De qua natus est Jesus.
C'est de Marie qu'il nous est né un Sauveur. (S. Matth., 1, 16.)
Voilà, M.F., en deux mots, l'éloge le plus complet que l'on puisse faire de Marie, en disant que c'est d'elle que nous est né Jésus Fils de Dieu. Oui, Marie est la plus belle créature qui soit jamais sortie des mains du Créateur. Dieu lui-même la choisit, pour être le canal par lequel il devait faire couler ses grâces les plus précieuses et les plus abondantes sur tous ceux qui auraient confiance en elle. Dieu nous la représente comme un beau miroir où il se reflète comme un modèle accompli de toutes les vertus. Aussi voyons-nous que l'Église la considère comme sa Mère, sa patronne et sa puissante protectrice contre ses ennemis ; qu'elle s'empresse de célébrer avec la plus grande pompe le jour heureux où ce bel astre commença à briller sur la terre. La naissance des grands du monde nous inspire des craintes et des alarmes, parce que nous ne savons pas s'ils seront justes ou pécheurs, sauvés ou réprouvés ; nous ne savons pas, dis-je, s'ils rendront leurs peuples heureux ou malheureux. Mais pour Marie nous n'avons nulle crainte.
Elle naît pour être Mère de Dieu, et, par sa naissance, nous apporte toutes sortes de biens et de bénédictions. Dieu nous la propose pour modèle, dans quelque état et dans quelque condition que nous puissions être. Livrons-nous donc, M.F., avec toute l'Église, à une sainte joie, et 1° admirons dans cette Vierge sainte le modèle des vertus les plus parfaites ; 2° considérons Marie comme ayant été destinée de toute éternité à être la mère du Fils de Dieu et la nôtre ; 3° enfin, contemplons avec reconnaissance les dons et les grâces renfermés dans la Médiatrice que Dieu a préparée aux hommes. Mais prêtez-moi votre attention ; car, vous parler de Marie, n'est-ce pas intéresser vos cœurs en vous entretenant de l'objet de votre confiance et de votre amour.
I. – M.F., s'il était nécessaire pour vous inspirer une tendre dévotion à Marie, de vous montrer combien est grand le bonheur de ceux qui ont confiance en elle ; combien sont nombreux les secours, les grâces et les avantages qu'elle nous peut obtenir ; s'il était nécessaire, dis je, de vous montrer l'aveuglement et le malheur de ceux qui n'ont que de l'indifférence et du mépris pour une Mère si bonne et si tendre, si puissante et si portée à nous faire éprouver les effets de sa tendresse, je n'aurais qu'à interroger les patriarches et les prophètes, et vous verriez dans toutes les grandes choses que l'Esprit-Saint leur a fait dire sur Marie, un sujet de confusion à la vue des bas sentiments dont vous n'êtes que trop souvent remplis pour cette bonne Mère. Ensuite, si je vous faisais le récit de tous les exemples que les saints en ont tirés nous ne pourrions que déplorer notre aveuglement et ranimer notre confiance envers elle. D'abord, rien n'est plus capable de nous inspirer une tendre dévotion à la sainte Vierge, que le premier trait que nous lisons dans l’Écriture sainte, où nous voyons Dieu lui-même annoncer le premier, la naissance de Marie.
