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mardi 14 janvier 2020

Mort de sainte Hildegarde



Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :

 
Notre sainte prophétesse, après avoir eu des lumières aussi extraordinaires sur tant d'autres personnes, a dû, on ne saurait en douter, en recevoir pour elle-même. Nous avons déjà vu, en plusieurs endroits, qu'elle avait connaissance de la longue vie qui lui était réservée; malgré ses fréquentes infirmités et son état languissant, elle annonçait que sa fin n'était pas encore proche (Vit., 1. III, c. II, n. 45 ; c. III, n. 52). Mais enfin, lorsque ce terme fut près d'arriver, elle prédit publiquement à ses religieuses réunies en chapitre le jour précis de sa mort (Act. inquis., n. 2 ; Vit., cap. ult., n. 57).
Elle pouvait s'appliquer dans un autre sens ces paroles du grand apôtre : De peur que la grandeur de mes révélations ne m'enorgueillisse, l'aiguillon de la chair m'a été donné comme un ange de Satan pour me souffleter (II, Cor., XII, 7). Pour elle, cet aiguillon de la chair était la défaillance de la nature qui, cette fois, était l'annonce de la dissolution de son corps. Si c'est une loi de la Providence que l'exaltation et la dépression sont deux termes corrélatifs qui s'appellent mutuellement, il faut, dans l'intérêt même des saints, que Dieu leur fasse sentir leur néant en proportion de l'excellence des dons surnaturels qu'il leur communique. Ici recueillons-nous pour entendre les dernières paroles sorties de cette bouche prophétique. (On se souvient que le miracle de la délivrance d'une énergumène, rapporté au chapitre VIII, s'est opéré au milieu d'une grande crise de l'infirmité de sainte Hildegarde.) Elle parle ainsi : « Après la délivrance de cette énergumène, je fus reprise d'un redoublement de ma maladie : mes veines semblaient épuisées de sang, la moelle de mes os desséchée, mes entrailles arrachées, et tout mon corps alangui par la douleur, comme la verdure est desséchée par l'hiver. Et je vis que les esprits malins triomphaient de joie et disaient en ricanant : Ah ! ah ! Celle-ci va mourir, et ses amis vont pleurer, eux avec qui elle nous couvre de confusion. Mais je ne vis pas que ce fût encore le temps de la sortie de mon âme. Je souffrais de ce nouvel accès depuis plus de quarante jours, lorsqu'il me fut montré dans une vraie vision que je devais visiter plusieurs familles spirituelles d'hommes et de femmes, et leur manifester les paroles que Dieu me révélerait. Comme je tentais d'accomplir cette mission, encore que mes forces corporelles ne fussent pas revenues, mon mal s'adoucit quelque peu. Alors j'exécutai le commandement de Dieu, en apaisant les dissentiments qui existaient dans quelques communautés. La crainte humaine me faisait hésiter à accomplir les indications de la volonté divine. Je fus contrainte d'obéir, par un accroissement de souffrances, comme cela m'était déjà arrivé, et comme Jonas, qui fut affligé de diverses manières, jusqu'à ce qu'il se fût résolu à l'obéissance. » Ainsi, bien qu'accablée par l'âge et les infirmités, la sainte abbesse se livra jusqu'au terme de sa vie à ces courses apostoliques.
Il semble qu'au milieu des luttes et des souffrances qui se rattachaient à ses révélations, Dieu lui accordait cependant des assistances pleines de consolation. On peut en juger par ce qui suit :
« Dans une vraie vision, mon céleste époux m'apparut plein de grâce et de tendresse. Telle fut ma félicité que son aspect inonda tout mon intérieur comme d'un parfum d'une indicible suavité. Je tressaillais d'une joie incompréhensible, et je désirais jouir à jamais de sa présence. Les esprits qui me harcelaient reçurent ordre de s'éloigner. — Retirez-vous, leur dit-il ; je vous défends de la tourmenter. Ces derniers s'éloignaient avec de grands hurlements et en criant : Ah ! pourquoi sommes-nous venus ici, pour nous retirer ainsi avec une telle honte ? Bientôt, à la voix de mon époux, la maladie qui m'avait abattue disparut comme les vagues poussées par le souffle de la tempête. Je recouvrai mes forces comme le pèlerin, à son retour dans sa patrie, reprend possession de ses biens. Ce fut comme une résurrection (Vit., I. III, c. III, n. 53). »
« Après ce rétablissement merveilleux, et sur la demande et les instances pressantes de mon abbé et de ses frères, je dus me mettre à écrire, selon qu'il plut à Dieu, la vie de saint Disibode, à qui j'avais été consacrée dans mon enfance, parce qu'ils n'avaient que de vagues traditions sur ce sujet. Pour cela je recourus d'abord à la prière et à l'invocation du Saint-Esprit ; je tournai mes regards vers la vraie Sagesse qui m'instruisait dans une vision véritable; et selon ses enseignements je mis par écrit la vie et les vertus du saint (Vit. S. Desibodi, ep., inter op. S. Hildeg.). »
