Saint Robert Bellarmin |
Prière pour obtenir l'humilité
Fils éternel de Dieu, égal à votre Père, qui étant anéanti en prenant la nature de l'homme et la forme de serviteur, vous êtes encore humilié vous-même en vous rendant obéissant jusqu'à la mort de la Croix, apprenez-moi à m'humilier, faites que j'apprenne de vous que vous êtes doux et humble de cœur ; apprenez-moi cette grande leçon, qui est toute la science de l'homme, que je ne suis rien par moi-même, et que si j'ai quelque chose, je l'ai reçu de vous, et je dois le rapporter à vous. Abaissez-moi sous votre main toute-puissante en me faisant connaître et sentir mon néant, ma faiblesse, mes péchés, et ne permettez pas que je m'élève en me regardant moi-même avec ces yeux altiers qui verront en moi ce qui n'y est pas, ni que je vous fasse la guerre de vos propres biens, en m'attribuant les grâces et les dons que je reçois de vous. Que je ne sois pas du nombre de ces fils hypocrites qui, ne cherchant dans les bonnes œuvres qu'ils font que la vue et l'estime des hommes, ont déjà reçu leur récompense. Que je ne me laisse point séduire par la flatterie ni par les louanges, et que sachant m'en passer, sans jamais les rechercher, je gémisse et je tremble en moi-même devant vous, lorsque les hommes me les présentent. Que bien loin de m'élever au-dessus des autres, et de rechercher les premières places, je ne m'estime digne que de la dernière ; que je regarde les autres hommes comme étant au-dessus de moi, que je les prévienne d'honneur, que je cède volontiers à leur sentiment, que je me réjouisse de me les voir préférer et de me trouver au-dessous d'eux. Faites enfin, mon Dieu, que je sois vraiment humble, que j'aime à être inconnu, et qu'ayant de bas sentiments de moi-même, je consente à être abaissé et méprisé de tout le monde.
Extrait de "Le Livre des élus ou Jésus Crucifié" :
Veut-on un savant du premier ordre que la science n'ait point enflé ? Le Cardinal Bellarmin se présente à mon esprit. La naissance et la pourpre Romaine, furent ce qu'il y avait dans lui de moins noble et de moins éclatant. Quelle étendue de savoir! quelle profondeur ? quelle clarté et quelle solidité dans ses raisonnements ! le monde et le Collège des Cardinaux l'écoutèrent comme un oracle ; la Religion l'aima comme son défenseur le plus éclairé et son plus ferme appui ; l'hérésie le haït, le persécuta et le calomnia comme son adversaire le plus formidable. Deux Académies érigées dans son sein, sous le titre d'Anti-Bellarmines, seront un monument éternel de ses frayeurs, et de la gloire de Bellarmin. Plus il était grand aux yeux des autres, plus il était petit aux siens, et dans sa vie éprouvée par de longues maladies, traversée par les contradictions, épuisée par la multitude et la continuité des travaux, jamais il ne ressentit que deux chagrins, celui d'être nommé Cardinal, et l'autre d'être élevé sur le Siège Archiépiscopal de Capouë : son humilité ne lui permettait de s'affliger, que quand il était considéré et honoré.
Aux enfants, il est juste de joindre le père Ignace, fondateur de la Compagnie de Jésus. Au nom d'Ignace, quiconque le connaît se représente un esprit élevé, mais juste et solide, un génie étendu et vaste, capable d'abandonner les routes ordinaires, de s'en frayer de nouvelles et de plus sûres, une pénétration qui portait ses vues jusqu'à la fin des siècles, qui prévoyait tout, et qui trouvait des remèdes à tout, une prudence consommée qui, par la sagesse de ses mesures, si elles font remplies et exécutées, assure à son ouvrage une glorieuse immortalité. En un mot, quand Ignace ne serait pas un grand Saint, il serait un grand homme par la sublimité et par l'excellence de son génie. Cependant quelle humilité! Pour en rapporter tous les traits, il faudrait raconter une grande partie de sa vie. Quelles humiliantes persécutions n'a-t-il pas souffert à Paris, à Salamanque et à Rome ! en revenant de la Terre Sainte et passant par la Lombardie, qui était alors le théâtre de la guerre, entre la France et l'Espagne, il fut pris pour un espion, par les soldats d'une garnison Espagnole ; lié et garrotté comme un traître et un criminel de Lèse Majesté, il entra dans la Ville, et au milieu des huées et des imprécations du peuple, il fut conduit chez le Commandant. Son nom, et la gloire qu'il s'était acquise au siège de Pampelune, lui assuraient des réparations, et un retour honorable ; mais il était trop humble pour employer ce moyen. Après avoir été en quelque sorte semblable à Jésus-Christ, entrant ignominieusement à Jérusalem, il voulut imiter sa conduite, lorsqu'il parut devant Hérode, il contrefit donc le stupide et l'insensé. Cet innocent stratagème lui procura de nouvelles humiliations ; les soldats grondés et réprimandés, d'avoir pris un fou pour un espion, déchargèrent sur lui leur colère, lui firent toutes les insultes dont ces sortes de gens sont capables, surtout quand ils sont irrités, et aux outrages, ils joignaient les coups. Dans toutes ces bourrasques, et dans les autres auxquelles la vie de S. Ignace fut exposée, son cœur, comme celui de S. Paul, nageait dans la gloire, et désirait d'en souffrir de plus fréquentes et de plus humiliantes, pour imiter et suivre de plus près Jésus-Christ.
