Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :
Sainte Hildegarde |
Le clergé de Cologne, que la sainte avait visité, la pria de lui donner par écrit « les paroles de vie qu'elle leur avait adressées de vive voix par l'inspiration de Dieu, et d'y joindre ce qui lui avait été révélé à leur sujet (Ep. XLVIII). » La réponse est une longue lettre où, avec les accents énergiques des Prophètes, elle leur reproche leurs vices, l'oubli de la gloire de Dieu, leur négligence du soin des âmes, en même temps qu'elle leur annonce des châtiments.
« Du sein de la lumière vivante, j'ai entendu une voix disant : Ô fille de Sion, la couronne d'honneur penchera sur la tête de tes fils, et le manteau de leurs richesses sera diminué, parce qu'ils n'ont pas connu le temps que je leur ai donné pour voir et pour enseigner les peuples. Puisque vous ne faites pas cela, vous serez réduits à être les esclaves des esclaves, et eux-mêmes ils seront vos juges ; et votre liberté déclinera comme la bénédiction s'est retirée de Chanaan. Ces fléaux ne seront que les précurseurs d'autres fléaux plus terribles qui suivront. Le diable dit en lui-même à votre sujet : Je trouve en eux les choses où ma volonté se complaît. Ils ne veulent pas travailler pour leur Dieu et le comptent pour rien... Vous, ô mes disciples et mes sujets, vous êtes beaucoup plus disciplinés qu'eux devant le peuple. Et parce que vous êtes ainsi, élevez-vous au-dessus d'eux, arrachez-leur leurs richesses et leurs honneurs, et après les avoir dépouillés, étouffez-les. Et ce que le diable dit en lui-même, il l'accomplira en plusieurs par le jugement de Dieu. Mais moi qui suis, je dis à ceux qui entendent : Au temps où ceci s'exécutera par le moyen d'un peuple plongé dans l'erreur, encore pire que celui-ci, la ruine tombera sur vous en châtiment de vos prévarications, et ce peuple vous persécutera et dévoilera vos œuvres. Il les mettra au grand jour, et dira de vous : Ceux-ci sont des scorpions dans leurs œuvres, et leurs œuvres sont des œuvres de serpents. Et comme par le zèle du Seigneur, il vous lancera cette imprécation : La voie des impies périra, car ils extermineront par la dérision et le sarcasme vos voies d'iniquité. Ce peuple qui agira de la sorte, séduit et envoyé par le diable, viendra, la face pâle, se composera un masque de sainteté, et il gagnera les plus puissants princes du siècle. Ils leur parleront ainsi de vous : Pourquoi retenez-vous et souffrez-vous la société de ceux-ci qui souillent toute la terre de leurs iniquités immondes ? Ils sont livrés à l'ivresse et à la luxure, et si vous ne les rejetez pas de vous, c'en est fait de toute l'Église. »
Puis la sainte continue de peindre à grands traits ces réformateurs austères, ces loups cachés sous la peau de brebis ; car le démon qui est dans ces faux prophètes leur donnera les dehors des vertus opposées aux vices régnants, du désintéressement et même de la chasteté.
« Et le diable dit encore en lui-même : Dieu aime la chasteté et la continence ; je leur en donnerai l'apparence. Et cet ennemi ancien les enfle d'orgueil de leurs fausses vertus, et ils se montrent ainsi aux hommes revêtus d'une sainteté illusoire... Alors le peuple applaudira leur vie, parce qu'ils lui paraîtront justes.
Et lorsque ceux-ci auront ainsi accrédité leur erreur, ils persécuteront et chasseront de toutes parts les docteurs et les sages qui persévéreront dans la foi catholique ; mais cependant pas tous, parce que quelques-uns sont de vaillants soldats dans la justice de Dieu. Et de plus, certaines congrégations de saints dont la vie est pure ne pourront être ébranlées. C'est pourquoi ils conseillent aux princes et aux riches de contraindre par la violence ces pasteurs de l'Église, et les autres hommes spirituels leurs disciples à devenir justes.
C'est ce qui s'accomplira en quelques-uns, et les autres trembleront. Néanmoins, comme jadis il fut dit à Élie, beaucoup de justes seront conservés, qui ne donneront pas dans ces erreurs, et qui demeureront inébranlables.
Or, ces séducteurs commenceront leurs succès par la séduction des femmes, ce qui fera qu'ils s'écrieront dans le délire de leur orgueil : Nous avons triomphé de tous ! Mais leur feinte justice ne se soutiendra pas, et bientôt leur corruption se trahira. C'est ainsi que l'iniquité purgera l'iniquité, et que vos œuvres mauvaises se convertiront en vengeance... Ainsi votre honneur périra, et votre couronne tombera de votre tête. C'est ainsi que la justice céleste, provoquée par vous, recherchera vos scandales. Il faut que les œuvres d'iniquité soient purgées par les tribulations et les brisements. Or, ces hommes sans foi et séduits par le diable seront votre balai et votre fléau, parce que vous n'adorez pas Dieu purement ; et ils vous tourmenteront jusqu'à ce que vos iniquités et vos justices mêmes soient purifiées. Ces imposteurs ne sont pas ceux qui doivent précéder le dernier jour ; mais ils en sont le germe et les précurseurs. Toutefois, leur triomphe n'aura qu'un temps. Alors ce sera l'aurore de la justice, et votre fin sera meilleure que votre commencement ; et instruits par tout le passé, vous resplendirez comme un or très-pur, et vous demeurerez ainsi assez longtemps. Car la première aurore de justice se lèvera alors dans le peuple spirituel, comme lorsque dans le principe il commença à se former et était encore un petit nombre... Ce peuple spirituel sera affermi dans la justice par la terreur des fléaux passés, comme les anges furent confirmés dans l'amour de Dieu par la chute du diable... Et les hommes admireront comment une si forte tempête a pu finir par un tel calme... et c'est ainsi que le résultat final de cette erreur sera la confusion du siècle. »
Le tableau est complet et d'une vérité saisissante. Rien n'y manque, ni la cause de l'hérésie qui, de l'aveu de tous, est la corruption-générale et les scandales du clergé ; ni le caractère des novateurs, apôtres de la prétendue réforme ; ni le but providentiel de Dieu qui fait servir la tempête à purifier l'atmosphère, à balayer (scopa vestra crunt) l'aire de son église et à purifier le grain ; ni enfin l'issue finale qui est la décadence de l'hérésie, la rénovation religieuse qui s'accomplit déjà visiblement sous nos yeux, et les jours de prospérité qui nous sont annoncés pour un avenir désormais prochain.