Lorsque nos premiers parents eurent le malheur de tomber dans le péché, Dieu, touché de leur repentir, promit qu'un jour viendrait où naîtrait une Vierge qui enfanterait un fils, pour réparer le malheur causé par leur péché (Gen. III, 15). Dans la suite, les prophètes, après lui, n'ont cessé d'annoncer de siècles en siècles, pour consoler le genre humain qui gémissait sous la tyrannie du démon, qu'une Vierge enfanterait un fils, qui serait le Fils du Très-Haut, et envoyé par le Père pour racheter le monde, perdu par le péché d'Adam (Is. VII, 14). Tous les prophètes annoncent qu'elle sera la plus belle créature qui ait jamais paru sur la terre. Tantôt ils l'appellent l'Étoile du matin, qui éblouit toutes les autres par son éclat et sa beauté, et qui, en même temps, sert de guide au voyageur sur la mer ; afin de nous montrer par là, qu'elle serait un modèle accompli de toutes les vertus. C'est donc avec raison que l'Église dit à la sainte Vierge, dans un tressaillement d'allégresse : « Votre naissance, ô Vierge sainte Marie, remplit le monde entier d'une douce consolation et d'une sainte allégresse, parce que c'est de vous qu'il nous est né ce Soleil de justice, notre Jésus, notre Dieu, qui nous a tirés de la malédiction où nous étions plongés par le péché de nos premiers parents, et nous a comblés de toutes sortes de bénédictions. » Oui, c'est vous, Vierge sans pareille, Vierge incomparable, qui avez détruit l'empire du péché et rétabli le règne de la grâce. « Levez-vous, dit l'Esprit-Saint, sortez du sein de votre mère, vous qui êtes ma plus chère, aussi bien que ma plus belle amante, venez, tendre colombe, dont la pureté et la modestie sont sans égales, montrez-vous sur la terre, paraissez au monde comme celle qui doit embellir le ciel et rendre la terre heureuse. Venez et paraissez avec tout l'éclat dont Dieu vous a ornée, car vous êtes le plus bel ouvrage de votre Créateur. » En effet, quoique la sainte Vierge fût dans les voies ordinaires, l'Esprit-Saint voulut que son âme fût la plus belle et la plus riche en grâces ; il voulut aussi que son corps fût le plus beau corps qui ait jamais paru sur la terre. L'Écriture la compare à l'aurore dans sa naissance, à la lune dans son plein, au soleil dans son midi (Cant. VI, 9). Elle nous dit encore qu'elle a une couronne de douze étoiles (Apoc. XII, 1), et est établie dispensatrice de tous les trésors du ciel. Depuis la chute d'Adam, le monde était couvert de ténèbres affreuses ; alors Marie paraît, et, comme un beau soleil dans un jour serein, dissipe les ténèbres, ranime l'espérance et donne la fécondité à la terre. Dieu, M.F., ne devait-il pas dire à Marie, comme à Moïse (Exod. III) : « Va délivrer mon peuple, qui gémit sous la tyrannie de Pharaon ; va lui annoncer que sa délivrance est proche, et que j'ai entendu sa prière, ses gémissements et ses larmes. Oui, Marie, semble-t-il dire, j'ai entendu les gémissements, j'ai vu les larmes des patriarches, des prophètes et de tant d'âmes qui soupirent après l'heureux moment de leur délivrance. » En effet, M.F., Marie, encore bien mieux que Moïse, annonce que bientôt nos malheurs vont cesser et que le ciel va se réconcilier avec la terre. O quels trésors apporte au ciel et à la terre la naissance de Marie ! Le démon frémit de rage et de désespoir, parce que, dans Marie, il voit celle qui doit l'écraser et le confondre. Au contraire, les anges et les bienheureux font retentir la voûte des cieux de chants d'allégresse en voyant naître une Reine qui doit donner à leur beauté un nouvel éclat.
Mais, comme Dieu voulait commencer à nous montrer que le ciel ne nous serait donné que par l'humilité, le mépris, la pauvreté et les souffrances, il voulut que la naissance de la sainte Vierge n'eût rien d'extraordinaire. Elle naît dans un état de faiblesse, son berceau est arrosé de larmes comme celui des autres enfants, qui semblent prévoir, en naissant, les misères dont ils seront accablés pendant leur vie ; c'est en ce sens que l'Esprit-Saint nous dit par la bouche du Sage : « Que le jour de la mort est préférable à celui de la naissance (Eccl. VII, 2) » Marie naît dans un état d'obscurité. Quoiqu'elle fût de la race de David, et qu'elle pût compter parmi ses ancêtres des patriarches, des prophètes et des rois : tous ces titres, si recherchés des gens du monde, étaient tombés dans l'oubli ; elle n'avait rien d'éclatant que la vertu, qui, aux yeux des hommes, n'est pas une grande distinction. Dieu l'avait ainsi permis, afin que cette naissance fût plus conforme à celle de son