Pages

samedi 9 mars 2019

La confiance rend à Dieu l'honneur dont il est le plus jaloux, et obtient tout de Lui


Extrait de "Le Livre des Élus ou Jésus Crucifié", du Père Jean-Baptiste De Saint Jure :


Incapables d'une reconnaissance infinie, qui seule pourrait égaler la force des motifs, qui l'exigent de nous, au moins n'oublions jamais la bonté d'un Dieu qui s'est fait notre caution, qui a pris sur lui les peines qui nous étaient dues, et qui s'est fait malédiction pour nous délivrer de la malédiction éternelle. L'ingratitude tarit la source des grâces, la reconnaissance, au contraire, fait couler et descendre sur nous ces eaux spirituelles et célestes. Ainsi, quand Dieu, pour transmettre de génération en génération, et éterniser notre reconnaissance, a de tout temps établi des Fêtes qui rappelassent le souvenir de ses bienfaits, il a eu plus en vue nos intérêts que les siens ; il a voulu trouver dans les sentiments de notre gratitude le motif et l'occasion de nous combler de nouveaux biens. Si quelqu'un doit entrer dans les vues et les intentions de Dieu, c'est assurément le Peuple Chrétien. Tous les biens que les Juifs ont reçus de la libéralité de Dieu, ne sont que des ombres grossières et des figures imparfaites, de ceux qui nous sont réservés. Umbram habens Lex suturorum bonarum. La famille de Jacob, sortie d'Égypte, et par les merveilles qu'opéra le bras du Tout-Puissant, délivrée de la maison de servitude ; voilà l'ombre. Le monde entier délivré de la servitude du péché, de la tyrannie du Démon, et des feux éternels de l'Enfer ; voilà la réalité. Joseph vendu, Isaac immolé, le sang des victimes répandu dans le Temple de Jérusalem ; voilà la figure. Le Dieu de Joseph et d'Isaac, vendu comme un vil esclave, et perdant le sang et la vie sur la Croix, pour la rémission de nos péchés ; voilà la vérité. La terre promise, cette terre où coulaient des fleuves de lait et de miel, cette terre, dans laquelle le peuple n'entra qu'après bien des épreuves et de longs travaux, est une annonce et un emblème de cette terre des vivants, de cette cité éternelle dont Dieu lui-même est l'Architecte, de la félicité qui nous est promise dans le Ciel. Ces différents objets sont si disparats et si éloignés les uns des autres, que nul rapport ne peut les rapprocher, et les placer de niveau sur une même ligne. Or, selon les lois de l'équité naturelle, on demande davantage à celui qui a reçu des dons plus excellents et plus précieux. Plus notre rédemption a coûté à notre Réparateur, plus elle exige de reconnaissance. Par conséquent le Chrétien, à qui tous ces adorables Mystères sont clairement manifestés, le Chrétien qui y participe d'une manière plus glorieuse et plus abondante, s'il oublie les miséricordes de son Dieu, s'il n'a pour lui qu'une reconnaissance sèche et stérile, est sans comparaison plus criminel que le Juif, et le crime de son ingratitude n'a point d'autre mesure que les bontés infinies de son Dieu. Elle est cette ingratitude, d'autant plus monstrueuse, d'autant moins excusable, qu'elle n'a pas sa source dans la trempe naturelle de notre cœur. Il est sensible aux bienfaits ; il se pique de rendre ou plus ou au moins autant qu'il a reçu ; et dans l'impossibilité de le faire, il ne se console que par les sentiments de sa gratitude, et par le soin de chercher les occasions de les faire éclater. D'où peut donc venir notre ingratitude à l'égard de Dieu, qui par la multitude et la grandeur de ses bienfaits, épuise, pour ainsi dire, les trésors de sa sagesse, de sa bonté et de sa puissance ? N'en doutez pas, répond Guillaume de Paris, elle est l'ouvrage du Démon qui possède une âme, qui l'aveugle et qui l'endurcit. Pour éviter un crime si détestable, pour ne pas attirer sur nous la juste et terrible vengeance de Dieu, répétons souvent avec David, mais dans un sens plus noble et plus relevé, que celui qu'avait en vue le Prophète : Mon âme, bénissez le Seigneur, que toutes mes puissances se réunissent pour le glorifier. À grand frais et à ses dépens, il nous remet toutes nos iniquités, il ferme nos plaies, il nous délivre de la mort ; sa bonté et sa miséricorde nous couronnent de gloire. Ah ! mon âme n'oubliez jamais la multitude et la grandeur de ses bienfaits.
