Nous avons annoncé qu’il faut rapporter encore à la concupiscence des yeux la curiosité vaine. Les yeux doivent alors s’entendre de l’intelligence, d’une intelligence qui cherche à posséder :
Soit des connaissances inutiles et frivoles,
Soit certaines sciences mauvaises,
Soit même les sciences véritables, mais d’une manière insuffisante, ou excessive, ou simplement égoïste.
La vaine curiosité se porte le plus communément sur le désir de savoir, sans raison aucune, tout ce qui se passe dans le monde et autour de soi, les nouvelles insignifiantes qui circulent, ce qu’indistinctement rapportent les journaux et la radio : et aussi les secrets des familles, la conduite et les affaires du voisin, les agissements, les intrigues, les manières d’agir de celui-ci et de celui-là… « Ô Dieu, s’écriait Bossuet, quelle pâture pour les âmes curieuses, et par là vaines et faibles (Traité de la Concupiscence, chap. VIII) ! »
Et quelle porte ouverte à l’esprit du siècle ! Aussi les mondains excellent-ils dans l’acquisition de cette science superficielle et vide. Elle satisfait leur légèreté, elle occupe leur temps, elle emplit leur existence de vent et d’ombre. Fascinés par ces riens, ils ferment les yeux intérieurs à la seule science nécessaire qui est celle du salut.
Lorsque cette curiosité accapare une âme chrétienne ou consacrée, elle lui devient « une cause comme infinie de distractions et de préoccupations ; elle développe le sens humain, les goûts terrestres. Elle est le contraire du recueillement, elle rend l’oraison à peu près impossible et mine la vie intérieure (Mgr Gay, Vie et vertus chrétiennes. De l’humilité) ».
À ces connaissances inutiles et frivoles il faut encore ajouter les sciences mauvaises qui excitent la curiosité superstitieuse d’un grand nombre. Leur désir immodéré de connaître les pousse jusqu’à consulter des maîtres réprouvés. C’est un fait d’expérience : le monde oriente invariablement ses adeptes vers les détenteurs de sciences occultes. Il leur persuade qu’ils pourront ainsi pénétrer les secrets de l’avenir, acquérir une science capable de suffire en face du redoutable mystère de l’au-delà.
Dans son livre sur l’Amour de la Sagesse éternelle, le P. de Montfort mettait les chrétiens en garde contre ces sortes de sciences fausses et trompeuses (N° 85-89). Si les manifestations qu’il dénonce, et qui sévissaient de son temps, semblent des procédés aujourd’hui vieillis, la ruse du monde n’a pas changé pour autant. De nos jours encore, « que de cartomanciennes, que de devineresses, que de spirites, que de spéculateurs et prometteurs de toutes sortes de choses cachées, ou de bonheur et de vie facile ! Que de superstitions sont le fait d’une foule de personnes qui se vantent encore d’être chrétiennes ! Personne ne niera que l’argent qu’elles y perdent, le temps qu’elles y passent et leur foi qu’elles ébranlent, ne soient des faits quotidiens (Note du P. Huré, montfortain, dans l’édition de 1929, p. 135) ».
Montfort concluait que s’appliquer à de telles sciences, c’est faire injure à Jésus-Christ, la Sagesse incarnée, en qui sont tous les trésors de la Sagesse et de la Science de Dieu.
Enfin, pour ce qui concerne les sciences véritables, humaines ou divines, il faut garder notre esprit d’un triple péril : celui de ne point faire converger tout rayon de lumière vers la Lumière éternelle, objet de notre félicité ; celui de vouloir scruter avec excès les secrets de la grâce, qui dépassent la portée de notre intelligence ; celui de vouloir amasser des connaissances sans aucun désir d’apostolat.
Curiosité périssable ; curiosité présomptueuse et téméraire ; curiosité devenue égoïsme.
— Toute science qui n’élève pas notre âme vers les réalités immortelles est une science caduque. Connaître Jésus-Christ, auteur de la grâce, c’est la vie éternelle, c’est la vie tout court, car il n’y a pas pour nous de vie vraie, différente de celle de l’Esprit du Christ en nous. Il importe donc de surnaturaliser nos études, de les orienter toujours vers cette vérité divine qui est le Christ. Alors, notre science, même profane, s’épanouira dans la lumière, au lieu d’être seulement le fruit éphémère d’une activité naturelle.
