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samedi 28 janvier 2017

Culte de la pierre, de l'arbre, et de la source : traditions et origines magiques de ces dieux (1/4)


Songe de Jacob (Gustave Doré)


Extrait de "Les hauts phénomènes de la magie" par le Chevalier Gougenot des Mousseaux :



CULTE DE LA PIERRE, DE L'ARBRE, ET DE LA SOURCE ; PIERRES-DIEUX, ARBRES-DIEUX, SOURCES DIVINES ; TRADITIONS ET ORIGINES MAGIQUES DE CES DIEUX



(Lire sur les bethel et les bétyles ma brochure Beth-el, seconde édition, que le savant orientaliste Drach cite, et dont il transcrivit des passages dans son Harmonie entre l'Église et la Synagogue, vol. II, p. 415-6, année 1844. « Les réflexions et les investigations de M. des Mousseaux, dit-il, jettent une grande lumière sur cette matière si intéressante. » Voir, depuis, mon travail bien autrement complet et complexe Dieu et les dieux, édité dix années plus tard chez Lagny, 1854, 1 vol. in-8, 596 pages. Il y a donc plus de vingt ans que j'émis la plupart des idées qui vont suivre)


Aussitôt que la plus ancienne de toutes les histoires, aussitôt que la Bible nous permet de certifier quelque vérité, la pierre brute se présente dans le catholicisme antique, ou judaïque, comme le symbole positif, précis et invariable d'un Dieu seul et unique, envisagé dans la personne du Christ.

Aussi la pierre brute et non taillée, celle dont le simple aspect nous dit : Je n'ai point été faite de main d'homme, celle dont la substance indique la solidité, la durée ; cette pierre en un mot que rejetèrent ceux qui bâtissaient, est devenue la tête de l'angle, la clef de voûte de l'édifice religieux et social ! Ce trait d'histoire, si longtemps d'avance écrit par les prophètes, s'accomplit au moment où la pierre devient vivante, étant remplacée par celui dont elle était la figure, et qui, ne conservant d'elle que le nom pour le transmettre à son vicaire, subit dans la chair, au jour de la passion, les insultes du fer que maniait la main de l'homme.
La pierre qui représente le Christ, ou plutôt qui est le Christ, si nous nous reportons aux paroles et aux temps des Écritures (Petra autem erat Christus, Saint Paul, I Corinth., X, 4. — Tu es Petrus, et super hanc petram oedificabo Ecclesiam meam, et portai inferi non proevalebunt adversus eam, saint Matthieu, xvi, 18), est devenue la pierre de l'angle ! et si grand qu'il soit désormais, peuple ou homme, quiconque se heurte contre elle se brise ! ..., Elle-même, au besoin, se détache de la montagne ; elle s'élance comme la foudre pour renverser à son heure tout colosse (Daniel, II, 34) dont s'enorgueillit l'humanité, ou devant lequel les nations tremblent ; et, sous les coups qu'elle lui porte quand elle se meut, tout colosse n'a que des pieds d'argile. Mais laissons parler l'histoire, qui tout à l'heure va déchiffrer à notre profit une magnifique énigme.
Jacob a dormi près de Luza , la tête appuyée sur une pierre. Dieu visite son sommeil par un songe ; un ange lui apparaît. Cet ange, qui n'est point séparé de l'essence divine, mais qui est Dieu, lui dit : Je suis le dieu Beth-el, c'est-à-dire maison de Dieu (Drach et explication, Harmonie, Paris, 1844, vol. II, p. 434-2, etc.). Et Jacob, offrant du vin sur cette pierre, qui représente celui qui est le pain, la fait Christ, ou Messie, c'est-à-dire oint ; car il répand sur elle une huile sainte, et la nomme Beth-el (Genèse, XXVIII, 11-18, et XXXV, 14-15).
Tel sera désormais le nom de cette localité, jusqu'à ce jour appelé Luza. Ce nouveau culte, ce sacrifice manifestement eucharistique s'y continue ; et, plus tard, les Écritures elles-mêmes nous en fournissent la preuve, car nous entendons Samuel dire à Saül : « Vous rencontrerez près du chêne de Thabor trois hommes allant adorer Dieu à Beth-el, l'un portera trois chevreaux », c'est le sacrifice sanglant ; « l'autre trois tourteaux de pain, l'autre une bouteille de vin. » Et ces deux dernières offrandes, qui suivent celles de la chair et du sang, sont le sacrifice non sanglant, qui sous les espèces eucharistiques nous rappellent l'unité dans la trinité (Rois. I, ch. X, v. 3. — Alius tres tortas panis, alius portans lagenam vini, Bible Vence, 1828-9, Paris). Or, cette pierre que j'ai érigée en un monument, monimentum, dit Jacob, est la pierre schetya, c'est-à-dire fondamentale.
Elle existait avant la création du monde ; le monde a été fondé sur cette pierre, et le temple saint fut bâti sur elle (Zohar, p. 1, f. 54, col. 213).
C'est de l'assistance du Puissant de Jacob que vient le pasteur, la pierre d'Israël, celui qui est la manne, le pain de vie (Drach, ib., p. 426-432-3, etc.). Et qui donc est cette pierre ointe ? s'écrie saint Augustin après Jacob , si ce n'est le Christ, chef et source de l'humanité : lapis unctus, caput viri, Christus (Faust, Manich., liv. XII, 16. Drach, ib., 432).
Tournez les yeux vers elle, et le salut viendra. Voyez : le peuple de Dieu meurt altéré dans le désert, mais la pierre va le sauver. Or, qui donne cette pierre à son peuple ? une Marie, vierge et prophétesse, sœur d'Aaron et de Moïse.
Et comment cette pierre sauve-t-elle le peuple lorsqu'elle est frappée par celui qui représente la synagogue, qui frappera le Christ au Calvaire ? Sous les coups, elle laisse jaillir les eaux du salut ; et, suivant désormais les Hébreux dans leurs pérégrinations, cette pierre de vie va leur offrir ses sources d'eau vive (Consequente eos petra, saint Paul, Corinth., x, 4. Hoec est aqua quoe, de comite petra, populo defluebat. Tertul. in baptis., IX. — Drach, ib., p. 446, 423, 435-6). La tradition enseigne, en effet, que cette pierre ne les a jamais quittés. La pierre symbolique les accompagnait donc en tous lieux ; et, quand l'arche sainte manquait dans le sanctuaire, il y avait à sa place une pierre déposée depuis ces jours des premiers prophètes ! Aussi Philon l'Hébreu dit-il : Jéhova a fait sucer à son peuple le miel de la roche et l'huile du plus dur rocher (Drach, ib., 424, 434).

