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jeudi 15 juin 2017

Conseils pour la lecture spirituelle



Extrait de "Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne" du R.P. Alphonse Rodriguez :



Saint Jérôme lisant (Murillo)



AVIS pour la lecture spirituelle


L'apôtre écrivant à Timothée (I Ad Tim. 4. 13), lui recommande de s'appliquer à la lecture. Saint Athanase (Ath. exhort. ad Relig.) estime qu'elle est si nécessaire à celui qui veut marcher dans la voie de Dieu, qu'il dit dans une exhortation qu'il fait aux religieux : « Vous ne verrez personne être véritablement attaché au service de Dieu, qui ne soit aussi affectionné à la lecture. » On ne peut s'y adonner sans en retirer du profit : on ne peut l'abandonner sans en souffrir du préjudice. Saint Jérôme (Hier. Ep. ad Eust.) témoigne aussi l'état qu'il en fait, lorsque écrivant à Eustochius, il s'exprime en ces termes, « Que le sommeil ne vous surprenne qu'en lisant, et ne vous endormez que sur l'Écriture Sainte. » Tous les saints en général nous la recommandent : aussi l'expérience nous en montre-t-elle l'utilité, car les histoires sont pleines des conversions merveilleuses que Dieu a opérées par cette voie. Enfin, la lecture spirituelle est en usage chez tous ceux qui font profession de piété ; c'est pourquoi, sans nous étendre davantage là-dessus, nous nous contenterons de marquer ici quelques moyens qui peuvent en rendre la pratique plus utile et plus profitable.
Saint Ambroise (Ambr. l. I. Offic. c. 20) nous exhorte à nous appliquer le plus qu'il nous est possible à l'oraison et à la lecture spirituelle, en disant : « Pourquoi n'employez-vous pas à la lecture tout le temps que vous êtes hors de l'église ? Pourquoi ne retournez-vous pas voir Jésus-Christ ? Pourquoi ne vous entretenez-vous pas avec lui ? Pourquoi ne l'écoutez-vous pas ? Nous lui parlons quand nous sommes en oraison ; nous l'écoutons quand nous lisons la sainte Écriture. » Que ce soit ici le premier moyen dont nous nous servions pour profiter de la lecture spirituelle. Considérons que c'est Dieu même qui nous parle, et qui nous dit ce que nous y lisons.
Mais pour entrer davantage dans le détail, et tracer la méthode que nous y devons garder, il faut remarquer, que pour tirer du profit de cette sorte de lecture, on doit la faire, non pas à la hâte, comme si on lisait quelque chose pour le simple divertissement de l'esprit, mais à loisir, et avec une entière application. Car, comme les pluies d'orages ne pénètrent point la terre, et ne la rendent point fertile, et qu'il n'y a que les pluies douces et continues qui produisent cet effet ; de même, pour que la lecture pénètre l'âme, et nourrisse le cœur, il faut qu'elle soit faite avec attention et avec tranquillité (Bern. Ep. ad frat. de mont. Dei , et in specul. mon.). Il est même avantageux, quand on y trouve quelque passage bien touchant, de s'y arrêter un peu plus que sur le reste ; et de faire une pause pour réfléchir sur ce qu'on a lu, et pour émouvoir sa volonté, comme on le pratique dans la méditation.
On voit par là combien il y a de rapport et de ressemblance entre la lecture et l'oraison. En effet, cette ressemblance est telle, que lorsqu'on veut former quelqu'un à l'oraison, et qu'il est nécessaire de l'y préparer peu à peu, pour s'accommoder à son génie, la première chose qu'on lui conseille, c'est de lire quelques livre de piété, et de faire des pauses de temps en temps, parce que c'est là le moyen de parvenir, ainsi qu'il arrive souvent, jusqu'à l'exercice de l'oraison mentale. On conseille aussi à ceux qui n'ont pas de facilité pour l'oraison, et qui désespèrent d'y pouvoir réussir, à cause de leurs distractions continuelles, de joindre la lecture à l'oraison, en lisant par reprises, et méditant à chaque fois sur ce qu'ils ont lu. L'esprit étant ainsi recueilli, et fixé par ce qu'on lit, n'a pas tant d'occasions de se dissiper et de se distraire, que lorsqu'il est entièrement libre, et que les sens ne sont arrêtés par aucun objet.
Cette facilité de lire et de prier tout ensemble est sans doute ce qui a porté les saints (S. Ephr. serm. 7 ; S. Chrys. hom. 20. sup. Genes. ; S. Aug. serm. 38. ad frat. in Erem.) à donner à la lecture presque autant d'éloges qu'à l'oraison même, en disant : « Que la lecture est la nourriture spirituelle de l'âme ; qu'elle la rend forte et constante contre les tentations ; qu'elle lui inspire de saintes pensées, et des désirs ardents pour le Ciel ; qu'elle éclaire l'entendement ; qu'elle échauffe, excite, embrase la volonté ; qu'elle console de tous les ennuis et de toutes les afflictions du siècle, et qu'elle produit cette véritable joie qui est selon Dieu. »
