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mardi 24 mars 2020

Vie populaire et édifiante du glorieux Saint Roch : Premiers miracles de guérison en Italie, Tableau de la peste...




L’Italie présentait, à l'Europe épouvantée, le spectacle le plus hideux et le plus lamentable. La peste promenait ses affreux ravages. Ce n’étaient dans les rues d’Aquapendente que morts et mourants, que cadavres demeurés sans sépulture ; ici, un fils dans les bras de son père ; là, une mère expirante au cou de sa fille en putréfaction ; partout des cris, des hurlements, le désespoir, l’épouvante, l’infection, la pourriture, la mort ; et, pour comble de malheur, aucun secours. C’est dans ces circonstances qu’arrive le saint voyageur conduit par la Providence. Profondément touché d’un si déchirant spectacle, Roch a senti son cœur s’agiter jusque dans ses entrailles. Héros de la charité chrétienne, il ne calcula ni les dangers, ni la profondeur du mal. À sa place, nos libres-penseurs, sous prétexte de sauver leurs jours, auraient commencé par prendre la fuite bien vite, sans oublier leur bourse, comme ils ont fait maintes fois devant le choléra et devant les Prussiens. Ce ne sont pas les orateurs des trétaux, les hauts détracteurs des pèlerinages, les fusilleurs émérites qu’on a jamais vus dans les hôpitaux, dans les ambulances, dans la boue des champs de bataille : non, à eux les bons feux, les bonnes tables, les coussins des fauteuils ; tandis que le prêtre catholique, le religieux, le frère ignorantin, vrais amis du peuple et de l’ouvrier, se dépensent jusqu’à la mort au soulagement de toutes les misères de l’humanité souffrante.
Roch va droit à l’hôpital Saint-Jean où était le foyer le plus actif du mal, demande à parler à l’administrateur qui se nommait Vincent : « Je n’ignore pas, lui dit-il, les horreurs de ce lieu et je sais que vous êtes seul pour les conjurer ; je viens vous offrir mes services pour vous aider ; de grâce, acceptez-les et je vous assisterai tant que je vivrai. » — « Votre charité et votre foi, je le vois, ne sont pas d’un cœur vulgaire, mais jamais ni votre jeunesse, ni la délicatesse de votre santé ne supporteront le poids de ce labeur et les exhalaisons mortelles de cette maison. » — « Eh quoi ! est-il quelque chose de difficile avec le secours de Dieu, quand on travaille pour lui? Et n’est-il pas écrit? Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi-même que vous l’avez fait. »
Malgré toutes ces raisons, Vincent ne crut pas devoir exposer la vie du jeune homme a un péril si manifeste, auquel personne semblait ne devoir échapper. Mais Roch insiste comme s’il s’agissait d’un emploi lucratif à conquérir, ou d’immenses honneurs à gagner, et demande à être conduit auprès des malades.