divin Fils, dont les prophètes avaient annoncé qu'il n'aurait pas où reposer sa tête. Mais si elle vient au monde si pauvre des biens de la terre, elle est riche des biens de celui qui, de toute éternité, l'avait choisie pour être sa Mère. Saint Jean Damascène nous dit que les siècles se disputèrent à l'envi, qui d'entre eux aurait le bonheur de la voir naître. Voulons-nous, dit un de ses grands serviteurs, le saint évêque de Genève, savoir quelle est cette Vierge couronnée à son berceau ? Interrogeons les anges, ils nous diront qu'elle les surpasse infiniment en grâce, en mérites, en dignité et en toutes sortes de perfections. Saint Basile nous dit que, depuis la création du monde jusqu'à la venue de Marie, le Père Éternel n'avait point trouvé de créature assez pure et assez sainte, pour être la Mère de son Fils. Combien de fois les patriarches et les prophètes ne se sont-ils pas écriés dans leurs soupirs et dans leurs larmes : Ah ! quand donc viendra l'heureux moment où cette Vierge sainte paraîtra dans le monde ? Oh ! qu'ils seront heureux les yeux qui verront cette créature, qui doit être la Mère du Sauveur des hommes ! »
II. – Il serait impossible, M.F., de ne pas aimer Marie, si nous voulions réfléchir un instant sur sa tendresse pour nous, et sur les bienfaits dont elle n'a cessé de nous combler. En effet, si Jésus-Christ a répandu son sang précieux pour nous sauver, qui a produit ce sang adorable, n'est-ce pas Marie ? Si nous suivons les traces de sa vie mortelle, que de chagrins, que de douleurs, que d'angoisses n'a-t-elle pas endurés ? Toutes les fois qu'elle portait ses tendres regards sur son divin Fils, elle souffrait, nous disent les saints Pères, plus que tous les martyrs ensemble. – Et comment, me direz-vous ? – Dieu, pour accomplir cette prophétie, voulut lui faire connaître d'avance toutes les souffrances, les outrages et les tourments que son divin Fils devait endurer avant de mourir (Luc. II, 33). Toutes les fois qu'elle touchait les pieds et les mains adorables de Jésus, elle se disait à elle-même « Hélas ! ces pieds et ces mains qui, pendant trente-trois ans, ne seront occupés qu'à porter les grâces et les bénédictions, seront un jour percés et cloués à un bois infâme ; ses yeux d'amour seront couverts de crachats ; son visage, plus beau que les cieux, sera tout meurtri par les soufflets qu'on lui donnera. Tout ce corps doit être flagellé avec tant de cruauté, qu'il sera presque impossible de le reconnaître pour un homme ; cette tête, toute rayonnante de gloire, sera percée d'une cruelle couronne d'épines. » Lorsqu'elle passait par les rues de Jérusalem, elle se disait : « Un jour viendra où je verrai ces pavés tout arrosés de son sang précieux. Il sera étendu sur l'arbre de la croix, j'entendrai les coups de marteau, et ne pourrai lui apporter du secours. » « Ô douleur incompréhensible ! Ô martyre ineffable, nous dit un saint Père, il n'y a que Dieu qui puisse en comprendre toute l'étendue ! » Oui, M.F., nous disons que Jésus-Christ a fait éprouver en particulier à sa Mère chacune des douleurs de sa passion ; car Marie avait continuellement à l'esprit les supplices qu'on devait faire endurer à son Fils. « Ah ! s’écrie saint Bernard, ce grand serviteur de Marie, que nous sommes aveugles et malheureux, de ne pas aimer une Mère si bienfaisante et si bonne ! Depuis longtemps, sans les prières de Marie, le monde n'existerait plus et serait tombé en ruines à cause de nos péchés. » En effet, il est rapporté que, du temps de saint Dominique et de saint François, Dieu était tellement irrité contre les hommes, qu'il avait résolu de les faire périr tous. Ces deux saints virent la sainte Vierge se jeter aux pieds de son divin Fils : « Mon Fils, lui dit-elle, souvenez-vous que c'est pour ce peuple que vous êtes mort ; j'enverrai mes deux grands serviteurs, en lui montrant saint Dominique et saint François, oui, ils iront partout le monde inviter tous les hommes à se convertir et à faire pénitence. » Hélas ! combien de fois n'a-t-elle pas présenté à son Fils les entrailles où il a été conçu, les mamelles qui l'ont allaité, les bras qui l'ont porté ? Combien de fois ne lui a-t-elle pas dit : « Mon Fils, laissez-vous toucher par les prières de celle qui vous a porté neuf mois dans son sein, qui vous a nourri avec tant de tendresse, et qui aurait donné sa vie avec tant de joie pour sauver la vôtre ; épargnez, s'il vous plaît, ce peuple qui vous a tant coûté. » Ô ingratitude ! Ô aveuglement des pécheurs, que tu es grand et incompréhensible ! N'avoir que