LA SAGESSE ÉTERNELLE DANS LA CRÉATION
« La Sagesse a commencé d’éclater hors du sein de Dieu… lorsqu’elle a fait la lumière, le Ciel et la terre. Saint Jean dit que tout a été fait par le Verbe, c’est-à-dire la Sagesse Éternelle : Omnia per ipsum facta sunt (I, 3). Elle est la mère et l’ouvrière de toutes choses : Horum omnium mater est. Omnium artifex Sapientia… (Sap. VII, 12 et 21).
Cette Beauté souverainement droite, après avoir créé le monde, y a mis la belle ordonnance que nous admirons. Elle a séparé, elle a composé, elle a ajouté, elle a compté tout ce qui est. Elle a étendu les Cieux ; elle a placé le soleil, la lune, les étoiles et les planètes avec ordre. Elle a posé les fondements de la terre ; elle a donné des bornes et des lois à la mer et aux ondes jaillissant des hauteurs. Elle a formé les montagnes ; elle a tout pesé et balancé jusqu’aux fontaines. Enfin, dit-elle, j’étais avec Dieu, et je réglais toutes choses avec une justesse si parfaite que c’était une espèce de jeu que je jouais pour me divertir et divertir mon Père : Cum eo eram cuncta componens ; et delectabar per singulos dies, ludens coram eo omni tempore, uldens in orbe terrarum (Prov. VIII, 30, 31).
Ce jeu ineffable de la divine Sagesse se voit, en effet, dans les différentes créatures de l’univers. Car, sans parler des différentes espèces d’anges, qui sont, pour ainsi dire, infinis en nombre ; sans parler des différentes grandeurs des étoiles, ni des différents tempéraments des hommes, quel admirable changement ne voyons-nous pas dans les saisons et dans les temps, quelle variété d’instincts dans les animaux, quelles différentes espèces dans les plantes, quelles différentes beautés dans les fleurs, quels différents goûts dans les fruits ! Quis sapiens, et intelliget haec ? (Ps. CVI, 43). Qui est celui à qui la Sagesse s’est communiquée ? Celui-là seul aura l’intelligence de ces mystères de la nature.
La Sagesse les a révélés aux saints, comme nous voyons dans leurs vies, et ils ont été quelquefois si surpris de voir la beauté, la douceur et l’ordre de la divine Sagesse dans les plus petites choses, comme une abeille, une fourmi, un épi de blé, une fleur, un petit ver de terre, qu’ils en tombaient dans l’extase et le ravissement » (ASE, N° 31-34).
Admirer dans la nature, au cours des saisons comme au long des jours, ces merveilles de l’Éternelle Sagesse ; en profiter chaque fois pour la remercier, la bénir d’un élan du cœur, c’est porter en soi une âme d’oraison.
« Si la puissance et la douceur de la sagesse Éternelle a tant éclaté dans la création, la beauté et l’ordre de l’univers, elle a brillé bien davantage dans la création de l’homme, puisqu’il est son admirable chef-d'œuvre, l’image vivante de sa beauté et de ses perfections, le grand vaisseau de ses grâces, le trésor admirable de ses richesses, et son représentant unique sur la terre : Sapientia tua fecisti hominem, ut dominaretur omni creaturae quae a te facta est (Sap. IX, 2) » (N° 35).
Saint Louis-Marie de Monfort écrit ici, à la gloire de cette puissante Ouvrière, une page magnifique sur la beauté et l’excellence originelle de l’homme : « Elle fit, pour ainsi dire, des copies et expressions brillantes de sont entendement, de sa mémoire et de sa volonté, et les donna à l’âme de l’homme pour être le portrait vivant de la Divinité. Elle alluma dans son cœur un incendie de pur amour pour Dieu ; elle lui forma un corps tout lumineux, et elle renferma en lui, comme en raccourci, toutes les perfections différentes des anges et des autres créatures.
