ;
9° au milieu des pauvres et des infirmes ;
10° morte, les mains en croix, couchée dans son cercueil ouvert ; Notre-Seigneur, ayant à ses côtés Notre-Dame, est debout près du cercueil ; l’âme d’Élisabeth, sous la figure d’une petite fille nouvellement née, mais déjà couronnée de gloire, est présentée par son ange gardien au Christ qui lève la main pour la bénir ; un autre ange l’encense ; la sainte Vierge regarde avec amour son humble et docile élève ; à côté d’elle, un homme barbu, la lance à la main et portant la croix des croisades.
Le corps de sainte Élisabeth fut transporté par les religieux franciscains dans l'humble chapelle de l’hôpital de Saint-François, où il resta exposé pendant quatre jours entiers ; il s’en exhalait un suave et délicieux parfum. Le quatrième jour après sa mort, elle fut inhumée dans la chapelle même, en présence des abbés et des religieux de plusieurs monastères voisins et d’une multitude immense de fidèles. Dès les premiers jours qui suivirent ces funérailles, de grands prodiges eurent lieu près de sa tombe : des sourds, des boiteux, des aveugles, des lépreux, des paralytiques et des malheureux atteints de diverses infirmités, s’en retournèrent entièrement guéris, après avoir prié dans la chapelle où elle reposait. On voyait accourir des malades des diocèses de Mayence, de Trêves, de Cologne, de Brème, de Magdebourg.
Le souverain pontife Grégoire IX, apprenant les merveilles dont la puissance divine entourait le tombeau de la glorieuse défunte, et la vénération toujours croissante du peuple envers elle, ordonna à l’archevêque de Mayence de faire une enquête sur la vie et les miracles de la sainte et de les envoyer à Rome. Cependant, l’archevêque Sigefroi, de Mayence, se rendit à Marbourg et y consacra solennellement, le jour de la fête de saint Laurent (10 août 1232), deux autels que les fidèles avaient construits en l’honneur d’Élisabeth, dans l’église même où elle était enterrée. Grégoire IX fit le décret de sa canonisation le jour de la Pentecôte (26 mai 1235), et accorda à tous les fidèles vraiment pénitents et confessés qui visiteraient son tombeau à pareil jour, une indulgence d’une année et quarante jours. On éleva en l’honneur de la sainte, dans le couvent des Dominicains de Pérouse, un autel, que le Pape dota d’une indulgence de trente jours pour tous ceux qui viendraient y prier. La bulle de canonisation fut publiée le 1er juin 1235, et envoyée aux princes et aux évêques de toute l’Église. L’archevêque de Mayence fixa au 19 mai 1236 pour l’exaltation et la translation du corps de la sainte. Le corps fut trouvé tout entier, sans apparence de corruption, et exhalant un délicieux parfum. On le retira ensuite de son cercueil, et après l’avoir enveloppé d’une draperie de pourpre, on le déposa dans un cercueil de plomb, que l’on transporta solennellement au lieu où il devait être exposé à la vénération publique. La châsse qui renfermait le saint corps ayant été ouverte le lendemain, on la trouva inondée d’une huile qui répandait un parfum semblable à celui du nard le plus précieux. Cette huile précieuse fut recueillie avec un soin religieux, et beaucoup de guérisons furent obtenues par son emploi dans de graves maladies ou pour des blessures dangereuses. Tant de faveurs célestes ne firent qu’accroître le nombre et la ferveur des fidèles. La gloire de sainte Élisabeth se répandit bientôt dans tout l’univers catholique, et attira à Marbourg une grande foule de pèlerins. Le corps de sainte Élisabeth reposa pendant trois siècles sous les voûtes de la magnifique église qui lui fut dédiée, et sous la garde des chevaliers de l’Ordre teutonique ; mais son cœur fut accordé à l’évêque de Cambrai, transporté solennellement par lui dans sa ville épiscopale et déposé sur un autel de sa cathédrale qui fut détruite pendant la Terreur. Des églises nombreuses s’élevèrent sous son invocation : à Trêves, à Strasbourg, à Cassel, à Winchester, à Prague, dans toute la Belgique, des couvents, des hôpitaux la prirent pour patronne. L’abbé de Saint-Gall lui consacra un autel et une chapelle dans une des cours intérieures de son monastère. En Hongrie, une splendide église s’éleva en son honneur à Kaschau, et elle fut enrichie, au xv° siècle, d’un tabernacle admirable. Le pape Innocent IV, par une bulle du 2 des ides de février 1244, accorda un an et quarante jours d’indulgence à ceux qui visiteraient l’église et le tombeau de Marbourg dans les trois derniers jours de la semaine sainte. Sixte IV, par une bulle de 1479, accorda cinquante années et autant de quarantaines d’indulgence à tous les fidèles, pénitents et confessés, qui visiteraient les églises de l’Ordre de Saint-François, en l’honneur d’Élisabeth, le jour de sa fête. En ce même jour, il y a encore aujourd’hui à Rome cent ans d’indulgence à gagner dans une des sept basiliques de la ville éternelle, à Sainte-Croix de Jérusalem et à l’église Sainte-Marie des Anges ; en outre, indulgence plénière à l’église du Tiers-Ordre, dite des Saints-Côme et Damien, au Forum. Les Ordres de Saint-François, de Saint-Dominique, de Cîteaux et de Prémontré, lui consacrèrent chacun un office spécial, et sa fête fut introduite au bréviaire romain, avec le rang de double mineur, par le pape Clément X.