du mépris pour celle qui aurait si volontiers donné sa vie pour nous ! Les saints, M.F., ont bien agi autrement envers Marie. Ah ! c'est qu'ils étaient persuadés que sans Marie, il leur était presque impossible de pouvoir résister aux attaques que le démon leur livrait pour les perdre. Saint Bernard nous dit que toutes les grâces que nous recevons du ciel, passent par les mains de Marie. Oui, nous dit un autre Père de l'Église, « Marie est comme une bonne mère de famille qui ne se contente pas de prendre soin de tous ses enfants en général, mais qui veille sur chacun d'eux en particulier. » Si Dieu nous avait traités après chaque péché comme nous le méritions, depuis longtemps nous brûlerions dans les enfers. Oh ! combien sont dans les flammes, et qui n'y seraient pas, s'ils avaient eu recours à Marie ! Elle aurait prié son Fils de prolonger leurs jours pour leur donner le temps de faire pénitence. Si ce malheur, M.F., ne nous est pas arrivé, remercions Marie ; c'est véritablement à elle que nous en sommes redevables. Nous lisons dans l'Évangile (Luc. XIII, 6), « qu'un homme avait planté un arbre dans son jardin : quand le temps des fruits fut venu, il alla voir si cet arbre en avait ; mais il n'en trouva point. Il y alla une seconde et une troisième fois sans en trouver, alors il dit au jardinier : « Voilà trois fois que je viens en vain pour chercher du fruit, pourquoi laissez-vous cet arbre occuper la place d'un autre qui en porterait ? coupez-le et jetez-le au feu. » Que fait le jardinier ? Il se jette aux pieds de son maître pour le prier d'attendre encore quelque temps ; car il redoublera ses soins ; il travaillera la terre qui est autour ; il fumera l'arbre et n'oubliera rien pour lui faire porter du fruit. « Mais, ajoute-t-il, si l'année prochaine, lorsque vous viendrez, il n'a point de fruit, on le coupera et on le jettera au feu. » Image sensible, M.F., de ce qui se passe entre Dieu, la sainte Vierge et nous : Le Maître de ce jardin, c'est Dieu lui-même ; le jardin, c'est toute son Église, et nous-mêmes sommes les arbres plantés dans ce jardin. Il prétend et il veut que nous portions du fruit, c'est-à-dire que nous fassions de bonnes œuvres pour le ciel. Comme ce maître du jardin, il attend deux, trois, hélas ? peut-être vingt ou trente ans, pour nous donner le temps de nous convertir et de faire pénitence. Quand il voit que nous ne faisons qu'augmenter nos péchés, au lieu de nous corriger et de faire pénitence, il commande qu'on coupe cet arbre et qu'on le jette au feu ; c'est-à-dire, que Dieu permet au démon de prendre ces pécheurs pour les jeter en enfer. Mais que fait Marie, M.F. ? Elle fait ce que fit ce bon jardinier, elle se jette aux pieds de son divin Fils : « Mon Fils, lui dit-elle, grâce encore pour quelque temps à ce pécheur, peut-être qu'il se convertira, peut-être qu'il fera mieux qu'il n'a fait. » Que fait-elle pour apaiser la colère du Père ? Elle lui remet devant les yeux tout ce que son Fils a fait et souffert pour réparer la gloire que le péché lui a ravie ; elle se hâte de représenter à son Fils tout ce qu'elle a souffert pendant sa vie mortelle pour l'amour de lui : « Mon Fils, lui dit-elle à chaque instant, encore quelques jours, peut-être qu'il se repentira. » Ô tendresse de Mère, que tu es grande ! mais que tu es payée d'ingratitude ! Les uns la méprisent, les autres, non contents de la mépriser, méprisent encore par leurs railleries ceux qui ont confiance en elle ! Eh bien ! M.F., quoique nous n'ayons que du mépris pour elle, elle ne nous a pas encore abandonnés ; car, si cela était, nous serions déjà en enfer ; la preuve en est bien convaincante. Voici ce que nous lisons dans la vie de Monsieur de Q….. Il rapporte lui-même, que le démon fit tout ce qu'il put pour le faire mourir dans le péché. Une nuit, le tonnerre faillit l'écraser : il perça plusieurs planches et emporta la moitié de son lit. Quelque temps après il se trouvait dans un endroit où l'on chassait le démon du corps d'un possédé, il lui demanda qui l'avait garanti de la foudre. Le démon lui répondit : « Remerciez la sainte Vierge, sans elle depuis longtemps nous vous tiendrions en enfer, nous avons bien cru vous avoir ce jour-là. » Eh bien ! M.F., je pourrais vous dire la même chose, et si vous vivez encore, malgré tant de péchés dont votre conscience est chargée, vous êtes sûrs que depuis longtemps vous souffririez dans l'autre vie, sans la protection de Marie auprès de son divin Fils, qu'elle prie de prolonger vos jours, pour voir si vous vous convertirez.
