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lundi 29 juin 2020

Le renoncement à soi-même : Le double exemple de l’apôtre Judas et de l’apôtre Simon-Pierre


Saint Pierre (Batoni)


C’est donc aux âmes, résolues à suivre Jésus dans la voie de ses commandements et même dans celle de ses conseils évangéliques, qu’incombe ce labeur du renoncement à soi.

Mais pour se renoncer, il importe avant tout de se bien CONNAÎTRE. Comment lutter avec succès contre les tendances mauvaises de notre nature, si nous ne les connaissons pas ; d’autant plus qu’en chacun de nous, il y en a une qui domine les autres et qui nous sollicite plus impérieusement au mal dans la mesure où nous l’avons déjà satisfaite ?

Et comment accepter de reconnaître cette mauvaise tendance dominante, ainsi que nos autres défauts, sans un grand esprit d’humilité, sans confesser que, laissés à nous-mêmes, nous ne valons rien et ne pouvons rien ? Ne craignons donc pas de méditer les fortes vérités fondamentales que nous propose le Père de Montfort.

Avec lui, nous considérerons avant tout notre entière appartenance à Jésus-Christ : nous sommes des rachetés au prix de son sang ; nous ne sommes donc pas nos maîtres, nous dépendons de la grâce rédemptrice.

Ensuite, nous nous appliquerons à mieux connaître :

Notre déchéance originelle et les tristes conséquences qu’elle entraîne pour chacun de nous ;
Notre misère de pauvres pécheurs et le besoin profond que nous avons du secours de Marie Médiatrice ;
Notre faiblesse personnelle face aux ennemis de notre salut, si nous ne confions pas à Marie notre trésor de grâces.

Nous découvrirons ainsi les raisons qui nous obligent à nous renoncer :

Renoncer à tout ce qui serait contraire aux obligations découlant de notre appartenance à Jésus-Christ ;
Renoncer, si nous ne voulons pas perdre le mérite de nos bonnes actions, à ce que nous sentons monter des bas-fonds de notre nature par suite du péché originel et de nos péchés personnels ;
Renoncer à toute pensée de suffisance, à tout sentiment de complaisance en nous-mêmes ; ce qui nous porterait à négliger le plus grand Moyen de nous unir à Jésus-Christ ;
Renoncer encore à cette folle confiance de prétendre sauvegarder, à l’aide de nos petites industries, le trésor de grâces et de vertus que nous portons en des vases fragiles.

En dernier lieu, nous serons heureux de constater que nous avons choisi, selon le conseil de notre maître spirituel, la forme de dévotion à Marie qui nous porte le plus à ces renoncements et qui les facilite. Nous verrons qu’elle est la meilleure et la plus sanctifiante : c’est notre « secret de grâce », que s’empressent de saisir les âmes humbles et dociles à l’Esprit-Saint.

(...)

Autre chose est de renoncer à Satan et au monde ; autre chose de marcher dans les pas du Christ en renonçant à soi-même. Nous sommes ici dans le labeur de la vie vraiment chrétienne, labeur qui réclame de constants efforts pour l’acquisition du Royaume de Dieu.
Si nous nous refusons à ces efforts, non seulement nous ne ferons aucun progrès, mais quand l’occasion de pécher se présentera, nous succomberons ; et ce sera peut-être le commencement d’une série de chutes qui souilleront les pages de notre vie.
Qu’il importe donc de bien se connaître, afin de savoir lutter contre soi-même, surtout dans les moments de tentation.


Le double EXEMPLE de l’apôtre Judas et de l’apôtre Simon-Pierre va nous montrer maintenant d’une manière concrète, d’une part, le malheur d’une âme qui s’est laissés prendre par l’esprit du monde ; et, d’autre part, le grand danger où s’expose l’âme qui ne se renonce pas.

JUDAS, appelé à suivre Jésus en qualité d’apôtre, avait bien commencé. Il occupait même un rang privilégié dans la petite communauté apostolique, puisqu’il en était le trésorier, ce qui était une marque de confiance.

