dimanche 28 juin 2020

Sur la sainteté


Soyez saints parce que je suis saint, dit Dieu aux enfants d'Israël. Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait, dit Jésus-Christ à ses disciples. Ces paroles nous montrent en Dieu le motif et le modèle de notre sainteté. Si nous savons les comprendre, elles nous disent plus de choses que n'en ont jamais dit les philosophes les plus sages et les plus éclairés. Mais nous ne les comprendrons jamais qu'à la faveur de la lumière divine, et la pratique nous en développera le sens encore mieux que la spéculation.
Soyez saints, dit le Seigneur, parce que je suis saint. Qu'est-ce en Dieu que la sainteté ? C'est l'amour de l'ordre. Dieu aime l'ordre essentiellement ; il ne peut rien approuver, rien excuser, rien souffrir impuni qui y soit contraire. Il peut permettre le désordre dans sa créature, le souffrir pour un temps, le pardonner, si elle le désavoue et le répare ; mais il le réprouve, il le poursuit et il le punit partout où il le voit, lorsque le moment de sa justice est venu, et que celui de la miséricorde est passé. Pourquoi cela ? Parce qu'il est saint. Il ne peut point ne pas prescrire l'amour de l'ordre à la créature intelligente et libre, ni la laisser sans récompense, si elle l'observe. Il l'exercera pour un temps, il l'affligera, il la mettra à diverses épreuves, il paraîtra même l'abandonner, pour mieux s'assurer de sa vertu ; mais, si elle ne s'écarte point de l'ordre, et si elle y persévère constamment, il la rendra heureuse parce qu'il est saint.
Cette sainteté essentielle de Dieu est sans contredit le premier et le plus grand motif de la nôtre. Nous sommes obligés d'aimer l'ordre, parce que Dieu l'aime ; nous n'avons la raison et la liberté que pour cela : la raison, pour connaître l'ordre ; la liberté, pour nous y soumettre.
En qualité de créatures raisonnables, nous sommes faits à l'image de Dieu. Dieu se connaît, Dieu s'aime comme source de la sainteté, comme la sainteté même. Nous qui sommes ses images, nous devons le connaître, l'aimer, lui obéir, et l'imiter sous ce rapport. Il ne nous suffit pas d'être ses images par notre nature spirituelle, douée d'intelligence et de liberté, il faut encore que nous le soyons par notre volonté, par notre choix ; je dois vouloir être saint, je dois travailler de tout mon pouvoir à le devenir, je dois rejeter avec horreur tout ce qui est contraire à la sainteté, parce que Dieu est saint, et que j'ai l'avantage d'être créé à sa ressemblance.
Comment oserais-je m'approcher de Dieu, si je ne suis pas saint, ou du moins si je n'aspire pas à l'être ? Je suis fait pour avoir un commerce intime avec lui : commerce de reconnaissance, j'ai tout reçu de lui ; commerce de prière, j'ai un besoin continuel de lui ; commerce d'espérance, j'attends tout de lui ; commerce d'amour, il est mon souverain bien, et je ne puis trouver de bonheur qu'en lui. Mais que deviendra ce commerce, si je renonce à la sainteté ? Il sera absolument rompu. Je m'éloignerai de Dieu à mesure que je m'éloignerai de la sainteté ; Dieu, de son côté, s'éloignera aussi de moi. Je ne pourrai soutenir sa vue ; il me rejettera bien loin de la sienne ; il me haïra, me réprouvera, me condamnera ; je serai éternellement banni de sa présence.
Ce n'est pas tout : Dieu m'a approché de lui par sa grâce encore plus que je ne suis proche de lui par la nature ; il m'a élevé à un état surnaturel, il m'a destiné à le voir face à face, et à jouir de son propre bonheur pendant l'éternité. N'a-t-il pas incomparablement encore plus de droit de me dire : Soyez saint, parce que je suis saint ? Puis-je prétendre à la jouissance éternelle de Dieu infiniment saint, puis-je lui être intimement uni, puis-je partager sa béatitude, si je ne suis saint, et d'une sainteté qui ne souffre absolument aucune tache ? À quoi dois-je m'occuper continuellement ici-bas, sinon à me purifier de plus en plus, à détruire en moi tout ce qui est opposé à la sainteté, à acquérir toutes les vertus qui peuvent me rendre agréable à Dieu ? Et, si je ne puis parvenir à cette parfaite pureté par mes efforts, que puis-je faire de mieux, que de me livrer à Dieu, afin qu'il me sanctifie lui-même, et qu'il me rende tel qu'il veut que je sois, pour paraître dignement en sa présence ? Quoi ! je dois voir, je dois posséder éternellement celui qui est saint par essence, celui dont la sainteté fait l'admiration, la joie, la félicité des Esprits bienheureux ; je suis destiné à dire un jour comme eux à jamais : Saint, Saint, Saint est le Dieu tout-puissant ; et je ne travaillerais pas à devenir saint, et je n'emploierais pas à cela tous les moments de ma vie ? Pourquoi donc suis-je sur la terre ? Quel autre objet est digne de m'occuper ?