Ah ! M.F., pourquoi n'aurions-nous pas sans cesse recours à la sainte Vierge, puisque nous avons toujours besoin de sa protection, et qu'elle est toujours portée à nous secourir ? Nous lisons dans la vie de sainte Marie Égyptienne (Vie des Pères du désert, Tome V), qu'elle mena jusqu'à l'âge de dix-neuf ans une vie honteuse. Un jour de Vendredi saint, elle voulut aller, comme les autres, adorer le bois précieux de la vraie croix. A mesure qu'elle entre dans l'église, elle sent une main invisible qui la repousse dehors, et cela par trois fois. Effrayée, elle va se retirer au coin de la place, et se met à examiner d'où pouvait venir un événement si extraordinaire : tout le monde entrait sans difficulté, elle seule était repoussée avec tant de violence. « Ah !, s'écria-t-elle en soupirant, mes crimes, je le vois bien, en sont la cause ! n'y aura-t-il plus de ressources ? Oserais-je me présenter devant Dieu, après lui avoir ravi tant d'âmes rachetées par son sang précieux ? Souffrira-t-il que mon corps, qui n'a servi qu'au crime, s'approche de son bois sacré, lui, si saint et si pur ? Oh ! se dit-elle en pleurant amèrement, j'ai souvent entendu dire que la sainte Vierge avait une grande bonté pour les plus grands pécheurs, et que jamais personne ne l'avait priée sans avoir obtenu grâce et miséricorde, j'irai donc aussi la prier. » Et elle se retire toute tremblante, auprès d'une image de la sainte Vierge ; elle se prosterne le visage contre terre, qu'elle arrose de ses larmes : « Ô Vierge sainte, vous avez devant vous la plus grande pécheresse du monde ; oserais-je encore implorer votre secours et celui de votre divin Fils, m'aurait-il abandonné pour toujours ? Ô Vierge sainte, si vous m'obtenez miséricorde auprès de Jésus-Christ, et le bonheur d'aller adorer ce bois sacré sur lequel il s'est immolé, j'irai dans le lieu qu'il vous plaira pour faire pénitence. » Après cette protestation, elle va se représenter toute tremblante à la porte de l'église, pour voir si elle pourra entrer sans être repoussée, comme les autres fois. Elle entre sans nulle difficulté. Pleine de reconnaissance, elle adore le bois sacré, arrose le pavé de ses larmes, et se confesse pour recevoir le pardon de ses péchés. Dans la suite, elle se retira dans un bois où elle demeura pendant quarante ans, faisant retentir le désert de ses cris et de ses sanglots, ne se nourrissant que d'herbes sauvages. Elle rapporte elle-même que le démon la tenta pendant dix-neuf ans de toutes sortes de manières ; et, à mesure que le démon la tourmentait, elle redoublait ses pénitences ; parfois le matin, en se levant, elle était toute couverte de neige, et, dans son désert, le froid était si rigoureux, que son corps tombait par lambeaux. Elle méditait soir et matin, tantôt sur ses fautes passées, tantôt sur les grâces que Marie lui avait obtenues, ou encore sur l'espoir qu'elle avait d'aller chanter au ciel les miséricordes du Seigneur. Oh ! que nous serions heureux, M.F., si nous imitions cette grande pénitente dans son repentir et sa confiance envers Marie !