« Je composai ensuite le Livre des œuvres divines ; j'y consignai ce que le Tout-Puissant me montra des dimensions du firmament et de la création des corps célestes. » Ainsi, c'est par obéissance à Dieu et à ceux qui tenaient sa place auprès d'elle qu'elle écrivit ses nombreux ouvrages. C'est par le même motif d'humble déférence, et plutôt avec répugnance que par inclination, qu'elle se résigna à tout ce qui paraissait peu convenir à sa vocation. Ainsi, par les travaux et les souffrances, c'est-à-dire par la pratique incessante de l'abnégation sous toutes ses formes, elle sanctifia sa glorieuse vie et la couronna par une bienheureuse mort.
Les filles de sainte Hildegarde rapportèrent ce consolant événement en ces termes à l'historien de sa vie (Vit., c. ult., n. 55 et 57) : « Après tant de laborieux combats, soutenus avec dévouement pour le Seigneur, notre bienheureuse mère, fatiguée de l'exil de la vie présente, soupirait chaque jour plus ardemment après la dissolution de son corps, afin d'être réunie à Jésus-Christ, son époux. Dieu exauçant ce désir de son cœur, lui révéla sa fin comme elle l'avait souhaité, et elle en fit part à ses sœurs publiquement quelques jours à l'avance... Puis, affranchie des liens terrestres par les souffrances d'une dernière maladie, elle s'envola heureusement vers son céleste époux, le xv avant les calendes d'octobre, dans la quatre-vingt-deuxième année de son âge. » C'était à l'aurore du lundi 17 septembre de l'an 1179. C'est aussi le 17 de ce mois que les martyrologes font mention de la sainte.
« Ses filles, dont elle était toute la joie et la consolation, assistèrent, dit le biographe, aux funérailles de leur mère bienheureuse, avec des larmes ardentes. Elles ne doutaient pas de sa félicité, ni des grâces qu'elles recevraient par ses mérites; néanmoins le départ de celle qui avait coutume de les guider, remplissait leur cœur d'une profonde tristesse. Mais, à son trépas même, Dieu manifesta hautement le mérite de cette sainte âme. Au-dessus de la demeure où la bienheureuse avait rendu au Seigneur son âme virginale, deux arcs resplendissants, et d'une couleur différente, apparurent au firmament, et en se dilatant ils s'étendirent vers les quatre points principaux de l'horizon. Au sommet où leur centre se croisait, une lumière brillante de la grandeur du disque de la lune resplendissait au loin et semblait dissiper les ténèbres de la nuit. Dans cette lumière on aperçut une croix radieuse, d'abord petite; puis cette croix, grandissant insensiblement, devint immense et entourée d'innombrables cercles lumineux aux couleurs variées, et dans lesquels se formaient autant de petites croix également entourées de leurs cercles. Lorsque cet éblouissant météore se fut dilaté dans l'espace du ciel, il s'étendit davantage vers l'orient, et semblant s'éloigner peu à peu du monastère, la mystérieuse apparition illuminait toute la montagne. Sans doute Dieu voulut par ce signe montrer de quelle clarté resplendissait dans le ciel son épouse bien-aimée (Vit., c. ult., n. 57, 58). »
S'il nous est permis d'exprimer ici la pensée qui résulte de l'ensemble de toute sa merveilleuse existence, nous dirons que Dieu a voulu glorifier dans la lumière, aux yeux des hommes, cette vraie enfant de la lumière, qui a vécu ici-bas dans la contemplation incessante de la lumière vivante dont le nom revient à chaque ligne de ses écrits, par opposition aux ténèbres de l'enfer, à la nuit de l'ignorance et du péché.
Le témoignage de sa sainteté fut suivi de celui des miracles. « Deux hommes furent guéris d'une grave infirmité au contact de ses saintes reliques. Ses obsèques ayant été religieusement célébrées au milieu d'une grande affluence de peuple, son corps fut déposé avec vénération devant le maître- autel, dans le chœur de l'église qu'elle avait bâtie ; et là, par ses mérites, des grâces sans nombre sont accordées à ceux qui viennent l'invoquer avec foi. Une odeur suave s'exhalant de son sépulcre s'insinue dans ceux qui s'en approchent et semble pénétrer jusqu'au cœur. Nous pensons donc, ou plutôt nous croyons fermement que notre bienheureuse règne dans l'immortalité avec ce Dieu qui, dès cette vie, l'avait comblée de ses dons privilégiés. Gloire et louange soient à lui dans les siècles des siècles (Vit., c. ult., n. 57, 58) ! »
La popularité de la glorieuse thaumaturge s'accrut encore après sa mort, à mesure que les miracles se multipliaient sur son tombeau. Le jour anniversaire de sa sépulture, toutes les populations du pays environnant se rendirent à Saint-Rupert. En peu de temps le concours, croissant toujours, devint immense. Cela fut cause que les miracles cessèrent.
L'affluence populaire était devenue telle que la célébration des offices dans l'église était impossible, et la paix des religieuses, ainsi que la discipline, en étaient grande ment troublées. Ceci ayant été rapporté à l'archevêque de Mayence, ce prélat vint en personne au tombeau de la sainte et lui enjoignit de mettre fin à ses prodiges. Elle observa exactement cette défense, donnant ainsi, même après sa mort, l'exemple de l'obéissance aux supérieurs. C'est ce qui fut répondu à la commission d'enquête nommée par le Pape pour constater les miracles et la sainteté (Act. inquis., n. 10).


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