Extrait de "L'Homme de Dieu, en la personne du R.-P. Jean-Joseph Surin" par H.-M. Boudon :
La véritable union avec notre Seigneur Jésus-Christ fait entrer dans ses mêmes sentiments, et fait porter ses mêmes inclinations. On regarde et on fait état des choses par sa lumière ; et par l'estime qu'il en fait, on veut ce qu'il désire et on aime ce qu'il aime. Cette vérité doit donner un grand sujet de crainte à la plupart des Chrétiens, qui sont si éloignés dans leurs sentiments des maximes de Jésus-Christ, et si opposés dans leurs affections à ses inclinations divines. Car quelle union peuvent-ils avoir avec cet aimable Sauveur dans cet éloignement et cette opposition aux maximes qu'il a pratiquées et enseignées pendant sa vie ? Comme le Père Surin possédait la véritable union avec notre Seigneur, et d'une manière admirable, toutes les pensées de son cœur n'allaient que vers les choses que Jésus aimait : Et comme entre toutes les créatures la très-sainte et immaculée Vierge a été le sujet des plus douces complaisances du Fils de dieu, qui même la bien voulu choisir pour sa très-digne mère ; c'était pour elle que le cœur de ce Père après Jésus et pour Jésus, avait de plus douces, de plus tendres, et de plus fortes inclinations ; il l'honorait comme sa princesse et sa bonne maîtresse ; il en dépendait comme de sa reine ; il l'a regardait comme sa patronne ; il avait recours à elle comme à son avocate ; et il l'aimait comme sa très-douce et très-fidèle mère.
Qui pourrait dire ici les grandes tendresses de son cœur pour une mère si aimable ? Il ne pouvait se lasser de l'appeler par ce doux nom d'amour. On l'entendait dire et repérer mille et mille fois dans des sentiments d'une suavité inexplicable, parlant à la très-sacrée Vierge, ma mère, ma chère, ma bonne mère. Mais s'il avait un cœur d'enfant pour Marie, Marie lui montra bien qu'elle avait pour lui un cœur de mère. Sainte Brigitte dans ses révélations dit avoir appris du Ciel, que ceux qui auraient recours à sa grande Reine sous la qualité de mère, et qui l'invoqueraient avec une solide dévotion tous les jours par le verset de l'hymne Ave maris Stella, et qui commence par ces mots Monstra te esse matrem, le répétant trois fois, en ressentiraient la maternelle protection. Peut-être que cette lumière du Ciel a servi d'occasion à plusieurs Communautés et Maisons particulières pour exercer cette pratique avec beaucoup de bénédiction ; mais il est assuré que le Père Surin en fit une douce expérience, par la protection maternelle de l'admirable mère de Dieu sur tout ce qui le regardait, durant tout le cours de sa sainte vie et au moment de sa précieuse mort.
Car il faut avouer que cette protection a éclaté d'une manière merveilleuse en sa personne contre les attaques les plus furieuses de l'Enfer : En voici des preuves tout-à-fait convaincantes. Lorsque le Père fut à Loudun pour y faire l'office d'Exorciste, il y avait longtemps que tous les sentiments de volupté étaient éteints en lui par une grâce particulière de notre Libérateur ; comme il est rapporté de saint Ignace de Loyola qui a possédé ce même privilège depuis sa conversion par les intercessions de la très pure Vierge à qui il s'était adressé avec beaucoup de confiance pour ce sujet, et qui l'honora d'une apparition miraculeuse où elle lui laissa le don singulier qu'il lui avait demandé avec une grande humilité. En cela aussi bien que dans le reste il était digne et véritable enfant de saint Ignace. Mais les Démons ne pouvant supporter une si grande pureté, conspirèrent ensemble, et n'oublièrent rien pour la lui faire perdre.