Penser et penser même souvent aux obligations que nous avons à J. C. c'est quelque chose, mais c'est peu. Il faut, à l'exemple de S. Bernard, et de tous les Saints, se pénétrer dans la méditation de toutes les circonstances qui accompagnent le grand mystère de notre réparation, et dont nous avons parlé au commencement de cet article. Il faut sentir vivement qu'il n'y a point de cœur, fût-il de pierre ou de bronze, qui ne soit amolli et brisé par le prodige de cette bonté et de cette miséricorde ; cujus vel saxeum pectus tanta et talis, à tanto et tali, collata multitudo beneficiorum non emolliat ? Il faut s'humilier, se confondre, se reprocher la dureté et l'insensibilité de son cœur, quelques vifs que soient les sentiments dont il est touché, parce qu'ils sont infiniment inférieurs à la bonté et à la libéralité de Dieu. Il faut imiter la sainte inquiétude des deux Tobies, qui cherchent et ne peuvent trouver le moyen de marquer leur reconnaissance à Azarias : Quid possumus dare viro isti sancto ! Quid poterit esse dignum beneficiis ejus ? Bonis omnibus per eum repleti sumus. Il faut enfin dire à Dieu ce que le jeune Tobie dit à l'Ange Raphaël, qui sous le nom et la figure d'Azarias, avait été le compagnon de son voyage, son conducteur et son libérateur. Daignez, ô mon Dieu, prêter l'oreille à la voix d'un serviteur inutile, confus et humilié de ne pouvoir vous payer ce qu'il vous doit. Quand je vous donnerais tous les biens que je possède, je ne ferais que vous rendre la plus petite et la moins estimable partie de ce que j'ai reçu de votre bonté ; quand je me livrerais tout entier et dans tous les moments de ma vie, pour exécuter toutes vos volontés sur moi, avec la soumission de l'esclave le plus fidèle ; ce sacrifice le plus parfait que je puisse vous offrir, n'acquitterait pas mes dettes. Qui suis-je en comparaison de vous, qui vous êtes donné et livré pour moi ? Jamais vous n'exigerez de ma faiblesse ce que vous avez bien voulu faire et souffrir pour moi ; mes services et mon dévouement n'ajouteront rien à votre grandeur, ni à votre félicité, mon bonheur et ma gloire viennent uniquement de vous.
S’il y avait parmi les Chrétiens de la foi et de la reconnaissance, on entendrait dans toutes les parties de l'Église, selon la prédiction d'Isaïe, un concert unanime de voix qui loueraient, béniraient et remercieraient Lieu, de ce qu'il nous a visités dans les entrailles de l'infinie miséricorde. La place honorable que nous occupons dans le cœur de Dieu, la glorieuse préférence que sa bonté nous a donnée sur les Anges rebelles, seraient l'unique joie à laquelle nous serions sensibles. Mais, hélas, combien de Chrétiens ne connaissent ni leur véritable gloire, ni leurs véritables intérêts ? Combien de Chrétiens, dont la reconnaissance ne répond pas encore à la lumière qui les éclaire ? Quis cæcus  nisi servus meus ? Popule stulte, qui non habes cor. De quel front ces aveugles et ces ingrats pourront-ils s'approprier et s'appliquer les fruits de la Passion de Jésus-Christ ? de quel front oseraient-ils opposer à l'iniquité de leur conduite, un sang dont ils ne connaissent pas le prix ? Et s'ils ne le jugent pas digne de reconnaissance, comment l'honoreront ils de leur confiance ?
Cette dernière vertu est une des dispositions les plus nécessaires pour profiter de la méditation de Jésus en Croix. Pourquoi ? C'est qu'elle rend à Dieu l'honneur dont il est le plus jaloux ; c'est qu'elle obtient tout de Dieu.
