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jeudi 11 juin 2020

De la vraie et solide dévotion




Le mot dévotion, qui est latin, répond à celui de dévouement. Une personne dévote est donc une personne dévouée à Dieu. Il n'y a point d'expression plus forte que celle de dévouement, pour marquer la disposition où est l'âme de tout faire et de tout souffrir pour celui auquel elle est dévouée.
Le dévouement aux créatures (j'entends celui qui est légitime et autorisé de Dieu) a nécessairement des bornes. Le dévouement à Dieu n'en a point et n'en peut avoir. Dès qu'on y met la moindre réserve, la moindre exception, ce n'est plus un dévouement.
La vraie et solide dévotion est donc cette disposition du cœur par laquelle on est prêt à faire et à souffrir, sans exception ni réserve, tout ce qui est du bon plaisir de Dieu. Cette disposition est le don le plus excellent du Saint-Esprit. On ne saurait la demander trop souvent et avec trop d'ardeur ; et l'on ne doit jamais se flatter de l'avoir dans toute sa perfection, puisqu'elle peut toujours croître, soit dans elle-même, soit dans ses effets.
On voit, par cette définition, que la dévotion est quelque chose d'intérieur et même d'intime, puisqu'elle affecte le fond de l'âme, et ce qu'il y a en elle de plus spirituels, savoir : l'intelligence et la volonté. La dévotion ne consiste donc, ni dans le raisonnement, ni dans l'imagination, ni dans le sensible. On n'est pas dévot précisément parce que l'on est en état de bien raisonner sur les choses de Dieu, ni parce qu'on a de grandes idées, de belles images des objets spirituels, ni parce qu'on est quelquefois attendri jusqu'à verser des larmes.
On voit encore que la dévotion n'est pas quelque chose de passager, mais d'habituel, de fixe, de permanent ; qui s'étend à tous les instants de la vie, et qui doit régler toute la conduite, Le principe de la dévotion est que Dieu étant l'unique source et l'unique auteur de la sainteté, la créature raisonnable doit dépendre de lui en tout, et se laisser absolument gouverner par l'esprit de Dieu. Il faut qu'elle soit toujours attachée à Dieu par son fond, toujours attentive à l'écouter au dedans d'elle même, toujours fidèle à accomplir ce qu'il demande d'elle à chaque moment.
Il est donc impossible d'être vraiment dévot, à moins que d'être intérieur, adonné au recueillement, accoutumé à rentrer en soi-même, ou plutôt à n'en jamais sortir, à posséder son âme en paix.
Quiconque se livre aux sens, à l'imagination, aux passions, je ne dis pas dans les choses criminelles, mais dans celles qui ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, ne sera jamais dévot ; car le premier effet de la dévotion est de captiver les sens, l'imagination et les passions, et de ne jamais y laisser entraîner sa volonté.
Quiconque est curieux, empressé, aimant à se répandre au-dehors, à se mêler des affaires d'autrui, ne peut habiter avec soi-même ; quiconque est critique, médisant, railleur, emporté, méprisant, hautain, délicat sur tout ce qui touche l'amour-propre ; quiconque est attaché à son sens, entêté, opiniâtre, ou asservi au respect humain, à l'opinion publique, et par conséquent faible, inconstant, changeant dans ses principes et dans sa conduite, ne sera jamais dévot dans le sens que j'ai expliqué.
Le vrai dévot est un homme d'oraison, qui fait ses délices de s'entretenir avec Dieu, qui ne perd jamais, ou presque jamais sa présence ; non qu'il pense toujours à Dieu, cela est impossible ici-bas, mais parce qu'il lui est toujours uni de cœur, et qu'il est conduit en tout par son esprit.
Pour faire oraison, il n'a besoin ni de livre, ni de méthode, ni d'efforts de tête, ni même d'efforts de volonté. Il n'a qu'à rentrer doucement en lui-même ; il y trouve Dieu, il y trouve la paix, quelquefois savoureuse, quelquefois sèche, mais toujours intime et réelle.
Il préfère l'oraison où il donne beaucoup à Dieu, l'oraison où il souffre, l'oraison où l'amour propre est miné peu à peu et ne trouve aucune pâture ; en un mot, l'oraison simple, nue, vide d'images, de sentiments aperçus, et de tout ce que l'âme peut remarquer ou sentir en toute autre espèce d'oraison.
Le vrai dévot ne se recherche en rien dans le service de Dieu, et il s'attache à pratiquer cette maxime de l'Imitation : Partout où vous vous trouverez, renoncez-vous.
