Allons plus avant : fouillons et creusons davantage dans la connaissance de nous-mêmes, remuons encore cette terre. Mais que peut-il y avoir à creuser encore ? Y a-t-il quelque chose au-delà du néant ? Oui, sans doute, il y a quelque chose de plus ; il y a le péché que vous y avez ajouté ; et quel abîme n'est-ce point ! Il est bien plus affreux que l'abîme du néant ; parce que le péché est pire que le néant et qu'il vaudrait beaucoup mieux n'être point du tout que de pécher. Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne fût point né, dit Jésus-Christ, en parlant de Judas qui le voulait trahir. Il n'y a rien de si abject, et de si méprisable aux yeux de Dieu, dans toute l'étendue de l'être et du néant, que l'homme qui est en péché mortel ; banni du Ciel, ennemi déclaré de Dieu, et condamné aux peines de l'enfer. Ayons toujours cette considération Présente à l'esprit, quand même nous ne nous sentirions la conscience chargée d'aucun péché mortel : et comme pour mieux connaître notre néant, nous nous sommes remis devant les yeux le temps où nous n'existions pas ; aussi, pour mieux connaître notre bassesse et notre misère, rappelons-nous celui où nous étions dans le péché. Songez dans quel funeste état vous étiez, lorsque vous étant rendu odieux aux yeux de Dieu, par l'énormité de vos fautes, il ne vous regardait plus désormais que comme son ennemi, comme un enfant de colère, et comme un criminel dévoué aux feux éternels. Ensuite, remplissez-vous de confusion, et abaissez-vous le plus profondément que vous pourrez ; car vous devez croire que, dans quelque profond abaissement que vous vous mettiez, vous n'irez jamais jusqu'à l'excès du mépris que mérite celui qui a offensé notre Dieu qui est le souverain bien. Cette méditation est un abîme infini, qui n'a point de fond : car jusqu'à ce que nous puissions parvenir à voir dans le Ciel combien la bonté de Dieu est grande, il est impossible que nous connaissions parfaitement combien le péché qui cause notre révolte contre cette divine bonté, est énorme, et quels châtiments on mérite quand on l'offense.
Si nous étions bien pénétrés de cette pensée, et si nous creusions bien avant dans l'examen de nos péchés et de nos misères ; que nous serions humbles alors ! que nous aurions peu d'estime de nous-mêmes ! que nous recevrions les mépris et les opprobres avec joie ! Celui qui a été infidèle à Dieu, que ne doit-il point souffrir pour l'amour de lui, après qu'il a eu le bonheur de rentrer en grâce ! Celui qui a quitté Dieu pour s'abandonner à ses passions, qui a offensé son Créateur et son Maître pour une volupté passagère, qui par-là s'est rendu digne des supplices éternels I à quel mépris, à quelles injures et à quels affronts ne doit-il pas se soumettre de bon cœur, en satisfaction des offenses qu'il a commises contre la Majesté d'un Dieu !
Mais il y a encore davantage à creuser ici : c'est qu'encore que la confiance qu'on doit avoir en la miséricorde de Dieu, puisse nous faire espérer qu'il nous aura remis nos péchés, nous n'en avons toutefois nulle certitude. « L'homme, dit le Sage, ne sait s'il est digne d'amour ou de haine : » et l'Apôtre disait en parlant de lui-même : « Ma conscience ne me reproche rien, mais je ne suis pas pour cela justifié. » C'est un puissant motif pour s'entretenir toujours dans l'humilité, et pour avoir une basse opinion de soi-même, que cette incertitude, si l'on est en état de grâce, ou non. Nous savons, à n'en pas douter, que nous avons offensé Dieu, et nous ne savons pas avec la même certitude, si Dieu nous a pardonné. Qui osera marcher la tête levée ? Qui ne sera couvert de confusion, et ne s'abaissera jusqu'au centre de la terre, dans une si cruelle Incertitude ! C'est ce qui faisait dire à Saint Grégoire : « Que Dieu a voulu que nous ne fussions pas assurés de sa grâce, afin que nous eussions toujours une grâce assurée, qui est celle de l'humilité. »
(Abrégé de la Pratique de la Perfection Chrétienne)
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