Isacaron qui était l'un des Démons possédant, et qui était le Démon qui avait pris à tâche de le porter à la volupté, prit un dessein furieux de l'attaquer de toutes ses forces, et de triompher, s'il le pouvait, de cet homme vierge. Il l'attaqua même à force ouverte, le tourmentant sous diverses figures de serpent, de chien, ou de quelqu'autre animal. Cependant pour l'ordinaire, il le molestait sous la forme d'un serpent qui s'entortillait sur son corps entre ses vêtements et sa chair. Aussi ce Démon disait que le nom d'Isacaron lui avait été donné par de certains peuples étrangers, et qu'il signifiait en leur langue serpent tortu. Cette vexation Diabolique sous une forme si monstrueuse et en la manière qu'elle se faisait, causait une horreur naturelle au Père, et lui donnait un étrange tourment, d'autant plus qu'elle lui dura une année entière ou davantage sans presque aucune relâche. Ce fut la nuit du dix-neuvième de Janvier que commença cette obsession secrète, qui l'affligea sensiblement par des tentations extraordinaires contre la pureté. C'est ce qui le pressa de se mettre tout de nouveau sous la protection de la très-sainte Vierge.
Il fut inspiré de s'en représenter la figure dans son imagination, l'y regardant comme tenant son fils entre ses bras ; et dès la première fois qu'il se fut formé cette image sainte, il en ressentit bientôt les effets (ô aimable Vierge ! qu'il fait bon avoir recours à vous! car l'opération du Démon se diminua, et en peu de temps, elle fut entièrement amortie. Cependant, le Démon redoubla ses efforts, mais sans effet. Le Père demeurant insensible comme une pierre à toutes ses attaques ; de sorte qu'il en était lui-même tout étonné, parce qu'il savait assez ce que peut faire l'opération Diabolique sur des sujets faibles comme les hommes, et combien elle surpasse toutes celles de la nature ; et néanmoins il voyait qu'elle demeurait sans effet à la seule présence d'un objet imaginé, n'ayant point d'autre application à son mal que la seule pensée. Ce secours de la puissante Mère de Dieu lui redoubla le courage, lui donna la force de se moquer du Diable, et lui laissa la liberté de dormir le lendemain de la première nuit où il avait été secouru si favorablement par la Mère de la miséricorde. N'ayant donc rien communiqué à personne de ce qui lui était arrivé, il s'en alla le matin à l'exorcisme, et ayant demandé au Démon en langue Latine Qui t'a empêché ? par rapport à l'attaque secrète qu'il lui avait donnée la nuit ; il répondit incontinent, C'est Marie. Le Père ensuite l'ayant interrogé comment il avait été arrêté, le Diable répondit que s'apercevant de l'inutilité de tous ses efforts, il était entré dans son imagination, et qu'il y avait trouvé ce qui l'arrêtait.
Cependant Isacaron, qui est comme un autre Asmodée dans ses opérations, ne se laissant point d'attaquer le Père ; ce serviteurs de Dieu et de sa très pure mère, continua toujours à se servir de son remède avec bien du succès et du repos. Le démon fit tout son possible pour envelopper l'image de la très-sacrée Vierge, que son fidèle Dévot formait sans cesse dans son imagination, tâchant d'y en substituer d'autres qu'il y imprimait si vivement qu'il y avait des moments où il ne restait aucun vestige de cette sainte image de la Mère de Dieu, que le Père s'était formée avec tant de soin. Dans ce temps le Démon lui donnait de cruelles atteintes ; mais aussitôt que l'image sainte de la très-pure Vierge paraissait (ce qui ne tardait guère) la tempête cessait tout à coup. Un si heureux succès causant une extrême confusion aux Démons, ils conspirèrent tous ensemble pour se joindre à Isacaron, et pour éprouver s'ils ne pourraient pas remporter ce qu'un seul n'avait peu gagner. Pour ce sujet Léviathan le premier des démons possédants, et le plus violent dans sa force, qui avait blâmé ses suppôts de leur peu de courage, s'étant saisi d'un corps emprunté vint une nuit tourmenter le Père d'une manière épouvantable ; mais se tenant ferme dans la représentation de la très-sainte Vierge, le Démon demeura confus de ce que tous ses efforts ne causaient pas même la moindre impression ; et après une demie heure de combat, le Père lui parla avec tant de vigueur et d'assurance, qu'il fut obligé de se retirer avec honte. Ces combats (comme nous l'avons dit) durèrent une année ou plus, et le jour aussi bien que la nuit presque sans aucune relâche : ce qui fut au Serviteur de Dieu une peine que l'on ne peut expliquer, aussi bien qu'une occasion perpétuelle durant tout ce temps-là d'un glorieux triomphe, par les assistances de la Mère de Dieu.