Pourquoi n’a-t-il pas persévéré ? Comment expliquer sa déchéance ? C’est qu’il s’était bientôt placé à un point de vue étroit, vil et méprisable : le profit honorifique et lucratif qu’il pouvait retirer de son titre d’apôtre et de sa collaboration à l’œuvre de Jésus. Comme beaucoup de ses compatriotes, il avait rêvé d’un Messie glorieux et conquérant, qui serait le Roi temporel d’Israël. Il espérait donc occuper une situation très avantageuse dans le royaume, délivré à la fois des Romains et de la race usurpatrice des Hérodes.

Les exemples, la prédication du Sauveur, et son intimité avec lui, auraient dû le détourner d’entretenir pareil espoir et si folle ambition. Il n’en fut rien.

Les pensées de Judas furent démasquées le lendemain du jour où avait eu lieu le grand miracle de la première multiplication des pains. Jésus avait profité de ce miracle pour annoncer au peuple, en termes précis et avec insistance, la merveille autrement grande de son Eucharistie. « Je suis le Pain de vie. Ma chair est une nourriture et mon sang un breuvage. Celui qui mange ma chair et boit mon sang porte en lui la vie éternelle, et moi je le ressusciterai au dernier jour » (Jean, VI).

Devant de telles affirmations, les esprits qu’aveuglait l’orgueil s’étaient cabrés ; et beaucoup de Juifs, qui avaient suivi jusque-là le Sauveur, trouvèrent un prétexte pour s’éloigner de lui définitivement. En face de cette désertion, Jésus, se tournant vers ses Apôtres, leur posa nettement la question de confiance : « Est-ce que, vous aussi, vous voulez vous en aller ? »

Simon-Pierre prit alors la parole au nom de ses frères : Ah, Seigneur, à qui donc irions-nous ? Vous seul avez tous les secrets de la vie éternelle, et vous nous les livrez dans vos paroles. Il n’y a pas d’autre Maître que vous. Nous savons que vous êtes le Christ, le Fils de Dieu.

Admirable protestation de foi ! Si Jésus avait déjà fait tant de miracles, son amour tout-puissant saurait bien encore accomplir le miracle eucharistique. Il n’y avait donc qu’à le croire sur sa parole.

Mais, parmi les Apôtres, Judas ne pensait pas ainsi. Grande avait été sa déception en entendant le sauveur promettre, non pas un bonheur terrestre, mais l’aliment d’une vie surnaturelle qui ne serait autre que Lui-même. Puisque Jésus n’entrait pas dans ses vues, il n’y avait plus qu’à le quitter. Aussi, son apostasie était chose décidée ; et, à défaut d’une place lucrative dans le royaume de son rêve, il prélèverait tout ce qu’il pourrait sur la caisse apostolique pour assurer son avenir temporel. Il devint voleur. Le mot est de l’apôtre saint Jean (XII, 6). La passion de l’argent ira même jusqu’à le conduire à la trahison et au déicide.

En vain, Jésus tentera de le faire rentrer en lui-même, par l’horreur même de la perspective entrevue : « Ne vous ai-je pas choisis tous les douze ? » dit-il à ses Apôtres. Cependant, malgré ce choix de prédilection, l’un de vous est un démon, c’est-à-dire semblable au diable qui, de bon, s’est fait méchant (Jean, IV, 7).

D’autres avertissements suivront, dont le malheureux ne voudra tenir aucun compte. Il s’en ira, tête baissée, vers la damnation. Au soir de l’institution de la sainte Eucharistie, Judas consommera son apostasie en livrant le divin Maître pour trente deniers d’argent. Après quoi, fou de désespoir, il ira se pendre. Triste fin d’une âme qui a préféré obstinément l’esprit du monde à l’esprit de Jésus. Oh ! remercions encore saint Louis-Marie de Montfort de nous avoir mis si fortement en garde contre ce pernicieux esprit qui n’aboutit à rien moins qu’à la damnation éternelle.


L’apôtre SIMON-PIERRE, lui, ne s’était jamais laissé prendre par l’esprit du monde. Son amour pour Notre-Seigneur était sincère ; son dévouement, sans égal ; sa foi, au-dessus de tout éloge. Nous venons de le voir confesser la divinité de Jésus en une circonstance apparemment tragique pour le succès de la prédication évangélique.

