En remerciement à Saint Herménégilde suite à une grâce obtenue.
Le triomphe d'Herménégilde |
(Fêté le 13 avril)
Tiré de saint Grégoire le Grand, Dial. I. 3, c. 31 ; de saint Grégoire de Tours, Hist. I. 5. ch. 39, et I. 9, c. 16, de Mariana, Hist. I. 5, ch. 12; du P. Florès, Spana sagrada, t. v, c, 2, p. 200. Voir Henschenius, t. II, apr. p. 134.
586
Evigilde ou Léovigilde (Le P. Florès observe que ce prince est toujours appelé Linvigild dans les anciens Mss. gothiques. Il commença à régner l'an 568 de Jésus-Christ et le 606e de l'ère d'Espagne. Ce fut dans la dix-huitième année de son règne qu'il mit à mort saint Herménigilde. Ceci se prouve par une ancienne chronique que le P. Florès a publiée. Spana sagrada, t. II, p. 199), roi des Goths en Espagne, eut deux fils de sa femme Théodosie : leurs noms étaient Herménégilde et Récarède. Ils furent tous deux élevés dans l'arianisme que leur père professait. Herménégilde, l'aîné des deux princes, épousa Indegonde, catholique zélée et fille de Sigebert, roi d'Australie.
La couronne avait toujours été élective chez les Goths d'Espagne : c'étaient les grands qui choisissaient celui qui devait la porter. Lévigilde, voulant l'assurer à ses descendants, associa ses deux fils à la royauté. Il donna même à chacun une portion de ses états à gouverner. Séville fut la capitale du pays que l'aîné eut en partage.
Ingonde, sa femme, eut beaucoup à souffrir de la part de Goswinde, arienne outrée, que Lévigilde avait épousée après la mort de Théodosie. Les persécutions qu'elle lui suscita avaient pour but de la détacher de la doctrine catholique : mais rien ne put ébranler Ingonde, elle resta toujours ferme dans la profession de la vraie foi ; ses exemples et ses discours firent même une vive impression sur Herménégilde. Ce prince eut des doutes sur la religion qu'il professait : et ces doutes furent entièrement éclaircis par les instructions de saint Léandre, évêque de Séville. Il ouvrit les yeux à la lumière qu'il avait méconnue jusque-là, et profita d'une absence de son père pour abjurer solennellement l'hérésie ; il fut ensuite reçu dans l'église par l'imposition des mains et par l'onction du saint chrême qu'on lui fit sur le front.
Lévigilde, que les premières apparences du changement de son fils avaient déjà indisposé contre lui, entra dans une étrange colère quand il eut appris qu'il faisait une profession ouverte de la foi catholique : il le dépouilla du titre de roi qu'il lui avait donné, et résolut de lui ôter ses biens, sa femme, sa vie même, s'il ne retournait à l'arianisme. Herménégilde, considérant qu'il était prince souverain, prit des mesures pour arrêter l'effet des menaces de son père. Tous les catholiques d'Espagne se joignirent à lui : mais ils étaient en trop petit nombre pour résister aux Ariens. Il envoya donc saint Léandre demander du secours à Tibère, empereur d'Orient ; mais il n'en obtint ni de ce prince, mort peu de temps après, ni de Maurice son successeur. Ce dernier fut obligé de réunir toutes ses forces pour se défendre contre les Perses, qui avaient fait plusieurs irruptions sur les terres de l'empire. Herménégilde implora ensuite l'assistance de l'armée romaine que les empereurs de Constantinople entretenaient en Espagne, pour conserver le peu de possessions qui leur restaient dans ce pays. Les chefs de cette armée s'engagèrent, par serment, à soutenir sa cause, et prirent en otage sa femme Indegonde et son fils, sous prétexte de mettre en sûreté la vie de la mère et de l'enfant ; mais ensuite ils se laissèrent corrompre par l'or de Lévigilde, et manquèrent à leur parole.
