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mardi 30 juin 2020

Commerce : Image de la vie spirituelle


Les larmes de Saint Pierre (Juan Bautista Mayno)
La vie spirituelle n'est autre chose qu'un commerce, un échange entre Dieu et l'âme. Dieu donne pour recevoir, et reçoit pour donner ; l'âme de même. Dieu donne le premier ; il donne aussi le dernier. Il prévient l'âme par la grâce dans le temps ; il lui donne pour jamais la gloire dans l'éternité. Cette grâce et cette gloire sont une communication plus ou moins parfaite de Dieu lui-même. L'âme, de son côté, se donne aussi à Dieu ; elle lui sacrifie ses goûts, ses penchants, ses volontés, ses intérêts ; elle se remet, en un mot, tout entière à Dieu, pour qu'il dispose d'elle à chaque moment selon son bon plaisir. Voilà ce qu'elle fait, ou du moins ce qu'elle doit faire en cette vie. Dans l'autre vie, elle ne fait plus rien librement ; elle ne se donne pas, mais elle est ravie ; elle n'est plus à elle-même, mais au souverain bien qu'elle possède et qui la possède. Il n'y a donc entre Dieu et l'âme de commerce libre que dans le temps. Voyons quelles sont, de la part de Dieu, les lois de ce saint commerce, et celles que l'âme doit observer de son côté pour répondre aux bontés ineffables de Dieu.
Première loi. Dieu fait les avances, et il les fait toujours en toutes choses. Qui lui a donné le premier ? s'écrie saint Paul. Cela est sensible dans l'ordre de la nature, où nous tenons de lui l'être à tous les instants, et tout ce qui sert à le conserver. Cela n'est pas moins vrai dans l'ordre surnaturel. Tout y commence par la grâce, soit justifiante, soit actuelle, qui est un don de Dieu, don purement gratuit qu'il nous est impossible de mériter. Si, après avoir perdu la grâce du baptême, nous la recouvrons par la pénitence, c'est Dieu qui fait les premières démarches pour nous rappeler à lui ; car, une fois éloignés de lui par le péché, nous ne pouvons jamais de nous-mêmes nous en rapprocher. Si nous conservons la grâce du baptême, c'est en vertu d'une suite de grâces actuelles que nous recevons à tout moment. Il est de foi que pour chaque action surnaturelle, il nous faut une grâce qui prévienne et qui accompagne cette action ; et Dieu ne nous refuse jamais cette grâce qu'à titre de punition. Ainsi, il demeure incontestable que c'est toujours Dieu qui nous prévient, et cela doit être, puisqu'il est toujours et dans tous les cas la source de tout bien. La loi de la créature ne peut être ici qu'une loi de correspondance et de fidélité : Dieu la prévient, elle doit suivre : Dieu lui donne, elle doit conserver précieusement ; Dieu lui fait la grâce de lui demander, elle doit lui accorder généreusement tout ce qu'il lui demande. Comment le commerce et l'échange auraient-ils lieu, si elle recevait tout sans rien donner, ou si elle ne donnait pas à proportion de ce qu'elle reçoit ? Loi de reconnaissance encore pour un Dieu dont les bienfaits la préviennent sans cesse ; mais d'une reconnaissance pleine d'humilité, en songeant qu'elle ne mérite rien, et même qu'elle s'est mise souvent par sa faute dans le cas d'être abandonnée plutôt que recherchée.
Seconde loi. Les dons de Dieu sont parfaitement désintéressés ; il n'a rien à gagner pour lui-même dans tout le bien qu'il nous fait. S'il exige du retour de notre part, ce n'est pas pour son avantage, c'est pour le nôtre. Le bon usage que nous ferons de ses grâces n'est pas même le motif qui l'engage à nous les accorder. Combien nous en a-t-il donné jusqu'ici dont nous avons abusé, et dont il a prévu que nous abuserions ? Cette prévoyance de notre infidélité n'a pas arrêté le cours de ses bienfaits. Quelle bonté ! quel désintéressement !