Si les sacrées images des saints ont mis en fuite les Démons (comme nous le lisons dans leur histoire) il ne se faut pas étonner si l'image de leur Reine a détruit tous les efforts de ces esprits infernaux. On ne peut jamais assez dire les grands effets que la Divine Providence opère par les moindres choses qui regardent la Souveraine des Anges et des hommes. Saint Grégoire le grand ayant fait porter sa sainte image dans une procession publique par les rues de Rome qui pour lors était infectée de la peste, pour ne obtenir la délivrance par ses puissantes intercessions, l'on reconnut que l'air se purifiait dans tous les lieux où cette sainte Image était portée ; Dieu voulant témoigner par ce miracle l'incomparable pureté de sa bienheureuse mère, dont l'image ne pouvait compatir avec aucun air qui fût impur. Combien de personnes ont-elles été touchées et ont-elles reçu des grâces extraordinaires à la seule vue de ses images, ou les portant sur soi avec dévotion. Nous avons remarqué dans notre livre des Avis Catholiques touchant la véritable dévotion de la B. Vierge, qu'il est rapporté dans l'Action quatrième du second Concile de Nice, que le Diable parut à un Anachorette qu'il travaillait extraordinairement par des tentations contre la pureté, lui disant que jamais il ne le tenterait s'il cessait d'honorer une image de Marie mère de Jésus : Ce que l'Hermite ayant appris au saint Abbé Théodore, il lui donna avis qu'il lui serait plus expédient d'être exposé aux tentations les plus infâmes, que de manquer à aucun des devoirs de Religion qu'il pratiquait en l'honneur de la très-sacrée Vierge devant son image. Et de vrai, quoique les tentations au sujet de l'impureté soient très dangereuses, cependant il est vrai qu'il n'y en a point de plus redoutables que celles qui portent au relâchement de la dévotion à la très-pure Vierge. Dans la même Action, il est remarqué qu'un homme possédé du Diable en avait été délivré à la vue d'une image de la très-sainte mère de Dieu ; le Diable confessant qu'il ne pouvait demeurer dans un lieu où l'on honorait cette image sacrée. On lit encore au même endroit la punition miraculeuse d'un misérable qui avait méprisé une de ses saintes images.
C'était aussi le grand conseil du Père Surin, que pour triompher des Démons et à la vie et à la mort, il fallait avoir une sincère dévotion à l'immaculée Mère de Dieu : imitant en cela son très digne Père et Fondateur le B. Saint Ignace comme nous l'avons dit, qui a excellé dans une dévotion cordiale pour cette mère d'amour.
Nous lisons dans les actes de ce grand Saint, que ayant été touché de la puissante main de Dieu, il commença sa très-sainte vie par un pèlerinage qu'il fit en l'église célèbre de Notre-Dame de Montferrat ; que ce fut dans ce lieu sacré qu'il confia tous ses généreux desseins et toutes les résolutions qu'il avait prises à l'auguste Reine de tous les Saints. Le Père Surin à son exemple fut en dévotion à Saumur où il y a une église consacrée à Dieu sous une invocation très particulière de Notre-Dame, pour mettre entre ses mains l'affaire importante de la possession de Loudun avant que d'y travailler : et la confiance qu'il eut en cette mère de bonté ne fut pas sans un heureux succès ; car elle l'assista visiblement contre les Démons, et lui en fit remporter de glorieux triomphes.
