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jeudi 2 janvier 2020

Sainte Hildegarde et le combat spirituel, victoire de l'esprit sur la chair


Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


À l'époque où (Sainte Hildegarde) visita l'église de Trèves, elle fut deux ans en voyage et éprouva, comme elle nous l'apprend, de très-grandes fatigues.
« Moi, chétive et timide créature, je me suis beaucoup fatiguée pendant deux ans pour publier ces oracles de vive voix, en présence des pasteurs, des docteurs et des autres sages, me rendant pour cela dans les divers lieux de leur résidence (Ep. XLVIII). »
C'est peut-être de Trèves qu'elle partit pour Metz. Outre la ville de Mayence, où elle alla à diverses reprises pour les affaires de sa communauté, elle parcourut aussi les principaux monastères de ce diocèse, celui de Saint-Désibode, d'Eberbach, dont les religieux lui témoignaient une affectueuse gratitude, de Badenkirchen et de Winkel, sur les bords du Rhin. Sur l'autre rive du fleuve, à une lieue du mont Saint-Rupert, en Rheigau, elle fonda un monastère sous le vocable de saint Giselbert, au lieu nommé Ribingen, près Rudesheim, et elle le dota d'un revenu suffisant pour l'entretien de trente religieuses. Cette fondation n'eut que le titre de prieuré et resta soumise à Saint-Rupert. C'est là que se réfugièrent les religieuses de cette abbaye, lorsqu'au XVIIe siècle elle fut réduite en cendres par les Souabes. Il est certain que la sainte a dû visiter souvent cette maison. C'est en traversant le Rhin en cet endroit qu'elle rendit la vue à une jeune fille aveugle de naissance, en lui lavant les yeux avec de l'eau du fleuve qu'elle avait bénite.
En Souabe, elle visita les monastères de Manlbron et d'Hirschan, qu'elle menaça d'un grave et prompt châtiment, si les religieux ne le prévenaient pas par une plus prompte réforme. Elle annonça également la parole du Christ aux moines et aux vierges de la double abbaye de Soirfalten. On peut rapporter à ce même voyage sa présence dans la ville de Kircheim en Wurtemberg, à qui elle adressa plus tard la lettre prophétique que nous avons rapportée, et qui s'est réalisée d'une manière si terrible. L'un de ses plus longs voyages est le pèlerinage que, dans sa vieillesse, elle fit au tombeau de saint Martin de Tours. À cette occasion, elle passa à Paris, dont l'université jouissait dès lors d'une grande célébrité. Elle soumit ses livres à l'examen de l'évêque de cette ville, qui était alors Maurice de Sully. Ce prélat chargea les théologiens de l'Université de lui en rendre compte. À son retour, ces livres lui furent remis par Me Guillaume d'Auxerre, qui lui dit : « L'opinion des docteurs est que les paroles contenues dans ces livres sont, non pas humaines, mais divines (Àct. inquis., n. 9). » En tous ces lieux, dit son biographe, contrainte plutôt que conduite par l'Esprit de Dieu, elle annonça au clergé et au peuple tout ce que Dieu lui avait révélé pour le bien des âmes.
