IIIe Point. Dans le ciel les saints possèdent Dieu. Il se donne, il se communique à eux, il devient leur bien, leur propriété, leur héritage, et ce Dieu de bonté en se donnant ainsi aux bien-aimés de son cœur, les fait entrer en participation de tous ses biens, de toutes ses perfections. Oui les saints sont riches des richesses de Dieu lui-même, saints de sa sainteté, sages de sa sagesse, justes de sa justice. Ils ne jugent plus par leurs idées, mais par celles de Dieu ; ils ne veulent plus et ne peuvent plus vouloir que ce qu'il veut. Enfin ils aiment par son cœur, ils vivent de sa vie, ils sont heureux de son propre bonheur, et ils lui sont tellement unis, tellement transformés en lui qu'ils sont, selon l'expression du grand apôtre, Dieux avec lui, parce que sa divine image se réfléchit en eux dans toute sa beauté comme l'image du soleil se réfléchit dans des eaux calmes et parfaitement pures.
Oh ! comme ces biens de la terre que les saints ont méprisés pour Dieu leur paraissent aujourd'hui peu de chose, que les sacrifices qu'ils ont faits pour acquérir les biens et le bonheur dont ils jouissent leur paraissent petits ! et quels regards de pitié et de mépris ne jetaient-ils pas sur toutes ces choses qui nous éblouissent et nous fascinent encore. Plaisirs, honneurs, richesses, gloire et grandeurs humaines, tout cela leur paraît bien vil, bien méprisable et souverainement indigne d'occuper des âmes créées pour le ciel, appelées à de si hautes destinées, à un bonheur si parfait, à la possession de Dieu lui-même. Quand donc, ô mon Dieu, jugerons-nous de toutes les choses d'ici-bas, comme vos saints en jugent ; dessillez nos yeux, Seigneur, afin que nous les méprisions comme ils les ont méprisées aux jours de leur vie mortelle et que comme eux nous ne soupirions plus qu'après la possession des biens éternels.
Ce qui complète le bonheur des élus, c'est la société des anges et des saints dont ils jouissent dans le ciel et avec lesquels ils vivent dans la plus douce et la plus fraternelle union. Tous se connaissent, tous s'aiment, tous sont unis par les liens d'une inaltérable charité. L'envie, la jalousie, la discorde ne pénètrent pas au ciel, et quoique tous les bienheureux ne jouissent pas du même degré de gloire et, qu'ainsi que les étoiles du ciel qui diffèrent entre elles de clarté, les uns soient plus élevés que les autres et jouissent d'une connaissance de Dieu proportionnée à l'amour qu'ils ont eu pour lui sur la terre et aux mérites qu'ils y ont acquis, chacun d'eux se trouve parfaitement satisfait de la part que Dieu lui a faite, chacun se réjouit du bonheur de ses frères comme du sien propre et voit sans envie la différence de gloire et d'élévation qui existe entre eux parce que tous s'oublient et ne se regardent plus eux-mêmes, mais Dieu seul qui se glorifie en chacun d'eux.
Si le plus grand bonheur de la terre consiste dans l'affection qu'ont entre eux les membres d'une même famille, dans l'union parfaite de leurs volontés et de leurs cœurs, quel ne doit pas être le bonheur de cette immense famille de Dieu, qui n'a qu'un cœur pour aimer le père commun, qu'une voix pour le louer et le bénir, et si une des plus vives afflictions de l'âme pieuse ici-bas est de voir le dépérissement de la foi dans les âmes et le Dieu qu'elle aime méconnu, outragé, blasphémé par l'impie, si la vue des iniquités, des scandales qui inondent le monde la fait si souvent soupirer après la fin de son exil ; quelle n'est donc pas la joie des bienheureux de se trouver dans un lieu où le péché n'entrera jamais, où Dieu sera éternellement loué, éternellement aimé, éternellement glorifié, où ce Jésus, objet de leur plus tendre amour, et qu'ils ont vu oublié, méprisé, abandonné sur la terre par les ingrats qu'il ne cessait de combler de ses grâces et de ses bienfaits reçoit enfin le juste tribut de la reconnaissance et de l'amour de tous les bienheureux qui tous jettent à ses pieds leurs couronnes et reconnaissent lui devoir leurs vertus, leurs mérites et leur gloire.