« Tout dans l’homme était lumineux sans ténèbres, beau sans laideur, pur sans souillures, réglé sans désordre et sans aucune tache ni imperfection. Il avait pour apanage la lumière de la sagesse dans son esprit, par laquelle il connaissait parfaitement son Créateur et ses créatures ; il avait la grâce de Dieu dans son âme, par laquelle il était innocent et agréable aux yeux du Très-Haut. Il avait dans son corps l’immortalité. Il avait le pur amour de Dieu dans son cœur sans crainte de la mort, par lequel il l’aimait continuellement sans relâche, et purement pour l’amour de lui-même. Enfin, il était si divin, qu’il était continuellement hors de lui-même, transporté en Dieu, sans qu’il eût aucune passion à vaincre ni aucun ennemi à combattre ! O libéralité de la Sagesse Éternelle envers l’homme ! O heureux état de l’homme dans son innocence ! » (N° 37-38).
Mais voilà que l’homme pèche et perd cette innocence, cette beauté, cette immortalité. Il perd tous les biens qu’il avait reçus. Il se voit condamné à la mort, chassé du paradis terrestre et de la présence de Dieu. Il voit la justice de Dieu qui le poursuit avec sa postérité ; il voit le Ciel fermé et l’enfer ouvert, et personne pour lui ouvrir l’un et fermer l’autre.
Que va faire la Sagesse Éternelle ?
LA SAGESSE ÉTERNELLE APRÈS LA CHUTE DE L’HOMME
« Elle est vivement touchée du malheur du pauvre Adam et de tous ses descendants. Elle voit, avec un grand déplaisir, son vaisseau d’honneur brisé, son portrait déchiré, son chef-d'œuvre détruit, son représentant sur la terre renversé. Elle prête tendrement l’oreille à sa voix gémissante et à ses cris. Elle voit avec compassion les sueurs de son front, les larmes de ses yeux, les peines de ses bras, la douleur de son cœur et l’affliction de son âme.
« Il me semble voir cette aimable Souveraine rappeler et assembler une seconde fois, pour ainsi dire, la Sainte Trinité, pour réparer l’homme, comme elle avait fait pour le former. Il me semble que, dans ce grand conseil, se livre une espèce de combat entre la Sagesse Éternelle et la Justice de Dieu.
« La Sagesse dit qu’à la vérité l’homme mérite, par son péché, le sort des anges rebelles, mais qu’il faut avoir pitié de lui, parce qu’il a plus péché par faiblesse et ignorance que par malice. Elle représente, d’un côté, que c’est un grand dommage qu’un chef-d'œuvre si accompli demeure pour jamais l’esclave de son ennemi, et que des millions d’hommes soient à jamais perdus par le péché d’un seul. Elle montre, de l’autre, les places du Ciel vacantes par la chute des anges apostats, qu’il est à propos de remplir, et la grande gloire que Dieu recevra dans le temps et l’éternité si l’homme est sauvé.
« La Justice répond que l’arrêt de mort est porté contre l’homme et ses descendants, et qu’il doit être exécuté sans remise et sans miséricorde… ; que l’homme est un ingrat pour les bienfaits qu’il a reçus, qu’il a suivi le démon en sa désobéissance et son orgueil, et qu’il le doit suivre sans ses châtiments, parce qu’il faut nécessairement que le péché soit puni.
« La Sagesse Éternelle, voyant qu’il n’y avait rien dans l’univers qui fût capable d’expier le péché de l’homme, de payer la Justice et d’apaiser la colère de Dieu, et voulant cependant sauver l’homme qu’elle aimait d’inclination, trouve un moyen admirable. Chose étonnante, amour incompréhensible qui va jusqu’à l’excès, cette aimable et souveraine Princesse s’offre elle-même en sacrifice à son Père pour payer sa justice, pour calmer sa colère et pour nous retirer de l’esclavage du démon et des flammes de l’enfer, et nous mériter une éternité de bonheur.
« Son offre est acceptée. Le conseil en est pris et arrêté : la Sagesse Éternelle, ou le Fils de Dieu, se fera homme dans le temps convenable et dans les circonstances marquées » (N° 41-46).