On voit encore près de Marbourg, sur la route qui conduit au village de Wehrda, une fontaine à triple jet, appelée Elisabethsbrunn. C’est là qu’elle lavait elle-même le linge des malades ; une large pierre bleue, sur laquelle elle s’agenouillait pendant ce rude travail, a été transportée dans l’église et s’y voit encore. Le 18 mai 1539, le landgrave Philippe de Hesse, descendant en ligne directe de sainte Élisabeth, fit célébrer pour la première fois, dans l’église dédiée à son aïeule, le culte évangélique ; puis, s’emparant de la châsse qui renfermait le corps de la sainte, il la fit transporter à son château. Les ossements de la sainte furent enterrés, peu après, dans un lieu inconnu de tous, excepté du landgrave et de deux de ses confidents. En 1546, il fit déposer la châsse au château de Ziegenhayn ; mais deux ans après, fait prisonnier par l’empereur Charles-Quint, celui-ci l’obligea de faire rapporter à Marbourg cette propriété sacrée, et de restituer à l’église les reliques de sainte Élisabeth ; mais il en manquait dès lors une grande partie, et à dater de cette époque, on en perd la trace certaine. Vers la fin du XVIe siècle, l’infante d’Espagne, Isabelle-Claire-Eugénie, gouvernante des Pays-Bas, acquit le crâne avec plusieurs ossements, et les fit transporter à Bruxelles et déposer chez les Carmélites, dont le couvent a disparu avec tant d’autres sous les coups du vandalisme révolutionnaire : le crâne fut plus tard envoyé au château de la Roche-Guyon, d’où il a été, vers 1830, transféré à Besançon par le cardinal duc de Rolian. On le vénère aujourd’hui à l’hôpital Saint-Jacques de cette ville. Une portion en a été envoyée jusqu’à Bogota, dans l’Amérique méridionale. Un de ses bras fut envoyé en Hongrie ; d’autres portions de ses reliques se voyaient encore à Hanovre, à Vienne, à Cologne et surtout à Breslau, dans une belle chapelle, où l’on conserve aussi le bâton qui lui servit d’appui lors de son expulsion de la Wartbourg. On conserve encore son verre à Erfurt ; sa robe de noces à Andechs ; sa bague d’alliance à Braunfels, avec son livre d’heures, sa table et sa chaise de paille ; son voile à Tongres ; et une chemise, qu’elle avait teinte de son sang en se donnant la discipline, au couvent des sœurs Saint-Charles à Coblentz. Un des bras de la sainte, provenant de l’abbaye d’Altenberg, et que possédait M. le comte de Booss-Waldeck, qui l’avait offert en vente à plusieurs souverains qui la comptent parmi leurs aïeux, mais sans trouver d’acheteurs, est aujourd’hui dans la chapelle du château de Sayn.
À Marbourg, on ne montre d’elle aujourd’hui qu’une grande tapisserie à laquelle on dit qu’elle a travaillé, et dont on se sert pour la cérémonie de la communion, selon le rit luthérien. Sa châsse, vide depuis trois siècles, fut emportée à Cassel par l’ordre de Jérôme Napoléon, puis ramenée à Marbourg en 1814, et replacée dans la sacristie. La magnifique église qui lui a été consacrée est vouée depuis 1539 au culte protestant. Depuis 1811, le culte catholique est autorisé dans cette ville qui, ainsi que tout le pays qu’habitait la sainte, a renié sa foi ; on y voit une petite église catholique, mais on n’y dit même pas une messe le jour de la fête de sainte Élisabeth ! À Eisenach, il y a maintenant une chapelle sous le vocable de la sainte.
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