Lévigilde tint son fils assiégé dans Séville pendant plus d'un an. Herménégilde, se voyant hors d'état de faire une plus longue résistance, s'enfuit secrètement pour se rendre au camp des Romains ; mais sur la nouvelle qu'il eut de leur trahison, il se retira à Cordoue, puis à Osseto. Cette dernière ville, où était une église célèbre dans toute l'Espagne par la dévotion du peuple, avait d'assez bonnes fortifications. Herménégilde s'y renferma avec trois cents hommes d'élite. La place ne put cependant tenir ; elle fut prise et brûlée par Lévigilde. Le prince vaincu se réfugia dans l'église, an pied de l'autel. Son père ne voulut point l'en arracher de force ; il permit même à Récarède, engagé aussi dans l'arianisme, d'aller trouver son frère et de lui promettre sa grâce s'il reconnaissait sa faute en se soumettant. Herménégilde, qui croyait qu'on agissait de bonne foi à son égard, vint se jeter aux pieds de son père. Lévigilde l'embrassa, et renouvela toutes les promesses qui lui avaient été faites de sa part ; mais il ne l'eut pas plus tôt mené dans son camp qu'il le lit dépouiller de ses habits royaux ; il ordonna ensuite qu'il fût chargé de fers et conduit prisonnier dans la tour de Séville. Ceci arriva en 586 (Herménégilde avait régné deux ans, comme le P. Florès le prouve par l'autorité de plusieurs anciens monuments).
Lévigilde employa de nouveau les menaces et les promesses pour faire rentrer son fils dans l'arianisme ; et afin de le vaincre plus facilement, il le fit resserrer dans un cachot affreux et ordonna qu'il y fût traité avec la plus grande dureté. Herménégilde resta toujours inébranlable, et ne cessa de répéter ce qu'il avait précédemment écrit à son père : « Je confesse que votre bonté pour moi a été portée très-loin ; aussi conserverai-je jusqu'au dernier soupir le respect et l'amour que je vous dois : mais pouvez-vous exiger que je préfère une grandeur périssable à mon salut éternel ? Je ne veux point de couronne à ce prix ; je suis prêt à la sacrifier, ainsi que ma propre vie, plutôt que d'abandonner la vérité. »
La prison devint pour Herménégilde une école de vertu ; il s'y consacra aux exercices d'une austère pénitence. Il prit le cilice et ajouta beaucoup de mortifications volontaires aux peines qu'il endurait déjà. Sans cesse il s'adressait à Dieu par des prières ferventes, afin d'obtenir le courage dont il avait besoin dans les combats qu'il soutenait pour la cause de la foi.
La fêle de Pâques étant arrivée, Lévigilde chargea un évêque arien d'aller trouver son fils pendant la nuit pour lui offrir sa grâce, au cas toutefois qu'il voulût recevoir la communion des mains du prélat ; mais Herménégilde rejeta cette proposition avec horreur ; il reprocha même à l'évêque avec une généreuse liberté son attachement à une doctrine impie. Le roi, informé de tout ce qui s'était passé, devint plus furieux que jamais, et résolut d'éteindre dans le sang de son fils la haine qu'il portait à la foi catholique ; il envoya donc des soldats pour le mettre à mort. Ceux-ci, étant entrés dans la prison, lui fendirent la tête d'un coup de hache. Le saint n'avait fait aucune résistance et s'était livré à ses bourreaux avec intrépidité. Son martyre arriva le samedi saint, qui était le 13 avril de l'année 586. On garde encore son corps à Séville.
Saint Grégoire le Grand attribue aux mérites du saint martyr la conversion du roi Récarède, ainsi que celle de toute la nation des Goths d'Espagne. Quant à la faute qu'il commit en prenant les armes contre son père, il l'expia par ses héroïques vertus et par l'effusion de son sang.
Lévigilde ressentit bientôt les remords de son crime ; mais par un juste jugement de Dieu, son repentir n'alla point jusqu'à la conversion du cœur. Il recommanda en mourant son fils Récarède à saint Léandre et le pria de l'instruire dans la foi catholique (il s'était élevé une violente persécution contre les Goths, qui avaient embrassé la doctrine de l'Église avant que saint Herménégilde se fût converti. Plusieurs d'entre eux furent bannis, et d'autres souffrirent divers genres de mort. Selon saint Grégoire de Tours, Goswinde fut la principale cause et de la persécution et de la mort de saint Herménégilde).
