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samedi 4 janvier 2020

L'Amitié spirituelle de Saint Bernard et de Sainte Hildegarde


Extrait de "Histoire de Sainte Hildegarde, sa vie, ses œuvres et ses révélations", par le R.P. Jacques RENARD :


À l'époque où sa réputation commençait à peine à franchir l'enceinte de sa récente fondation du mont Saint-Rupert, la sainte était déjà connue et hautement estimée du grand abbé de Clairvaux (à propos des relations de sainte Hildegarde avec le saint abbé de Clairvaux, le lecteur pourra consulter l'Histoire de saint Bernard, par le R. P. Théodore Ratisbonne, et surtout deux chapitres (X et XI, 2e vol.) où se trouve un aperçu du caractère et des écrits de la sainte). C'est à cette époque, c'est-à-dire lorsque ce dernier se trouvait à Trèves, dans le voisinage de la sainte abbesse, que paraissent se rapporter les deux lettres que nous allons citer. Il semble que Hildegarde écrivit la première.


Saint Bernard
Lettre de sainte Hildegarde à saint Bernard

« Ô Père vénéré, vous que la puissance céleste rend redoutable à la sagesse réprouvée du monde, qui dans l'ardeur de votre amour pour le fils de Dieu enrôlez avec un zèle sublime des guerriers sous l'étendard de la sainte croix, pour les combats de la milice chrétienne et la destruction de tyrans impies, sachez que je suis fort pressée par la vision qui m'apparaît en esprit, et que je ne vois pas des yeux de la chair. Moi, la plus misérable des femmes depuis mon enfance, je vois des choses prodigieuses que ma langue ne saurait exprimer, à moins que l'esprit de Dieu ne m'enseigne comment je dois les dire. Très-doux père, écoutez avec bonté votre indigne servante, qui n'a pas de repos depuis son enfance ; comprenez, dans la piété et la sagesse de votre âme, selon les lumières du Saint-Esprit, de quelle nature sont les choses qui vous ont été rapportées à mon sujet. J'ai intérieurement l'intelligence des psaumes, de l'évangile et des autres livres saints, qui me sont manifestés dans cette vision intime qui brûle mon âme en m'en découvrant le sens, sans cependant m'en enseigner la lettre dans la langue teutonique. Je ne sais que lire avec simplicité, parce que je suis un homme sans instruction pour ce qui est de l'enseignement extérieur ; mais je suis instruite au dedans de mon âme. C'est là que j'apprends ce que je vous dis avec pleine confiance dans votre sagesse et votre bonté, qui me consolent des divisions des hommes. Je me suis d'abord ouverte de ce secret, et j'ai tout fait connaître à un religieux de sainte vie, et il m'a consolée, car ce sont de justes sujets de crainte. Je vous demande, père, pour l'amour de Dieu, de vous souvenir de moi dans vos prières. Je vous vis, il y a deux ans, dans cette lumière, comme un homme qui fixe le soleil sans peur et avec intrépidité, et j'ai pleuré de me voir si timide et si pusillanime. Mon bon et aimable père, je mets mon âme dans la vôtre ; priez pour moi, parce que je souffre le martyre tant que je ne publie point ce que je vois et entends dans la lumière. Parfois mon silence me cause de grandes infirmités, au point que je suis étendue sur mon lit sans pouvoir me relever... Maintenant je me lève et je cours à vous, qui savez non seulement vous vaincre vous-même, mais encore triompher des autres hommes pour leur salut. Vous êtes l'aigle qui fixe le soleil. Je vous prie, par la majesté du Père, par son Verbe admirable, et par la suave onction de l'esprit de vérité, par la louange que toute créature rend à Dieu... de ne pas accueillir mes paroles avec indifférence, mais de les mettre dans votre cœur, en sorte que vous ne cessiez de fixer Dieu pour moi jusqu'à votre trépas, car il vous aime. Qu'il garde votre âme et vous rende fort dans le combat que vous soutenez pour lui (Ep. XXIX). »


Réponse de saint Bernard

« À notre bien-aimée. fille en Jésus-Christ, Hildegarde, frère Bernard, appelé abbé de Clairvaux, souhaite tout ce que peut obtenir pour elle la prière d'un pécheur.
Si quelques-uns pensent au sujet de notre petitesse bien autrement que notre conscience, il faut l'imputer, non à nos mérites, mais à la folie des hommes. Je me suis empressé de répondre au témoignage de votre tendre et pieuse dilection ; mais l'accablement des affaires m'a obligé d'être plus bref que je ne l'aurais désiré. Je bénis Dieu de ce qu'il vous a comblée de ses grâces, vous avertissant de les considérer comme un don gratuit et de vous appliquer à y correspondre de toute l'ardeur de votre humilité et de votre amour ; car Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles (Jac, IV). Nous vous y exhortons et vous en conjurons, autant qu'il est en nous. Au reste, puisque nous savons qu'il y a en vous un maître intérieur et une onction qui vous enseigne toutes choses, qu'avons-nous besoin de vous instruire et de vous exhorter? Chacun sait que la lumière du Saint-Esprit vous découvre les mystères du ciel et vous manifeste ce qui passe la portée des hommes. Nous vous prions donc bien plutôt et nous vous supplions nous-même de vous souvenir auprès de Dieu de nous et de ceux qui nous sont unis par les liens d'une société spirituelle. Votre âme étant intimement unie à Dieu, nous avons la confiance que votre intercession devant lui sera puissante en notre faveur, parce que la prière persévérante du juste a un grand crédit (Jac, v). Nous aussi, nous prions assidûment pour vous, afin que vous soyez ferme dans le bien, instruite dans les voies intérieures, marchant fidèlement vers les biens éternels, en sorte que ceux qui ont placé leur espérance en Dieu ne soient pas ébranlés, mais que, fortifiés par l'accroissement de bénédiction que vous avez reçue de lui, ils marchent de progrès en progrès. »