Saint Bernard (Bern. in spec. monac.) nous donne un autre avertissement pour bien profiter de la lecture spirituelle. « Que celui, dit-il, qui se met à lire, ne cherche pas tant à apprendre les choses de Dieu, qu'à les goûter. » En effet, la simple connaissance de l'entendement est sèche et stérile, si elle n'échauffe la volonté, et n'excite en elle cette ferveur, qui rend la lecture fructueuse, et qui en est véritablement la fin. Cet avertissement, au reste, est très-important ; car il y a beaucoup de différence entre lire pour s'instruire, et lire pour avancer dans le chemin de la vertu ; entre lire pour les autres, et lire pour soi : l'un est une pure étude, et l'autre est une nourriture spirituelle. De manière que, si en lisant vous ne vous attachez qu'à savoir les choses, ou qu'à en tirer de quoi instruire les autres, ce n'est pas une lecture spirituelle que vous faites pour votre propre avancement, c'est une étude que vous faites pour autrui (Eccl. 3. 1). Toutes choses ont leur temps : celui de la lecture spirituelle ne doit pas être employé à l'étude. C'est par cette même raison que les saints (S. Ephr. serm. 7. Bern. Ep. ad frat. de monte Dei) recommandent qu'on ne lise pas beaucoup de choses à la fois sans discontinuation, de peur qu'une longue lecture ne lasse et ne fatigue l'esprit, au lieu de le fortifier ; et ce conseil est très-bon, surtout pour ceux qui s'imaginent qu'il n'y a qu'à dévorer beaucoup de livres pour se bien acquitter de cet exercice. La nourriture du corps ne dépend pas de la quantité des aliments, mais de la bonne digestion qui s'en fait : il en est de même de la nourriture de l'âme ; elle ne consiste pas à lire beaucoup ,. mais à bien digérer ce qu'on a lu. Et comme les matières difficiles et abstraites fatiguent l'esprit, plutôt que de l'éclairer, et qu'elles tarissent la dévotion, plutôt que de l'augmenter, les saints veulent que la lecture spirituelle se fasse des traités simples, aisés, et où il y ait plus de sentiments de piété, que de profondeur de doctrine.
Saint Bernard (Bern. Ep. ad frat. de monte Dei) nous enseigne d'une manière bien plus particulière ce que nous devons observer là-dessus. « Il faut, dit-il, avoir soin de retenir dans sa mémoire quelque passage de ce qu'on lit chaque jour, pour le mieux digérer ensuite, en le rappelant souvent à son esprit ; et ce doit être quelque point qui convienne à la résolution qu'on a prise, qui soit propre à fortifier les bons sentiments que l'on a, et qui puisse empêcher l'esprit de s'occuper à d'autres pensées. » Comme nous ne mangeons pas seulement pour employer le temps que nous y donnons, mais afin que la nourriture que nous prenons alors nous puisse soutenir le reste du jour ; aussi nous ne devons pas nous appliquer à la lecture, qui est la nourriture spirituelle de notre âme, dans la vue seulement de bien employer le temps que nous choisissons pour lire, mais plutôt pour en faire ensuite notre profit tout le reste de la journée. Et pour cet effet, il serait très à propos d'élever notre esprit à Dieu, avant que de commencer la lecture, et de lui demander la grâce que cette lecture soit fructueuse, qu'elle pénètre dans notre cœur, qu'elle s'y attache, qu'elle le fortifie, et qu'elle nous rende plus ardents à la pratique des vertus, plus désabusés de toutes les choses du monde, et plus fermes dans toutes celles qui regardent notre avancement et notre perfection. C'est ainsi qu'en usait le grand saint Grégoire : il ne se mettait jamais à la lecture, sans y être préparé par l'oraison, et sans avoir récité ce verset du Psalmiste : Retirez-vous de moi, esprits malins, et j'approfondirai les commandements de mon Dieu.
Ce que nous avons dit doit faire comprendre quelle est l'erreur de ceux qui dès qu'ils ont achevé de lire un livre, ne le relisent plus, quelque bon qu'il soit : s'ils le reprenaient pour en faire une seconde lecture, elle les toucherait beaucoup plus que la première ; une troisième lecture plus que la seconde, et ils y trouveraient toujours un nouveau goût, ainsi que l'éprouvent ceux qui lisent avec un véritable dessein de profiter. C'est une coutume très-louable et très-utile, que celle des personnes qui, lorsqu'elles rencontrent quelque chose dans un livre de piété qui fait quelqu'impression sur elles, ont l'attention de marquer ces endroits, pour avoir ainsi toujours quelque chose de réserve, dont leur âme se puisse nourrir dans ses besoins, et où elles puissent trouver de quoi s'exciter à la ferveur, et de quoi se consoler dans le temps de sécheresses et d'afflictions.