La vigilance de cette pierre ne connaît point le sommeil ; elle a sept yeux ; ce sont les sept yeux, les sept esprits, les sept anges de Jéhova, qui parcourent toute la terre et qui se tiennent toujours en sa présence (Drach, ib., p. 438-9) ! Répétez, répétez son nom, elle est le Christ. Et nous venons de le dire, mais redisons-le de nouveau : le Christ, avant de nous quitter, laisse debout ce nom de pierre, auquel nous voyons quelle symbolique importance toutes les Écritures ont attachée ; il le passe expressément à celui qui va désormais le représenter et devenir la tête, le chef visible et le nerf, la force de son Église militante. Ces notions préliminaires doivent suffire à nous guider sur le terrain que se partagent les religions polythéistes et la magie ; car nous savons maintenant quel est ce dieu Beth-el, ou Dieu-maison-de-Dieu, que nous allons rencontrer à chaque pas sur toute la surface de la terre ; nous savons quelle est cette pierre temple-et-Dieu, que l'antiquité gréco-romaine imite en la nommant bétyle, que l'Irlande druidique appellera both-al, et l'Amérique téocalli (Carli, Lettres améric., Paris, 1792, p. 16, vol. II. Du mexicain Theut calli) ; l'Asie, l'Europe et l'Amérique se trouvant d'accord pour lui donner des noms dont les consonances diverses renferment un sens identique.


