vendredi 15 février 2019

De la réformation de la mémoire, par Le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :



Sainte Catherine au service des malades



De la réformation de la mémoire




Comment est-ce que Dieu opère dans la mémoire, pour la réformer par sa grâce ?

Il prend, pour ainsi dire, possession de cette faculté, qu'on peut appellera base et le fondement de tout le bien qui se fait en l'homme ; parce qu'elle donne occasion à ses pensées, où dépendent ses raisonnements, et ses affections.
Lorsqu'il s'est rendu maître de cette puissance de l'âme, il prend soin premièrement de la vider ; secondement, de la remplir ; troisièmement, de la conduire, et de l'appliquer, comme il convient, au plus grand avantage de l'homme.


Comment est-ce que Dieu vide la mémoire ?


Quand Dieu fait entrer l'homme dans la voie parfaite, et qu'il veut opérer en lui d'une manière surnaturelle et extraordinaire, il commence par agir dans la mémoire, qu'il réduit et qu'il attache, pour ainsi dire, au seul souvenir de Dieu, ne lui laissant d'idée de toutes les autres choses qu'autant qu'il est nécessaire pour ne pas oublier ses devoirs, et pour être en état de remplir ses obligations. L'homme ainsi vidé de tous les objets humains et ordinaires, se sent abîmé en Dieu, et absorbé dans son amour, il se regarde dans le monde comme un étranger dans un pays inconnu. En cet état, il ne pourrait pas quand il le voudrait, se mettre en peine de ce qu'il doit faire, ni de ce qu'il doit dire ; parce qu'il sent en soi-même l'accomplissement de cette promesse du Fils de Dieu. Ne songez point, ni comment vous parlerez, ni à ce que vous direz : car ce que vous aurez à dire, vous sera suggéré à l'heure même.
En vertu de cette promesse, les personnes dont nous parlons, quoiqu'uniquement et entièrement occupées de Dieu, sont assez présentes à elles-mêmes, pour ne manquer à rien de ce qui est du devoir. Tout ce qu'elles ont à faire ou à dire, leur est suggéré, lorsqu'elles en ont besoin. Ceux même qui par leur emploi sont obligés de parler souvent en public, peuvent le faire dignement avec peu de préparation. Ils éprouvent que les paroles leur sont mises en la bouche ; ils ne pensent qu'à ce qu'ils disent actuellement, sans prévoir ce qu'ils ont à dire, et ils oublient d'abord ce qu'ils ont dit.
Il est écrit dans la vie de sainte Catherine de Gennes, qu'elle gouvernait un grand Hôpital, où elle avait un maniement considérable, et de grands comptes à exiger et à rendre, sans que la multitude des soins la mît jamais en peine un seul moment : chaque chose se présentait d'elle-même à son esprit, lorsqu'il fallait y pourvoir : de sorte qu'elle ne se trompait jamais, et que ne pouvant être en peine ni sur le passé, parce qu'elle oubliait les choses à me sure qu'elle les faisait, ni sur l'avenir, parce qu'elle ne prévoyait jamais rien de ce qu'elle avait à faire, elle était toujours parfaitement libre pour s'appliquer entièrement à Dieu.
Le fondement de cette liberté d'esprit, est le vide dont nous venons de parler, par lequel Dieu commence très-souvent les opérations extraordinaires de la grâce. Et il n'est pas surprenant , que ceux, en qui Dieu opère de la sorte, quoique chargés de plusieurs obligations à remplir, puissent néanmoins suffire à tout, et que sans être jamais embarrassés, ils fassent chaque chose en son temps : parce que celui, qui fait un si grand vide dans leur âme, la tient entre ses mains pour l'avertir à propos, afin qu'elle se trouve prête à tout.
Au reste, comme ce vide fait par la grâce ne les rend pas moins propres à action ; l'action, de quelque nature qu'elle soit, n'est point un obstacle à ce vide. On en voit qui, de l'embarras des soins et des affaires domestiques, ou d'une forte application à l'étude, passent à l'oraison avec un dégagement et une facilité merveilleuse. D'autres après les occupations extérieures, qui épuisent le plus l'attention, rentrent d'abord dans leur premier vide, et se trouvent comme s'ils n'avoient rien fait, et qu'ils n'eussent rien à faire.


Comment est-ce que Dieu remplit la mémoire ?

Premièrement, comme c'est la mémoire qui conserve les richesses de l'entendement, on peut dire que Dieu remplit celle-là de toutes les connaissances dont il enrichit celui-ci. Et pour être remplie, elle n'en est pas moins libre, parce que sa liberté vient du vide que Dieu a fait en elle, et que la plénitude qui vient des richesses spirituelles, peut subsister avec le vide des objets créés.
Secondement, Dieu en ouvrant la mémoire, et en réveillant ses idées, lui fournit bien des trésors, qui étaient fermés pour elle auparavant, et rend capable de fournir elle-même à l'homme, promptement et à propos, tout ce qui lui sera suggéré ; c'est-à-dire, que Dieu, après avoir communiqué à l'esprit l'abondance des lumières, après avoir vidé la mémoire ; après l'avoir remplie, se charge de la conduire et de l'appliquer comme il convient.
Cette opération, qui est la troisième que nous avons remarquée au commencement de ce chapitre, consiste en ce que Dieu, qui tient lame en sa puissance, prend un soin particulier de cette faculté, que nous appelions la mémoire ; si bien que tout lui vient à propos, et que les vérités qu'elle a une fois connues, les textes de l'Écriture, le souvenir des choses passées, et généralement tout ce qui lui est nécessaire, se présente à elle dans l'occasion, avec la même facilité que s'il était présent devant les yeux : ce qui est pour l'homme un avantage merveilleux, qui le met en état de rendre à Dieu des services importants.


Que peut faire l'homme, pour préparer les voies à cette opération de la grâce ?

Premièrement, il doit faire une étude particulière de ne rien laisser entrer d'inutile dans, sa mémoire ; d'en chasser tout ce qui n'a aucun rapport au service de Dieu : de ne s'entretenir jamais du souvenir des objets, qui ne servent qu'à procurer de vaines satisfactions, et à nourrir l'amour-propre.
Secondement, il faut qu'il s'accoutume à donner toute son attention à l'objet présent qui l'occupe, et à se tenir comme en sentinelle à la porte de son âme, pour en défendre l'entrée aux autres objets, afin d'éloigner cette multitude de pensées inutiles au sujet de l'avenir, lesquelles importunent les hommes ordinaires, et troublent la paix de leur cœur. Comme ce sont les soins qui tourmentent, et qui produisent cette foule de pensées, le vrai moyen de s'en délivrer, c'est de jeter, comme dit l'Apôtre Saint Pierre, toutes nos inquiétudes dans le sein de Dieu, et de nous conformer à cette maxime de Jésus-Christ : Ne vous inquiétez point. En remettant ainsi à Dieu tous ses soins, on soulage la mémoire, et on engage Dieu à venir prendre possession de cette faculté de l'âme, pour achever de la vider, et d'en perfectionner la liberté. Ce qui a fait dire à quelques Mystiques, que la confiance en Dieu purifie la mémoire, comme la foi purifie l'entendement.
L'homme doit, en troisième lieu, fournir à sa mémoire quelques objets particuliers, qui l'exercent saintement : par exemple, le désir ardent de la gloire de Dieu, et les moyens de la procurer, la vie, la passion, et la mort de Jésus-Christ. Ces saints objets, en prenant la place des autres, qui sont vains et terrestres, disposent merveilleusement la mémoire à recevoir les opérations de la grâce, à ne s'occuper que de Dieu, et de ce qui regarde sa gloire.




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