Nous ne croyons pouvoir mieux terminer cet article que par les avis suivants, que nous avons tirés de la retraite du P. Bourdaloue.



AVIS SUR LES BONNES LECTURES,

PAR LE P. BOURDALOUE.



Deux choses contribuent à rendre une lecture utile et salutaire : la qualité du livre qu'on lit, et la manière dont on le lit. Quant à là qualité du livre, quoiqu'il y ait sans doute des livres de piété beaucoup meilleurs les uns que les autres, chacun, dans le choix qu'on en doit faire, peut se consulter soi-même, et suivre là-dessus son attrait. Quelques-uns aiment mieux des livres qui les instruisent, et d'autres préfèrent les livres qui les affectionnent et qui les touchent ; ceux-là prennent plus de goût aux histoires et aux Vies des saints, qui leur mettent devant les yeux des exemples à imiter ; et ceux-ci en ont plus pour les Traités spirituels, qui leur développent le fond des matières, et qui les convainquent par des raisonnements. Quoi qu'il en soit, il importe peu, ce me semble, à quelle sorte de livres on s'attache, pourvu que ce soient de bons livres, c'est-à-dire des livres orthodoxes, édifiants, et dont on puisse tirer du profit pour son avancement et sa perfection.
Mais il ne suffît pas de les lire, il faut les bien lire, car souvent tout dépend de la manière ; et il y a en toutes choses une méthode, qui leur donne plus d'efficace et plus de vertu. Lire à la hâte et comme encourant, c'est s'exposer à ne rien retenir d'une lecture, et a. n'en recevoir nulle impression, puisqu'il n'est pas possible qu'on y fasse alors toute l'attention nécessaire. Les viandes prises avec trop d'avidité, causent ordinairement à la santé plus de dommage que de bien : lire trop à chaque fois et hors de mesure, c'est se remplir l'esprit d'une infinité d'idées, qu'il ne peut plus arranger, et dont il ne lui reste qu'une vue confuse et superficielle. L'excès de nourriture, quelque saine qu'elle soit, charge un estomac, et le met hors d'état de la digérer. Lire pour remarquer certaines sentences ou de l'Écriture ou des Pères, certaines pensées nouvelles et moins communes, c'est faire de la lecture une étude : or, toute étude dessèche le cœur et le distrait. Lire, et s'arrêter, en lisant, à la beauté du style et à la pureté du langage, c'est prendre le change, et s'amuser à des fleurs, au lieu de cueillir des fruits.
De tout ceci il est aisé de conclure comment on doit faire la lecture spirituelle, et quelles règles il faut observer. C'est, 1°, de s'adresser d'abord à Dieu, et d'élever vers lui le cœur pour lui demander les lumières de son esprit ; car il n'y a que Dieu qui donne l'accroissement, surtout à sa parole, soit lue ou entendue ; 2°, de lire posément, et de bien peser les choses, afin qu'elles puissent mieux s'imprimer, et qu'elles s'insinuent doucement dans l'âme, comme une rosée qui tombe goutte à goutte, et qui pénètre ainsi la terre ; 3 °, pour cela, lire peu chaque jour ; estimant beaucoup plus une courte lecture, faite avec réflexion, qu'une autre plus longue, mais aussi plus légère et mal digérée ; 4°, de demeurer à certains endroits dont on se sent plus frappé ; de les repasser et de les goûter, faisant un retour sur soi-même et se les appliquant. De cette sorte, la lecture devient une espèce de méditation ; et c'est un avis très-sage que donnent les maîtres de la vie dévote, aux personnes qui ne sont point encore versées dans la pratique de l'oraison, et qui veulent s'y former, de commencer par ces lectures, et de se contenter d'en tirer quelques bonnes résolutions ; 5° de relire de temps en temps certains livres généralement estimés, et dont on a connu par soi-même l'utilité et la solidité. C'est une erreur dont se laissent prévenir bien des personnes, de ne vouloir jamais lire deux fois le même livre, et de se persuader qu'ayant plu dans une première, il ennuiera dans la seconde. Un livre solide est comme une riche mine, où l'on trouve toujours à creuser et à profiter. Voilà tout ce qui regarde l'exercice de la lecture spirituelle. C'est à nous de mettre en œuvre un moyen de satisfaction aussi efficace que celui-là, qui nous est si aisé et si présent.






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