Quand on aime quelqu'un, on s'estime heureux d'en avoir quelque objet à titre de souvenir. De même, M.F., si nous aimons la sainte Vierge, nous devons nous faire un honneur et un devoir d'avoir dans nos maisons quelques-unes de ses images, qui, de temps en temps, nous rappellent cette bonne Mère. De plus, les parents vraiment chrétiens ne doivent jamais manquer d'inspirer à leurs enfants une tendre dévotion à la Sainte Vierge ; c'est le véritable moyen d'attirer sur leur famille les bénédictions du ciel et la protection de Marie. Nous lisons dans la vie de saint Jean Damascène (RIBADENEIRA), que l'empereur avait conçu contre les saintes images une telle aversion, qu'il avait commandé, sous peine de mort, de les détruire ou de les brûler. Saint Jean aussitôt se mit à écrire que l'on devait avoir des images et les honorer. L'empereur fut tellement irrité contre le saint, qu'il lui fit couper le poignet pour l'empêcher d'écrire. Le saint alla se prosterner devant une image de la sainte Vierge en lui disant : « Vierge sainte, je viens vous demander la main que l'on m'a coupée, parce que je voulais soutenir l'honneur que l'on rend à vos images, je sais que vous êtes assez puissante pour me la rendre. » Cette prière achevée, il s'endormit, et, pendant son sommeil, il vit la sainte Vierge ; elle lui dit que sa prière était exaucée. Quand il s'éveilla, il trouva sa main parfaitement rattachée au bras, seulement Dieu lui avait laissé, à l'endroit où elle s'était rejointe à son bras, une petite raie rouge, pour le faire se souvenir de la grâce que la sainte Vierge lui avait obtenue. Par ce miracle, elle voulut montrer combien lui est agréable l'honneur que l'on rend à ses représentations, c'est-à-dire à ses images.
Écoutez ce que nous dit saint Anselme : « Ceux qui seront assez malheureux pour mépriser la Mère, sont sûrs d'être méprisés du Fils. Oui, il n'y a que les démons, les réprouvés et les grands pécheurs, plongés dans les ordures de leurs crimes, qui n'aiment pas Marie et qui n'ont pas confiance en elle. Vous connaîtrez facilement si un chrétien est dans la voie du ciel, ou s'il marche dans le chemin de la perdition : demandez-lui s'il aime Marie ; s'il vous dit que oui, et que ses actions le prouvent, bénissez le Seigneur, cette âme est pour le ciel. Mais s'il vous dit que non, et qu'il ne paraisse avoir que du mépris pour ce qui regarde son culte, jetez-vous aux pieds de votre crucifix, et pleurez amèrement ; car il est abandonné de Dieu, et prêt à tomber dans les abîmes. Oui, quand vous seriez plongés dans les habitudes les plus honteuses, si vous avez confiance en elle, ne désespérez pas, elle vous obtiendra tôt ou tard votre pardon. » Nous lisons dans l'histoire (RIBADENEIRA, Le Saint a cité plus haut en abrégé ce trait emprunté au Père Lejeune) que saint Denis l'Aréopagite fut grand dévot envers Marie. Il eut le bonheur de vivre du temps que la sainte Vierge était encore sur la terre. Il pria saint Jean l'Évangéliste, à qui Dieu avait confié Marie avant de mourir, de lui procurer le bonheur de voir la sainte Vierge. Saint Jean le fit donc entrer dans la chambre où elle était. Saint Denis fut si ébloui de sa présence, que tout à coup il se vit tout environné d'une lumière céleste : « Je me perdais, disait-il, je sentais sortir de son corps une odeur si agréable, que je croyais mourir d'amour ; mon esprit et mon cœur étaient tellement frappés de la grandeur de sa gloire, que je tombais en défaillance. Je voyais sortir de son corps sacré un si grand éclat de lumière, que si la foi ne m'avait pas enseigné qu'il n'y a qu'un Dieu, je l'aurais vraiment prise pour une divinité. Tout le reste de ma vie, il me semblait l'avoir présente à mes yeux ; mon esprit et mon cœur étaient constamment dans cette chambre où j'ai eu le bonheur de la contempler ! Oh ! que sera-ce donc, quand nous la verrons dans le ciel, auprès de son Fils, sur le beau trône de la cour céleste, et revêtue de la gloire de Dieu même. » Eh quoi ! M.F., après tout ce que nous venons de dire, nous n'aimerions pas Marie, elle qui semble ne se réjouir d'être Mère de Dieu, qu'afin de nous obtenir plus de grâces ? Ô aveuglement ! .... Ne pas aimer celle qui ne veut que notre bonheur, cette mère qui aurait donné sa vie pour nous sauver !...