1°. Que Dieu paraît aimable à tous ceux qui en ont une idée juste et véritable ! De son fonds, il n'est par rapport à nous que bonté et charité, Deus charitas est ; il n'est que bonté et miséricorde, Deus misericordia mea. Ô mon Dieu, s'écrie le Sage, la douceur et la bonté font votre caractère, et elles éclatent dans toute votre conduite, ô quam bonus et suavis est, Domine, spiritus tuus in omnibus. En un mot ce Dieu de bonté, par sa patience et par sa longanimité à souffrir les pécheurs, a mieux aimé donner occasion aux esprits malfaits de douter de son existence, que de donner sujet de douter de sa miséricorde en frappant dans sa colère ces mêmes pécheurs. Non, il n'y a point de père si bon, si tendre, si libéral que Dieu, nemo tam pater quam Deus ; parce qu'il en a les sentiments, il en prend le nom, et nous donne celui de ses enfants. Il aime, et il veut être aimé. Dans ce dessein il prend plaisir à manifester sa bonté, sa patience, sa miséricorde et la tendresse de son cœur pour nous. C'est sur ces touchantes et ces aimables perfections qu'est fondée notre confiance, et voilà pourquoi ce grand Dieu se trouve singulièrement honoré par ce sentiment de notre cœur pour lui. Dans tous vos besoins, de quelque nature qu'ils soient, nous dit-il lui-même, recourez à moi avec la confiance que doit avoir un enfant dans son père, appelez-moi à votre secours ; votre confiance fera ma gloire. Invoca me et honorificabis me. Il parle aux pécheurs comme aux justes, avec cette différence, que la confiance des pécheurs lui est plus glorieuse, parce qu'elle fait davantage éclater sa charité et sa miséricorde. Aussi leur dit-il par la bouche d'Isaïe, je cherche l'occasion d'exercer sur vous mes miséricordes. En vous pardonnant la multitude et la grandeur de vos crimes, je signalerai ma gloire. Exaltabitur Dominus parcens vobis. Aussitôt que j'entendrai vos cris, je vous répondrai par l'effusion de mes bontés.
2°. Cette première vérité nous conduit naturellement à une seconde, et nous apprend que notre confiance est la source et la mesure des bénédictions que Dieu répand sur nous. Je sais que Dieu s'est engagé par serment à tout accorder à nos prières ; mais c'est à une prière animée par une vive et inébranlable confiance, sans cela n'espérons pas voir accomplir nos désirs chancelants et timides, non existimet homo ille quod accipiat aliquid à Domino. Jamais la confiance en Dieu n'a été vaine, jamais elle n'a été confondue par le refus des biens qu'elle attendait avec assurance, spes non confundit. L'histoire du peuple fidèle fournit une preuve invincible, et qui s'est renouvelée de génération en génération, que tous ceux qui se sont uniquement appuyés sur le bras du Tout-Puissant ont trouvé dans lui une constante protection, parce qu'ils mettaient en lui une ferme confiance ; quia in me speravit, quoniam in me speravit, il est accouru à leur secours, et il a mesuré ses dons et ses largesses sur l'étendue et la fermeté de leur espérance. La défiance, au contraire, parce qu'elle est d'autant plus injurieuse au cœur de notre Père céleste, que son amour pour nous est plus ardent et plus libéral, tarit la source des bénédictions du Ciel, et nous prive de sa protection, non credunt Deo et ideo non proteguntur ab eo. Qui de nous ignore que le miracle qui affermissait les eaux sous les pieds de S. Pierre, cessa aussitôt que cet Apôtre ouvrit son cœur à la crainte et à l'inquiétude ?
3°. Jésus en Croix, c'est à-dire, un Dieu anéanti jusqu'à la forme de l'esclave, un homme-Dieu mourant pour les pécheurs, pro injustis, pour ses ennemis, cum adhuc inimici essemus, les impies, pro impiis, est assurément le motif le plus propre à arracher de nos cœurs jusqu'à la moindre fibre de la défiance, à y planter et à faire fleurir la plus vive, la plus invincible et la plus étendue confiance. S'arrêter à prouver cette proposition, ce serait en vérité faire injure au bon sens. À qui n'est-il pas évident qu'un Dieu lui-même ne peut pas, tout infini qu'il est, pousser plus loin l'amour pour ses créatures, et leur en donner des preuves plus touchantes ? À qui n'est-il pas évident qu'un homme-Dieu mourant sur une Croix pour la rédemption de son peuple, est de la manière la plus parfaite et la plus magnifique notre avocat, notre salut, la source de tous les biens imaginables, et notre invincible confiance dans toutes les circonstances de la vie. Jesus Christus spes nostra. Au prix infini de ses humiliations et de ses souffrances, il nous a acheté le Royaume des Cieux, qui est devenu en conséquence notre héritage, et chacun de nous est destiné à partager avec Dieu lui-même sa gloire et sa félicité éternelle. Spes glorioe.