Rendons-nous un moment justice. Que sommes-nous, du côté de la naissance, des postes, des richesses, de la science et des talents, en comparaison de ceux dont je viens de parler ? Ces grands hommes, ces géants s'abaissaient, s'apetissaient, et auraient voulu être foulés aux pieds de tout le monde. Nous, misérables nains, nous cherchons à nous hausser, à nous agrandir et à nous élever sur la tête des autres. Chacun se fait de son petit mérite un piédestal, sur lequel il se place comme une Divinité, toujours d'autant plus misérable, et souvent d'autant plus méprisée, qu'il s'encense et s'adore lui-même davantage. Pourquoi la vue d'un Dieu anéanti, d'un Jésus humble et avide d'humiliations, a-t-elle fait de si vives et de si fortes impressions sur l'esprit et sur le cœur de tant de Rois, de tant de Princesses, de tant de savants, de tant d'hommes distingués par l'éminence de leurs talents, tandis que cette même vue n'en fait aucune, ou du moins qu'une très-légère sur notre esprit et sur notre cœur ? Est-ce faiblesse dans eux ? Le penser ce serait une impiété. C'est donc dans nous aveuglement et stupidité.
Pour dernière instruction, n'oublions jamais que dès le commencement du monde, furent construits deux édifices, d'un goût et d'une structure bien différente. Le premier est l'ouvrage de Dieu lui-même, le second est celui du Démon. L'un est bas, simple et sans aucun ornement ; mais appuyé sur la pierre ferme, il est solide et durable ; l'autre est élevé et magnifique, mais bâti sur le sable mouvant, il est facilement ruiné et renversé par les vents et par les orages. Celui-là est la demeure des prédestinés ; plus ils s'abaissent, plus Dieu les élève et les glorifie ; celui-ci est la retraite des réprouvés, plus ils s'élèvent, plus leur chute est certaine et funeste. N'oublions jamais que J. C. dans son Évangile, exprime les mêmes termes, la nécessité du Baptême, et celle de l'humilité ; il dit de ce Sacrement, si nous ne sommes pas régénérés par l'Esprit-Saint, nous ne pourrons entrer dans le Royaume de Dieu. Il dit de l'humilité, si nous ne devenons comme des enfants, nous n'entrerons pas dans le Royaume des Cieux. Aussi, quoique Jésus-Christ, par ses paroles et par ses exemples, nous ait prêché toutes les vertus, c'est spécialement de l'humilité dont il a voulu être le Prédicateur et le Docteur ; tous les trésors de sa science et de sa sagesse, aboutissent en quelque sorte à cette seule leçon, apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur. Enfin, ce qui montre le prix et la nécessité de l'humilité, c'est la conduite de la Divine Providence ; quelles rigueurs apparentes n'exerce pas sur ses amis et sur ses favoris mêmes, notre Dieu qui est bonté et charité, pour conserver dans eux et perfectionner l'humilité ? Contre les inclinations de son cœur, il suspend les douceurs, les consolations et les caresses : aux lumières il fait succéder les ténèbres ; à la paix les troubles, les inquiétudes et les angoisses mortelles ; il permet les tentations les plus humiliantes et les assauts les plus violents du Démon ; il souffre que cette âme chérie gémisse sous le poids du péché, qu'elle croyait avoir détruit par l'usage de la mortification. Les imperfections, les défauts, les péchés eux-mêmes, sont les moyens dont la sagesse de Dieu sait faire usage, ou pour guérir la plaie profonde de l'orgueil, ou pour empêcher qu'elle ne se rouvre dans les Saints mêmes. Par une loi générale et constante, il faut que le grain de froment pourrisse et meure dans la terre, c'est à-dire, que l'homme juste meure à l'amour propre et à l'orgueil dans les tribulations, les peines intérieures, le sentiment de ses misères et de sa faiblesse. Plus il avancera dans cette heureuse mort , plus il apprendra à ne mettre sa confiance, et à ne se glorifier qu'en Dieu seul ; plus la vie céleste et divine se perfectionnera dans lui, et les fruits qu'il portera seront plus abondants, plus excellents et plus durables.
Convaincus que l'orgueil et l'amour de sa propre excellence est la plus dangereuse maladie du cœur humain, et la plus difficile à guérir ; convaincus de l'excellence et de la nécessité de l'humilité ; d'un autre côté, instruits des motifs propres à la former dans nous, réunissons et mettons en usage les trois moyens que Dieu attend de nous pour nous mettre par la grâce, dans l'heureuse possession des vertus Chrétiennes, la prière, la méditation et l'action. La première chose qu'il faut demander à Dieu, mais avec des désirs continuels et ardents, c'est l'humilité ; la seconde, c'est l'humilité ; la troisième, c'est l'humilité ; (Aug.) et si vous m'interrogez sur l'objet et la fin de vos prières, je continuerai à vous répondre, demandez l'humilité. Mais la demander de bonne foi, c'est, dit S. François de Sales, demander l'humiliation. La vertu ne s'apprend ordinairement, et jamais elle ne s'apprend mieux que par la pratique. Buvez donc avec courage les railleries, les mépris, les outrages, comme un breuvage de salut, et comptez parmi les jours perdus, celui qui ne vous fournira aucune occasion d'avancer dans l'humilité. Pour adoucir l'amertume de ce breuvage, ayez toujours devant les yeux de votre esprit, un Dieu anéanti ; un homme-Dieu humble d'esprit jusqu'à se regarder comme le dernier des hommes, humble de cœur, jusqu'à vouloir être traité comme le rebut du monde. À cet exemple , joignez celui de la mère de Dieu, qui a été la plus humble de toutes les pures créatures ; celui de tous les Saints, qui, plus ils ont été élevés par la sainteté, plus ils se sont enfoncés dans leur néant par l'humilité. En un mot, n'épargnez rien pour acquérir l'humilité. Elle est la pierre précieuse si vantée dans l'Évangile. Peu de gens la possèdent, et voilà pourquoi il y a peu de véritables Saints.
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