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dimanche 24 février 2019

De la réformation de la volonté et du fond de l'âme, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :



L'Annonciation, vitrail, Archiconfrérie de N-D. des Victoires




De la réformation de la volonté




En quoi consiste cette réformation ?

Dans l'application de cette puissance à Dieu, qui la tourne entièrement vers lui, et qui lui donne trois sortes de dispositions, de dégagement, de droiture et d'amour.


Comment se fait le dégagement ?


Par le soin que Dieu prend, de faire perdre à la volonté, l'affection pour les choses créées ; ce qu'il accomplit en deux manières. Premièrement, en la prévenant par sa grâce, en lui faisant goûter la douceur de son service, et en lui donnant, de la bonté divine, un sentiment tendre, qui lui fait comprendre, que Dieu seul mérite d'être l'objet de ses empressements et de ses désirs. Secondement, en procurant à l'homme, de la part des créatures, des peines et des contrariétés, qui détachent son cœur, et l'obligent à renoncer à toutes les choses périssables, pour ne chercher que Dieu, et s'attacher uniquement à lui.


Quelle est cette disposition de droiture, que Dieu donne à la volonté ?


C'est un sincère attachement au service de Dieu, accompagné d'un grand désir de lui plaire, et de le préférer à tout. C'est ce qu'on appelle ordinairement la droite intention, qui a pour but principal, la gloire, et le bon plaisir de Dieu. Toutes les grandes âmes ont eu part à cette faveur. David est loué dans l'Écriture, de ce qu'il était selon le cœur de Dieu, toujours prêt à exécuter toutes ses volontés. Lorsqu'un homme en est venu à ce point, qu'il n'a, pour ainsi dire, de goût et de sentiment que pour la volonté divine, qu'il la trouve partout, par sa parfaite résignation à tout ce qu'elle lait, ou qu'elle permet, par sa fidélité à accomplir tous ses commandements ; par une estime singulière, et une véritable affection pour tout ce qui porte la marque de la volonté de Dieu, avec une docilité charmante à obéir à toutes les inspirations de la grâce ; lors, dis-je, que l'homme eu est venu à ce point, on peut dire que le cœur a toute la droiture qu'il peut avoir. Mais pour arriver à cet heureux état, il faut que Dieu travaille longtemps, et d'une manière extraordinaire, par les attraits de sa grâce.


Quelle est la troisième disposition que Dieu met dans la volonté, pour la réformer entièrement ?


C'est un amour tendre et ardent, qui la rend sensible aux intérêts de Dieu, et qui est toujours prêt à s'allumer, au moindre signe de la volonté de celui qu'elle aime : à-peu-près comme la poudre prend feu, dès que la moindre étincelle tombe dessus.
Cette divine flamme a trois qualités. Premièrement, elle est délicieuse: car on ne saurait exprimer le plaisir qu'un cœur pur et droit trouve à faire la volonté de Dieu. Secondement, elle est noble et infiniment pure ; parce qu'elle vient du Ciel, et qu'elle y porte le cœur, en le rendant capable de converser avec Dieu et avec ses Anges. Troisièmement, elle est sainte et féconde ; parce qu'elle porte à tout bien, et à toute sorte de vertu ; et en particulier au zèle pour la gloire de Dieu, et pour le salut des âmes.


Que peut faire l'homme par son industrie, pour arriver à un état si parfait ?


Trois excellentes pratiques peuvent le disposer à recevoir les dons de Dieu, dont nous venons de parler. La première est le dénuement intérieur, qui ne souffre aucune attache, et qui demande une grande vigilance et de fréquents examens, pour se tenir en garde contre tout ce qui peut captiver la volonté, et l'empêcher de donner tout son attachement à Dieu.
La seconde pratique est celle de la droite intention, qui a pour objet le parfait accomplissement de la volonté divine. Nous en avons parlé dans le premier Tome, au douzième chapitre de la troisième Partie ; et nous la faisons consister en ces trois points. 1. Faire en toutes choses la volonté de Dieu, laquelle nous est déclarée par les commandements qu'il nous a faits, par ceux de l'Église, par les règles et les devoirs particuliers de notre état, par les événements et les effets extérieurs de la providence, et par les mouvements intérieurs de la grâce. 2. Exécuter la volonté de Dieu, en faisant les choses comme il veut qu'elles se fassent, et non pas comme il nous plaît. 3. Faire toutes choses par le motif de la volonté de Dieu ; si bien que le désir de lui plaire, et de faire ce qu'il veut, devienne l'âme de toutes nos actions : ce qui dispose merveilleusement à la perfection de l'amour.
La troisième pratique, est de s'exercer par des aspirations vives et ardentes, et par des élancements de cœur, qui contribuent beaucoup à allumer l'amour de Dieu. Car (comme dit notre Seigneur dans l'Évangile) on ouvre enfin à celui qui frappe constamment à la porte.