Ce n'est que de Jésus, ou du moins par Jésus que nous pouvons attendre les biens du temps et de l'éternité. Il n'y a point d'autre nom ni sur la terre, ni dans le Ciel, sur la vertu duquel nous puissions fonder et établir nos espérances. Dieu ne nous a point donné d'autres lumières pour nous éclairer, d'autre guide pour nous conduire, d'autre Médecin pour nous guérir, d'autre Libérateur pour nous sauver. Non est in alio aliquo salus. l'Église, pénétrée de ce sentiment, chante hautement et annonce à tous ses enfants que la Croix de Jésus-Christ est leur unique espérance. O Crux ave, spes unica. Enfin, comme le monde entier et sans exception était perdu par la désobéissance du premier Adam, le monde entier et sans exception est sauvé par l'obéissance du second. Il est donc la ressource, le refuge, le Libérateur de tout l'Univers, et personne n'est exclu de sa miséricorde. Spes unica totius orbis. Nous sommes tous les enfants de Coré, c'est à-dire, du Calvaire, selon l'interprétation de S. Augustin et de S. Jérôme ; nous avons tous été conçus et engendrés sur le lit de la Croix. Jésus-Christ est le fils du Dieu vivant, nous sommes les enfants d'un Dieu mourant ; le Verbe éternel est engendré dans les splendeurs de la gloire et dans les délices de la félicité, nous avons été créés dans les ténèbres de la Passion, dans les opprobres et dans les douleurs de la Croix. Le jour de la mort de J. C. est celui de notre naissance, et par conséquent nous devons chaque année célébrer le Vendredi-Saint avec des transports de joie, de reconnaissance et de confiance. C'est dans ce beau jour que le Sauveur des hommes commence à disposer du Royaume éternel, qu'il vient de leur acheter ; il l'ouvre, mais à qui ? à un voleur et à un homicide, afin de détruire dans tous les cœurs tout ce qui pourrait affaiblir la confiance qui est due au prix infini de son sang. Que chacun de nous s'écrie ici avec S. Ambroise, je ne mets ma confiance ni dans les Prophètes, ni dans la loi ; c'est uniquement dans vous, ô mon Jésus ; vous êtes venu chercher ceux qui s'étaient égarés, guérir les malades, réconcilier les pécheurs avec votre Père. Bien plus, par une condescendance digne de votre amour pour moi, vous m'avez chargé sur vos épaules, vous m'avez porté avec vous sur la Croix, comme une brebis malade et galeuse, afin de me nettoyer et de me guérir dans votre sang adorable.
Tandis que la terre est pleine de la grande et de l'infinie miséricorde de Dieu, comment est-il possible que la terre ne soit pas pleine du sentiment de la plus vive et de la plus parfaite confiance ? un Dieu a, pour ainsi dire, épuisé sur le Calvaire, en faveur de tous les hommes, sa puissance, sa sagesse et son amour, tout infini qu'il est, il n'a pu cependant épuiser encore notre défiance.
Âmes pusillanimes, âmes pétries de crainte et de défiance, vous qui vous livrez si facilement au découragement et quelquefois au désespoir, reconnaissez votre erreur et votre égarement. Qui sont, je vous prie, les objets de la miséricorde ? ne sont-ce pas les misérables et les indignes ? n'est-ce pas l'abîme de nos misères, de nos besoins et de nos péchés, qui a attiré sur nous l'abîme des miséricordes divines ? à qui un Médecin est-il nécessaire ? c'est assurément aux malades. Qui aura recours à la charité du riche, si ce n'est le pauvre ? à quoi bon un Médiateur et un Avocat auprès de Dieu, si nous n'avons point encouru sa disgrâce ? à quoi bon un Sauveur, si un naufrage universel ne nous a pas fait tout périr ; en un mot si la désobéissance de notre premier Père n'avait point renversé l'ordre, que Dieu avait établi dans la création de l'homme ; si Adam n'avait pas laissé pour héritage à ses malheureux enfants, et ne leur avait pas transmis avec son péché, la colère de Dieu, les ténèbres de l'esprit, les passions du cœur, la difficulté du bien, un violent penchant pour les plaisirs qui flattent nos sens, en quoi aurions-nous besoin de