III. – La sainte Vierge est encore un rempart continuel contre les attaques du démon ! Un jour saint Dominique, son grand serviteur, étant prié de chasser le démon du corps d'un possédé en présence d'une foule immense de personnes, qui étaient venues pour être témoins de cette action ; le démon avoua devant tout le monde que la sainte Vierge était sa plus cruelle ennemie, qu'elle renversait tous ses desseins ; que, sans elle, depuis longtemps, il n'y aurait plus de religion, et qu'il aurait bouleversé l'Église par les schismes, les hérésies. Marie, à chaque instant, lui arrachait des âmes qu'il espérait un jour avoir en enfer ; que plusieurs, à l'heure de la mort, en réclamant son secours, avaient obtenu miséricorde, et qu'aucun de ceux qui avaient confiance en elle n'avait été perdu. Voilà, M.F., ce que le démon avoua devant tous ceux qui étaient présents. Et s'il faut vous en convaincre encore mieux, voyons cette femme qui fut accusée faussement par son mari et condamnée à mourir sur l'échafaud : elle alla se jeter au pied d'une image de la sainte Vierge, la priant de ne pas la laisser mourir, puisqu'elle était innocente. Or, au moment où le bourreau voulut l'exécuter, jamais il ne put en venir à bout. La croyant morte pourtant, on la détacha, et lorsqu'on la porta à l'église pour la mettre en terre, non seulement elle donna des signes de vie, mais elle se leva et courut auprès d'une image de la sainte Vierge : « Ô Vierge sainte, s'écria-t-elle, vous êtes ma libératrice ? » Se tournant vers le peuple qui remplissait l'église : « Oui, lui dit-elle, j'ai vu Marie qui arrêtait la main du bourreau, et qui me consolait pendant que j'étais suspendue au gibet. » Tous ceux qui furent témoins de ce miracle sentirent redoubler leur confiance envers la sainte Vierge.
Mais, diront quelques hommes ignorants et sans religion, tout cela est bon pour ceux qui ne savent pas lire, ou pour des pauvres d'esprit et de biens. – Ah ! M.F., si je voulais, je vous prouverais que dans tous les états il y a eu de grands serviteurs de la sainte Vierge ; je vous en trouverais parmi ceux qui mendient leur pain de porte en porte ; je vous en trouverais parmi ceux qui sont dans un état tel que celui de la plupart d'entre vous ; je vous en trouverais parmi les riches, et en grand nombre. Nous lisons dans l'Évangile que Notre-Seigneur a toujours traité tout le monde avec une grande douceur, excepté une sorte de personnes qu'il a traitées durement : c'étaient les Pharisiens ; et cela parce qu'ils étaient des orgueilleux et des pécheurs endurcis. Ils l'auraient volontiers empêché, s'ils l'avaient pu, d'accomplir la volonté de son Père ; aussi les appelait-il des « sépulcres blanchis, des hypocrites, des races de vipères, des vipereaux, qui déchirent le sein de leur mère. » Nous pouvons dire la même close au sujet de la dévotion envers la sainte Vierge. Les chrétiens ont tous une grande dévotion à Marie, excepté ces vieux pécheurs endurcis, qui, depuis longtemps, ayant perdu la foi, se roulent dans les ordures de leur brutale passion. Le démon tâche de les tenir dans l'aveuglement jusqu'au moment où la mort leur fera ouvrir les yeux. Ah ! s'ils avaient le bonheur d'avoir recours à Marie, ils ne tomberaient pas en enfer, comme il leur arrivera ! Non, M.F., n'imitons pas ces gens-là ! au contraire, suivons les traces de tous les vrais serviteurs de Marie. De ce nombre était saint Charles Borromée, qui disait toujours son chapelet à genoux ; bien plus, il jeûnait toutes les veilles des fêtes de la sainte Vierge. Il était si exact à la saluer au son de la cloche, que quand l'Angelus sonnait, dans quelque lieu qu'il se trouvât, il se mettait à genoux, quelquefois même au milieu de la rue toute pleine de boue. Il voulait que dans tout son diocèse l'on eût une grande dévotion à Marie, et qu'on prononçât son saint nom avec beaucoup de respect. Il fit bâtir une quantité de chapelles en son honneur. Eh bien ! M.F., pourquoi n'imiterions-nous pas ces grands saints qui ont obtenu de Marie tant de grâces pour se préserver du péché, n'avons-nous pas les mêmes ennemis à combattre, le même ciel à espérer ? Oui, Marie a toujours les yeux sur nous : sommes-nous tentés, tournons notre cœur vers Marie et nous sommes sûrs d'être délivrés.
