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dimanche 9 juin 2019

De la réformation de la compassion, par le R.-P. Jean-Joseph Surin



Extrait du Catéchisme spirituel de la Perfection Chrétienne, Tome II, par le R.P. Jean-Joseph Surin :





De la réformation de la compassion




Qu'est-ce que la compassion ?

C'est une douleur produite dans l'âme, par le sentiment de la misère d'autrui.


Comment réforme-t-on cette passion ?

Par le soin qu'on prend de la réprimer, et de l'exciter à propos.


Quand est-ce qu'il faut réprimer la compassion ?

Lorsqu'elle peut nuire au bien spirituel de l'âme : ce qui arrive en trois sortes d'occasions. Premièrement, lorsqu'on se laisse attendrir par des récits fabuleux, et qu'on donne sa compassion à des aventures auxquelles on n'a aucun sujet de s'intéresser ; comme font ceux qui se plaisent à la représentation des comédies, et à la lecture des Romans. Saint Augustin ayant encore l'esprit du monde, versait beaucoup de larmes, en lisant l'histoire de Didon : et dans les Livres de ses Confessions, il se reproche cette vaine occupation, qu'il regarde comme un égarement d'un esprit oisif. On ne saurait croire combien cette vaine tendresse rabaisse l'âme, l'affaiblit, l'épuise, et l'éloigne de la dévotion.
Secondement, on ne doit pas oublier que la compassion a pour objet les misères d'autrui, et qu'il n'est pas permis de la tourner vers soi-même, et de s'attendrir à la vue de ses propres misères ; comme font les personnes du sexe, qui pleurent souvent sans savoir pourquoi. Cette fausse compassion ne vient pas de contrition et d'humilité ; c'est un effet de l'amour-propre, et d'une attache sensible à nos intérêts. Aussi, tout ce qu'on en tire, n'est qu'une vaine satisfaction qu'on se procure, et qui est toujours suivie d'un relâchement de ferveur. La vertu qui est généreuse, ne permet point à l'homme spirituel de s'attendrir de la sorte : elle le fait comme sortir hors de lui-même, pour s'élancer en Dieu.
On peut, en troisième lieu, se trop émouvoir à la vue des misères d'autrui, et en être si vivement touché, que l'âme en soit affligée jusqu'au trouble. Il ne convient pas d'étouffer cette troisième sorte de compassion ; mais il faut la modérer et la retenir dans de justes bornes, de peur qu'elle ne nous abaisse vers les objets sensibles, et qu'elle ne nous occupe trop, au préjudice de la tranquillité intérieure, et de cette égalité d'âme qu'il est important de conserver, et qui ne peut s'accorder avec d'autre compassion que celle qui est véritablement chrétienne.


Quand est-ce donc qu'il faut donner lieu à cette compassion, et la mettre en pratique ?

C'est particulièrement dans l'exercice de l'amour du prochain, dont le propre est d'émouvoir les entrailles à la vue des misères d'autrui ; ce que S. Paul exprime en ces termes : Revêtez-vous, comme des élus de Dieu, Saints et bien-aimés de tendresse et d'entrailles de miséricorde. Cette miséricorde a trois objets. Le premier, sont les âmes du Purgatoire : les personnes dévotes en ont ordinairement grande compassion ; parce qu'elles les regardent comme de vrais enfants de Dieu, qui souffrent beaucoup dans l'attente du Paradis, et qui ont besoin d'être aidés pour y entrer. Le second, sont les pécheurs ; la charité fait qu'on est sensible à leur malheur, qu'on travaille à les en tirer ; et c'est cette compassion qui produit le zèle. Le troisième objet de la miséricorde chrétienne, sont les nécessités des pauvres ; elle porte à les soulager par des aumônes, par des services, et par toutes sortes de bienfaits.
Rien n'est, ce semble, tant recommandé que cette charité envers les pauvres. N. S. déclare bienheureux, les hommes miséricordieux, et il leur promet qu'ils trouveront auprès de lui la miséricorde qu'ils auront exercée envers les autres. Mais rien n'est plus fort, que ce qui a été dit en faveur de l'aumône, en quelques endroits de l'Écriture. Tobie exhortant son fils à faire part de ses biens aux pauvres, lui en rapporte cette raison. Parce, dit-il, que l'aumône délivre de tout péché et de la mort, et qu'elle ne laissera point tomber l'âme dans les ténèbres. Il est dit dans l'Ecclésiastique, L'eau éteint le feu lorsqu'il est le plus ardent, et l'aumône résiste au péché. Le Prophète Daniel, après avoir prédit à Nabuchodonosor les malheurs qui devaient lui arriver, l'exhorte à les prévenir et à les détourner, et lui donne ce conseil : Rachetez vos péchés par les aumônes, et vos iniquités, par les œuvres de miséricorde envers les Pauvres. On ne peut pas douter que le Prophète ne conseillât à ce Prince ce qu'il y avait de plus propre à toucher le cœur de Dieu.
Ces passages de l'Ancien Testament s'accordent parfaitement avec ce que nous lisons dans l'Évangile. N. S., parlant du jour du jugement, dit, qu'il s'adressera aux élus, en ces termes : Venez, vous qui êtes bénis de mon Père ; possédez le Royaume qui vous a été préparé dès la création du monde : car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger ; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire, etc. Il semble qu'il ait voulu nous faire entendre par-là, que pratiquer les œuvres de miséricorde, et être prédestiné, ce ne soit qu'une même chose. Une autre fois il conclut une de ces exhortations par ces paroles : Après tout, donnez l'aumône, et il n'y a plus rien que de pur à votre égard. Le pouvoir de l'aumône est fondé sur la bonté infinie de Dieu, qui tient pour fait à lui-même, ce que nous faisons pour ceux qu'il aime.


Quelles qualités doit avoir la miséricorde, pour être parfaite ?

Premièrement, elle doit être noble et sublime, fondée sur la foi, et non sur la tendresse naturelle. Deuxièmement, elle doit être pure, ne se proposant que le soulagement du prochain, sans aucun égard à nos intérêts. Troisièmement, elle doit être sainte, c'est-à-dire, pratiquée en vue de Dieu, et faire comme à Jésus-Christ même, que le pauvre représente, selon cette expression de l'Évangile : Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l'un des plus petits de mes frères que voilà, vous me les avez faites à moi-même.



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