Ce fut par son pouvoir qu'Isacaron le Démon d'impureté fut chassé, ayant écrit sur la main de la Mère des Anges qui en fut délivrée, le saint nom de MARIE. Mais avant que de sortir, il fut contraint de publier malgré lui sa puissance, ses grandeurs, et ses louanges. Nous lisons la même chose en la vie de Saint Dominique, où il est rapporté que cet homme Apostolique exorcisant une personne possédée de quinze milles démons ; parce qu'elle avait parlé contre les quinze mystères du sacré Rosaire. Ces esprits malheureux furent obligés avant leur sortie, de déclarer les grandeurs de l'incomparable Mère de Dieu. C'est elle (disaient-ils) qui réduit tous nos efforts au néant, comme le soleil dissipe les ténèbres ; c'est elle qui découvre toutes nos finesses ; un seul de ses soupirs a plus de force que toutes les prières des saints, et nous la craignons plus que tous les Bienheureux du Ciel ensemble ; c'est elle dont Dieu se sert pour conserver la foi, et elle obtient le Paradis à ceux qui lui sont véritablement dévots. Ô notre ennemie (criaient ces esprits misérables), notre confusion ! voie du ciel infaillible ! c'est toi qui détruit toute la puissance de l'Enfer. Elle le fit bien paraître en toutes les occasions de la possession de Loudun : en voici une fort remarquable. Les Démons par une permission secrète de Dieu, faisant leurs efforts pour perdre de réputation et d'honneur la Mère des Anges, lui donnèrent une grossesse apparente : ce qui lui était un sujet d'une dernière humiliation. Mais la très-pure Vierge jeta la confusion sur ceux qui la voulaient donner ; car elle contraignit les Démons de délivrer la Mère de cette grossesse apparente, comme ils l'avouèrent eux-mêmes. Mais comme ils lui avaient causé cette marque apparente par quantité de sang qu'ils avaient amassé dans son corps, ils le lui firent vomir durant vingt-quatre heures, dont l'illustre Évêque de Bazas qui était pour lors fut témoin. Ce fut encore au jour de la triomphante Assomption de cette grande Reine, que la Mère des Anges entendit distinctement une voix miraculeuse qui lui promit la délivrance du dernier Démon qui lui était resté ; et ce fut le dix-septième de Septembre, jour consacré à la fête de ses grandeurs, que la Mère fit le vœu d'aller au tombeau de Saint François de Sale, pour obtenir cette grâce, selon l'ordre de Dieu qui lui avait été signifié.
Ce fut enfin par cette aimable Aurore, le jour de sa fête du mont Carmel, que la lumière commença sensiblement à paraître dans l'esprit du Père Surin après tant de sombres nuits et de peines de réprobation qu'il avait protées, comme nous le dirons (Dieu aidant) ci-après. Il est vrai que ce point du jour fut encore obscurci durant quelques années par plusieurs nuages qui s'élevèrent de nouveau et qui lui cachaient la lumière de cette divine Aurore ; le temps n'étant pas encore arrivé que la Divine Providence avait ordonné pour le recouvrement de son entière liberté. Mais enfin elle lui fut redonnée avec toutes les plus saintes bénédictions des grandes miséricordes du Seigneur qui sait vivifier d'une manière puissante ce qu'il a mortifié, et élever jusqu'aux Cieux ceux qu'il a jetés jusqu'au plus profond des abîmes. C'est la grande doctrine des saints que la sacrée vierge est le moyen dont Dieu se sert davantage pour exécuter les desseins de sa divine providence. Heureuse l'âme qui lui est saintement liée par un amour fidèle ! qu'elle se réjouisse en Dieu son Sauveur, qui lui a fait une grâce qui est une source féconde de bénédictions. Ô si l'on savait ce que c'est que d'avoir une solide dévotion à l'immaculée Mère de Dieu, que ne ferait-on pas ! que ne souffrirait-on pas pour posséder ce don de Dieu. Aimable Vierge, qu'un chacun porte ses inclinations où il voudra ; pour moi tout mon plaisir sera de vivre et de mourir à vos pieds, comme aux pieds de ma bonne et chère maîtresse, et de ma très douce et très fidèle mère. Très aimable Vierge, il me semble que mon cœur vous aime : mais faites qu'il vous aime davantage, pour ne plus vivre et ne se plus nourrir que des vives flammes de votre pur amour ; parce que c'est le pur amour de Jésus qui soit à jamais notre grand et unique tout en toutes choses.