Y a-t-il dans ce motif quelque chose de plus pressant ? Oui ; Dieu nous dit : Soyez saints, parce que je suis saint, et que moi-même je me suis uni personnellement à votre nature pour la sanctifier. Le chrétien n'est pas simplement homme, il est devenu participant en Jésus-Christ de la nature divine ; il est devenu par adoption enfant de Dieu le Père, et frère du Verbe incarné. Non-seulement son âme, mais son corps même a part à cette adoption. Ses membres sont les membres de Jésus-Christ ; c'est saint Paul qui le dit. À plus forte raison, son âme et ses facultés appartiennent-elles à Jésus-Christ. Combien donc le chrétien, incorporé à la divinité, doit-il être saint de corps et d'âme ! Ô Dieu ! si nous étions pénétrés de cette vérité, quelle serait notre ardeur pour la sainteté ! Je ne suis pas surpris après cela que les Apôtres ne donnassent point aux premiers chrétiens d'autre titre que celui de saints, et que cet usage ait subsisté longtemps dans l'Église. Aujourd'hui ne serait-ce pas une dérision de donner en général ce titre aux chrétiens ? Et ne sont-ils pas la plupart, dans leur conduite, et un grand nombre par principes, ennemis de la sainteté ? Quel affreux changement dans la face du christianisme !
Mais quelle est la sainteté qui est proposée aux chrétiens pour modèle ? Nulle autre que celle de Dieu même : Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait. C'est Jésus-Christ, c'est un Dieu fait homme pour nous enseigner la route de la sainteté, qui nous adresse ces paroles. Qu'est-ce donc à dire ? Pouvons-nous être saints comme Dieu est saint ? Non, il est impossible que nous soyons aussi saints que lui, ni que nous approchions en rien de son infinie perfection. Mais quelle que soit notre sainteté, il faut qu'elle soit moulée sur la sienne, qui est l'unique source, l'unique exemplaire de toute sainteté.
Et, parce que nos yeux sont trop faibles pour contempler la sainteté telle qu'elle est en Dieu même, et que nous sommes incapables d'en faire une juste application à notre conduite, Dieu s'est fait homme, il a conversé parmi les hommes, il les a instruits par ses discours, par ses exemples, par toute la suite de sa vie, et leur a proposé, dans notre nature unie à la sienne, un modèle de sainteté qu'ils pussent saisir et imiter. Il n'est donc plus question de dire : Qui montera au ciel pour y prendre, dans la vue de Dieu même, le vrai caractère de la sainteté ? La sainteté en personne est descendue sur la terre ; elle s'est montrée revêtue de notre chair ; elle a parlé, elle a agi en homme ; il ne reste plus qu'à étudier l'esprit de Jésus-Christ, qu'à nous conformer à ses maximes, qu'à marcher sur ses traces. Par ce moyen, nous deviendrons parfaits, comme notre Père céleste est parfait.
Mais Jésus-Christ n'est pas seulement le modèle de notre sainteté, il en est encore le principe et la première cause efficiente. Nous ne pouvons rien que par sa grâce, et il faut que cette grâce agisse sur notre liberté dans toute l'étendue de son pouvoir, pour que nous devenions saints comme lui. Il nous l'offre continuellement, et il nous promet de l'augmenter à mesure que nous en ferons bon usage. Mais ce bon usage dépend encore plus de lui que de nous ; et, si nous entendons bien nos intérêts, le plus sage, le plus sûr parti que nous puissions prendre, c'est de lui remettre, de lui consacrer notre liberté ; de le prier d'en disposer comme de son bien, et de lui protester que nous ne voulons nous conduire que par ses lumières et n'agir que sous sa direction. Heureux ceux qui se dévouent à lui de la sorte et qui ne se reprennent jamais ! Leur sainteté sera l'œuvre de Jésus-Christ ; ils n'y prendront d'autre part que celle de le laisser opérer en eux selon son bon plaisir, de ne lui résister jamais, et de mourir de tout leur cœur à leur propre esprit, à leur propre volonté, pour vivre de la vie de Jésus-Christ.


(Extrait du Manuel des âmes intérieures)


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