Jésus-Christ ? Il eût pu nous être utile, il ne nous était plus nécessaire ; mais dans ce désastre, dans cette perte presqu'universelle de tous les biens, qu'il est doux, qu'il est ravissant pour un Chrétien de se dire à lui-même. Le second Adam est venu réparer les maux que nous a causés le premier ; le Verbe éternel est descendu du Ciel, il s'est revêtu de notre nature pour sauver les pécheurs dont je suis le plus grand ; il les a aimés jusqu'à mourir pour eux sur une Croix, et au prix de son sang il leur a acheté tous les secours nécessaires pour devenir des Saints. Que cette parole de vie est pleine de consolation et de joie ! Fidelis sermo et omni acceptione dignus. Bien loin donc que mes faiblesses et mes péchés m'abattent et me découragent, ils ne servent qu'à me faire sentir le besoin que j'ai de J. C. qu'à recourir à ses mérites, à me cacher dans ses plaies, et à me laver dans son sang avec la plus forte et la plus vive confiance. Fidelis fermo, et omni acceptione dignus, quod Christus Jesus venit in hunc mundum peccatores salvos facere, quorum ego primus sum. Plus mes misères sont grandes, plus mes péchés sont nombreux, plus je redouble de confiance. pourquoi ? parce que le dessein qu'a Jésus-Christ de sauver les Pécheurs, sera rempli plus parfaitement ; parce que la miséricorde divine éclatera plus noblement ; parce que la puissance du Sauveur triomphera plus glorieusement.
Faisons encore un nouvel effort pour réveiller tant de Pécheurs, qui ne s'endorment dans la fange de leurs crimes, que par le désespoir d'en pouvoir sortir, pour consoler tant d'âmes justes qui ne marchent dans les voies de la justice, qu'avec frayeur et qu'avec lenteur, parce qu'elles sont chargées du pesant fardeau de leur défiance et de leurs inquiétudes interminables.
Hommes de peu de foi, je vous demande la raison de votre désespoir et de vos frayeurs ; si cependant ces sentiments si peu religieux ne sont pas l'effet d'une impression aveugle, qui ne raisonne point, ou d'un tempérament timide et pusillanime, qui ne sait point s'élever au-dessus de lui même. De quoi doutez-vous ? Est-ce du pouvoir qu'a Jésus-Christ de vous pardonner vos crimes, de rompre les chaînes de vos habitudes, et de remédier à toutes vos misères ? Ah ! quel que soit le labyrinthe de vos égarements, l'œil du bon Pasteur vous a-t-il perdu de vue ? Sa main n'est-elle pas assez longue pour s'étendre jusqu'à vous, et assez forte pour vous retirer de vos erreurs ? Vos plaies sont-elles incurables aux soins et à la science de notre charitable Samaritain ? Celui qui a brisé les portes de l'Enfer, ne peut-il amollir et vaincre la dureté de votre cœur ? Vous vous plaignez continuellement de votre faiblesse ; mais ignorez-vous que notre force consiste dans la confiance ? In spe erit fortitudo vestra. Le Tout-Puissant a promis de communiquer sa force à ceux qui mettent dans lui leur appui. Fidèle à ses promesses, il peut donc vous soutenir contre les assauts de vos passions, le penchant de vos vicieuses habitudes, la séductions des mauvais exemples, la conspiration de toutes les puissances infernales. En un mot, J. C. est Dieu et homme tout ensemble. Rien ne lui est impossible, parce qu'il est Dieu. Rien ne lui est impossible, parce qu'en qualité d'homme, il a reçu tout pouvoir dans le Ciel et sur la Terre. Il lui est donc facile de briser, de réduire en poudre le faisceau de vos crimes, de vous changer et de vous transformer dans un homme nouveau. Non est difficile Domino salutare vel in multis, vel in paucis. Avançons.
Vous qui tremblez où il n'y a nul sujet de craindre, de quoi doutez-vous ? Feriez-vous peut-être à Jésus-Christ l'injure de douter, si le baume composé de ses humiliations, de ses souffrances et de son sang, a la vertu de guérir toutes vos infirmités, et si la rédemption est un gage et une assurance que vous aurez en tout temps et en tout lieu des secours proportionnés à votre faiblesse et à vos besoins ?