D'autres extraits sont à lire à la fin du billet suivant : Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (4/4).
Reportez-vous à Les possessions démoniaques sont rares uniquement pour ceux qui ne combattent pas le démon, Méditation sur la Présentation de la Sainte Vierge au Temple, Du grand Amour du Père Surin pour les Saints Anges, dans l'union avec notre Seigneur Jésus-Christ, De l'amour admirable du Père Surin pour les souffrances, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, De l'amour du Père Surin pour l'humilité, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4) et Méditation pour la Fête du Saint Nom de Marie.
Qui pourrait dire ici les grandes tendresses de son cœur pour une mère si aimable ? Il ne pouvait se lasser de l'appeler par ce doux nom d'amour. On l'entendait dire et repérer mille et mille fois dans des sentiments d'une suavité inexplicable, parlant à la très-sacrée Vierge, ma mère, ma chère, ma bonne mère. Mais s'il avait un cœur d'enfant pour Marie, Marie lui montra bien qu'elle avait pour lui un cœur de mère. Sainte Brigitte dans ses révélations dit avoir appris du Ciel, que ceux qui auraient recours à sa grande Reine sous la qualité de mère, et qui l'invoqueraient avec une solide dévotion tous les jours par le verset de l'hymne Ave maris Stella, et qui commence par ces mots Monstra te esse matrem, le répétant trois fois, en ressentiraient la maternelle protection. Peut-être que cette lumière du Ciel a servi d'occasion à plusieurs Communautés et Maisons particulières pour exercer cette pratique avec beaucoup de bénédiction ; mais il est assuré que le Père Surin en fit une douce expérience, par la protection maternelle de l'admirable mère de Dieu sur tout ce qui le regardait, durant tout le cours de sa sainte vie et au moment de sa précieuse mort.
Car il faut avouer que cette protection a éclaté d'une manière merveilleuse en sa personne contre les attaques les plus furieuses de l'Enfer : En voici des preuves tout-à-fait convaincantes. Lorsque le Père fut à Loudun pour y faire l'office d'Exorciste, il y avait longtemps que tous les sentiments de volupté étaient éteints en lui par une grâce particulière de notre Libérateur ; comme il est rapporté de saint Ignace de Loyola qui a possédé ce même privilège depuis sa conversion par les intercessions de la très pure Vierge à qui il s'était adressé avec beaucoup de confiance pour ce sujet, et qui l'honora d'une apparition miraculeuse où elle lui laissa le don singulier qu'il lui avait demandé avec une grande humilité. En cela aussi bien que dans le reste il était digne et véritable enfant de saint Ignace. Mais les Démons ne pouvant supporter une si grande pureté, conspirèrent ensemble, et n'oublièrent rien pour la lui faire perdre.
Isacaron qui était l'un des Démons possédant, et qui était le Démon qui avait pris à tâche de le porter à la volupté, prit un dessein furieux de l'attaquer de toutes ses forces, et de triompher, s'il le pouvait, de cet homme vierge. Il l'attaqua même à force ouverte, le tourmentant sous diverses figures de serpent, de chien, ou de quelqu'autre animal. Cependant pour l'ordinaire, il le molestait sous la forme d'un serpent qui s'entortillait sur son corps entre ses vêtements et sa chair. Aussi ce Démon disait que le nom d'Isacaron lui avait été donné par de certains peuples étrangers, et qu'il signifiait en leur langue serpent tortu. Cette vexation Diabolique sous une forme si monstrueuse et en la manière qu'elle se faisait, causait une horreur naturelle au Père, et lui donnait un étrange tourment, d'autant plus qu'elle lui dura une année entière ou davantage sans presque aucune relâche. Ce fut la nuit du dix-neuvième de Janvier que commença cette obsession secrète, qui l'affligea sensiblement par des tentations extraordinaires contre la pureté. C'est ce qui le pressa de se mettre tout de nouveau sous la protection de la très-sainte Vierge.