BETH-AVEN, PLURALITÉ DES DIEUX.
Au milieu des peuples de la terre, si nous exceptons Israël, que la verge terrible de Jehova relient seul sur la pente qui l'entraîne à la magie et à l'idolâtrie, il ne reste du seul et vrai Dieu que le nom défiguré, que la tradition souvent informe. Les nations, les gentils, gentes, se distinguent du peuple élu par la pluralité des dieux, et par des cultes au fond desquels se retrouvent invariablement le sang humain et la crapule. Car ces dieux, qui pullulent et naissent l'un de l'autre, sont les esprits de l'abîme, et qui les nombrera (Dii gentium doemonia, Ps. 95, v. 5) ?

Or les pierres beth-el, que nous venons de nommer, élevées par les patriarches dans les lieux où Dieu parlait et se montrait aux hommes, ont témoigné chez Israël de l'apparition de Dieu et se sont appelées sa maison. À peine donc se sont-elles dressées sur la terre, que l'Ange de révolte, c'est-à-dire le singe de Dieu, — c'est l'expression de Tertullien et de Bossuet, — trace devant elles sa trompeuse et infatigable parallèle. Les mains qui le servent sont nombreuses ; ce sont celles des prêtres-magiciens, patriarches de la religion du mensonge, et, par cela même, premiers medium du spiritisme antique. Des pierres semblables au beth-el Israélite s'élèvent donc sous la direction de ces hommes, en Chanaan, chez les fils de Cham ; et bientôt, avec la fourmilière des dieux nouveaux, elles apparaissent de toutes parts. Mais la pierre, cette fois, n'est plus seulement le témoin (Monimentum, Matzéba) de l'apparition du vrai Dieu. Elle devient, pour exprimer littéralement son nom de beth-el, la maison même et le temple vivant du dieu. Un dieu l'anime et lui donne le mouvement ; la parole rend par elle ses oracles, et s'incarne en elle. La pierre est devenue divine, elle est dieu, mais dieu menteur. C'est pourquoi, contemplant ces phénomènes de l'œil du mépris, Israël laisse tomber le nom de beth-aven sur cette génération nouvelle de beth-el. Ce mot ne veut donc point dire la maison de Dieu, il signifie la maison du mensonge, qui se la donne pour domicile. L'art aidant, et le symbole perdant de sa valeur, elle devient par degrés statue, et celui qui est le mensonge ne cesse point d'y résider. Sous mille noms génériques ou particuliers, les beth-el Israélites, dits both-al en Irlande, et devenus beth-aven ou dieux menteurs, couvent le monde ancien, non moins que le monde postérieurement découvert auquel reste le nom d'Amérique ; et les régions de la Grèce ou du lointain Orient qui les nomment bétyles se prosternent devant elles. Autrefois en effet, avant l'usage des statues, dans les temps les plus reculés, on honorait les dieux sous la forme de pierres brutes (Pausanias, Phares, Achéens) ; et ce culte, nous dit Tacite, avait une raison d'être toute mystique (Ratio in obscuro, liv. II, Hist.) : Pausanias, entre ces nombreuses divinités déchues qu'il a retrouvées, nomme Cupidon, le dieu des appétits érotiques, et l'appelle le plus ancien des dieux (Pausanias, Béotie). Plusieurs de ces pierres conservées dans des églises d'Allemagne, s'y voient encore suspendues aux voûtes (Creuzer, t. I, p. 7) ; et, dans les grandes Indes, le célèbre voyageur Pierre de la Vallée rapporte qu'un nombre considérable de divinités sont adorées sous la forme d'une simple pierre. Dans une multitude de pagodes, la pierre, encore et toujours, revêtant comme les bétyles grecs la forme brutalement impudique du lingam, est adorée sous le nom de Maha-Déva, c'est-à-dire de grand Dieu (Pierre de la Vallée, t. IV, p. 84 ; — Dieu et les dieux, p. 109-295, etc. ; — Abraham Roger, p. 22, etc., Amst.). Au Pérou, chaque village voyait s'élever à son centre une grande pierre, pareille à nos men-hir druidiques, et que les Indiens proclamaient le dieu tutélaire de la localité (Drach. Harm. 2°, p. 447). Le Mexique enfin adorait des dieux-pierres ; et, dans les États Guatemaliens, la cité sainte d'Utlalan renfermait un temple où, près de la fontaine sacrée, se trouvait une pierre à laquelle chaque année les peuples accouraient rendre leurs hommages et offrir leurs sacrifices. Fuentès veut que cette pierre, venue d'Égypte, ait suivi les ancêtres de la nation Quichée... de même que la pierre miraculeuse suivait les Israélites : consequente eos petra (Voir ci-dessus et Mexique, Amérique centrale, Brasseur de Bourbourg, Paris, 1857, p. 124). La pierre magique Chananéenne, après s'être dressée comme en Israël, en témoignage des apparitions d'un Dieu ; après s'être ouverte aux Esprits divins appelés à s'y incarner, prit bientôt un caractère plus céleste. Se liant, s'identifiant avec les astres qui sont eux-mêmes, chez les nations à plusieurs dieux, la maison, le vêtement ou le corps de divinités puissantes, il sembla bientôt que la pierre sacrée descendît véritablement du ciel, comme s'il s'agissait pour elle de légitimer par l'évidence de cette origine la grande et presque universelle idolâtrie du sabéisme (Zaba, troupe armée des cieux) !