Le vrai dévot s'étudie à remplir parfaitement tous les devoirs de son état, et toutes les véritables bienséances de la société. Il est fidèle à ses exercices de dévotion, mais il n'en est point l'esclave ; il les interrompt, il les suspend, il les quitte même pour un temps, lorsque quelque raison de nécessité ou de simple convenance l'exige. Pourvu qu'il ne fasse pas sa volonté, il est toujours assuré de faire celle de Dieu.
Le vrai dévot ne court point au-devant des bonnes œuvres, mais il attend que l'occasion s'en présente. Il fait ce qui dépend de lui pour la réussite ; mais il en abandonne le succès à Dieu. Il préfère les bonnes œuvres obscures à celles qui ont de l'éclat ; mais il ne fuit pas celles-ci lorsque la gloire de Dieu et l'édification du prochain y sont intéressées.
L'homme dévot ne s'accable point de prières vocales et de pratiques, qui ne lui laissent pas le temps de respirer. Il conserve toujours la liberté d'esprit. Il n'est ni scrupuleux, ni inquiet sur lui-même ; il marche avec simplicité et confiance.
Il est déterminé à ne rien refuser à Dieu, à ne rien accorder à l'amour-propre, à ne faire aucune faute volontaire ; mais il ne se chicane point, il procède avec rondeur, il n'est point minutieux ; s'il tombe en quelque faute, il ne se trouble point, il s'en humilie, se relève, et n'y pense plus.
Il ne s'étonne point de ses faiblesses, de ses imperfections, il ne se décourage jamais. Il sait qu'il ne peut rien, mais que Dieu peut tout. Il ne compte pas sur ses bons propos et ses résolutions, mais sur la grâce et sur la bonté de Dieu. Quand il tomberait cent fois le jour, il ne se désolerait pas, mais il tendrait amoureusement les mains à Dieu, le priant de le relever et d'avoir pitié de lui.
Le vrai dévot a horreur du mal, mais il a encore plus d'amour du bien. Il pense plus à pratiquer la vertu qu'à éviter le vice. Il est généreux, magnanime ; et, lorsqu'il s'agit de s'exposer pour son Dieu, il ne craint pas les blessures. Il aime mieux, en un mot, faire le bien au risque d'y commettre quelque imperfection, que de l'omettre pour éviter le danger de pécher.
Rien n'est plus aimable dans le commerce de la vie qu'un vrai dévot. Il est simple, droit, ouvert, sans prétention, doux, prévenant, solide et vrai ; sa conversation est gaie, intéressante ; il sait se prêter aux amusements honnêtes, et il pousse la condescendance aussi loin qu'elle peut aller, au péché près.
Qu'on dise ce qu'on voudra, la vraie dévotion n'est point triste ni pour elle-même, ni pour les autres. Comment celui qui jouit continuellement du vrai bien, du seul bien de l'homme, serait-il triste ? Ce sont les passions qui sont tristes, l'avarice, l'ambition, l'amour. Et c'est pour faire diversion aux chagrins dont elles rongent le cœur, qu'on se jette avec fureur dans des plaisirs tumultueux, qu'on varie sans cesse, et qui épuisent l'âme sans jamais la contenter.
Quiconque prendra comme il faut le service de Dieu, éprouvera la vérité de cette sentence : que, servir Dieu, c'est régner, fût-on dans la pauvreté, dans l'ignominie, dans les souffrances. Tous ceux qui cherchent ici-bas leur bonheur hors de Dieu, tous, sans exception, vérifient cette parole de saint Augustin : Le cœur de l'homme, uniquement fait pour Dieu, est toujours agité jusqu'à ce qu'il se repose en Dieu.

(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à On satisfait à la plainte de ceux qui éprouvent des sécheresses dans l'oraison, Idée de la vraie VertuDu Recueillement, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertu, Sur la vaine curiosité, De la Réparation de l'Intérieur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Du vrai Progrès, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Grâce, Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De quelques points de ferveur essentiels à une âme qui veut arriver à la perfection, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Prière, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Ordre de la vie spirituelle pour les Directeurs, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des maladies de l'âme, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.