Ces deux lettres sont les seuls monuments qui nous restent des relations des deux saints. Elles semblent attester qu'ils ne s'étaient pas vus jusqu'alors. On sera peut-être surpris que saint Bernard n'ait pas mis à profit, pour visiter cette grande âme, l'occasion que lui fournissait si naturellement sa présence à Trèves. Il est permis de présumer que le saint abbé, s'étant ouvertement déclaré favorable à sainte Hildegarde, se sera récusé lui-même comme juge dans l'enquête ordonnée par Eugène III. Il ne serait pas moins étonnant que la sainte, dans ses nombreux voyages, n'eût pas rencontré l'infatigable apôtre dans quelqu'une de ses incessantes missions. Quoiqu'il en soit des témoignages historiques, l'entrevue des deux saints est une tradition constatée par la chronique de Trithémius. On peut même dire que, quoique son récit ne soit pas appuyé par d'autres témoignages, il a toutes les apparences de la vérité, car il exprime les sentiments et les opinions réelles et bien connues de saint Bernard sur sainte Hildegarde. Il sert du moins à constater quels étaient les divers jugements des hommes sur la sainte et sur les dons surnaturels qui lui étaient attribués. C'est à tous ces titres que nous plaçons ici ce récit :
« De Francfort, où saint Bernard avait prêché, il descendit par eau à Bingen, où la pieuse vierge Hildegarde avait fondé un monastère au mont Saint-Rupert. Il eut avec elle de suaves entretiens sur la félicité éternelle. La sainte épouse de Jésus-Christ était connue de saint Bernard par ses écrits et par les rapports de beaucoup de personnes. Après les prières accoutumées et les salutations réciproques, il se fit présenter les volumes qu'elle a écrits d'après l'inspiration divine. Les ayant parcourus avec soin, on rapporte que, dans le transport de son admiration, il dit à ses compagnons : Ces écrits ne sont pas d'origine humaine, et un homme mortel ne saurait les comprendre, à moins que la chasteté ne l'ait formé intérieurement à la ressemblance de Dieu (Trithém., Chron. Hirsaug., ad ann. 1147 ; Act. SS. Comm. in vit. S. Hildeg., n. 23, 24 et 25). »

Le moine Héribert, directeur des religieuses, homme pieux et éclairé, répondit à l'homme de Dieu : « Ce que vous dites, vénérable père, est le langage de la vérité ; cependant, beaucoup de gens, les uns instruits et les autres ignorants, les uns religieux et les autres séculiers, harcèlent chaque jour de leurs propos l'âme de la servante du Christ ; ils disent que ses révélations ne sont que des fantômes de son cerveau, ou des illusions qui sont envoyées par le démon à une femme ignorante. »
« Ne soyons pas surpris, mon frère, reprit saint Bernard, si ceux qui donnent dans le péché traitent les révélations divines de songes. Nous connaissons les paroles de l'apôtre : L'homme animal n'entend pas ce qui est de l'esprit de Dieu. C'est folie à ses yeux, et il ne peut le comprendre (I Cor., II, 14). Ceux qui sont plongés dans l'orgueil, l'avarice, la luxure ou les vices, comme dans un profond sommeil, sont dans l'habitude de considérer les admonitions divines comme des rêveries. S'ils étaient éveillés, s'ils avaient la crainte du Seigneur, ils reconnaîtraient les signes certains de l'intervention de Dieu. Ceux qui les attribuent à l'opération du démon montrent qu'ils n'ont nulle science de la divine contemplation, semblables à ces blasphémateurs qui accusaient notre Sauveur et Seigneur Jésus-Christ de chasser les démons par le pouvoir de Béelzébub. »
Saint Bernard dit aussi à sainte Hildegarde par interprète : « Pour vous, ma fille, ne craignez pas les discours des hommes, puisque vous avez Dieu pour protecteur. Ces propos mondains passeront comme la paille au feu ; mais la parole du Seigneur demeure éternellement. »
Nous ne relèverons pas ici la méprise de certains annalistes qui racontent que, par le conseil de saint Bernard, la sainte serait passée dans l'ordre des Cisterciens. Cette erreur repose sur une confusion de noms, et s'il était besoin de la réfuter, il suffirait de se servir du témoignage du père Papebroch, qui, au XVIIe siècle, a vu son corps encore revêtu de la cucule brune des Bénédictins, et non de la couleur blanche des Cisterciens.


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