Il fut inspiré de s'en représenter la figure dans son imagination, l'y regardant comme tenant son fils entre ses bras ; et dès la première fois qu'il se fut formé cette image sainte, il en ressentit bientôt les effets (ô aimable Vierge ! qu'il fait bon avoir recours à vous! car l'opération du Démon se diminua, et en peu de temps, elle fut entièrement amortie. Cependant, le Démon redoubla ses efforts, mais sans effet. Le Père demeurant insensible comme une pierre à toutes ses attaques ; de sorte qu'il en était lui-même tout étonné, parce qu'il savait assez ce que peut faire l'opération Diabolique sur des sujets faibles comme les hommes, et combien elle surpasse toutes celles de la nature ; et néanmoins il voyait qu'elle demeurait sans effet à la seule présence d'un objet imaginé, n'ayant point d'autre application à son mal que la seule pensée. Ce secours de la puissante Mère de Dieu lui redoubla le courage, lui donna la force de se moquer du Diable, et lui laissa la liberté de dormir le lendemain de la première nuit où il avait été secouru si favorablement par la Mère de la miséricorde. N'ayant donc rien communiqué à personne de ce qui lui était arrivé, il s'en alla le matin à l'exorcisme, et ayant demandé au Démon en langue Latine Qui t'a empêché ? par rapport à l'attaque secrète qu'il lui avait donnée la nuit ; il répondit incontinent, C'est Marie. Le Père ensuite l'ayant interrogé comment il avait été arrêté, le Diable répondit que s'apercevant de l'inutilité de tous ses efforts, il était entré dans son imagination, et qu'il y avait trouvé ce qui l'arrêtait.
Cependant Isacaron, qui est comme un autre Asmodée dans ses opérations, ne se laissant point d'attaquer le Père ; ce serviteurs de Dieu et de sa très pure mère, continua toujours à se servir de son remède avec bien du succès et du repos. Le démon fit tout son possible pour envelopper l'image de la très-sacrée Vierge, que son fidèle Dévot formait sans cesse dans son imagination, tâchant d'y en substituer d'autres qu'il y imprimait si vivement qu'il y avait des moments où il ne restait aucun vestige de cette sainte image de la Mère de Dieu, que le Père s'était formée avec tant de soin. Dans ce temps le Démon lui donnait de cruelles atteintes ; mais aussitôt que l'image sainte de la très-pure Vierge paraissait (ce qui ne tardait guère) la tempête cessait tout à coup. Un si heureux succès causant une extrême confusion aux Démons, ils conspirèrent tous ensemble pour se joindre à Isacaron, et pour éprouver s'ils ne pourraient pas remporter ce qu'un seul n'avait peu gagner. Pour ce sujet Léviathan le premier des démons possédants, et le plus violent dans sa force, qui avait blâmé ses suppôts de leur peu de courage, s'étant saisi d'un corps emprunté vint une nuit tourmenter le Père d'une manière épouvantable ; mais se tenant ferme dans la représentation de la très-sainte Vierge, le Démon demeura confus de ce que tous ses efforts ne causaient pas même la moindre impression ; et après une demie heure de combat, le Père lui parla avec tant de vigueur et d'assurance, qu'il fut obligé de se retirer avec honte. Ces combats (comme nous l'avons dit) durèrent une année ou plus, et le jour aussi bien que la nuit presque sans aucune relâche : ce qui fut au Serviteur de Dieu une peine que l'on ne peut expliquer, aussi bien qu'une occasion perpétuelle durant tout ce temps-là d'un glorieux triomphe, par les assistances de la Mère de Dieu.