Un peu plus tard, à Césarée de Philippe, non loin des sources du Jourdain, une autre confession de Simon-Pierre sera plus explicite encore. Se trouvant seul avec ces apôtres, Jésus les interroge : « Qu’est-ce que les hommes disent de moi ? » Les appréciations sont variées, répondent-ils. Les uns vous prennent pour Jean-Baptiste ressuscité, d’autres pour Élie ou pour Jérémie, ou encore pour quelqu’un des anciens prophètes revenu sur la terre.

« Mais vous, poursuit le Sauveur, qui dites-vous que je suis ? » Sans l’ombre d’hésitation, Pierre répond : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Rien de plus complet ne pouvait se formuler. L’Apôtre ne dit pas : nous estimons, nous croyons, nous sommes convaincus ; sa réponse affirme ce qui est. Vous, Seigneur, que nos yeux contemplent dans la réalité de votre nature humaine, vous êtes, par delà ce qui apparaît aux regards, vous êtes le Fils éternel du Dieu vivant ; vous êtes le Christ, c’est-à-dire l’Oint de Dieu, le Messie attendu, Fils de Dieu, du seul vrai Dieu (Dom Delatte, l’Évangile de Notre-Seigneur).

Assertion si belle et si pleine que, sur-le-champ, Jésus lui déclare qu’il sera la pierre fondamentale de son Église : « Et moi, à mon tour, en récompense de ta foi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église ; et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle » (Matth., XVI).

Comment expliquer alors la chute, aux heures douloureuses de la Passion, d’un apôtre si fortement attaché à son divin Maître ?…

C’est qu’il ne connaissait pas le point faible de sa nature impétueuse. Il avait en lui-même une confiance allant jusqu’à la présomption ; et ses privilèges au sein du Collège apostolique ne le garantissaient pas contre les tentations qui pouvaient survenir.

Jésus lui-même prend soin de l’en avertir. À la dernière cène, il avait parlé de séparation prochaine, et de l’impossibilité pour les disciples de le suivre là où il allait, c’est-à-dire au martyre, à la croix.

« Où donc allez-vous, Seigneur ? » demanda Pierre anxieux. « Là où je vais, répondit Jésus, tu ne peux me suivre maintenant, mais tu me suivras plus tard. » Et Pierre d’insister : « Pourquoi ne puis-je pas vous suivre dès maintenant ? Je donnerais ma vie pour vous !

— Ah ! Simon, Simon, reprit Jésus, tu ne sais donc pas que Satan a reçu licence, car c’est son heure, de vous cribler, vous mes Apôtres, de vous secouer comme le froment qu’on épure. Tous, vous serez scandalisés cette nuit à cause de moi ».

Pierre entreprend alors de se justifier, tant il est sûr de lui-même et de sa tendresse pour le Sauveur : « Quand bien même tous les autres seraient scandalisés à votre sujet, moi je ne le serai pas ! »

« En vérité, je te le dis, affirme Jésus, toi, toi, Simon, aujourd’hui, cette nuit même, avant que le coq ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois ».

Cette assertion est intolérable à l’Apôtre ; il conteste fortement, il ose contredire son divin Maître qui est la Vérité même : « Dussé-je mourir avec vous, non, je ne vous renierai pas. Seigneur, avec vous je suis prêt à aller et en prison et à la mort » (Luc, XXII, 33).

En face d’une telle présomption, Jésus se tait, il attendra la leçon des évènements qui vont se dérouler. Après son arrestation au jardin des Oliviers, tous les Apôtres avaient commencé par s’enfuir. Pierre pourtant se ravise et, suivant de loin la cohorte, réussit à pénétrer dans la cour du palais de Caïphe, où des serviteurs et des gardes se chauffaient autour d’un feu de braise. Imprudemment, il se joignit à eux et voulut attendre pour voir comment le jugement finirait.

Mais la portière, s’approchant du groupe et regardant Pierre avec attention : « Toi aussi, lui dit-elle, tu es un des disciples du Nazaréen ? – Non, répondit l’Apôtre. Je ne sais pas, je ne comprends pas ce que tu veux dire ».