En attendant ce temps de son Incarnation, elle témoignera de toutes manières, aux descendants d’Adam, l’amitié qu’elle leur porte, le grand désir qu’elle a de leur communiquer ses faveurs et de s’entretenir avec eux : « Mes délices, a-t-elle dit, sont d’être avec les enfants des hommes ». Deliciae meae esse cum filiis hominum (Prov. VIII, 34).
De la sorte, elle a préservé de la damnation tous ceux qui ont eu foi en sa venue. Elle a conservé Adam et l’a délivré de sa faute par le repentir et l’expiation. Lorsque le déluge inonda la terre à cause de Caïn et de sa descendance perverse, elle sauva encore le monde en gouvernant le juste Noé, toujours docile à ses ordres. Avant Noé et après lui, c’est elle qui forma tous les saints Patriarches, gardiens et transmetteurs de la Révélation primitive.
Lorsque les nations conspirèrent ensemble pour s’abandonner au mal, elle s’est préparé, en la personne d’Abraham, un peuple de croyants. Elle le retira de la Chaldée, son milieu d’origine, pour le fixer en terre chananéenne, dans ce pays qui la verrait s’incarner (Sap. X).
L’auteur de l’Ecclésiastique (ch. XXIV) nous la montre établissant sa résidence en Israël, chez le peuple élu :
Chez tous les peuples et toutes les nations, j’ai régné.
Parmi eux tous j’ai cherché le repos,
J’ai cherché en quel patrimoine m’installer.
Alors le Créateur de l’univers m’a donné un ordre,
Celui qui m’a créée m’a fait dresser ma tente.
Il m’a dit : Installe-toi en Jacob,
Entre dans l’héritage d’Israël.
Dans la Tente sainte, en sa présence, j’ai officié ;
C’est ainsi qu’en Sion je suis établie,
Et que dans la cité bien-aimée
J’ai trouvé mon repos,
Qu’en Jérusalem j’exerce mon pouvoir.
Établie en Israël, la Sagesse y a vigoureusement poussé ses racines :
Je me suis enracinée chez un peuple plein de gloire,
Dans le domaine du Seigneur, en son patrimoine.
Elle y a pris des accroissements magnifiques. Elle y a porté des fruits incomparables de sainteté. Pour les décrire, l’auteur inspiré a recours aux comparaisons les plus poétiques, qu’il continue de placer dans la bouche de la Sagesse :
J’ai grandi comme le cèdre du Liban,
Comme le cyprès sur le mont Hermon.
J’ai grandi comme le palmier d’Engaddi,
Comme les plants de roses de Jéricho,
Comme un olivier magnifique dans la plaine,
J’ai grandi comme un platane.
Après ces comparaisons avec les arbres les mieux venus, ou dont les fruits sont les plus appréciés, en voici d’autres avec les parfums végétaux les plus recherchés :
Comme le cinnamonme et l’apalathe
J’ai donné du parfum,
Comme une myrrhe de choix, j’ai embaumé,
Comme du glabanum, de l’onyx et du stacte,
Comme la vapeur d’encens dans la Tente.
Enfin, deux dernières comparaisons nous disent sa prodigieuse fécondité :
J’ai étendu mes rameaux comme le térébinthe,
Ce sont des rameaux de gloire et de grâce.
Je suis comme une vigne aux pampres charmants,
Et mes fleurs sont des produits de gloire et de richesse.
Aussi, voyons-nous sortir de ce peuple privilégié d’illustres et saints personnages comme Moïse, Samuel, Élie, Élisée ; des poètes de génie qui nous ont laissé les Psaumes et les Livres sapientiaux ; de grands Voyants dont nous admirons les écrits prophétiques. L’Église s’en sert tout au long de son année liturgique.
