samedi 19 janvier 2019

De l'Oraison et de la Contemplation, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome I, par le R.P. Jean-Joseph Surin :





CHAPITRE II



De l'Oraison




Qu'est-ce que l'Oraison ?


C'est une élévation de notre esprit, par laquelle nous lions commerce avec Dieu ; nous lui représentons nos besoins ; nous le remercions de ses bienfaits, et nous nous entretenons avec lui par des actes intérieurs de Foi, d'Espérance, de Charité, etc.


Combien y a-t-il de sortes d'Oraisons ?

Il y en a deux ; l'Oraison mentale, et l'Oraison vocale.


En combien d'espèces divise-t-on l'Oraison mentale ?

En trois. L'Oraison de méditation ou de discours, qui convient particulièrement à ceux qui commencent à pratiquer la vertu ; l'Oraison d'affection, qui suppose qu'on a déjà fait quelque progrès ; la contemplation, qui selon le cours ordinaire de la Providence est pour les parfaits, quoique Dieu par sa miséricorde y élève quelquefois ceux qui commencent.


Qu'est-ce que l'Oraison de méditation ?

C'est celle où par des considérations et des raisonnements, on s'instruit des vérités de la Foi, et on en tire des conséquences pratiques pour l'amendement de la vie.


Quels sont les sujets qui peuvent servir de matière à cette Oraison ?

On les trouve dans la vie de Jésus-Christ, et dans les vérités évangéliques.


Comment se fait l'Oraison de méditation ?

Par l'application des facultés de l'âme, qui concourent pour nous faire connaitre nos devoirs, pour nous les faire aimer, et pour nous engager à les pratiquer.


De quelle manière, et dans quel ordre doit se faire cette application des facultés de l'âme ?

Supposons un homme qui veut méditer sur la naissance de Notre-Seigneur. Il faut qu'il se serve de sa mémoire, peur rappeler l'Histoire du mystère ; de son imagination, pour se représenter l'Étable, la Crèche, et les autres circonstances ; de son entendement, pour considérer la pauvreté, la mortification, et l'humilité de Jésus-Christ, et enfin de sa volonté, pour s'exciter à l'amour de ce divin Sauveur, et pour s'encourager à l'imiter.


Combien de temps faut-il employer à l'Oraison ?

Les personnes zélées pour leur propre perfection, ont coutume d'y employer environ une heure le matin, et une demi-heure le soir ; parce qu'elles sont persuadées que l'âme, aussi bien que le corps, a besoin de recourir deux fois le jour à la nourriture, si elle veut réparer ses forces.


Quelle préparation faut-il apporter à l'Oraison ?

On en distingue deux ; la préparation prochaine, et la préparation éloignée.


À quoi oblige la préparation prochaine ?

À prévoir dès le soir le sujet sur lequel on doit méditer le lendemain ; à le rappeler dans son esprit le matin à son réveil, et à se tenir dans le recueillement jusqu'à ce que l'Oraison commence.


En quoi consiste la préparation éloignée ?

Dans ce soin qu'on prend de remplir son esprit des vérités divines, par le moyen de la lecture spirituelle.


(...)


Quelles sont les tentations ordinaires qui détournent de l'Oraison ?

Il y en a trois ; l'ennui qui prend aux personnes qui ne savent pas encore s'entretenir avec Dieu ; le dégoût qui vient de l'aridité où l'on se trouve, et le découragement où l'on tombe à la vue des difficultés qu'il faut vaincre, pour persévérer dans ce saint exercice.


Quel est le remède à l'ennui ?

C'est de se tenir tranquille en la présence de Dieu, envisageant le sujet de la méditation, et cela sans contention, et sans se faire une peine de son peu de facilité.


Que faut-il faire quand on est dans l'aridité ?

Souffrir patiemment cet état ; s'humilier devant Dieu, chercher dans quelque bon Livre de quoi exciter sa ferveur, et surtout ne point se laisser abattre, en se persuadant qu'on perd le temps, parce qu'il ne paraît pas qu'on profite.


Comment se comporter, quand les distractions nous importunent ?

Il faut ramener doucement son esprit au sujet de la méditation. Si ces distractions s'arrêtent dans l'imagination, sans passer plus avant, le plus sûr est de les combattre en les méprisant. Si elles vont jusqu'à détourner l'esprit et le cœur, il est à propos, comme nous avons déjà dit, de recourir à quelque bon Livre, pour fixer son attention, afin de ne pas s'occuper inutilement.