Un premier chant du coq retentit, auquel Pierre ne prit pas garde. Et voici qu’une autre servante fit remarquer aux gens qui se chauffaient que celui-là était vraiment avec Jésus le Nazaréen. Pierre nia une seconde fois, et même avec serment : « Je ne connais pas l’homme dont vous me parlez ».

Une heure environ s’écoula. Le malheureux Pierre ne pouvait se résoudre à sortir et prenait même part à la conversation. Quelques-uns lui dirent alors : « Mais sûrement tu es Galiléen, ton accent te trahit ». Un des serviteurs du Pontife alla jusqu’à préciser : « Je t’ai vu avec lui dans le jardin ». Pierre protesta avec jurement et imprécation qu’il ignorait ce qu’on voulait dire, qu’il ne connaissait nullement cet homme-là.

Les dénégations duraient encore lorsque le coq chanta pour la seconde fois. L’Apôtre alors se souvint de la prédication du Seigneur : « Avant que le coq n’ait chanté deux fois, tu m’auras renié trois fois ». Hélas ! c’était fait. Et voilà dans quelles chutes lamentables on peut tomber, bien que n’ayant pas l’esprit du monde, lorsqu’on ne se connaît pas et qu’on ne se renonce pas.

Simon-Pierre n’avait pas voulu reconnaître la faiblesse de sa volonté une fois laissée à elle-même. Bien au contraire, il s’affirme avec force, allant jusqu’à s’exalter au-dessus des autres et à se croire impeccable. La principale culpabilité de Pierre est dans cette folle estime qu’il a de lui-même : au lieu de s’humilier devant les avertissements de Jésus, il tombe dans la présomption et la témérité. Le reste suit, dès que l’occasion se présente.

Ce péché de l’Apôtre doit nous montrer, plus que toutes les considérations et les raisonnements, le bien-fondé de notre première Semaine. En l’employant à la connaissance de nous-mêmes, dans un grand esprit d’humilité, nous nous attaquons à la cause des chutes toujours possibles. Nous prévenons ces chutes parce que, avec la grâce de Dieu qui ne manque pas à celui qui la demande, nous facilitons les renoncements qui s’imposent pour résister aux tentations et demeurer fidèles Jésus.

Ne craignons donc pas de projeter la lumière sur nous-mêmes. Ce labeur spirituel est indispensable. Que son austérité ne nous effraye point. Pour nous encourager, pensons dès maintenant à la joie des deux Semaines qui suivront, notre méditation fixée alors sur la Sainte Vierge et sur Notre-Seigneur Jésus-Christ. Notre Consécration à ces Maîtres divins exige que nous commencions par nous humilier et nous affranchir de l’obstacle du « moi » égoïste, de l’attachement à notre esprit propre et à notre volonté propre.

Si, dans notre passé, nous avons à déplorer des fautes qui rappellent le péché de faiblesse de l’apôtre Simon-Pierre, imitons son repentir en faisant confiance au Cœur toujours aimant du Sauveur. Un regard a suffi pour faire fondre en larmes l’apôtre infidèle et pour dissiper à tout jamais l’orgueilleuse estime qu’il avait de lui-même. Aussi, quand Jésus lui demandera un triple serment d’amour en compensation du triple reniement : « Simon-Pierre, m’aimes-tu, m’aimes-tu plus que les autres ? », l’Apôtre ne répondra pas à la direction posée. Il ne s’élèvera plus, il ne se comparera plus, il n’affirmera plus rien de sa personne : il ne se répandra plus en vaines protestations, en promesses verbales illusoires. Il aura renoncé à tout cela et se contentera d’en appeler au témoignage et à la science infinie de son Maître : Oui, Seigneur, vous qui lisez dans le fond de mon cœur, vous savez bien que je vous aime, et non plus moi comme auparavant.

L’humilité – une humilité profonde – était entrée dans son âme avec la triste expérience de sa chute et la connaissance de son défaut dominant. Il en sera de même pour nous. La connaissance que nous allons acquérir de nos faiblesses et de nos tendances défectueuses fera tomber nos illusions. Elle nous acheminera vers cette vertu d’humilité qui, seule, favorise de façon efficace le renoncement à soi demandé par Notre-Seigneur.


(Père Dayet, Exercices préparatoires à la consécration de Saint Louis-Marie de Montfort)


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