Eh quoi ! mais n'était-elle point elle-même un astre complet et divin ? Qui donc osera le nier parmi ses adorateurs ? Sera-ce la multitude de ceux qui la virent voltiger en l'air, et quelquefois, malgré l'énormité de sa masse, pendant des heures, des jours, ou des mois entiers, ce dont Pline, Aristote et Plutarque nous ont laissé le témoignage ? Ainsi se balançait dans notre atmosphère, en dépit de son énorme poids, une immense aérolithe qui se décida le 9 décembre 1858, après un certain temps d'arrêt, à se précipiter à terre dans le voisinage d'Aussun (Haute-Garonne). Ainsi le Connecticut vit-il une de ces pierres vivantes et aériennes, offrant à l'œil un diamètre de dix-huit cents pieds, braver les lois physiques de la pesanteur, lancer, comme un essaim d'enfants sortis de son sein, des myriades de menues pierres sur une zone immense, et non pas tomber cette fois, mais remonter triomphalement vers son point de départ (Lecouturier, Babinet, etc., cités dans M. de Mirville, t. II p. 25, etc., 1863. — Lire des Mousseaux, Beth-el, 2e édition, 1845 ; — Dieu et les dieux, 1854, chap. VII, etc.).

Le vulgaire qui ne juge des astres, comme de toute chose, que parce qu'il en voit, voyait ces parcelles scintillantes, ces pierres étoiles, se détacher du firmament ; rien ne lui semblait plus naturel qu'un spectacle sans cesse renouvelé, dans ces belles nuits d'Orient créées pour le charme des plus pacifiques loisirs ; et dès lors on se répéta de bouche en bouche, on se montra du doigt l'un à l'autre que les étoiles filaient, s'arrêtaient, se balançaient, se promenaient en l'air, selon l'expression de Damnscius (Drach, Harm. 2e, 446), s'agitaient, pullulaient, remontaient ou prenaient pied sur notre globe. On courut, on ramassa sans trop d'étonnement des pierres brûlantes, ou en ignition, à la place que marquait la chute de ces astres.

Venez-voir, s'écriait-on ; accourez et portez témoignage : cette incandescence, cette chaleur que vous sentez en elles n'est-ce pas le feu primordial et divin, n'est-ce pas le feu sacré ? quoi de plus manifeste ? Et qui donc eût osé dire que ces visiteurs célestes s'abaissant jusqu'à nous, tombant, remontant, violant à leur gré les lois inviolables de la pesanteur, n'étaient point des dieux ? Fallait-il méconnaître dans les pierres aérolithes animées la présence divine, parce que le dieu renfermé dans la pierre daignait se dépouiller de ses splendeurs sous les yeux mêmes de l'humanité, comme pour ménager la faiblesse humaine ? C'était donc avec raison que, chez les infidèles, les genoux les plus fiers pliaient humblement en sa présence.