N’y a-t-il point de moyen pour prévenir le découragement qui s’oppose à la persévérance ?

Une ferme résolution d'être tout à Dieu, et le soin de travailler sans relâche à mettre cette résolution en pratique, feront dévorer les plus grandes difficultés, plutôt que d'abandonner l'exercice de l'Oraison.


L'ennui et la tristesse augmentent quelquefois dans la prière, jusqu'à ôter la liberté de penser ; que faut-il faire dans ces rencontres ?


On peut s'animer en chantant quelque Psaume, ou quelque Cantique spirituel, si le lieu où l'on prie le permet. Il serait encore mieux de tenir toujours prêtes certaines considérations touchantes, pour y avoir recours au besoin. Il y a des personnes ferventes, qui dans ces occasions s'arment de quelque instrument de pénitence pour châtier leur corps. C'est un remède efficace contre ces sortes de tentations, et un excellent moyen pour donner de la vigueur à l'esprit.


Quelles sont nos obligations par rapport à l'Oraison vocale ?

Elles se réduisent à ces trois : Fidélité, Respect, Attention. Fidélité à ne manquer à aucune des prières qui sont prescrites. Respect, pour les faire avec esprit de recueillement et de dévotion. Attention, pour suivre le sens des paroles qu'on prononce, quand ce sont des paroles d'une langue qu'on entend.



CHAPITRE III



De l'Oraison d'affection, et de la contemplation




Qu'est-ce que l'Oraison d'affection ?


C'est celle où l'âme déjà instruite, se porte à aimer les vérités divines, sans avoir besoin d'employer le raisonnement pour s'y exciter.


Quels sont les sujets dont on doit s'occuper dans cette sorte d'Oraison ?

Ce sont les mêmes qui servent de matière à l'Oraison de discours. Ces deux sortes de prières ne diffèrent que dans la manière dont on s'occupe de son sujet. L'une donne beaucoup à l'entendement, et dans l'autre, c'est la volonté qui fait presque tout.


Quand est-ce qu'on doit se servir de cette manière d'Oraison ?

Dès qu'on sent de la facilité à s'entretenir intérieurement avec Dieu, les actes discursifs ne sont plus nécessaires, et l'on n'y doit revenir que fort rarement dans l'Oraison.


Quels sont les Livres dont la lecture peut aider ceux qui usent de cette manière d'Oraison ?

En général tous les livres pleins de sentiments et de vérités touchantes, comme celui de l'imitation de Jésus-Christ, les Psaumes, les Soliloques de saint Augustin, etc.


Combien de temps faut-il persévérer dans cette manière d'Oraison ?

Jusqu'à ce qu'il plaise à Dieu de nous élever plus haut, en nous attirant à la contemplation.


Qu'est-ce que la Contemplation ?

C'est un regard amoureux de l'âme, par lequel elle se porte à Dieu sans peine, et pénètre les vérités divines, sans se donner aucun soin.


Y a-t-il plus d'une sorte de Contemplation ?

On en distingue particulièrement deux ; l'ordinaire et l'extraordinaire.


Qu'est-ce que la Contemplation ordinaire ?

C'est un doux repos de l'âme, sans effort et sans application pour se tenir en la présence de Dieu, pour connaître et pour goûter les objets divins qu'elle considère.


Qu'y a-t-il de plus dans la Contemplation extraordinaire ?

Les dons sublimes et les faveurs singulières, comme les visions, les ravissements, les extases.


Dans le repos de la Contemplation, l'âme est-elle toujours occupée de la même manière ?

Non ; elle n'a quelquefois qu'une simple vue qui se termine à Dieu d'une manière générale et confuse, sans rien faire connaître de distinct. Quelquefois aussi elle envisage divers objets qu'elle connaît clairement, et qu'elle distingue.


À quelles marques peut-on connaître que ce repos n'est point une oisiveté ?

Particulièrement à ces trois. 1. l'âme pendant ce repos ne cesse point de tendre à Dieu, quoique d'une manière insensible ; elle jouit d’une grande paix, et ne sent aucun ennui. 2. Elle en sort avec une nouvelle ardeur pour travailler à sa perfection. Elle éprouve en effet, lorsqu'il faut agir, qu'elle a plus de lumière pour connaître le bien, et plus de courage pour le pratiquer. C'est à quoi les Directeurs doivent apporter une attention singulière. Obliger les âmes à quitter ce repos, pour reprendre l'Oraison ordinaire, c'est leur faire le même tort qu'à des voyageurs qui vogueraient en haute mer avec un vent favorable, et qu'on mettrait à terre pour les faire aller à pied.