De la réformation du fond de l'âme




Qu'est-ce que le fond de l'âme ?

Pour comprendre ce que c'est, il faut comparer l'âme à une maison, où il y a plusieurs membres, et divers appartements. Vous allez voir un de vos amis pour lui parler d'une affaire : vous le trouvez dans la cour de son logis : ils vous écoute : votre proposition lui agrée, et il s'en tient là pour cette fois. Vous y retournez quelques jours après ; il vous reçoit dans sa salle, ou dans sa chambre ; il s'informe de toutes les particularités, et il diffère la conclusion de l'affaire aune autre fois, qu'il vous introduit dans son cabinet, pour être éloigné du bruit, et pour parler avec plus de liberté. Là, après vous avoir montré ses papiers, après s'être pleinement instruit, avec une mûre, délibération, il se détermine à faire ce que vous lui avez proposé. Cette détermination qu'il prend ensuite de plusieurs précautions, est censée venir du fond. Il veut véritablement ce qu'il fait ; ce n'est pas le caprice ni la fantaisie qui le fait agir ; c'est bien lui qui se détermine, sa résolution est sérieuse, c'est sa dernière et sincère résolution ; et vous pouvez dire que vous voyez ce qu'il a dans l'âme.
Il en est de même de ce qui se passe dans l'intérieur, par rapport aux choses spirituelles. Un homme entend un Prédicateur ; il trouve que sa morale lui convient, et qu'il en doit profiter. Une autre fois étant seul, ou ayant occasion de s'entretenir sur les mêmes matières, il s'en instruit à fond, il s'en pénètre, et conçoit le désir de mettre en pratique ce qu'il a ouï. Quelques jours après, durant le silence de la nuit, et dans le temps qu'il destinait au repos, les mêmes idées lui reviennent, il pense et repense mûrement au bonheur de ceux qui servent Dieu ; il se sent ému, et prêt à conclure son changement : il lui échappe de temps en temps des paroles ardentes et affectueuses. Enfin il propose dans son cœur de faire une retraite de quelques jours. Il se retire en effet .dans une maison à la campagne ou dans un Monastère. Là il vaque en silence à l'affaire du salut, et se détermine tout de bon à servir Dieu. Cette dernière volonté vient certainement du fond, parce qu'il n'y a rien au-delà de plus intime. C'est un homme qui est allé par degrés de désir en désir, et de promesse en promesse, jusqu'à la résolution la plus sincère et la mieux marquée. L'endroit où cette résolution a été prise, s'appelle le fond de l'âme ; il s'agit de réformer ce fond pour l'entière perfection de l'homme.


Comment est-ce que Dieu s'y prend pour réformer le fond de l'âme ?

Le fond de l'âme dans la plupart des hommes, est ordinairement, ou troublé par l'empressement naturel, ou couvert de ténèbres intérieures, ou livré à des attaches et des affections humaines, qui gênent et qui captivent. Pour le réformer et le perfectionner, il faut que Dieu l'établisse dans trois dispositions contraires, qui sont la tranquillité, la clarté et la liberté.


Comment y met-il la tranquillité ?


En chassant le trouble par la douceur de sa grâce, en lui faisant aimer la solitude, qui l'éloigne des objets créés, et qui le rend propre à être un séjour de paix. Cette opération se fait par la lumière de la contemplation, que peu de gens connaissent, parce qu'elle est très-subtile et très-profonde ; et comme il arrive souvent qu’elle ne découvre rien de distinct, on traite d'illusion et d'oisiveté cette conduite de Dieu sur les âmes. Cependant c'est le moyen dont il se sert pour leur donner une parfaite tranquillité.