Partout elle unissait l'action à la contemplation. C'est dans la vie intime de notre sainte qu'il faut étudier le secret de son activité, et cela en elle plus encore que dans les autres saints. Le principe de son influence était tout surnaturel. Pendant que cette pieuse vierge instruisait les pasteurs des peuples et révélait au monde les jugements de Dieu, le Seigneur continuait à perfectionner sa vertu par des souffrances miraculeuses comme ses œuvres. Laissons-lui la parole :
« Lorsque j'étais travaillée par ces douleurs, je fus avertie, dans une vraie vision, de me rendre au monastère où j'avais été consacrée à Dieu, et d'y porter les paroles qu'il m'avait montrées. J'obéis, et je revins à mes filles avec la même douleur. Je me rendis encore en d'autres monastères pour exécuter les ordres de Dieu. Mon corps était toujours soumis au feu de la tribulation, ainsi que Dieu a coutume d'éprouver ceux qu'il charge de parler en son nom (la sainte dit encore, dans son livre des Œuvres divines (vis. X, n. 38) : Ideo infirmitas ei infixa est, ut nequaquam securitatem carnis in se habere possit, alioquin inspiratio Spiritus Sancti in eâ habitare non valeret). Gloire à lui ! Il m'a procuré un grand allégement dans la compassion infatigable de deux de mes filles et de plusieurs autres personnes. Je lui ai rendu grâces du fond du cœur de ce que les hommes ne me rebutaient pas. Car ma chair n'eût pu résister à une semblable torture qui ne fût pas venue de sa main ; tandis qu'au milieu de ce martyre, j'ai pu dicter, écrire et chanter dans une vision céleste ce que le Saint-Esprit m'inspirait. Après trois ans passés dans cette langueur, je vis dans un feu ardent, miroir des mystères de Dieu, un chérubin poursuivant d'un glaive de flamme les esprits aériens qui me tourmentaient . Et ceux-ci fuyaient en criant : Ah ! ah ! malheur, malheur ! Celle-ci nous échappera-t-elle sans que nous en ayons triomphé ? Bientôt mon esprit recouvra sa vigueur, et les forces revinrent à mon corps ; c'est ainsi que j'échappai. »
Voilà comment elle triomphait, par la protection des anges, des défaillances corporelles et des terreurs de l'enfer ; Aux premières, elle opposait le bouclier de la patience, et se glorifiait volontiers dans les infirmités, afin que la vertu du Christ habitât en elle ; elle acceptait comme une marque de la bonté divine les expiations qu'elle croyait avoir méritées. Contre les attaques des démons, elle se défendait par les armes que l'apôtre nous conseille, c'est-à-dire par le casque du salut et le glaive spirituel, qui est la parole de Dieu (Éphés., VI). Elle se revêtait de l'armure divine pour résister aux embûches du diable ; car ce n'est pas seulement contre la chair et le sang que nous avons à lutter, mais contre les puissances de l'empire dès ténèbres (ibid.) (Vit., 1. II, c. II et III).
Le rationalisme moderne a relégué parmi les fables l'influence des esprits bons et mauvais sur la vie des hommes, aussi bien que la lutte qu'ils se livrent, et dont notre âme est souvent le champ de bataille. L'Écriture condamne cette incrédulité qui attribue tout à la nature. Mais ce que nous croyons par la foi était pour la sainte une vérité d'expérience. Sa lucidité surnaturelle la rendait témoin de cette obsession dont nous sommes l'objet à notre insu, et trop souvent les victimes. Un jour qu'elle était travaillée par la fièvre, elle vit des saints qui disaient: « Venez, Seigneur, vengez le sang de vos élus. » D'autres, en s'adressant à elle-même, lui parlaient ainsi : « Vous devez supporter de bon cœur la souffrance que vous endurez. » D'un autre côté, quelques-uns s'entretenant ensemble se demandaient : « Viendra-t-elle avec nous, ou non ? » Un quatrième groupe, enfin, répondait : « Le passé, le présent et le futur ne le lui permettent pas encore ; mais quand elle aura achevé sa tâche, nous la prendrons avec nous. » Et tous s'écriaient en chœur : « O âme bienheureuse et prédestinée, levez-vous comme un aigle, car vous êtes un enfant de la lumière, et vous ne le saviez pas. » Et aussitôt elle fut guérie (Vit., 1. II, c. III, n. 29). Elle raconte deux autres événements : « Un philosophe distingué par ses richesses, après avoir longtemps douté de mes visions, revint enfin à nous, et enrichit notre monastère de bâtiments, d'alleux et d'autres biens, ce qui me remplit de joie. Je voyais que Dieu ne nous avait pas oubliées. Cet homme soumit d'abord mes écrits à un examen sévère, mais il finit par croire ; et celui qui nous témoignait d'abord son mépris par des paroles malignes nous combla de bienfaits encore plus grands, lorsque Dieu eut dissipé les préventions de son cœur. Ce changement de la droite du Très-Haut excita chez d'autres personnes une admiration qui accrut leur foi. En sorte que nous nommions ce philosophe notre père. Il demanda à être enseveli chez nous, et nous nous rendîmes à ses désirs. Ainsi mon âme fut raffermie, et je pourvus aux besoins corporels et spirituels de mes filles, comme il m'avait été prescrit de le faire par mes supérieurs (Vit., I. II, c. III, n. 30).