Ingrats et perfides, nous osons nous excuser aux dépens de Dieu et de son Christ ; mais nous ne pouvons imputer qu'à nous seuls nos défauts et notre perte. Notre rédemption est abondante, nous sommes tous riches en Jésus-Christ et par Jésus-Christ, riches en toutes sortes de grâces, en toute espèce de bénédictions spirituelles, et propres à nous conduire au Ciel. Tout ce que Dieu peut donner à sa créature, lumières pour éclairer les esprits et en corriger les erreurs, grâces, inspirations vives et fortes qui arrachent le cœur aux faux biens qui l'ont séduit ; contrition sincère, larmes amères, détermination invariable de ne plus jamais abandonner Dieu, force et courage pour résister aux assauts de toutes les tentations, tout cela, ou plutôt toutes les richesses, tous les trésors de la miséricorde divine nous appartiennent ; ils sont l'héritage que Jésus-Christ a acheté à ses frères, et qu'il a payé au prix surabondant et infiniment supérieur de ses mérites. Dans sa vie, depuis son Incarnation dans le sein de Marie, jusqu'au dernier soupir sur la Croix, il n'y a pas eu un instant, pas un moment, qui n'ait été d'un prix et d'un mérite infini, à cause de l'infinie dignité de sa personne. Que d'infinités de mérites ne nous a-t-il pas légués par son testament de mort ! Un homme qui possède des millions d'or et d'argent, s'inquiète-t-il de dix mille livres dont il est redevable ? Un homme attaqué et assiégé de plusieurs maladies mortelles, s'afflige-t-il lorsqu'il tient entre ses mains un remède sûr et infaillible. Comment pourrait donc se décourager un homme, je dis un enfant d'iniquité, un fils de Bélial, lorsqu'il se présente à Dieu revêtu de Jésus-Christ, couvert de la multitude innombrable de ses mérites infinis, et teint d'un sang qui demande pour lui miséricorde ? Si ses péchés lui inspirent de la crainte, tout le sang de cet agneau sans tache lui doit inspirer encore plus de confiance ; ses iniquités sont infinies en nombre et en malice, mais une goutte du sang de Jésus-Christ est d'un prix infini ; elle suffirait pour obtenir à tous les pécheurs du monde, la rémission de leurs crimes. La Croix de l'homme-Dieu doit donc évidemment inspirer à tous les cœurs, la plus vive confiance, l'affermir et l'enraciner si profondément dans nos âmes, que rien ne puisse l'ébranler, et nous empêcher de dire avec Job, quand je verrais Dieu lui-même fondre sur moi l'épée à la main, la confiance que j'ai en lui, ne m'abandonnerait pas.
Je conviens, dira tacitement la défiance, que le sang de Jésus-Christ est d'un prix infini, et qu'il peut effacer tous les péchés du monde ; mais est-il croyable, qu'après avoir tant de fois méprisé et foulé aux pieds ce baume infiniment précieux et salutaire, mon Sauveur veuille encore l'appliquer d'une manière efficace aux plaies de mon âme ?
Il est en vérité étonnant que ceux qui ont éprouvé plus sensiblement la bonté et la miséricorde Divine, se livrent quelquefois plus aisément, aux sentiments d'une injuste et injurieuse défiance. Vos péchés, dites-vous, sont plus rouges que le vermillon, plus nombreux que les étoiles du firmament, que les grains de sable qui couvrent les bords de la mer.
1°.Vous ne pouvez compter la multitude de vos crimes, sans compter la multitude et les richesses des miséricordes divines sur vous. Autant de fois que vous avez péché, la sainteté de Dieu a demandé vengeance contre vous, la justice irritée a pu vous précipiter dans les abîmes de l'Enfer. De votre aveu Dieu l'a pu mille fois ; jamais il ne l'a voulu. À qui en êtes-vous redevables, qu'à l'abondance de votre rédemption ; qu'au sang que vous avez méprisé ; qu'à la pure miséricorde de celui-là même, que vous insultez par votre défiance ? pouvez-vous ignorer que cette admirable patience, que cette aimable longanimité, n'ont point d'autre but et d'autre dessein, que celui de vous appeler à la pénitence, et de vous conduire à une sincère conversion. Convaincu par votre expérience de la multitude des miséricordes de Dieu, confessez et publiez hautement, que le Dieu que vous adorez est charité et amour ; que s'il était autrefois le Dieu des vengeances, il est aujourd'hui le Dieu des miséricordes, qu'il a changé le nom de Maître en celui de Père. Dominum mutavit in Patrem. Ce Père tendre ne reproche point à l'enfant prodigue ses débauches ; à la femme adultère, l'horreur de son crime ; il ne rebute point la femme pécheresse ; il remet avec facilité et avec promptitude, dix mille talents au serviteur qui lui demande miséricorde. Si tous les pécheurs connaissaient le cœur de Jésus-Christ, s'ils étaient tous animés et pénétrés de la vive, de la ferme confiance qu'ils doivent à son amour, jamais ils ne périraient. Entrons donc tous dans le sentiment de S. Augustin, ou plutôt de l'auteur du Manuel, et dociles à son instruction, jetons les yeux sur Jésus Crucifié ; contemplons ce vainqueur du péché et de la mort, concevons le prix infini de son obéissance, et pleins de confiance en ses mérites, dormons tranquillement entre les bras de sa miséricorde. Nous sommes sûrs de son cœur, assurons-nous du nôtre.