Entre les cinq Livres sapientiaux, celui de « La Sagesse », composé au 1er siècle avant Jésus-Christ, a immédiatement préparé l’Évangile. Il déborde d’éloges sur les excellences, les beautés, les amabilités de la Sagesse Éternelle, et sur le désir qu’elle a de gagner le cœur de l’homme. Ce Livre, nous dit Montfort, a été écrit exprès pour cela : il faut le considérer comme une lettre d’une amante à son amant pour gagner son affection. Les désirs qu’elle y témoigne du cœur de l’homme sont si empressés, les recherches qu’elle y fait de son amitié sont si tendres, ses appels et ses vœux y sont si amoureux, qu’à l’entendre parler vous diriez qu’elle n’est pas la Souveraine du ciel et de la terre et qu’elle a besoin de l’homme pour être heureuse.
Tantôt, pour trouver l’homme, elle court dans les grands chemins ; tantôt elle monte sur la pointe des plus hautes montagnes ; tantôt elle vient aux portes des villes ; tantôt elle entre jusque dans les places publiques, au milieu des assemblées, criant le plus haut qu’elle peut : O hommes ! O enfants des hommes, c’est à vous que ma voix crie depuis si longtemps. O viri, ad vos clamito, et vox mea ad filios hominum (Prov. VIII, 4). C’est vous que je désire, c’est vous que je cherche, c’est vous que je réclame. Écoutez, venez à moi : je veux vous rendre heureux…
Et comme si les hommes craignaient encore, à cause de son éclat merveilleux et de sa majesté souveraine, de s’approcher d’elle… elle leur fait dire qu’elle est d’un accès facile ; qu’elle se laisse aisément voir à ceux qui l’aiment ; qu’elle prévient ceux qui la désirent ; qu’elle se montre à eux la première, et que celui qui se lèvera matin, pour la chercher, n’aura pas beaucoup de peine, car il la trouvera assise à sa porte. (ASE, N° 65, 66, 69).
Cependant, si malgré ces désirs empressés de la Sagesse Éternelle, des milliers d’années se sont écoulées avant son Incarnation, c’est que la réponse des hommes n’avait pas encore assez de force pour l’attirer du sein de son Père.
Les saints de l’ancienne Loi, il est vrai, ont demandé le Messie avec d’instantes prières. Ils gémissaient, ils pleuraient, ils s’écriaient : O nues, pleuvez le Juste ! O terre, germez le sauveur ! O Sagesse qui êtes sortie de la bouche du Très-Haut… venez nous délivrer (Grande Antienne de l'Avent). Mais leurs appels et leurs sacrifices n’étaient pas d’un assez grand prix pour mériter cette grâce des grâces. Le peuple élu lui-même, malgré les avertissements, les remontrances de ses Prophètes, s’était montré tant de fois prévaricateur. Et le monde, au dire de saint Augustin, l’immense monde païen était indigne de recevoir le Fils de Dieu immédiatement des mains du Père.
Il n’y a eu que l’humble Marie qui ait mérité, par la force de ses prières et la hauteur de ses vertus, de voir le Verbe éternel, la Sagesse Éternelle, se faire homme en son sein. Ce qui nous montre quel Trésor infini est cette divine Sagesse, et quel ardent désir nous devons voir de la posséder, à l’exemple du Père de Montfort qui chantait :
Digne Mère de Dieu, Vierge pure et fidèle,
Communiquez-moi votre foi ;
J’aurai la Sagesse par elle,
Et tous les biens viendront en moi.
Sagesse, venez donc par la foi de Marie,
Vous n’avez pu lui résister ;
Elle vous a donné la vie,
Elle vous a fait incarner.
(Cant. N° 74)
(Père Dayet, Exercices préparatoires à la consécration de Saint Louis-Marie de Montfort)
Reportez-vous à Élévation à Dieu à la vue de ses créatures, Dieu béni dans les oiseaux, ABRÉGÉ DU CATÉCHISME DE PERSÉVÉRANCE, PREMIÈRE PARTIE, Leçon IV : Connaissance de Dieu par ses ouvrages, 1er Jour de la Création, Nous sommes des grands blessés, Cantique des créatures ou Cantique de frère soleil, Sur la vaine curiosité, L'inimitié entre Satan et Marie, La terre se couvrit de ronces et d'épines, et Je comparerai mes péchés aux péchés d'Adam.
Pages
▼