Si les sacrées images des saints ont mis en fuite les Démons (comme nous le lisons dans leur histoire) il ne se faut pas étonner si l'image de leur Reine a détruit tous les efforts de ces esprits infernaux. On ne peut jamais assez dire les grands effets que la Divine Providence opère par les moindres choses qui regardent la Souveraine des Anges et des hommes. Saint Grégoire le grand ayant fait porter sa sainte image dans une procession publique par les rues de Rome qui pour lors était infectée de la peste, pour ne obtenir la délivrance par ses puissantes intercessions, l'on reconnut que l'air se purifiait dans tous les lieux où cette sainte Image était portée ; Dieu voulant témoigner par ce miracle l'incomparable pureté de sa bienheureuse mère, dont l'image ne pouvait compatir avec aucun air qui fût impur. Combien de personnes ont-elles été touchées et ont-elles reçu des grâces extraordinaires à la seule vue de ses images, ou les portant sur soi avec dévotion. Nous avons remarqué dans notre livre des Avis Catholiques touchant la véritable dévotion de la B. Vierge, qu'il est rapporté dans l'Action quatrième du second Concile de Nice, que le Diable parut à un Anachorette qu'il travaillait extraordinairement par des tentations contre la pureté, lui disant que jamais il ne le tenterait s'il cessait d'honorer une image de Marie mère de Jésus : Ce que l'Hermite ayant appris au saint Abbé Théodore, il lui donna avis qu'il lui serait plus expédient d'être exposé aux tentations les plus infâmes, que de manquer à aucun des devoirs de Religion qu'il pratiquait en l'honneur de la très-sacrée Vierge devant son image. Et de vrai, quoique les tentations au sujet de l'impureté soient très dangereuses, cependant il est vrai qu'il n'y en a point de plus redoutables que celles qui portent au relâchement de la dévotion à la très-pure Vierge. Dans la même Action, il est remarqué qu'un homme possédé du Diable en avait été délivré à la vue d'une image de la très-sainte mère de Dieu ; le Diable confessant qu'il ne pouvait demeurer dans un lieu où l'on honorait cette image sacrée. On lit encore au même endroit la punition miraculeuse d'un misérable qui avait méprisé une de ses saintes images.
C'était aussi le grand conseil du Père Surin, que pour triompher des Démons et à la vie et à la mort, il fallait avoir une sincère dévotion à l'immaculée Mère de Dieu : imitant en cela son très digne Père et Fondateur le B. Saint Ignace comme nous l'avons dit, qui a excellé dans une dévotion cordiale pour cette mère d'amour.
Nous lisons dans les actes de ce grand Saint, que ayant été touché de la puissante main de Dieu, il commença sa très-sainte vie par un pèlerinage qu'il fit en l'église célèbre de Notre-Dame de Montferrat ; que ce fut dans ce lieu sacré qu'il confia tous ses généreux desseins et toutes les résolutions qu'il avait prises à l'auguste Reine de tous les Saints. Le Père Surin à son exemple fut en dévotion à Saumur où il y a une église consacrée à Dieu sous une invocation très particulière de Notre-Dame, pour mettre entre ses mains l'affaire importante de la possession de Loudun avant que d'y travailler : et la confiance qu'il eut en cette mère de bonté ne fut pas sans un heureux succès ; car elle l'assista visiblement contre les Démons, et lui en fit remporter de glorieux triomphes.