Vincent, vaincu par tant d’instances et par la crainte de la colère de Dieu, s’il privait son hôpital d’un secours si inattendu, conduit Roch auprès des malades. Le voilà comme un ange descendu du Ciel, soignant leurs corps et leurs âmes, leur portant la nourriture et les remèdes, veillant à leur chevet, les changeant de lit. À chacun d’eux il fait au front le signe de la croix, et les malades sont guéris. Une sorte de stupeur s’empare des esprits ; chacun bénit et exalte le Seigneur en son nom et ne doute pas que Roch ne soit un envoyé du Ciel : on l’entoure, on le vénère, on veut le porter en triomphe ; mais lui, se dérobant à tous ces honneurs, quitte secrètement la ville et se dirige vers Césène, où sa charité opère parmi les pestiférés les mêmes prodiges de dévouement et de guérisons. De là, il se met en route pour Rome, où il pensait que le fléau sévissait avec une intensité plus cruelle encore. Il ne se trompait pas. Écoutons les auteurs du temps :
« On ne croira pas, dit Pétrarque, qu’il y a eu un temps où l’univers a été presque entièrement dépeuplé, où les maisons sont demeurées sans famille, les villes sans citoyens, les campagnes incultes et toutes couvertes de cadavres. Comment la postérité le croira-t-elle? Nous avons peine à le croire nous-mêmes, et cependant nous le voyons de nos yeux. Sortis de nos maisons, nous parcourons la ville, que nous trouvons pleine de morts et de mourants. Nous rentrons chez nous, et nous n’y trouvons plus nos proches ; tout a péri pendant ce peu de moment d’absence. Heureuses les races futures qui ne voient point ces calamités et qui regarderont peut-être la description que nous en faisons comme un tissu de fables! Eh quoi! Seigneur, il faut donc que nous soyons les plus méchants hommes qui aient paru sur la terre. Il faut que vous nous fassiez expier les crimes de tous les siècles, puisque vous exercez contre nous une sorte de vengeance, qui l’emporte sur toute la multitude réunie des divers châtiments que vous avez jamais employés contre les impies. (Pétrarque, 1. 8, épist. fam. 7) »
Suivant d’autres écrivains, les deux tiers des hommes furent emportés par cette mortalité générale ; il y eut des villes où il ne resta que la dixième ou même la vingtième partie des habitants, et certaines provinces furent presque entièrement changées en d’affreuses solitudes. Les premières atteintes du mal contagieux étaient des pustules qui paraissaient sur le corps, accompagnées de fièvres malignes, dont on mourait au bout de deux jours. Partout on n’entendait que des gémissements, des plaintes aiguës, des lamentations effrayantes. Enfin, ajoutent ces écrivains, il est difficile de croire qu’au temps du déluge les eaux aient détruit plus d’hommes que la peste n’en mit au tombeau dans l'espace de quatre ou cinq années. (Matth. Villani, 1. 1, c. 1 et 2. — Cantacuz, 1. 4, c. 8. — Cortus hist. l. 9, c. 14)
« Vivait en ce moment à Rome (Ce trait, bien que regardé généralement comme un anachronisme, nous a paru trop édifiant et légendaire pour être mis en oubli. Note de l’Auteur) un cardinal français du nom de Britanicus. C’était un homme qui, à sa haute naissance, joignait de nombreuses vertus et jouissait auprès du Pape d’un crédit justement mérité : on le regardait comme un saint. Roch alla le trouver et reçut de lui le sacrement de Pénitence et le pain Eucharistique. Au moment où les deux saints allaient se séparer, le front de Roch resplendit tout à coup d’une divine clarté. À cette vue le cardinal se sentit saisi d’émotion, et, touché d’une profonde vénération pour le pieux pèlerin, il se jette à ses pieds et le supplie de délivrer Rome des ravages du fléau. Rome, ajouta-t-il avec instance, le siège du Christ, jadis la capitale du monde, la demeure de tant de saints, la mère des arts et des sciences, la cité de Pierre. « Mon révérend Père, reprit Roch avec une modestie touchante, Dieu seul tient entre ses mains et la vie et la mort. C’est lui qui punit les criminels et les pécheurs ; c’est lui qui protège et secourt la vertu, l’innocence et la justice ; c’est lui qui rend la santé et ramène des portes du tombeau. Priez-le donc, lui qui ne repousse point les supplications et tient sur la croix ses bras étendus pour donner le baiser de paix à. ceux qui viennent à lui. » Levant alors les yeux au ciel : « Ô Dieu de clémence ! s’écria-t-il, bien que les prières de ce pieux cardinal aient plus de poids auprès de vous que les miennes, cependant, pour faire briller davantage l’éclat de votre gloire et la grandeur de votre nom, je n’hésite pas à joindre aux siennes mes faibles supplications : que cette cité, le siège de la sainte Église, soit par votre miséricorde et votre clémence, délivrée de ce fléau terrible, et que ce saint cardinal, en vertu du signe de votre croix, échappe à tout danger.