Enfin le corps même des saints participera un jour au bonheur dont leurs âmes sont déjà en possession, et jusque-là il semble que ce bonheur est en quelque sorte incomplet. Ces âmes bienheureuses soupirent après l'instant où elles se réuniront à ces anciens compagnons de leur exil, qui eux aussi ont mérité d'avoir part à leur gloire puisqu'ils ont eu part à leurs travaux et à leurs sacrifices. Il leur tarde de voir leur bien-aimé Sauveur avec leurs yeux de chair, de le louer avec ces langues qui tant de fois le louèrent ici bas, même au sein de l'affliction et de la douleur, et dont un grand nombre confessèrent son nom au milieu des plus cruels tourments. Dieu exaucera au dernier jour les vœux de ses serviteurs et de ses enfants, il accomplira ses promesses, et l'homme tout entier sera glorifié dans son âme et dans son corps : la bonté de Dieu le demande et sa justice l'exige en quelque sorte ; elle ne saurait souffrir que ces corps que les saints lui ont immolés pendant de longues années comme des hosties vivantes, qu'ils ont exténués par le jeûne, les veilles, le travail et toutes les austérités de la pénitence n'aient pas aussi leur part de gloire et de félicité. Ils l'auront donc, et au premier son de la trompette de l'ange ces corps reformés sur le modèle du corps glorieux de Jésus-Christ s'éveillant de leur sommeil séculaire et secouant la poussière de leur couche funèbre, ils seront en un instant réunis aux âmes bienheureuses dont ils furent autrefois la prison d'argile ; et brillants comme autant de soleils, ils s'élanceront radieux dans les plaines de l'immensité pour aller pleins de joie au-devant du souverain Juge et servir à la gloire de son triomphe.
Ces corps des saints revêtus alors pour toujours de la lumière de gloire comme d'un brillant vêtement dont l'éclat surpassera celui du soleil et des pierres les plus précieuses et resplendira des plus riantes couleurs, deviendront un nouvel ornement pour le ciel et leur vue augmentera la joie et la félicité des élus. Ces corps glorieux n'auront plus rien des infirmités des nôtres, ils n'auront plus la pesanteur de la matière et ne seront plus sujets aux besoins que nous éprouvons aujourd'hui. Impassibles et immortels, la maladie, les infirmités ne pourront plus les atteindre, l'âge ne pourra plus flétrir leur beauté et épuiser leurs forces, la mort ne pourra plus arrêter les battements de ces cœurs généreux qui palpiteront éternellement sous les douces étreintes de l'amour de Dieu, doués de subtilité et d'agilité comme celui de Jésus-Christ notre adorable chef ; ces corps devenus ses membres glorieux, pénétreront sans effort les corps les plus durs et se transporteront d'un lieu à un autre avec la promptitude de la pensée. Ils parcourront, sans se lasser, les vastes domaines de la création et verront sous leurs pieds ces mille millions de mondes que nous voyons aujourd'hui rouler avec tant d'harmonie sur nos têtes. Cette terre que nous habitons et que l'homme a souillée et souille encore de tant de crimes, purifiée elle aussi par le feu de la justice de Dieu, renouvelée et embellie par sa toute puissante bonté, deviendra encore un nouvel Éden que les élus parcourront avec délices, n'y retrouvant plus les douleurs du passé que par le souvenir qui leur rendra plus douces encore les joies inaltérables du présent.
Enfin, tous les sens des corps des saints jouiront chacun de la félicité qui leur est propre ; leur vue sera ravie par les merveilles de la maison du Seigneur et des splendeurs de cette Jérusalem céleste, dont saint Jean, dans ses mystérieuses révélations, nous raconte les beautés et les richesses. Leurs oreilles seront charmées par l'harmonie des concerts angéliques, leur goût satisfait par de divines suavités, leur odorat par le céleste arôme des suaves parfums qui s'exhaleront du corps adorable de Jésus, de celui de sa Mère immaculée et de ceux de tous les élus, comme d'une magnifique corbeille de fleurs ornant et embaumant à la fois les parvis éternels.
