Le second degré de l'humilité consiste à être bien aise d'être méprisé. Aimez à n'être pas connu, dit Saint Bonaventure ; et à être méprisé. Si nous étions bien solidement établis dans le premier degré de l'humilité, nous aurions peu de chemin à faire pour arriver au second. Saint Grégoire, sur ces paroles de Job : J'ai péché, et j’ai failli véritablement : et je n'ai pas encore reçu le châtiment que je méritais, remarque que plusieurs en disent autant de bouche, et parlent d'eux-mêmes avec mépris ; mais que quand on leur répète les mêmes discours qu'on leur a entendu dire, ou même de beaucoup moindres, ils ne le peuvent souffrir. C'est que quand ils disent du mal d'eux-mêmes, ils ne parlent pas selon l'esprit de vérité et selon les sentiments de leur cœur, comme faisait Job, et que l'humilité n'est qu'extérieure en eux. Ils veulent bien laisser croire qu'ils possèdent cette vertu, mais au fond ils en sont privés, ils veulent seulement paraître humbles, sans se soucier de l'être en effet ; car s'ils étaient humbles en effet, ils ne feraient pas voir tant de sensibilité a l'occasion des réprimandes qu'on leur fait : ils ne prendraient pas tant de soin de se justifier et de se défendre, et ne montreraient pas tant d'agitation et tant de trouble en se justifiant de ce reproche.
« Malheureux que nous sommes, dit Saint Grégoire, l'estime du monde est pour l'ordinaire tout ce que nous prétendons par notre hypocrisie et nos déguisements : ce qui paraît humilité en nous, est quelquefois un grand orgueil ; et souvent nous ne nous abaissons devant les hommes, qu'afin qu'ils nous louent, et qu'ils nous estiment. »
Et si cela n'était pas, pourquoi diriez-vous de vous-même, ce que vous ne voulez pas qu'on en croie ? Si vous le dites du fond du cœur, et en rendant témoignage à la vérité, vous devez être bien aise qu'on vous croie ; que si vous y êtes sensible, c'est une marque qu'en vous humiliant vous n'avez point d'autre vue que d'acquérir l'estime des hommes. C'est ce que nous apprend le Sage, quand il dit qu'il y a des gens qui feignent de s'humilier, et dont l'intérieur est plein de déguisement et d'orgueil.
Enfin notre vanité est si grande, et le désir que nous avons d'être estimés est si violent, que nous trouvons mille détours pour satisfaire notre orgueil ; et soit directement, soit indirectement, nous tâchons toujours de rapporter tout à notre propre gloire. « Les superbes, dit encore Saint Grégoire, lorsqu'ils pensent avoir réussi en quelque occasion qui peut leur procurer de la gloire, ont coutume de prier qu'on leur marque en quoi ils ont manqué, et cela dans la vue de se faire dire qu'ils ont très bien fait. Il semble que ce soit l'humilité qui les porte à demander qu'on leur fasse connaître leurs fautes ; mais ce n'est point l'humilité qui les fait agir ainsi, c'est l'orgueil : car ils n'ont en cela d'autre vue que de s'attirer des louanges. Il y en a d'autres qui sont les premiers à blâmer ce qu'ils ont fait, et à témoigner qu'il n'en sont pas contents : mais c'est afin d'arracher l'approbation des hommes, et de jouir du plaisir de s'entendre dire qu'il ne se pouvait rien faire de mieux, et qu'ils ont tort de n'être pas satisfait de leur conduite. C'est aussi par le même esprit que nous avouons quelquefois ingénument les fautes que nous ne pouvons pas cacher : afin que ce que nous pourrions avoir perdu dans l'opinion du monde en les commettant, nous le recouvrions en les avouant. D'autres fois nous exagérons nos fautes, et nous les portons au-delà de leurs justes bornes : afin que le monde voyant qu'il est impossible qu'elles soient telles que nous le disons, s'imaginent que nous nous accusons de ce que nous n'avons point fait, et regarde cet aveu comme un effet de notre humilité. Ainsi, en disant avec exagération ce qui n'est pas, nous tâchons de cacher adroitement ce qui est. En un mot, il n'y a point de ruses et d'inventions que nous ne mettions en usage pour déguiser notre orgueil, et pour le cacher sous le manteau de l'humilité. »
« Ce n'est pas être humble, dit saint Jean Climaque, que de se mépriser soi-même, et de dire du mal de soi ; car qui est celui qui ne souffre pas tout de lui-même avec patience ? Mais c'est être véritablement humble, que de recevoir avec joie les mépris et les mauvais traitements des autres. » Il est bon de parler toujours de soi-même avec peu d'estime, et d'avouer que l'on est orgueilleux, paresseux, impatient, négligent et inconsidéré : mais il vaudrait encore mieux réserver cet aveu pour les occasions où l'on aurait sujet de vous faire les mêmes reproches. Que si vous désirez sincèrement que les hommes aient de vous cette opinion, alors si vous faites connaître votre satisfaction, lorsqu'on vous les représente toutes les fois qu'il y a lieu de le faire, vous serez réputé être véritablement humble.
(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)
Reportez-vous à La connaissance de nous-mêmes ne doit pas nous faire perdre le courage, ni la confiance, Que la considération de ses péchés est un excellent moyen pour se connaître soi-même, et pour acquérir l'humilité, Du premier degré de l'Humilité, qui est d'avoir une humble opinion de soi-même, Principales Vertus dont l'Humilité est le fondement, Il n'y a point de Vertu solide sans l'Humilité : elle est le fondement de toutes les autres Vertus, Excellence et nécessité de l'Humilité, Prière pour demander l'humilité, Prière pour obtenir l'humilité, l'exemple de Saint Robert Bellarmin et de Saint Ignace, et comment acquérir cette vertu, Le Saint Curé d'Ars dans sa conversation : Humilité de M. Vianney, De l'amour du Père Surin pour l'humilité, dans l'union avec Notre-Seigneur Jésus-Christ, Des vertus de Marie : l'humilité, De la merveilleuse humilité du séraphique saint François, Litanies de l'humilité, Méditation sur les effets de l'orgueil, Méditation sur l'humilité des Saints, Méditation sur la pratique de l'humilité Chrétienne, Méditation sur les avantages de l'humilité Chrétienne, La Crèche, Sur ces paroles : Vous avez tiré votre parfaite louange de la bouche des enfants et de ceux qui sont à la mamelle. (Psaume 8), De deux sortes de Mortifications, De la nécessité de la Mortification : En quoi elle consiste, Sur Jésus-Christ, L'intérieur de Marie, De l'enfance spirituelle, et De la paix de l'âme.
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