L'âme ne peut répondre à cette loi que bien imparfaitement. Il est impossible qu'il n'y ait aucun gain pour elle en ce qu'elle donne à Dieu. Aussi ne doit-elle, ni ne peut-elle jamais renoncer parfaitement à son intérêt. Tout ce qu'elle doit faire, à mesure que la grâce l'en sollicite, c'est de ne pas envisager cet intérêt, c'est de ne pas compter avec Dieu, c'est de ne pas s'imaginer qu'elle en fait trop, c'est de ne rien refuser à Dieu, sous prétexte qu'elle n'y est point obligée, et qu'il ne l'exige pas absolument ; c'est de ne point s'attacher à ses dons, de ne les point regretter lorsqu'il les retire, mais d'être toujours généreuse et fidèle, lorsque Dieu met son amour à l'épreuve ; c'est enfin, dans les grandes tentations où elle se croit perdue sans ressource, de continuer à servir Dieu, et à faire tout ce qu'elle sait lui être agréable. Par ce désintéressement, elle imite en quelque sorte celui de Dieu ; elle l'aime, elle le sert, elle lui donne pour lui-même, sans se rechercher en rien ; et c'est ce qu'il y a de plus glorieux à Dieu dans le service que lui rend sa créature ; c'est aussi ce qu'il récompensera avec une libéralité infinie. Mais il ôte quelquefois à l'âme la vue de cette récompense, afin de purifier ses motifs et d’augmenter son mérite. Admirable artifice de l'amour divin, dont le secret n'est connu que de bien peu de personnes !
Troisième loi. Les dons de Dieu sont sans repentir ; c'est l'Écriture sainte qui le dit. Il ne regrette jamais, il ne reprend jamais ce qu'il a donné ; il ne le reproche pas même à l'âme, lorsqu'elle en abuse ; mais il la reprend seulement de l'abus qu'elle en a fait, disposé à la combler de plus grands biens, si elle veut revenir sincèrement à lui. Voyez comme il traite David, saint Pierre et tant d'autres, après leur conversion. Voyez quel accueil ce bon père fait à l'enfant prodigue à son retour ; comme il lui rend tout, et y ajoute encore de nouvelles faveurs. Les justes mêmes sont jaloux du bon traitement qu'il fait aux pécheurs pénitents.
C'est ici la grande loi pour la créature. Enfoncée qu'elle est dans l'amour-propre ; basse, intéressée, lorsque Dieu ne lui paye pas comptant ses sacrifices souvent bien légers, lorsqu'elle ne voit pas en ses mains le salaire de ses bonnes œuvres, elle se plaint que Dieu manque de fidélité, elle regrette ce qu'elle lui a donné ; elle va même quelquefois jusqu'à le reprendre. Ah ! quelle indignité ! Où en serions-nous si Dieu en usait de la sorte, et s'il retirait ses grâces lorsque nous n'y répondons pas, où s'il nous les refusait parce qu'il en prévoit l'abus ? Donnons comme lui, sans jamais nous en repentir ; donnons sans regarder ensuite à ce que nous avons donné ; oublions les dons déjà faits, et voyons ceux qui nous restent encore à faire ; regrettons de ne pas donner assez ; ne soyons pas contents que nous n'ayons tout donné effectivement et sans aucune réserve. Que nous importe comment Dieu paraît accepter nos dons ? Que nous importe qu'il paraisse n'en faire nul cas et, après tous nos sacrifices, nous traiter avec plus de rigueur ? Est-ce là ce qu'il nous faut considérer ? Désire-t-il que nous lui fassions ce sacrifice ? Le mérite-t-il ? Oui, sans doute. Si cela est, tout est dit pour une âme généreuse.
Quatrième loi. Dieu n'abandonne jamais, s'il n'est abandonné. Il est le premier à donner, mais il n'est pas le premier à abandonner. Au contraire, il recherche longtemps la créature après qu'elle l'a quitté. Sa patience ne se lasse point ; et, tant que le plus grand pécheur conserve un souffle de vie, il laisse toujours quelque grâce pour revenir à lui. Quelle fidélité !