2°. Lorsque Jésus-Christ, chargé de sa Croix, montait sur le Calvaire, et offrait à son Père le sacrifice sanglant de la mort honteuse qu'il allait endurer pour le salut du monde ; il connaissait tous vos péchés, il en connaissait toutes les circonstances et toute la malice. Cependant cette vue n'a ni arrêté ni suspendu son amour pour vous ; il a attaché vos péchés à sa Croix ; il les a effacés de son sang, et la soif, dont il parut se plaindre, était un désir ardent de la conversion des pécheurs. Ah ! si lorsque nous étions pécheurs et ennemis de Dieu, Jésus-Christ, malgré la connaissance de nos iniquités futures, nous a aimés jusqu'à mourir pour nous ; à plus forte raison, maintenant que par sa mort, il nous a réconciliés avec son Père, serons-nous lavés, justifiés et sauvés par la vie de notre Sauveur régnant dans sa gloire. Si dans les jours de sa vie mortelle, il ne nous a pas refusé ses larmes et son sang, aujourd'hui qu'il prie pour nous dans le Ciel, nous refusera-t-il les grâces qui sont le fruit de ses larmes et de son sang ? Si nous manquons de quelque chose, c'est uniquement parce que nous manquons de confiance dans le cœur de Dieu notre Père, et dans celui de Jésus-Christ notre Frère. Dieu en nous donnant son Verbe, revêtu de notre chair, nous a tout donné par avance, et dans la préparation de son cœur. David le connaissait ce cœur infiniment bon et infiniment miséricordieux, lorsqu'il s'écriait, oubliez, Seigneur, les péchés et les égarements d'une aveugle jeunesse. Votre bonté, votre clémence, en un mot, votre cœur est mon Avocat contre votre justice, et m'est un garant des miséricordes que vous exercerez sur moi. Oui pour l'intérêt de votre gloire, vous me pardonnerez mes iniquités, car leur multitude et leur énormité sont propres à faire éclater vos miséricordes, ces miséricordes aussi anciennes que le monde. Que la vue du Dieu de la patience et de l'espérance, Deus patientiæ, Deus spei, remplisse donc nos âmes de la paix et de la joie. Que notre confiance soit si forte et si abondante, ut abondetis in spe, que rien ne puisse l'ébranler.
Pour confirmer ce que je viens de dire, écoutons un habile Maître de la vie spirituelle, le fameux Apôtre de l'Andalousie, que l'Espagne espère de voir bientôt placé sur les Autels, je parle du célèbre Jean d'Avila, Bannis sons de notre esprit les pensées et les doutes injurieux à la bonté de Dieu, et à l'amour infini dont il nous aime. Il ne nous est pas plus permis de douter de son amour, et de la volonté sincère qu'il a de nous sauver, qu'il nous est permis de douter, si l'amour divin, amour infini, amour parfaitement gratuit, a immolé Jésus-Christ à notre salut. Sa Passion est notre bien, et l'héritage qu'il nous a légué lui-même ; elle est par conséquent notre espérance, notre confiance et notre sûreté dans nos besoins ; offrons au Père éternel son Fils unique ; et couverts de ses mérites, osons tout demander et tout attendre. Par cette offrande, nous payons à Dieu tout ce que nous lui devons, et nous avons encore du reste. Retirés et cachés dans les plaies sacrées de notre Sauveur, qu'avons-nous à craindre de nos ennemis ? En un mot, dans les mérites et dans la Passion de Jésus-Christ, nous trouvons un motif d'espérance, de confiance, de consolation et de joie spirituelle, si tranchant et si invincible, que ces sentiments ne peuvent être affaiblis par l'expérience de nos faiblesses et de nos misères, quelques multipliées, quelques grandes qu'elles puissent être. Ô Dieu infiniment aimant ! ou plutôt, ô Dieu qui êtes amour et charité, quelle injure ne fait pas à votre cœur, un cœur qui n'a pas en vous une pleine et une entière confiance ! En vérité, quand on considère l'excès d'amour dont vous nous aimez, et le prix infini des douleurs et de la mort de Jésus-Christ, est-il possible d'écouter des pensées de défiance ? ô mon Dieu, ne permettez pas que mon âme étant née de la multitude et de la grandeur des merveilles ineffables de votre amour pour nous, doute jamais de la volonté sincère que vous avez de me pardonner le passé, d'éclairer mes ténèbres, de soutenir ma faiblesse, de me protéger contre vos ennemis et les miens, et de me conduire enfin au travers de tous les écueils, au port du salut.