Mais ce n'est pas encore assez, M.F. ; pour mériter sa protection, il faut imiter les vertus dont elle nous a donné l'exemple. Il faut imiter sa grande humilité. Elle ne méprisait jamais personne : quoiqu'elle sût très bien que Dieu l'avait élevée à la plus grande de toutes les dignités, celle de Mère de Dieu, de Reine du ciel et de la terre, cependant elle se regardait comme la dernière des créatures. Il faut imiter son admirable pureté, qui l'a rendue si agréable à Dieu. Sa modestie était si grande, que Dieu prenait plaisir à la contempler. Il faut, M.F., à son exemple, nous détacher des choses de ce monde, et ne plus penser qu'au ciel, notre véritable patrie. Depuis l'Ascension de son divin Fils, elle ne faisait que languir sur la terre. Elle supportait la vie avec patience, il est vrai ; mais attendait avec ardeur la mort qui devait la réunir à son divin Fils, unique objet de son amour. Combien de fois ne s'est-elle pas écriée comme le prophète : « Mon Dieu, jusques à quand prolongerez-vous mon exil ! Oh ! quand viendra l'heureux moment où je vous serai réunie pour toujours ? Oh ! si vous voyez mon Époux, dites-lui que je languis d'amour ! » Dieu la retira de ce monde où elle avait tant souffert pendant son long pèlerinage ; elle mourut, mais ni les infirmités de l'âge, ni les défaillances de la nature ne lui donnèrent la mort, ce fut le seul amour de son divin Fils. Son premier souffle avait été un souffle d'amour, il était bien juste que son dernier fût aussi un souffle d'amour. Si nous voulons nous en convaincre, M.F., jetons un coup d’œil sur le lit de mort de Marie. Ô spectacle nouveau ! le ciel et la terre sont ravis d'admiration ; les fidèles accourent de toutes parts ; les apôtres se trouvent réunis par miracle dans cette pauvre maison. L'on ne voit pas dans la mort de Marie ce qui fait horreur dans la nôtre : cette pâleur effrayante, cette défaillance universelle, ces douloureuses convulsions de l'agonie ; à la mort de Marie tout est tranquille, son visage est plus brillant que jamais, ses grâces modestes se manifestent encore avec plus d'éclat que pendant sa vie, une aimable pudeur brille sur son front, une douce majesté couvre son saint corps ; ses yeux, tendrement fixés vers le ciel, en ont déjà toute la sérénité ; son esprit, abîmé en Dieu, semble déjà le voir face à face ; son tendre cœur, pressé d'un amour également doux et fort, goûte par avance les torrents de délices éternelles que son Dieu lui préparait dans le ciel. Elle n'a point de crainte, parce qu'elle n'a jamais offensé son Dieu ; elle n'a point de chagrin, parce qu'elle ne s'est jamais attachée aux choses terrestres ; elle ne soupire qu'après son Jésus, et la mort lui procure ce bonheur ; elle le voit venir au-devant d'elle, avec toute la cour céleste, pour honorer son entrée triomphante dans le ciel. Ainsi s'endort dans le baiser du Seigneur cette amante sacrée, ainsi disparaît ce bel astre qui a éclairé le monde pendant soixante et douze ans. Ainsi triomphe de la mort celle qui a enfanté l'Auteur de la vie... Que conclure de tout cela, M.F. ? Que nous devons, à l'exemple de Marie, soupirer et travailler à mériter le même bonheur. C'est ce que je vous souhaite.
Source.
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