Le beau modèle pour une âme qui s'est donnée à Dieu ! Dieu ne m'abandonne jamais ; je ne dois donc jamais l'abandonner. Je suis sûr de lui ; je ne dois donc rien négliger pour qu'il soit sûr de moi. Hélas ! je ne trouve aucune sûreté en moi-même ; je ne puis répondre un seul instant de moi. Rien n'est plus inconstant, plus fragile que ma volonté. Je proteste aujourd'hui à Dieu que je lui serai toujours fidèle ; demain, peut-être, je le quitterai. Voilà ce qui doit me tenir dans une défiance continuelle de moi-même, et ce qui doit me déterminer à remettre pour toujours entre les mains de Dieu cette liberté dont je puis abuser à toute heure. Voilà ce qui doit me rendre inviolablement fidèle aux moindres grâces. Si je manque volontairement et avec délibération à une seule, que n'ai-je pas à craindre, et de Dieu, et de moi-même ! de Dieu, qui se refroidira à mon égard, et qui me retirera ses grâces de choix pour me punir ; de moi même, qui deviendrai plus faible, plus exposé à tomber de nouveau. Ah ! Seigneur, j'espère que votre bonté me pardonnera toutes mes fautes de fragilité, d'inadvertance, de premier mouvement : mais je vous supplie de ne jamais permettre que j'en commette une seule de propos délibéré, que je résiste avec vue à aucune grâce, que je vous refuse quoi que ce soit que vous me demandiez. J'ai tout à craindre de moi ; et c'est pour cela aussi que je remets pleinement et de grand cœur ma liberté entre vos mains, afin que vous la gouverniez et que vous disposiez de moi en toutes choses. La grâce des grâces, c'est une constante fidélité ; je vous la demande, ô mon Dieu ! et quoi qu'il puisse m'en coûter pour l'obtenir, je ne croirai jamais l'acheter trop cher. Ainsi, puissé-je garder exactement toutes les lois du saint commerce qui est entre vous et moi, comme vous observez inviolablement celles que votre bonté s'est imposées ! C'est tout ce que je demande, et j'abandonne mon sort à venir à votre infinie miséricorde.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


Reportez-vous à Ce que Dieu nous demande, et ce qu'il faut demander à DieuInstruction sur la Grâce, Instruction sur la Prière, Le renoncement à soi-même : Le double exemple de l’apôtre Judas et de l’apôtre Simon-Pierre, Sur la sainteté, De la Crainte de Dieu, Conduite de Dieu sur l'âme, Moyens d'acquérir l'amour de Dieu, Quels moyens prendrez-vous pour acquérir, conserver et augmenter en vous l'amour de Dieu ?, Litanies de l'amour de DieuSoupir d'amour vers Jésus, Prière de Sainte Gertrude, Élan d'amour, Prière, Acte d'amour parfait, de Sainte Thérèse d'Avila, Prière de Saint Augustin, pour demander l'amour divin, Motifs et marques de l'amour de Dieu, De l'amour parfait, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Se conformer en tout à la volonté de Dieu, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Instruction sur la Charité, Méditation sur l'excellence de la Charité, Prière pour demander la charité, De la force en soi-même et de la force en Dieu, Remèdes à l'amour-propre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la consommation en la Grâce, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la liberté des enfants de Dieu, Sur la croix, De la violence qu'il faut se faire à soi-même, De la Simplicité, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des Vertus, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De l'Union avec Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Le Paradis de la Terre, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la paix du cœur, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la véritable Sagesse, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Avis important pour ceux qui ont des peines d'esprit, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Sur la vie nouvelle en Jésus-Christ, De l'activité naturelle, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la vie parfaite, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, De la Mortification, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des tentations et des illusions, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des moyens de parvenir à la vraie et solide vertu, Idée de la vraie Vertu, De la vraie et solide dévotion, Degrés des vertus qu'on se propose d'acquérir, Pour bien faire l'oraison et pour en tirer le fruit qu'on a lieu d'en attendre, En quelque état que vous soyez, rendez respectable, par vos sentiments et votre conduite, votre titre de Chrétienne, En quoi consiste l'exercice de la présence de Dieu, De la doctrine de Jésus-Christ, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Des Conseils Évangéliques, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, Ordre de la vie spirituelle pour les Directeurs, par le R.-P. Jean-Joseph Surin, et Des maladies de l'âme, par le R.-P. Jean-Joseph Surin.