Dans une autre lettre, le même Auteur cherche la cause secrète de la défiance si ordinaire aux personnes même de piété. Elle a, dit-il, sa source dans notre ignorance. La lumière trop vive des perfections infinies de Dieu, éblouit nos yeux ; mais surtout les richesses et les trésors de la bonté, de la miséricorde et de la patience infinie de Dieu, étonnent et accablent notre esprit. Parce que nous n'avons pas ordinairement assez de bonté, assez de charité, pour supporter les défauts de notre prochain, et pour l'aimer malgré les travers de son esprit et les vices de son cœur ; parce que dans de certains moments de réflexion sérieuses, nous pouvons à peine supporter le portrait hideux de nous-mêmes. Nous avons de la peine à croire que Dieu qui est infiniment sage et infiniment saint puisse aimer, et aimer même avec une espèce de passion, une vile créature remplie de misères et de défauts. Serons-nous donc toujours assez injustes pour régler et mesurer les sentiments de Dieu sur les nôtres, et assez insensés pour ne pas concevoir que ses voies sont incomparablement plus élevées au-dessus des nôtres, que le Ciel ne l'est au-dessus de la Terre. Dieu en tout est grand, admirable et incompréhensible, mais surtout, dans sa bonté et sa miséricorde paternelle pour ses créatures. Or, une bonté sans bornes ne cherche et ne trouve que dans elle-même, le motif d'aimer et de faire du bien. Dieu aime dans nous l'ouvrage de ses mains, il aime son image et sa ressemblance, il aime ce qu'il peut et ce qu'il veut faire de nous. C'est ainsi qu'il nous a aimés, pécheurs et ses ennemis, pour nous faire justes et ses amis ; c'est ainsi, que par des merveilles, tantôt publiques, tantôt cachées de sa miséricorde, il choisit tous les jours des vaisseaux d'iniquités, pour en faire des vases d'élection ; c'est ainsi qu'il fait surabonder sa grâce, où le péché avait auparavant abondé. La vue de notre bassesse, de nos misères, de nos infidélités, doit donc uniquement nous faire connaître la gratuité, le miracle et l'excès des miséricordes Divines, mais jamais elle ne doit refroidir l'ardeur de notre confiance dans le cœur paternel de notre Dieu. Unissons tous ensemble nos voix, et dans un même sentiment d'humilité et de reconnaissance, écrions-nous ; ô Jésus ! ô le véritable ami des pécheurs ! comment ne nous chassez-vous pas de votre divine présence ? Vous nous aimez plus que nous ne nous aimons nous-mêmes. Humiliés par l'expérience de nos misères, indignés de nos rechutes continuelles, nous ne pouvons nous souffrir, et vous, Dieu de sainteté infinie, non-seulement vous nous souffrez avec patience, mais vous nous prévenez dans la multitude de vos miséricordes. Il n'y a qu'un Dieu, qu'une bonté infinie qui puisse nous aimer malgré tant de raisons de nous haïr.



Reportez-vous à Acte d'aveugle abandon et d'amoureuse confiance en la douce Vierge Marie, De la confiance en Dieu, Acte de confiance en Dieu, De la Providence de Dieu sur ses enfantsJésus Crucifié est le Livre des Élus, De l'abandon parfait du Père Surin à la Divine Providence dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Méditation sur l'ingratitude envers Dieu, Prière à Saint Louis de Gonzague pour demander la contrition, et Confiance en la divine Providence, Secret de paix et de bonheur, par le Père Jean-Baptiste Saint-Jure.