Je considérais dans une vraie vision et une grande sollicitude comment les esprits aériens combattaient contre nous ; et je vis que ces mêmes esprits avaient, par divers artifices, enveloppé comme d'un filet certaines de mes filles nobles. Je les ai fortifiées par des paroles des saintes Écritures, par une discipline régulière, et en les faisant vivre d'une vie sainte. Cependant, quelques-unes me regardaient de mauvais œil, disant que je leur imposais un fardeau qu'elles ne pouvaient porter. Mais Dieu m'a ordonné un allégement dans l'assistance que m'ont prêtée d'autres bonnes et sages sœurs. » Ce fut en ce temps qu'elle composa son livre Vitoe meritorum (Vit., 1. II, c. III, n. 30) (de 1159 à 1164) que nous n'avons plus.
Telle était son égalité d'âme, que les alternatives d'adversité et de prospérité la trouvaient toujours semblable à elle-même. Elle n'était ni abattue par le blâme, ni exaltée par la louange ; son exactitude dans l'observance de la discipline religieuse était si parfaite, que son historien la compare à un arc toujours tendu. Son autorité, toujours soutenue par ses exemples, n'était pas, comme il arrive souvent, tantôt molle et tantôt rigide ; mais sa gravité était tempérée par une merveilleuse suavité ; et la prière coulait de ses lèvres plus douce que le miel. Son action ne procédait pas de la disposition changeante et mobile de la nature, mais uniquement des principes de la vie surnaturelle dont elle avait une connaissance si profonde, comme le démontre ce qu'elle a écrit sur le dualisme de la nature et de la grâce, sur l'antagonisme de l'esprit et de la chair, sur les exemples des saints pères, étant éclairée par cette illustration surnaturelle au sein de laquelle son regard plongeait jusqu'à la racine des plus insondables mystères. « J'ai contemplé, dit-elle, dans une vision véritable, la figure de l'homme. Quoiqu'il subsiste dans une double substance, l'âme et le corps, il n'est cependant qu'un seul ouvrage, comme la maison bâtie par lui-même est composée de pierres et de matières calcinées qui se communiquent réciproquement la solidité, et ne font qu'un même édifice. Mais l'œuvre de l'homme qui est sans vie ne saurait être comparée à l'ouvrage de Dieu qui est vie, pas plus que le travail du potier à la figure vivante qui sort des mains de l'artiste. La nature de l'âme aspire à la vie infinie ; celle du corps à la vie caduque. Ils ne sont pas d'accord, parce que, quoique unis dans l'homme, ils sont cependant deux. C'est par la raison de cette similitude que, lorsque Dieu met son esprit dans l'homme par le don de prophétie, de science ou de miracle, il inflige des douleurs à sa chair, afin de la rendre capable d'être l'habitation du Saint-Esprit. S'il ne la mate par la douleur, elle demeure accessible aux inclinations du siècle, comme il est arrivé dans Samson, dans Salomon et d'autres, qui ont défailli dans l'essor de l'esprit, en s'inclinant aux délectations de la chair, parce que le don de prophétie, de science et de miracles est agréable à posséder dans la joie. Mais lorsque, par la suggestion du diable, l'homme spirituel cède à l'attrait des plaisirs de la chair, il ne peut s'empêcher de dire : Ah ! j'exhale la puanteur immonde de la fange. Qu'est-ce à dire que l'esprit afflige la chair ? C'est que, par sa nature, l'âme a en horreur le goût du péché. Mais lorsque la chair dompte cette aspiration inhérente à l'âme, en s'adonnant à cette jouissance grossière qui l'enveloppe dans la féteur du péché, au point que l'esprit est contrarié dans son élan propre, alors, c'est la chair qui afflige l'esprit. Et ainsi, par la grâce de Dieu, l'affliction existe des deux parts (Vit., I. II, c. III, n. 31). »
La sainte continue, en montrant d'abord cette guerre domestique, figurée dans divers personnages de l'ancienne loi et de l'Évangile, qui ont rencontré la contradiction dans leur famille, ou parmi les leurs, et puis réalisée dans leur personne même, où la chair a été affligée par l'esprit, et l'esprit par la chair. Elle cite comme exemple : Abel, Noé, Abraham, Jacob, Moïse, les apôtres, Zachée, le jeune homme qui veut suivre Jésus-Christ, Saul, dont la grâce a fait Paul. Puis elle poursuit : « Or, moi la chétive forme, j'ai aimé surtout et invoqué ceux qui ont affligé la chair par l'esprit, m'éloignant de ceux qui se sont endurcis contre l'esprit et l'ont étouffé. Je n'ai jamais eu de repos, mais j'ai été travaillée par maintes tribulations, jusqu'à ce que Dieu fit pleuvoir sur moi la rosée de sa grâce, selon ce qu'il dit à son favori : Je serai l'ennemi de tes ennemis, et j'affligerai ceux qui t'affligent, et mon ange marchera devant toi (Éxod., XXIII). Et encore : J'ai comblé mon serviteur d'une grande gloire, et j'ai humilié tous ses ennemis (I Paralip., XVII). »
Si la sainte abbesse avait une sollicitude universelle pour la sanctification des âmes, à plus forte raison elle cultivait avec soin celles qui lui étaient spécialement confiées. Elle leur réservait la plus large part des lumières surnaturelles qu'elle communiquait à tous si libéralement. Outre ses exhortations orales, elle les instruisait encore par des écrits. Ainsi, nous savons qu'elle avait composé à leur usage un recueil d'homélies sur tous les évangiles de l'année, travail qui n'existe malheureusement plus. Le seul ouvrage de ce genre qui nous reste est une explication du symbole de saint Athanase.