Ces pierres que tout le monde a vues se mouvoir en l'air, ces pierres que l'on dit vivantes, on les appelle du nom grécisé de bétyles. Elles succèdent au Beth-el primitif, à la Matzéba, que les Grecs familiarisés aux prodiges de la magie ont nommée Mysibate, et qui, plantée tantôt par le dieu Uranus, tantôt par quelque autre patriarche du ciel ou de la terre, rend aux hommes ses oracles (Th Lebas, Revue des Deux-Mondes, et Drach, ib., 442 ; Eusèbe, liv. I, x ; Fourmont, t. I, xvi, etc.), prouvant sa divinité par le don de prophétie, par le mouvement, la parole et la puissance.

Portative, menue, remplissant à peine quelquefois le creux de la main, elle est si grande par sa substance, qu'elle représente, jusque sous cet exigu volume, les dieux de premier ordre les plus terribles ; ou plutôt, en la voyant, vous voyez ces dieux. Tels sont Vesta, Cybèle, Jupiter ; et le plus grand, le plus auguste des serments, ce sera Jupiter pierre (Jovem lapidem jurare. Noctes att., liv. I. xxi, etc.). Oh ! si votre bonne foi n'est point sûre d'elle-même, si jamais elle risque de chanceler, gardez-vous de jurer par cette pierre.

Elle est le maître des dieux, et lorsque Saturne son père croit dévorer Jupiter en avalant un caillou, ne vous récriez point. Cet acte, qui semble de prime abord plus convenable pour une autruche que pour un dieu, n'étonne que l'ignorance. Car, la pierre étant la substance habituelle des dieux, quoi de surprenant si les dieux enfantent la pierre (Lire pour ces passages et les suivants, avec les détails innombrables que j'omets, et les autorités qui les prouvent, mes Beth-el, 2e édit., 1845, mais surtout Dieu et les dieux, Paris, 1854. — Voir sur ce travail le savant rabbin converti Drach, ancien bibliothécaire de la propagande, Harmonie, 2e éd., p. 445-6, note, etc. — Mon ami M. de Mirville a souvent cité mon livre Dieu et les dieux, qui est un de ses livres favoris. Voir ce qu'il en dit vol. 1, chap. VII, p. 225-6, 3e édit., et autres volumes. — Ce volume de Dieu et les dieux aide à comprendre un grand nombre de passages de la Bible, et résout, par des monuments et des faits, un grand nombre d'énigmes mythologiques dans le monde gréco-romain, celte, scythe, américain, etc.) ?

Damascius, entre autres témoins, a vu de ses yeux un bétyle se promenant en l'air ; j'étais persuadé, s'écriait-il, que le bétyle a quelque chose de divin ! Isidore le disait plutôt démoniaque ou spiritisé, ajoutant : C'est un esprit qui lui donne le mouvement (Vita Isid. apud Photium, Drach, Harm., 446). Cette expression marquait la décadence du culte, et les bétyles eurent en effet leur éclipse. L'un d'eux, et des plus anciens sinon des plus grands, le vrai sidérite donné par Apollon au Troyen Hélénus, avait le don de la parole ; il lui prédit la ruine de Troie. Lors qu'il refusait de parler, on feignait de vouloir le lancer au loin. De même, au sixième siècle de l'ère chrétienne, le bétyle que porte dans son sein le médecin Eusèbe, ami d'Isidore, s'entête-t-il dans son silence, vous le fichez dans un trou de muraille. Humilié, ravalé à la condition des pierres communes, il s'exprime alors d'une voix sifflante et rappelle ainsi le nom du bétyle ophite, c'est-à-dire de la pierre divine et serpent. Chaque bétyle a donc, suivant les temps, son dieu, son génie ou, comme nos tables oraculaires, jusqu'à son âme ! car, si vous observez l'initié américain, issu des compagnons Chananéens, ou serpents, de quelque Cadmus (Dieu et les dieux, chap. xv ; et plus bas, chap. l, Cadmus), vous le verrez placer entre les lèvres de son ami moribond une pierre ; elle sera toute simple s'il est pauvre, mais précieuse s'il peut se la procurer. Le moribond venant alors à expirer, c'est la pierre qui reçoit son âme : elle y entre, et l'ami trouve ainsi le moyen tout spirite de la recueillir.