Comment est-ce que Dieu met la clarté dans le fond de l'âme ?

Non seulement par sa lumière, qui dissipe les ténèbres que les idées basses des objets des sens ne manquent jamais de produire ; mais encore par les peines et les épreuves, qui purifient l'intérieur de l'homme : de sorte qu'il est capable de voir les objets surnaturels, et qu'il devient par cette opération, comme une eau claire, et comme une glace pure et fidèle, où Dieu peut se contempler.


Comment est-ce que Dieu opère dans le fond de l'âme, pour l'établir dans une parfaite liberté ?

C'est en y détruisant toute sorte d'affection pour les choses de la terre, et en mettant l'homme en état de ne rien désirer, de ne rien attendre, et de ne rien craindre de la part des créatures, en quoi consiste la parfaite liberté. Il s'applique en particulier à nous défaire de l'attachement que nous avons pour nous-mêmes. Car il est naturel à l'homme de se chercher, d'avoir ses intérêts à cœur, et de tout rapporter à son plaisir et à son utilité. Si nous pouvions pénétrer assez avant dans notre intérieur, nous entendrions l'amour propre qui y fait son séjour, et qui ne dit jamais que cette parole, moi, moi, ce qui est un véritable esclavage. Mais lorsque l'intérieur est réparé par la grâce, qui délivre l'homme du joug de l'amour-propre, il n'est plus question de soi-même ; parce que Dieu a pris la place ; le fond de l'âme ne réclame plus que Dieu ; et n'ayant plus qu'un maître, il jouit d'une parfaite liberté.


Que peut faire l'homme pour se disposer à ces opérations de la grâce ?

Il peut et doit travailler de son côté à modérer l'empressement qui domine la plupart des hommes, surtout ceux qui suivent les mouvements de la nature : ils sont sujets à faire les choses avec une certaine précipitation, qui est l'effet des passions et de l'impétuosité naturelle, et qui produit toujours le trouble et la confusion. Ceux qui veulent se sanctifier, s'étudient à ralentir l'empressement, et à réprimer la vivacité, afin que la paix du cœur ne soit point troublée. Et c'est ainsi qu'ils lèvent les obstacles à la grâce, qui doit mettre le calme dans leur intérieur.
Un autre soin, que l'homme doit prendre, pour préparer le fond de son âme à recevoir les opérations de la grâce, c'est de travailler à se défaire de toute attache aux objets créés, et de si bien mortifier l'amour propre, qu'il ne se glisse plus dans ses intentions. C'est le moyen de ressentir les effets de cette promesse du Seigneur. Votre lumière éclatera comme l'aurore ; vous recouvrerez bientôt votre santé : ... Si vous ôtez la chaîne du milieu de vous. C'est l'amour-propre qui forge cette chaine, par laquelle il nous attache à nos intérêts, et c'est en la rompant, que nous devenons parfaitement libres.
Un troisième moyen, qui dépend de l'homme, est de se soumettre par obéissance à la conduite de quelque personne sage et vertueuse, et de renoncer à tous ses goûts et à tous ses sentiments particuliers, pour vivre dans une entière dépendance. Il n'y a point de voie plus sûre, pour guérir bientôt le fond de l'âme de toute sorte d'erreurs et d’illusions des inclinations de l'amour-propre, et de tous les vices qu'il traîne à sa suite. C'est le sentiment des Saints les plus expérimentés dans la vie spirituelle. S. Ignace ordonne cette pratique aux Religieux ; de sa Compagnie, et il veut qu'ils la préfèrent aux jeûnes, aux veilles, aux austérités, aux longues oraisons, et à tout ce qu'ils pourraient faire par leur industrie. Saint François disait de la liberté que mous sacrifions, en nous rendant dépendants de la volonté d'autrui, ce que Notre-Seigneur a dit de la vie : Celui qui la perdra pour moi, la sauvera. Et on ne doit point être surpris que l'obéissance soit d'un si grand prix, et que Dieu y ait attaché ses plus grandes bénédictions : c'est de toutes les vertus, la plus noble et la plus excellente dans son principe, et celle qui demande plus de générosité de la part de l'homme.




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