Cette instruction commence ainsi : « Mes filles, qui avez suivi les traces de Jésus-Christ par l'amour de la chasteté, et qui, dans l'humilité que vous avez embrassée pour mériter d'être un jour exaltées, m'avez choisie, moi chétive, pour votre mère, je vous parle, non en mon nom, mais par la révélation de Dieu et l'inspiration de ma tendresse maternelle. Ce lieu-ci, qui est celui où reposent les reliques du bienheureux confesseur Robert, sous le patronage duquel vous vous êtes réfugiées, je l'ai trouvé par des signes évidents de la volonté divine, et je m'y suis retirée avec vous, avec l'aide de Dieu et la permission de mes supérieurs. » Elle mentionne ensuite les démarches qu'elle a faites pour les rendre indépendantes de toute immixtion temporelle de l'abbaye de Saint-Désibode, et le succès dont ses soins ont été couronnés. Elle poursuit : « Mais, oh ! quel sera le deuil de mes filles, après la mort de leur mère ! Elles ne se nourriront plus de ses paroles. Pendant longtemps, elles diront avec des soupirs et des larmes : Oh ! comme nous voudrions vivre encore sur le sein de notre bonne mère ! Comme nous voudrions la posséder encore parmi nous ! C'est pourquoi, ô filles du Père céleste, je vous conjure de conserver la charité entre vous, comme je n'ai cessé de vous le répéter depuis que je suis votre mère, afin que, par votre mutuelle affection, vous soyez une brillante lumière avec les anges, et que vous soyez fortes par votre courage, selon l'avertissement de votre père saint Benoît. Que le Saint-Esprit vous comble de ses dons pour le temps où vous n'entendrez plus ma voix. D'un autre côté, ne mettez pas en oubli cette voix qui a si souvent gémi au milieu de vous dans la charité. Maintenant, le cœur de mes filles est consumé de la tristesse qu'elles ressentent, dans l'ardeur de leurs soupirs vers les choses célestes. Après, elles seront resplendissantes de la lumière dont elles brilleront par la grâce de Dieu. Si donc quelqu'un tente de semer la division et la discorde dans cette famille de mes filles, puisse le don du Saint-Esprit ôter cette pensée de son cœur ! Que si, au mépris de Dieu, il ose jeter le trouble parmi vous, puisse-t-il être confondu ! C'est pourquoi, ô mes filles, ce lieu que vous avez choisi pour travailler au service de Dieu, habitez-le dans la stabilité et la dévotion, afin que vous y méritiez des récompenses célestes. » Elle leur recommande ensuite la sagesse, la charité et l'humilité. « Par ces deux vertus, la sagesse et la chanté, les anges et les hommes obéiront à Dieu dans l'humilité, parce que l'humilité s'abaisse pour la gloire de Dieu et renferme ainsi en soi toutes les vertus... Car Dieu a créé l'homme dans la sagesse, il l'a vivifié dans la charité, il l'a gouverné dans l'humilité et l'obéissance, afin qu'il comprit comment il devait vivre (Explan. symb. S. Athanas. inter opéra S. Hildeg., patrol. Migne, t. CXCXVII). »



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