La pierre après tout, non contente de prophétiser, se transforme quelquefois et disparaît ; ou plutôt, elle se manifeste sous les traits du dieu qu'habituellement elle couvre et dissimule. Ainsi la pierre de Tohil fait entendre sa voix, que le peuple écoute avec une religieuse terreur. Les prêtres aussitôt tirent du sang de leurs veines pour en oindre cette pierre, et lui sacrifient de nombreuses victimes humaines... Tout à coup, trois jeunes gens sont devant eux ; cette trinité sortie de l'unité parle, et sa parole est un enseignement salutaire (Lire Mexique, Brasseur, p. 574, 135, etc.).

Une autre pierre d'une énorme grandeur, et semblable à celles de nos monuments druidiques, était tombée du ciel non loin de Cencalco ; et près d'elle une vieille était apparue, du plus effrayant aspect ! Qui veut acheter ces banderoles ? s'écriait-elle en agitant des bandes de papier. Et quiconque avait le malheur de recevoir une de ces bandes était saisi par des mains invisibles, et sacrifié sur la pierre. Dans l'Amérique centrale, les traditions Toltèques signalent les fréquentes apparitions nocturnes de cette femme, assise sur une grosse pierre. Empressés de l'apaiser, les Indiens se rendent auprès d'une roche dans le voisinage de Babinal, à l'angle d'un carrefour. On y allume aussitôt un certain nombre de chandelles ; et, jusqu'à ce qu'elles soient consumées, chacun marmotte des invocations étranges (Ib., p. 382. — Hélas ! dans ses précieuses recherches et dans celles même qui concernent le Nagualisme, M. l'abbé Brasseur nous a dit n'avoir examiné aucune de ces questions au point de vue sérieux de la magie. Bien que nos phénomènes modernes le trouvent passablement incrédule, nous nous sommes permis d'attirer pour l'avenir son attention sur les parties de son ouvrage où le Merveilleux se trouve en relief. Son témoignage d'historien nous est d'autant plus précieux, jusqu'ici, qu'il ne le porta point pour les besoins de la cause !). Placés dans les mêmes circonstances, les survivants du culte Celto-Chananéen ou druidique des Gaules avaient, jusque sous Charlemagne et au-delà, conservé le même usage ; et coup sur coup, les capitulaires sévissent contre ces retardataires de la démonolâtrie : « Que nul ne s'avise de consulter les devins ou d'observer les augures ; que nul n'interroge les pythonisses, ou ne se fasse sorcier ou charmeur : qu'il ne se rencontre plus ni faiseurs de ligatures, ni excitateurs de tempêtes ou magiciens ; que partout où ces gens sont saisis on les mène à correction, ou qu'on les condamne. Ainsi soit dit des arbres et des sources ; ainsi des pierres devant lesquelles des insensés viennent dresser des luminaires, ou pratiquer leurs observances. Ordre absolu de déraciner ces détestables coutumes, Dieu les exècre (Lire dans le magnifique recueil des Capitulaires de Charlemagne, LXIII, ann. 789, t. I, p. 235. (...) Voir Ducange. — Calculator est ce que les Romains du temps de Tibère appelaient les mathématiciens, c'est-à-dire les devins). »

Dieux et oracles chez tous les peuples spirites, — car ainsi pouvons-nous dénommer, d'après le langage même des saintes Écritures, les adorateurs des dieux-esprits (Dii gentium daemonia, ps. 35, v 5. Daimon ne veut dire qu'esprit), — ces pierres, grâce à l'esprit prophétique dont elles sont douées, obéissent à la loi du parallélisme qui maintient sans cesse au-dessous de la ligne divine la ligne de l'ordre démoniaque ; et non seulement elles forment le pendant de la pierre beth-el proprement dite, mais elles se rapprochent singulièrement des pierres oraculaires établies à l'usage du peuple que Dieu s'était élu pour le servir selon les rites que fixa Moïse ; rites beaucoup plus anciens peut-être que ce prophète lui-même.




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