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lundi 22 février 2021

De la conformité que nous devons avoir à la volonté de Dieu dans le partage des autres vertus, et de tous les dons surnaturels


Job, le patient

La même soumission que nous devons avoir à la volonté de Dieu, de quelque manière qu'il nous traite dans l'oraison, nous devons l'avoir aussi à l'égard de tous les autres avantages de la grâce. Il est bon de désirer la vertu, de s'y porter avec ardeur, et de s'efforcer de l'acquérir ; mais il faut néanmoins se conduire en cela de manière que si nous n'arrivons pas au point de perfection que nous désirons, nous ne laissions pas de conserver la paix intérieure de l'âme, de nous contenter de la mesure de grâces que Dieu veut nous donner, et de nous conformer entièrement à sa divine volonté. Si Dieu ne veut pas vous accorder la pureté des anges, s'il veut vous humilier et vous éprouver par de continuelles tentations contre la chasteté, il vaut mieux vous soumettre humblement à sa divine volonté, que de vous troubler et de vous plaindre de ce que vous n'avez pas cette pureté angélique. Si Dieu ne veut pas vous donner une humilité aussi profonde que celle de saint François, une douceur aussi grande que celle de Moïse et de David, une patience aussi constante que celle de Job, et s'il permet que vous soyez intérieurement agité par des mouvements contraires ; il est bon de prendre de là occasion de connaître votre néant et votre bassesse ; mais il ne faut pas pour cela perdre la tranquillité de l'âme, ni vous laisser aller au trouble et aux plaintes ; il ne plaît pas à ce souverain Maître de vous faire les mêmes grâces qu'à ces grands saints. Je ne crois pas, dit le père Avila, qu'il y ait jamais eu de saints si parfaits, qu'ils n'aient toujours désiré de le devenir davantage ; mais cela ne troublait pas néanmoins leur paix, parce que ce n'était point un désir qui partît du dérèglement d'une convoitise insatiable, mais un sentiment que le seul amour de Dieu leur inspirait ; en sorte qu'ils ne laissaient pas de se contenter du partage qu'ils avoient reçu, et qu'ils se seraient même contentés de moins, si Dieu leur eût moins donné ; ils savaient bien que c'est une illusion de l'amour-propre de désirer de grands dons, dans la vue de rendre de grands services à Dieu ; et que l'amour véritable consiste à se contenter de ce qu'on lui donne.
Cette doctrine ou cette maxime, dira quelqu'un, ne semblerait-elle pas tendre à établir que nous ne devons point désirer d'être plus vertueux que nous ne sommes, mais qu'il faut abandonner à Dieu le soin de notre perfection, et ce qui regarde l'âme aussi-bien que ce qui regarde le corps ? et n'est-ce pas ouvrir la porte au relâchement, donner occasion à la tiédeur, et empêcher qu'on ne travaille à devenir plus parfait ? Cette objection a son mérite ; et elle prévient justement le seul inconvénient qu'il y aurait à craindre dans la matière que nous traitons ici. Il n'y a point de doctrine si sainte dont on ne puisse abuser, quand on n'en sait pas faire la juste application ; et dans la crainte que cela n'arrive ici, soit en ce qui regarde l'oraison en particulier, soit en ce qui a rapport à toutes les autres vertus en général, il est à propos de donner un plus grand éclaircissement au principe que nous avons établi. Je ne dis pas que nous ne devions point désirer de nous rendre chaque jour plus parfaits dans la vertu, et nous efforcer d'imiter ceux qui y sont le plus consommés. Ce que je dis, c'est que, comme dans les choses extérieures et corporelles il faut apporter des soins exempts d'inquiétude et d'avidité, aussi faut-il que les soins qui regardent nos dispositions intérieures et les biens spirituels, ne puissent pas troubler notre paix, et nous détourner de cette entière conformité que nous devons avoir à la volonté de Dieu. Lorsque Jésus-Christ dit à ses apôtres (Matth. 6, 25) : Ne vous mettez point en peine, ni pour votre nourriture, ni pour votre vêtement ; il ne prétendait défendre par là, disent les Pères, que le trop grand empressement et la trop grande inquiétude sur ces choses ; car pour le soin raisonnable et le travail, non-seulement ils ne nous ont pas été défendus, mais ils nous ont même été commandés : c'est une punition qui nous a été imposée, lorsque Dieu a dit à Adam (Genes. 3, 19) : Vous mangerez votre pain à la sueur de votre front ; et ce serait tenter Dieu que de vouloir s'en dispenser. Il en est de même à l'égard des choses spirituelles, il faut les rechercher avec soin, et faire tout ce qu'on peut pour les acquérir; mais si en faisant tout ce qui dépend de vous, vous ne pouvez parvenir au point que vous désirez ; il ne faut pas pour cela vous laisser aller au trouble et à l'impatience, ce qui serait plus à craindre que les défauts qui les auraient occasionnés.
Tâchez de ne manquer à rien de ce qui dépend de vous ; mais si, malgré tout le soin que vous y apporterez, il vous arrive de commettre quelques fautes, ne vous étonnez pas, ne perdez pas courage pour cela ; car nous sommes tous sujets à faillir. Nous ne sommes ni des anges, ni des saints confirmés en grâce : nous sommes des hommes faibles ; et Dieu qui connaît notre faiblesse et notre misère, lui qui sait de quel limon nous avons été formés (Ps. 102, 14), ne veut pas que nous nous découragions. Ce qu'il demande de nous après nos chutes, c'est que nous en concevions du regret et de la douleur ; que nous nous relevions promptement ; que nous recourions à lui, en lui demandant de nouvelles forces pour combattre, et que nous tâchions de conserver la tranquillité au dedans et au dehors de nous-mêmes. Car il vaut mieux que vous vous releviez promptement avec une sainte confiance qui ranime votre ferveur et redouble votre courage pour le service de Dieu, que de laisser abattre votre âme, sous prétexte de pleurer vos fautes pour l'amour de lui, et que de lui déplaire ainsi par votre découragement, votre relâchement, votre tiédeur, et par mille autres mauvaises dispositions qui en sont les suites inséparables.

(Abrégé de la pratique de la perfection chrétienne)


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