Remarquons encore que cette prophétie regarde spécialement la ville de Cologne, où la séduction n'a pas entièrement prévalu, et que quelques traits de la prédiction peuvent se rapporter à un événement qui s'est passé à quelque temps de là dans cette cité.
Ces observations trouvent également leur application dans une épître adressée, dans des circonstances analogues, à l'Église de Trèves, et qui complète et explique tout à la fois la lettre adressée au clergé de Cologne. Sainte Hildegarde avait donné des avertissements sévères à la ville de Trèves. Les menaces divines qu'elle leur avait fait connaître s'étaient déjà en partie réalisées, parce qu'on avait négligé d'en éviter les effets par la pénitence. C'est alors que le clergé de cette église, de concert avec le prévôt de Saint-Pierre, pria la sainte de leur donner ces avertissements par écrit, afin que ce fût pour la postérité un monument de la justice de Dieu et de sa miséricorde, comme aussi de la vérité de la révélation faite à la bien-aimée confidente et interprète de ses secrets (Ep. XLIX). Voici le début de la réponse : « Moi, la chétive forme, qui n'ai ni santé, ni force, ni courage, ni doctrine, mais qui suis soumise aux maîtres, j'ai entendu du sein de la lumière mystique de la vision véritable ces paroles dirigées contre les prélats et les clercs de Trèves. » Elle leur adresse alors des reproches analogues à ceux de sa lettre à l'église de Cologne. Elle démontre par l'histoire « que Dieu ne laisse jamais sans châtiment la transgression de ses préceptes. » Elle prédit d'abord à la fille de Sion un déclin dans sa prospérité et une diminution dans sa puissance.
« Des hommes puissants désoleront beaucoup de villes et de cloîtres. J'ai vu et entendu que ces périls et ces désastres arriveront aux villes et aux cloîtres pour punir la transgression de l'obéissance et des autres préceptes. J'ai vu qu'au milieu de ces prévarications quelques-uns s'attacheront à Dieu et soupireront vers lui, comme autrefois Élie. » Le reste de la prophétie annonce une ère de rénovation, où la piété refleurira.
Dans ses courses apostoliques, la sainte avait visité l'abbaye de Kircheim (Ep. XXXII. — Kircheim est une ville du royaume de Wurtemberg). L'abbé Werner, avec ses religieux, la pria plus tard de leur écrire les paroles qu'elle leur avait fait entendre par l'inspiration du Saint-Esprit. Dans une très-belle allégorie, la sainte représente l'Église éplorée, exhalant des plaintes lamentables contre les désordres des ecclésiastiques et leurs péchés envers le corps et le sang du Christ. « Pour la punition de ces crimes, ajoute-t-elle, le ciel et la terre s'uniront contre vous ; car, ô vous, qui négligez mon culte, les princes et un peuple puissant se rueront sur vous ; ils vous rejetteront et vous chasseront, et vous enlèveront vos richesses, parce que vous n'avez pas rempli le devoir de votre office sacerdotal. Et ils diront de vous : Expulsons de l'Église ces prévaricateurs pleins d'avarice et de tout mal ; et en cela ils prétendront servir Dieu, parce qu'ils diront que l'Église est souillée par vous. Alors s'accomplira ce que dit l'Écriture : Pourquoi les nations ont-elles frémi ? pourquoi les peuples ont-ils médité des choses vaines ? Les rois de la terre se sont levés, et les princes se sont unis (Ps. 2). Car par la permission de Dieu plusieurs nations commenceront à frémir sur vous dans leurs jugements, et beaucoup de peuples méditeront sur vous des choses vaines, lorsqu'ils compteront pour rien votre office sacerdotal et votre consécration. Dans cette destruction ils seront secondés par les rois de la terre, attirés eux-mêmes par l'appât des richesses ; et les princes s'entendront pour vous bannir au-delà de leurs frontières, parce que par vos œuvres détestables vous avez éloigné de vous l'Agneau sans tache... Et j'ai vu un glaive nu, suspendu en l'air... et ce glaive séparait certains lieux du peuple chrétien, comme Jérusalem a été retranchée après la passion du Sauveur. Cependant j'ai vu que, dans cette calamité, Dieu se réservera plusieurs prêtres consciencieux, purs et simples.
Ces trois prophéties, qui, comme on voit, n'en font pour ainsi dire qu'une, ont trouvé leur accomplissement littéral dans la grande convulsion religieuse du XVIe siècle, ainsi qu'il serait facile de le démontrer, l'histoire à la main. Il existe cependant entre elles une différence bien sensible. Les illustres cités de Cologne et de Trèves ont résisté à l'épreuve ; elles en sont sorties plus pures et plus glorieuses que jamais, par leur foi et leurs œuvres catholiques. La même promesse n'avait pas été faite à Kircheim ; aussi a-t-elle eu un sort bien moins heureux.
Pratique : Faites pénitence. Oublier de faire pénitence, c'est appeler de grands châtiments.
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