Ce fut par son pouvoir qu'Isacaron le Démon d'impureté fut chassé, ayant écrit sur la main de la Mère des Anges qui en fut délivrée, le saint nom de MARIE. Mais avant que de sortir, il fut contraint de publier malgré lui sa puissance, ses grandeurs, et ses louanges. Nous lisons la même chose en la vie de Saint Dominique, où il est rapporté que cet homme Apostolique exorcisant une personne possédée de quinze milles démons ; parce qu'elle avait parlé contre les quinze mystères du sacré Rosaire. Ces esprits malheureux furent obligés avant leur sortie, de déclarer les grandeurs de l'incomparable Mère de Dieu. C'est elle (disaient-ils) qui réduit tous nos efforts au néant, comme le soleil dissipe les ténèbres ; c'est elle qui découvre toutes nos finesses ; un seul de ses soupirs a plus de force que toutes les prières des saints, et nous la craignons plus que tous les Bienheureux du Ciel ensemble ; c'est elle dont Dieu se sert pour conserver la foi, et elle obtient le Paradis à ceux qui lui sont véritablement dévots. Ô notre ennemie (criaient ces esprits misérables), notre confusion ! voie du ciel infaillible ! c'est toi qui détruit toute la puissance de l'Enfer. Elle le fit bien paraître en toutes les occasions de la possession de Loudun : en voici une fort remarquable. Les Démons par une permission secrète de Dieu, faisant leurs efforts pour perdre de réputation et d'honneur la Mère des Anges, lui donnèrent une grossesse apparente : ce qui lui était un sujet d'une dernière humiliation. Mais la très-pure Vierge jeta la confusion sur ceux qui la voulaient donner ; car elle contraignit les Démons de délivrer la Mère de cette grossesse apparente, comme ils l'avouèrent eux-mêmes. Mais comme ils lui avaient causé cette marque apparente par quantité de sang qu'ils avaient amassé dans son corps, ils le lui firent vomir durant vingt-quatre heures, dont l'illustre Évêque de Bazas qui était pour lors fut témoin. Ce fut encore au jour de la triomphante Assomption de cette grande Reine, que la Mère des Anges entendit distinctement une voix miraculeuse qui lui promit la délivrance du dernier Démon qui lui était resté ; et ce fut le dix-septième de Septembre, jour consacré à la fête de ses grandeurs, que la Mère fit le vœu d'aller au tombeau de Saint François de Sale, pour obtenir cette grâce, selon l'ordre de Dieu qui lui avait été signifié.
Ce fut enfin par cette aimable Aurore, le jour de sa fête du mont Carmel, que la lumière commença sensiblement à paraître dans l'esprit du Père Surin après tant de sombres nuits et de peines de réprobation qu'il avait protées, comme nous le dirons (Dieu aidant) ci-après. Il est vrai que ce point du jour fut encore obscurci durant quelques années par plusieurs nuages qui s'élevèrent de nouveau et qui lui cachaient la lumière de cette divine Aurore ; le temps n'étant pas encore arrivé que la Divine Providence avait ordonné pour le recouvrement de son entière liberté. Mais enfin elle lui fut redonnée avec toutes les plus saintes bénédictions des grandes miséricordes du Seigneur qui sait vivifier d'une manière puissante ce qu'il a mortifié, et élever jusqu'aux Cieux ceux qu'il a jetés jusqu'au plus profond des abîmes. C'est la grande doctrine des saints que la sacrée vierge est le moyen dont Dieu se sert davantage pour exécuter les desseins de sa divine providence. Heureuse l'âme qui lui est saintement liée par un amour fidèle ! qu'elle se réjouisse en Dieu son Sauveur, qui lui a fait une grâce qui est une source féconde de bénédictions. Ô si l'on savait ce que c'est que d'avoir une solide dévotion à l'immaculée Mère de Dieu, que ne ferait-on pas ! que ne souffrirait-on pas pour posséder ce don de Dieu. Aimable Vierge, qu'un chacun porte ses inclinations où il voudra ; pour moi tout mon plaisir sera de vivre et de mourir à vos pieds, comme aux pieds de ma bonne et chère maîtresse, et de ma très douce et très fidèle mère. Très aimable Vierge, il me semble que mon cœur vous aime : mais faites qu'il vous aime davantage, pour ne plus vivre et ne se plus nourrir que des vives flammes de votre pur amour ; parce que c'est le pur amour de Jésus qui soit à jamais notre grand et unique tout en toutes choses.
D'autres extraits sont à lire à la fin du billet suivant : Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (4/4).
Reportez-vous à Les possessions démoniaques sont rares uniquement pour ceux qui ne combattent pas le démon, Méditation sur la Présentation de la Sainte Vierge au Temple, Du grand Amour du Père Surin pour les Saints Anges, dans l'union avec notre Seigneur Jésus-Christ, De l'amour admirable du Père Surin pour les souffrances, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, De l'amour du Père Surin pour l'humilité, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Histoire de la possession des Ursulines de Loudun, et des peines du Père Surin (1/4) et Méditation pour la Fête du Saint Nom de Marie.