Faites-nous comprendre par quelque comparaison la différence qui est entre ces manières de prier.


On peut comparer ceux qui font la méditation, à des gens qui vont à pied, qui n'avancent que lentement, et avec beaucoup de fatigue : ceux qui en sont à l'Oraison d'affection, à des gens qui vont à cheval, qui avancent beaucoup plus, sans se donner tant de peine : et ceux qui sont élevés à la contemplation, à des gens qui vont par une voiture douce, qui font bien du chemin en peu de temps, et sans se donner aucun soin.


Que doit-on penser de ce repos dont vous parlez, lorsqu'il est accompagné d'une grande sécheresse, et que l'âme s’y trouve sans goût et sans connaissance distincte ?


On ne doit pas pour cela le condamner, puisqu'il ne laisse pas d'être une véritable contemplation, qui produit d'excellents effets. Et il est aisé de connaître que ce n'est point oisiveté, parce que l'âme y est attentive, tranquille, et sans ennui, parce qu'elle en sort plus recueillie, plus forte et plus généreuse.


L'âme en cet état, n'a-t-elle rien à souffrir de la part des distractions ?

Il peut se faire, et il arrive quelquefois que l'imagination s'égare en courant après divers objets ; mais la tranquillité de l'âme n'en est point troublée, et la douceur de son repos l'emporte sur toutes les distractions.


Y a-t-il quelque méthode pour arriver à la contemplation ?

Il n'y en a point ; tout ce qui dépend de nous, est de n'y mettre aucun obstacle, et de nous y disposer par notre fidélité à pratiquer l'Oraison ordinaire, à embrasser la pénitence, et à nous mortifier sans relâche. Nous  pouvons encore moins nous élever par notre industrie, à cette autre espèce de contemplation, qui est accompagnée de visions et de ravissements : c'est une faveur extraordinaire, et il n'y a que le Saint-Esprit qui ait la méthode pour y conduire les âmes.


Quels avis faut-il donner aux personnes qui sont dans cette voie de contemplation extraordinaire ?

Voici les deux plus importants. 1. Elles ont besoin de beaucoup d'humilité, pour servir de contrepoids à l'élévation de leur état, et afin qu'elles soient portées d'elles-mêmes à préférer la voie commune aux faveurs insignes qu'elles reçoivent. 2. Il faut qu'elles se soumettent à la conduite d'un sage Directeur, ne faisant rien que par son ordre, et ne lui laissant rien ignorer de tout ce qui se passe dans leur âme. Sans cette précaution, elles seraient en danger de tomber dans l'illusion, et de se laisser surprendre aux artifices du malin esprit.


L'âme qui est dans le repos de la contemplation, ne doit-elle jamais rien faire par son industrie ?

Elle peut, lorsque l'impression divine la laisse à elle-même, employer les opérations ordinaires de l'entendement et de la volonté ; mais avec douceur, sans se tirer de son repos, et en se conformant au mouvement de la grâce dès qu'elle se présente. II est rare cependant que les aines parvenues à l'état dont nous parlons, tombent dans cette espèce de besoin ; parce que l'habitude qu'elles ont contractée de ne jamais s'éloigner de la présence de Dieu, suffit pour les occuper, et pour peu de goût qu'elles y trouvent, elles doivent s'en tenir là, plutôt que de recourir à leur première méthode.


D'où vient que la contemplation et l'union divine sont le partage de si peu de gens ?

On peut en apporter plusieurs raisons ; mais surtout celle-ci : c'est qu'il y a très-peu de personnes qui se sèvrent des consolations de la terre, pour s'adonner à la pratique de la mortification, et à l'exercice des vertus chrétiennes.


Quel est le plus grand avantage qu'on tire de l'Oraison ?

C'est une disposition habituelle au recueillement, sans lequel on ne saurait conserver l'esprit de dévotion, qui est une des plus essentielles parties de la sainteté, et de la perfection chrétienne.


Quels bons effets produit ce recueillement habituel ?

Ces trois principalement. Il fixe l'attention de l'âme, et lui donne le goût de la présence de Dieu. Il empêche les égarements de nos pensées et les distractions presque continuelles auxquelles sont sujets ceux qui ne font pas Oraison. Il affranchit notre cœur de l'attache aux choses sensibles, et le conserve dans une grande pureté.


Quel autre moyen avez-vous pour entretenir cet esprit de recueillement, et pour profiter dans l'exercice de l'Oraison ?

Il y en a un très-efficace ; c'est la Mortification.




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