Que cette pensée du bonheur des saints que nous venons de méditer nous enflamme d'une sainte ardeur, d'une noble ambition et d'une généreuse émulation. Comme eux, nous sommes créés pour le ciel, l'heureuse patrie où ils sont arrivés est aussi notre patrie ; les joies dont ils jouissent nous sont promises, et il dépend de nous qu'elles nous soient un jour données. Élevons donc nos yeux vers ces demeures éternelles, où nous ont devancés nos frères dans la foi, nos parents, nos amis bien-aimés. Du sein de leur éternelle félicité, leurs regards s'abaissent vers nous, ils nous tendent les bras et nous montrent à côté de leurs trônes de gloire ceux qui nous sont destinés et qu'ils brûlent du désir de nous voir occuper. Élançons-nous donc courageusement sur leurs traces, suivons les exemples qu'ils nous ont laissés et disons avec saint Augustin : Pourquoi ne pourrais-je pas ce qu'ont pu tant de saints de mon état, de mon âge, et qui se sont sanctifiés dans la même position que moi. Ils n'étaient pas d'une autre nature que la mienne ; ils avaient les mêmes penchants à vaincre, les mêmes obstacles à surmonter, les mêmes épreuves et de bien plus grandes encore à supporter ; avec la grâce de Dieu, ils ont triomphé de toutes les difficultés et sont arrivés au terme. De moi-même je ne puis rien, mais Dieu m'offre sa grâce comme il la leur a offerte, et avec elle je pourrai ce qu'ils ont pu. Oui, soyons-en convaincus, pour gagner le ciel, il ne faut que le vouloir, mais le vouloir fortement, sincèrement, constamment, et par là même il faut vouloir les moyens qui peuvent nous y conduire, c'est-à-dire les vertus, les souffrances, les humiliations, les sacrifices, qui seuls peuvent assurer nos droits à cet héritage éternel. Lors donc que nous sentirons notre courage faiblir sous le poids de l'épreuve, la nature effrayée à la vue des sacrifices reculer et réclamer ses droits, rappelons-nous la magnifique récompense promise à quelques instants de peine, et ranimons notre courage en nous disant : Le ciel sera le prix de cette épreuve supportée avec résignation, de cette croix portée avec patience, de ce sacrifice accompli avec amour. Ainsi soit-il.
PRIÈRE
Que la terre me paraît vile, ô mon Dieu, quand je regarde le ciel ! Que les jours de mon exil me paraissent longs, lorsque je pense à l'éternelle patrie où vous enivrez vos élus de bonheur et d'amour. Non, rien ici-bas, ô mon Dieu, ne peut plus satisfaire mon âme qui a soif de vous ; elle languit, elle se dessèche, se consume loin de vous, par l'ardeur de ses désirs. Toutes les jouissances terrestres ne lui semblent plus qu'amertume ; l'affection des créatures ne peut pas éteindre cette soif d'amour que vous seul pouvez étancher. C'est vous, c'est vous seul, ô mon Dieu, que mon âme désire ; c'est vous qu'elle appelle et la nuit et le jour ; c'est à vous qu'elle aspire comme à sa seule joie, à sa seule félicité, à son éternelle vie. C'est vous, vous seul enfin qu'elle veut voir, qu'elle veut aimer, qu'elle veut posséder.
Mais hélas ! je m'égare, ô mon Dieu, et dans ma présomption j'oublie ma misère, mon indignité, ma profonde indigence, et j'aspire à la récompense que vous accordez à vos fidèles serviteurs, sans avoir rien fait encore pour la mériter. Il n'en sera plus ainsi, ô mon Dieu ! aidé de votre grâce, je vais m'efforcer de me rendre moins indigne du bien auquel j'aspire ; je n'oublierai plus que le ciel doit être le prix de nos efforts et de nos sacrifices ; que nous devons, pour ainsi dire, le prendre d'assaut, et que ceux-là seuls qui auront vaillamment combattu seront couronnés. Je m'efforcerai donc de marcher avec tous vos saints sur les traces du chef des élus ; comme eux je veux le suivre avec courage dans la voie des humiliations, des souffrances et des sacrifices, puisque c'est la seule qui peut me conduire à la vie et à l'éternel bonheur. Ainsi soit-il.
(Méditations pour l'Octave de la Toussaint et pour tout le mois de Novembre)
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