— Quant à la vérité divine elle-même, apportons à la contempler le regard humble de ces cœurs simples et droits à qui Dieu daigne se révéler. Ne recherchons pas ce qui nous dépasse. Sachons nous borner et tenir compte des limites assignées à notre exil. Celui qui voudra scruter la majesté sera opprimé par la gloire (Prov. XXV, 27). L’histoire ecclésiastique est pleine de la chute de savants esprits, curieux à outrance. « Combien ont trouvé leur perte dans la trop grande méditation des secrets de la prédestination et de la grâce ! » (Bossuet). Le mystère de la prédestination et de la réprobation est impénétrable, nous ne pouvons qu’en balbutier quelque explication. Soyons donc sobres et modérés dans l’étude de ces questions relevées, ainsi que saint Paul nous y exhorte, tout en nous recommandant la science et la sagesse : Non plus sapere quam oportet sapere, sed sapere ad sobrietatem (Rom., XV, 3). « Croyons simplement aujourd’hui ; demain les voiles tomberont, la grande vision apparaîtra, et le mystère aura disparu pour toujours (Mgr Gay, Vie et vertus chrétiennes. De l’humilité) ».
— Enfin gardons-nous de cet autre travers, qui consiste à recueillir et amasser des connaissances même surnaturelles, uniquement pour soi, pour sa propre satisfaction, comme un trésor improductif, ce qui serait l’avarice de l’esprit. Dieu ne nous a pas donné le goût et la capacité de connaître, d’étudier, pour notre seule jouissance personnelle. L’intelligence, comme l’argent, ne sert qu’à condition d’être utilisée dans l’intérêt du prochain. Nos facultés ne nous appartiennent pas : elles nous ont été prêtées par Dieu comme un dépôt à faire fructifier. La connaissance de la vérité, et surtout de la vérité révélée, confère à qui la possède le devoir de la répandre. Que notre science s’épanouisse en désir d’apostolat.
Pour achever de nous détourner à jamais de cet esprit du monde, sous son double aspect d’avarice et de curiosité, rendons-nous compte maintenant qu’il vient en droite ligne de Satan, l’adversaire de Dieu et l’ennemi de nos âmes. Sur ce point particulier, nulle part sa tactique de corrupteur ne se montre à découvert comme dans la tentation de nos premiers parents au paradis terrestre et dans la tentation du nouvel Adam au désert de Judée.
Au paradis terrestre, nos premiers parents avaient tout en abondance. Ils n’éprouvaient aucun besoin de toucher au fruit marqué de la défense divine. C’est pourquoi le démon se garde bien de leur proposer un surcroît de richesses ou de bien-être, mais il s’attaque à leur intelligence. Devant les yeux de leur esprit, il ouvre une curiosité comme infinie, en promettant la possession d’une science qui leur permettra de découvrir jusqu’aux secrets de la conduite de Dieu : « Non, vous ne mourrez point en mangeant du fruit de cet arbre. Dieu sait au contraire que le jour où vous en mangerez, vos yeux seront ouverts ». Aperientur oculi vestri.
Vos yeux seront ouverts, c’est-à-dire votre esprit s’ouvrira à une science supérieure inconnue jusqu’ici. Les lumières que vous en avez ne sont rien en présence de celles que vous dérobe encore la vertu cachée dans ce fruit. Par cette science vous serez éclairés sur toutes les choses qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux. Vous pénétrerez par vous-mêmes dans cette connaissance mystérieuse et réservée du bien et du mal dont Dieu semble si jaloux.
Et voilà la terrible convoitise éveillée en leur esprit. Adam et Ève s’y laissèrent prendre.
Au désert de Judée, la situation était totalement différente. Pendant son jeûne de quarante jours, Jésus vivait dans le dénuement le plus absolu. Aussi le démon, vaincu sur la tentation de la faim, propose-t-il de suite au Sauveur la séduction des richesses de ce monde. Selon le récit de saint Luc (III, 5-8), il le transporta alors sur une montagne très élevée, d’où il découvrit à ses yeux en un instant tous les royaumes de l’univers avec leur magnificence et leurs trésors : « Je te donnerai tous ces biens, je t’établirai le possesseur de toute cette opulence, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi ! »
D’un mot de commandement, Jésus repoussa le tentateur dont la tactique était la même qu’au paradis terrestre. Que le démon s’en prenne aux yeux de notre esprit ou à ceux de notre corps, son but sera toujours d’attirer les humains vers une félicité mensongère, par la promesse de biens qui nous détournent de Dieu et nous jettent à ses pieds.
Ainsi a-t-il infusé dans le monde cet esprit de possession, justement dénommé par l’apôtre saint Jean concupiscence des yeux ; des yeux qui veulent se repaître de la richesse pour elle-même, ou des yeux qui veulent s’ouvrir sur la connaissance du péché. Les yeux s’ouvrent alors, en effet, mais c’est « pour voir son malheur et un désordre en soi-même qu’on n’aurait jamais vus sans cela » (Bossuet). Quant aux yeux avares ou cupides, leur misérable délectation n’aura qu’un temps.
(Père Dayet, Exercices préparatoires à la consécration de Saint Louis-Marie de Montfort)
« Que si on demande si la concupiscence est détruite par le Baptême ? On doit répondre que non ; qu'elle reste dans ceux qui sont régénérés pour leur être une occasion continuelle de combattre. » (La Tradition de l’Église sur le péché originel)
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