» Roch à ces mots trace le signe sacré de la croix sur le front du cardinal, et ce signe y demeura gravé et enfoncé bien avant comme si on l’eût imprimé avec un fer chaud. Tout le monde, à cette vue, demandait au cardinal ce que signifiait cette croix. « C’est un homme de Dieu, disait-il, qui m’en a armé pour me préserver de la peste. » Les uns l’en félicitaient, les autres l’engageaient à la faire disparaître comme une difformité sur son visage. Tout confus, le cardinal va trouver Roch et le prie de lui ôter cette croix, qui le fait tourner en dérision. « Aucun serviteur, mon père, ne tient à déshonneur de porter les livrées de son maître ; au contraire, il s’en glorifie. Les apôtres, André et Pierre, n’ont certes pas regardé comme une honte, mais bien comme une gloire d’être attachés à la croix, comme Jésus-Christ, et ils se sont réjouis de souffrir une mort si cruelle, afin de ressembler à leur maître. Saint François, homme d’une sainteté sublime, a reçu, à peine à votre âge, les stigmates Sacrés, en signe de victoire et de gloire. Comment donc éprouveriez-vous de la confusion dans ce signe, par lequel le Fils de Dieu nous a rachetés en s’y faisant attacher avec des clous et transpercer d’une lance. Faites-vous gloire plutôt d’arborer cet étendard de vie et de salut, car il est écrit : que celui qui veut entrer dans la vie, porte sa croix et qu’il suive celui qui ne s’est pas épargné. »
Ces paroles, si capables de toucher un chrétien, émurent facilement le saint cardinal, qui, loin de redemander la suppression de ce signe sur son front, s’en fit désormais un honneur et un ornement, comme il lui fut un préservatif efficace contre la contagion. Celui-ci lui offrit l’hospitalité. Roch accepta cette courtoise invitation, à la condition de vivre en liberté, sans que personne s’occupât de lui.
Roch demeura trois ans à Rome, dans une pauvre cellule, à l'écart, loin du bruit et des regards, employant tous ses jours dans la pratique de la charité à l’égard de tout le monde, sans distinction, et surtout des pauvres et des gens du peuple, dans la contemplation, la prière et la fréquentation des sanctuaires révérés. Les catacombes faisaient surtout ses délices. C’est au tombeau et auprès des corps des saints martyrs qu’il activait le foyer de sa foi et que son cœur s’armait de courage pour supporter les souffrances de la vie. Dans ces régions souterraines et obscures, tandis qu’au-dessus de sa tête le monde en fête étalait dans la grande cité le luxe de ses équipages et la magnificence de ses futures grandeurs, l’humble jeune homme, oublié des mortels, seul sous le regard de Dieu seul, goûtait dans les suaves extases de la prière combien le Seigneur est doux pour Ceux qui le recherchent. Au Colysée, il passait des journées entières agenouillé, couvrant de ses baisers et arrosant de ses larmes cette terre sacrée, engraissée du noble sang d’héroïques légions. C’est ainsi qu’à force de respirer l’atmosphère embaumée de la sainteté, son cœur s‘en saturait et exhalait à son tour, dans le parfum enivrant des exemples, des suavités attrayantes qui lui gagnaient l’estime de tous et la confiance des pécheurs. C’est ainsi qu’attaché à l'imitation des types les plus sublimes, on vit en lui le cachet et les mérites du solitaire, du prédicateur de l'Évangile, du confesseur, et je dirai même du martyr dans cette constance parfaite de la souffrance volontaire.
Toute la semaine il soumettait son corps à la plus rigoureuse abstinence, portait un rude cilice et se donnait de fréquentes disciplines. Souvent il recourait aux divins sacrements, et chacun, en voyant sa ferveur, l’aurait pris pour un séraphin bien plus que pour un pauvre pèlerin de cette terre. Autour de lui s’était formée comme une véritable école de sainteté par ses leçons et ses discours. Au bout de trois ans enfin, guidé intérieurement par la voix de Dieu, Roch résolut de quitter la ville de Rome. Ses derniers adieux furent pour les tombeaux des apôtres et des saints martyrs.


(Vie populaire et édifiante du glorieux Saint Roch du Tiers-Ordre de Saint François, Patron des pèlerins, guérisseur du choléra, de la peste, des maladies contagieuses, par le P. IRÉNÉE)



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