RÉFLEXIONS
Les exemples d'ingonde suffirent pour faire un saint d'Herménégilde ; l'exemple est la plus persuasive des leçons ; préjugés, condition, âge, faiblesse, tout doit céder à sa force invincible. D'où vient cette corruption, cette licence effrénée de mœurs, répandue dans tous les états ? Du mauvais exemple. Puisque le mauvais exemple est si séduisant, pourquoi donc le bon serait-il sans force sur les esprits et sur les cœurs ? Les bons exemples sont pour vous ou un motif pressant de remplir vos devoirs, ou un sujet certain de condamnation si vous ne les remplissez pas. Je vous ai donné l'exemple, a dit le Sauveur, afin que vous agissiez comme j'ai agi moi-même. Vous êtes pauvre ; mais Jésus l'a été. Vous êtes persécuté, calomnié, traité avec mépris : mais oseriez-vous comparer vos souffrances avec celles du Sauveur ? La vue de ce divin Maître attaché à la croix est un remède à bien des maux ; et son silence sur ce bois infâme doit étouffer bien des plaintes et bien des murmures. Vous direz peut-être : C'était un Dieu, et nous ne sommes que de faibles créatures. Mais ne voyez-vous pas que c'est précisément cette qualité qui donne une force invincible à ses exemples et à la recommandation qu'il vous a faite de les suivre ? Un Dieu souffre pour mes péchés ; et je refuse de souffrir pour les expier ! Un Dieu mène une vie obscure, et je veux vivre dans l'éclat ! Un Dieu pardonne à ses bourreaux ; et je ne pardonne pas de légères injures ! Un Dieu s'est cru obligé de souffrir pour nous faire entrer dans sa gloire ; et moi je ne veux faire aucun effort pour y parvenir et je veux vivre dans la mollesse ! N'est-il pas vrai que, malgré toutes les ruses de votre amour-propre, vous ne pouvez pas vous dérober à la force invincible de ces exemples divins ? Mais ce ne sont pas seulement les exemples de l'Homme-Dieu qui vous pressent, ce sont encore ceux d'une foule d'hommes semblables à vous, qui avaient les mêmes faiblesses à surmonter, les mêmes obstacles à vaincre, les mêmes devoirs à remplir. Nul d'entre eux dont la vie ne vous fasse un vif reproche de votre lâcheté au service de Dieu ; nul qui ne dissipe vos prétextes frivoles et vos excuses. Vous êtes jeune, faible, d'un esprit vif et ardent, d'une complexion délicate ; mais sainte Agnès n'avait que treize ans. Jamais personne ne fut plus vif et plus ardent que saint Augustin ; jamais personne ne fut naturellement plus vif et plus passionné que sainte Thérèse, etc. Les Louis, les Henri, les Édouard, etc., se sont sanctifiés sur le trône ; les Brigitte, les Françoise, les Monique, etc., ont vécu saintement dans le mariage. Ce fut dans une humble condition que les Geneviève, les Zite, les Blandine, les Isidore, etc., sont devenus, par leur piété, le sujet de notre admiration et l'objet de notre culte. La science elle-même a-t-elle été un obstacle à la haute sainteté des Justin, des Chrysostôme, des Basile, des Grégoire, des Jérôme, d'un si grand nombre de docteurs ?... À la vue de ces exemples innombrables, Seigneur, je n'ai rien à dire pour me justifier ni pour m'excuser ; je dois me confondre et implorer votre miséricorde, afin que ma honte et mes regrets ne soient pas sans fruit. J'adore le même Dieu que les saints ; j'ai les mêmes grâces, la même règle de mœurs et le même évangile ; j'attends les mêmes récompenses ; faites, Seigneur, que j'aie le même courage, la même persévérance et la félicité.
(La vie des Saints, Alban Butler et Godescard)